Lorsqu’on
regarde d’un peu plus près la discographie de BRAME, on s’aperçoit tout de suite d’une
chose, très importante : jusqu’ici tous les enregistrements du duo ont été
autoproduits. Sans exception. Brame
c’est José à la guitare et Serge à la voix, deux types dans leur coin, plutôt
discrets à vrai dire et qui font leur truc bien à eux. Je me suis alors rappelé
de cette fois où j’avais trouvé dans ma boite-aux-lettres le CDr d’un groupe
dont je ne connaissais encore rien. Une belle présentation, avec un nom :
celui de Brame. Et un petit mot accompagnant le disque, Tenaille,
qui m’avait tenu en haleine. Ou plutôt qui m’avait mordu jusqu’au sang, ne
lâchant rien. Jusqu’à ce jour de 2013 où La
Nuit, Les Charrues… a débarqué à son
tour. Toujours plus loin. Puis ce fut Basses
Terres. Un vrai CD cette fois, avec une présentation encore plus belle et encore
plus attirante. On était déjà en 2015, une sale année pour tout dire. Maintenant
j’ai un peu de mal à faire la part des choses. Entre ce qu’alors je refusais d’entendre
du côté du réel (disons, pour faire simple : celui du fracas et de la destruction)
et ce que j’entendais au delà, comme à chaque fois que je mettais Basses Terres dans le lecteur.
Je n’ai pas réécouté Basses Terres ni
ses deux prédécesseurs depuis des années maintenant. Sans doute par peur d’y
retrouver ce que j’ai voulu fuir. Des conversations insensées à n’en plus
finir, des horizons depuis longtemps effondrés, des promesses non tenues, des
existences disparues, des regards éteints, des mains qui se desserrent (les
mains qui se desserrent : voilà le plus important). Tout en sachant aussi
ce qu’il y avait – ce qu’il y a toujours – dedans : des tranches de
vie(s). Bien saignantes les vies, et puis découpées avec un vieux couteau tout
rouillé. Un vrai travail de sagouin, quelque chose d’irrécupérable mais dont on
ne peut pas se défaire. La violence de la musique de Brame est souvent, toujours, ainsi. Insoutenable si on la prend
comme telle. Une vraie torture, sans échappatoire.
Alors que de là surgit aussi toute sa beauté. Au milieu d’un grand ragout de
tripes faisandées. Des lambeaux de chairs et d’existences assaisonnés d’une sale
guitare – la seule que je connaisse comme ça. Une musique qui en quelques notes
brûlantes et vibrantes réussit à associer blues des cavernes, paysages rocheux,
vieilles voies ferrées parcourues par des trains fantômes, bêtes sauvages
affamées, crépuscules orageux, plaines désertiques, refuges de fortune,
gémissements de proies aux abois, marches solitaires, rivières torrentielles.
Peu importe l’ordre.
Ce qui rôde est le quatrième album de Brame. Je pourrais (je vais) dire que c’est le plus beau parce que pour
la première fois c’est un vinyle, bien épais et bien dense, dans une pochette
en gros carton qui l’est tout autant. Sans oublier les inserts sérigraphiés, un
autocollant. C’est un objet. (Sans code-barres, sans aucune référence, sans
dépôt de droits d’auteurs ni logo régional de subventions culturelles.) Mais je
vais dire que c’est le plus beau surtout à cause de la musique qu’il contient.
Celle que je n’avais pas oubliée. La guitare qui remue la boue et convoque le
vent. Les battements minéraux. L’harmonica au loin. Les hurlements de vie. Et
la paix qu’il ramène avec lui, la sérénité presque, une fois que l’on a compris
et senti que la violence de cette musique n’en est pas réellement une, que
c’est plutôt comme un monde qui s’ouvre et que s’ouvrir comme ça et bien ça
peut faire mal. Je suis heureux de savoir que tu fais encore partie du monde
des vivants. Et je suis heureux d’en faire encore partie moi aussi.