Stef
Ketteringham a publié son premier album solo en septembre 2016. Guitar Arrangements est un disque aride,
sec, désossé, déstructuré presque, et s’il y a une moto sur la pochette c’est peut-être
parce que Stef a eu un terrible accident en mai 2015, un accident entrainant
d’importantes conséquences et qui aurait pu lui coûter très cher. Un accident le
blessant à la main et l’empêchant de continuer à jouer la musique de son groupe
Shield Your Eyes (officiellement séparé en novembre 2015) ainsi que ses propres
compositions mais le poussant à trouver d’autres moyens, d’autres façons,
d’autres techniques pour réussir à s’exprimer. C’est un peu cela Guitar Arrangements : le
résultat d’une résistance, d’une résilience – je déteste ce mot là mais tant
pis – et sans doute faut-il voir dans ce nom d’album comme un jeu de mot, ce
n’est pas tant de guitare dont il est question mais d’un musicien qui a du
trouver comment s’arranger avec les aléas de la vie.
Cette histoire me fait penser à celle du grand guitariste anglais Derek Bailey,
chantre de l’improvisation libre que ce soit avec le Spontaneous Music Ensemble
ou en solo, et qui à la fin de sa vie avait fait face à des problèmes de canal
carpien. Ce qui l’avait obligé à totalement repenser sa musique et sa façon de
jouer (on peut écouter le résultat de cette transformation sur l’album Carpal Tunnel publié en 2005 par
Tzadik). Les comparaisons entre Derek Bailey et Stef Ketteringham pourraient s’arrêter là mais je trouve malgré
tout de nombreux points communs entre les sculptures effilées et équilibristes du
premier et le blues atomisé et ensauvagé du second. Une sorte de beauté
poétique commune.
Depuis Guitar Arrangements Stef Ketteringham a formé Reciprocate
– un nouveau groupe en compagnie d’Henri Grimes, l’ancien batteur de Shield
Your Eyes – et il a également enchainé les enregistrements en solo. Le dernier en
date s’intitule Cry And Sing et a été publié en
octobre dernier sur Romac Puncture Repairs, le propre label du guitariste. Bien que le style de jeu
de Stef soit à chaque fois immédiatement indentifiable Guitar Arrangements et Cry
And Sing sonnent assez différemment. Le premier est un album pur et dur de
guitare seule et sans aucun ajout. Comme peuvent le suggérer sa pochette et
surtout son titre, le second est davantage une collection de chansons : le
musicien ne fait pas que d’y jouer de la guitare, il chante également et il s’accompagne
de percussions (une grosse caisse jouée au pied), rejoignant la vieille
tradition du one man band.
En grossissant le trait et en simplifiant on pourrait affirmer que Cry And Sing présente une version encore
plus épurée de la musique de Stef Ketteringham
avec ses groupes – que ce soit Shield Your Eyes ou Reciprocate. On y retrouve
les mêmes mélopées / complaintes déchirantes et teintées d’un blues-folk par
très orthodoxe, parfois dissonant et où l’exaltation de l’émotion semble être
le seul but à atteindre. Il arrive que la voix se casse, parfois pas très
juste, que la guitare parte de traviole ou se mette à ruer et que le rythme se
fasse irrégulier, un peu comme un battement cardiaque tachycardique, donnant aux
compositions du chanteur/guitariste un caractère systématiquement authentique et
généreux. Totalement honnête. Et avec ses faux airs de Captain Beefheart isolationniste
joué avec un surplus de poésie et de sensibilité, Cry And Sing est aussi un album qui flirte constamment avec les notions
d’effondrement, de dérapage et d’expérimentation. Stef Ketteringham semble vouloir tout oser, rassemblant tous les
moyens dont il dispose pour arriver à ses fins, et s’il échoue – mais lui seul sûrement
pourrait nous dire si c’est le cas ou non – on ne s’en rendra jamais compte,
complètement subjugué par cette musique faite de chair et de cœur. Encore un
très beau disque de la part d’un musicien aussi rare qu’inestimable.