C’est déjà
l’heure du deuxième album pour EXHALANTS,
jeune trio originaire d’Austin / Texas. Deux années après un premier essai tout ce
qu’il y avait de plus réussi et de plus prometteur, Bill Indelicato (basse),
Tommy Rabon (batterie) et Steve Pike (guitare et chant) sont donc de retour
avec un Atonement qui casse
littéralement la baraque et repousse les limites de ce cher bon vieux noise-rock à
papa. Oui. Si j’étais en train de te parler musique en vrai, comme dans
l’ancien temps lors d’une conversation enflammée autour d’un pack de bières ou
d’une bouteille de vodka glacée (mais on peut toujours rêver), tu entendrais ma
voix tremblotante de houblon et d’électricité te faire l’apologie d’un album
assurément et lourdement furieux et pourtant d’une subtilité certaine.
La subtilité
dans le noise-rock qu’est-ce que cela signifie ? Rien d’autre que la faculté et
le talent de ne pas se laisser déborder ni dévorer par ses propres démons
électriques, ne pas tout abandonner à la facilité du bruit divin, aux sirènes
des guitares qui découpent grossièrement, aux rythmiques qui ne font que tout
écraser et au chant beuglard sans vergogne. Foncer droit dans le mur et réussir
à passer au travers, il y a finalement très peu de groupes qui y sont arrivés
(meilleurs exemples en la matière : Unsane et Cherubs) et tellement d’autres
qui ont échoué, se contentant de singer ce que finalement ils sont dans la
triste réalité, des bourrins plus ou moins sympathiques (non, pas d’autres
exemples à citer sur ce coup là, mon secrétariat personnel est déjà débordé par
tout un flot de courriers d’insultes avec menaces à la clef).
Et puis il y a
tous les autres groupes, ceux que je préfère et de loin, qui ont compris que
pour faire ressentir un peu de personnalité dans leur musique il faut surtout y
insuffler de l’étrangeté, de la déviance, de la roublardise, du vice – parfois
les quatre à la fois. C’est dans cette catégorie de groupes que je range –
façon de parler, évidemment – Big Black, les Butthole Surfers, Distorted Pony, Slug, US
Maple, Dazzling Killmen, Craw ou autres Couch Slut et Hoaries (pour parler
cette fois de l’époque actuelle). Des groupes qui musicalement n’ont rien à
voir entre eux mais qui possèdent tous quelque chose de différent. Un caractère
propre. Et Exhalants fait partie de cette
élite. Atonement
a été publié par Hex records, un label de Portland dont le catalogue révèle des
goûts très sûrs (Ed Gein, Playing Enemy, Grizzlor, The Great Sabatini, Great
Falls, Gaytheist, USA Nails et tout récemment Alpha Hopper dont on reparlera
bientôt).
Les premières
secondes de The Thorn You Carry On Your
Side et sa ligne de basse à la Fudge Tunnel nous donnent une précieuse
indication : Exhalants n’aura rien à
envier aux autres. Bang puis Passing Perceptions confirment
immédiatement. La basse est placée en tête de gondole et le restera jusqu’à la
fin disque, monumentale. Ce n’est pas un hasard non plus si en énumérant le
line-up du groupe j’ai précisément commencé par nommer le bassiste et sa grosse
(grosse) Rickenbacker. Rarement j’aurai écouté un enregistrement où cet
instrument joue un rôle aussi central, pivot, éclairant et fédérateur. Tu
connais mon amour biblique et quasiment inconditionnel pour les groupes dotés
d’une quatre-cordes proéminente – non, pas d’analyse psychologico-phallique s’il te
plait – pourtant Exhalants atteint
un nouveau degré de monstruosité avec des lignes de basse alliant sécheresse
qui claque façon Table et puissance de frappe digne d’un Godflesh.
Atonement
c’est aussi des tonnes de trouvailles et de détails qui mis tous ensemble
donnent à la musique d’Exhalants son
caractère personnel. Le très post hardcore (dans le sens employé dans les
années 90) Definitions évoque un A
Minor Forrest en plus torturé. Quant à Lake
song et ses instruments additionnels – de la trompette et du violoncelle –
je ne peux pas m’empêcher d’y trouver comme une pointe de June Of 44 et
d’Engine Kid.
Sur les compositions les plus virulentes, les plus lourdes et les
plus puissantes c’est la guitare qui occupe le poste de coloriste et assure le
contrebalancement. Une guitare qui n’hésite pas à déraper, à irriter ou à
enflammer mais surtout qui ne rechigne jamais à recourir au pouvoir des
mélodies. Un enveloppement subtil et bien soigneusement délimité dont
l’évidence princière s’impose face aux martèlements terrassiers non
domesticables du couple rythmique. L’équilibre parfait entre la fureur et
l’éclat, entre la crasse et la noblesse. Avec Atonement les trois Exhalants
s’imposent parmi les plus grands et les plus dignes représentants d’un genre –
le noise-rock – qui a donc toujours son mot à dire.
[Atonement est publié en CD et en vinyle noir, bleu transparent et rose uni ou fruité-marbré par Hex records]