Dans son livre Rip It Off And Start Again le
journaliste, chroniqueur et musicologue Simon Reynolds définit le « post
punk » comme toutes les musiques arrivées à la fin des années 70 et début
des années 80 après l’explosion punk – explosion s’arrêtant d’elle-même à la
séparation des Sex Pistols en janvier 1978 (ahem). Une définition strictement
et purement temporelle – je n’ose pas écrire historique – qui pour l’auteur a l’immense avantage de lui
permettre de parler dans le même livre de musiques autrement insupportables et qui
à mon sens n’avaient rien à y faire. Je pense notamment à toutes les
productions saucissonnées du label ZTT, une maison scintillante et plaquée-or
montée par le producteur / manipulateur Trevor Horn et le journaliste puis musicien Paul
Morley. J’ai toujours pensé que Reynolds vouait légitimement une admiration
sans bornes à Morley (l’un des premiers, si ce n’est le premier à avoir écrit
au sujet de Joy Division, c’était dans les colonnes du New Muscial Express) et
donc je lui passerai, parce que je suis du genre magnanime, sa vision trop
élargie de l’appellation non contrôlée et surtout incontrôlable de post-punk.
On traduira facilement Rip It Off And
Start Again par « déchire tout et recommence », un titre qui fait
écho à un autre livre de Simon Reynolds : dans Retromania il déplore que depuis les années 2000 la musique ne
soit plus une question d’inventions mais uniquement de recopiages et de
citations. Là encore je ne serai pas du tout d’accord avec lui et le présent nous
prouve exactement le contraire. J’ai un peu plus de cinquante ans maintenant
(et oui) et jamais je n’aurai autant écouté ou découvert de choses nouvelles et
passionnantes en matière de musique(s) que ces dix ou quinze dernières années.
TV
PRIEST serait un parfait cas
d’école pour Simon Reynolds. Voilà un groupe anglais il y a encore quelques
semaines complètement inconnu au bataillon et qui publie son premier album sur
un label ultra renommé et vénéré : Sub Pop. TV Priest est effectivement
ce que l’on appelle un groupe de post punk. Et par post-punk j’entends moi, à
la différence de Simon Reynolds, toute une nébuleuse de musiques électriques dont
les frontières sont limitées par des lignes dessinées aux alentours des années 1978
/ 1981 par quelques groupes pionniers mais peut-être bien complètement inconscients
de ce qu’ils étaient alors en train d’inventer : les Buzzcocks, The Fall,
Joy Division, Wire, Gang Of Four, The Cure, The Birthday Party, etc… (et cætera parce que cette liste n’est
pas forcément exhaustive : par exemple pourquoi ne pas rajouter les trois
premiers albums de Cabaret Voltaire ou ceux d’XTC ?).
Uppers a donc tout du disque « rétromaniaque » parce
qu’il donne dans un post-punk acétique et nerveux bien que subtilement
monotone. TV Priest est le digne héritier d’un The Fall, référence tarte
à la crème de toutes ces dernières années dès qu’il s’agit de parler de musique
électrique goguenarde et teigneuse, provocatrice et donc… euh, « post
punk ». Mais toutes ces histoires d’étiquettes me donnent de plus en plus
la nausée parce qu’elles ne font que masquer ce qui à mon sens reste le plus
important lorsque on écoute un disque ou que l’on assiste à un concert :
que ressent-on vraiment ? A-t-on envie d’aller plus loin avec cette
musique ? Dans le cas d’Uppers
et de TV Priest la réponse est
indubitablement positive. Uppers est
un disque excitant qui comporte nombre de pépites éminemment
électrisantes. Pas de racolage ou si peu : légèrement plus arrangés que
les autres titres de l’album, Powers Of
Ten et Saintless peuvent faire
figure de hit singles darkos à l’intention des foules (quand le groupe ajoute un
peu de synthétiseur à la sécheresse de sa musique je trouve même que cela lui
donne un petit côté à la Wire... non ?). Mais question « air du temps
revivaliste » et absence d'inventivité ce sera à peu près tout, face à tant d’excitation ressentie.
Uppers
arrive à provoquer un enthousiasme certain, celui du moment, et uniquement lui.
Et finalement il n’est pas si étonnant que cela que les quatre TV
Priest aient signé chez Sub Pop : malgré le côté très anglais de
leur musique j’y trouve aussi parfois quelques concordances avec celle d’un
Pissed Jeans, surtout dans ce côté abrasif, grondant et sans concession mais
très accrocheur. Oubliez donc les hippunks d’Idles et leurs bonnes intentions.
Oubliez les freluquets de Shame et leurs promesses non tenues sur la longueur.
Jetez-vous sur cet album sincère, cru et nuageux et bien plus signifiant qu’il n’en
a l’air au départ.