Je vais finir par croire
que j’ai un véritable rapport d’amour/haine avec EYE
FLYS. Un groupe de gros durs (musicalement, s’entend) et de gros
balourds. Comme ton vieux pote du lycée, celui avec lequel tu faisais craquer
les cours pour voler des bières au supermarché du coin – une bière achetée,
deux bières offertes – et fumer des joints de mauvais shit dans le parc de la
ville en racontant de la merde de puceaux acnéiques sur les filles trop
bonnasses qui couchaient avec des mecs dont tu ne comprenais pas ce qu’ils
avaient de plus (ou de moins) que toi. Ce pote là il va te suivre toute ta vie,
à chaque nouvel an il t’enverra les mêmes vœux débiles avec des photos de lui
en train de danser torse nu et complètement bourré sur du Britney Spears et du
Rihanna ou affalé sur la cuvette des chiottes, presque endormi au dessus d’une
mare de vomi acidifié. Mais ce pote tu l’aimes malgré tout, malgré son
pavillon de banlieue, sa collection de figurine Star Wars, son côté réac et ses
soirées télé-pizza – un vrai cliché ambulant, tout comme toi tu en es un autre,
à ta façon de vieux hipster à la révolte si confortable. A chaque fois qu’il te
relance et fait vibrer la corde sensible de vos souvenirs d’adolescence
partagés, tu rougis un peu et puis tu te mets à rigoler : tu as très envie
de te comporter comme un blaireau et un connard.
Exigent Circumstance a débarqué pile-poil au bon moment pour
achever une bonne année déguelasse et en entamer une nouvelle. Mais cette fois
ci ce n’est pas Thrill Jockey qui a publié ce nouvel enregistrement d’Eye
Flys mais Closed Casket Activities, un label spécialisé dans les éditions à tirage très limité et dans
l’inflation exponentiel de marchandising. J’ai compté quatre versions
différentes d’Exigent Circumstance, toutes
limitées entre 250 et 500 exemplaires, pour un total de 1500 copies à travers
le monde : du vinyle splatter bien répugnant, du bicolore de mauvais goût
ou du fluorescent. Mais toutes ces versions ont un point commun, elles sont
monoface et le côté sur lequel il n’y a ni sillon ni musique enregistrée est
sérigraphié avec l’énorme logo du groupe, les deux grosses mouches à merde en
plein 69 baveux.
Exigent Circumstance est, dans son
genre, un excellent disque. Bien bourrin, bien bousin. Il ne rajoute par
grand-chose par rapport à Context et à Tub Of Lard mais il poursuit la même
logique. Petit à petit la musique d’Eye Flys – en gros du hardcore sludge bas du cul – gagne en subtilité, enfin
presque. Ce n’est pas que le groupe renonce à faire du gras et du lourd mais il
fait de plus en plus d’efforts en matière de composition, il soigne ses riffs, il
donne plus de relief à sa musique qui pour la première fois perd de sa
rigidité. Définissant même un caractère groovy qui lui a toujours fait défaut : Circular Motion porte bien son nom avec sa partie de guitare
entêtante et, finalement, très rock’n’roll à l’ancienne (comme si, retour sur
le passé et révisionnisme, Fudge Tunnel avait choisi de reprendre un vieux
titre d’AC/DC au lieu de s’attaquer au Sunshine
Of Your Love de Cream).
Edgar Suit est lui une excellente
entrée en matière, débordant de larsens vrillés, de saindoux radioactif et
s’achevant sur un solo qui part inexorablement en couilles. Dead Larvae est l’un des gros points
forts du disque, d’une lourdeur intraitable et entrainante, une machine à
headbanguer tout en levant les bras en l’air pour invoquer les forces du mal –
ce n’est définitivement pas très subtil mais cela fonctionne on ne peut mieux.
Il n’y a que le morceau titre qui me convient un peu moins, non pas par manque
d’efficacité, bien au contraire, mais parce qu’il s’agit de la composition qui
sonne le plus classiquement, la composition la plus normée et la plus balisée du
disque (alors qu’elle n’aurait pas dépareillée sur Context). En tout Exigent
Circumstance c’est donc onze minutes de gros bonheur explosif et adipeux
et ce n’est pas la peine d’en demander plus ni de réfléchir davantage. Comme
d’habitude avec Eye Flys…