Le bonheur selon
LUGGAGE
? Je n’y crois pas une seule seconde et j’ai envie d’associer tout le second
degré et toute la tristesse ironique dont je suis capable avec le titre de ce
disque, parce que ça m’arrange : la musique de Michael Vallera (guitare et
chant), Michael John Grant (basse) et Luca Cimarusti (batterie) continue de me
toucher énormément. Je pourrais parler d’Adn musical ou de flux électriques
glissant dangereusement le long de ma moelle épinière – un sujet qui chez moi
prend beaucoup de place en ce moment – mais c’est bien plus profond et bien
plus ancré que cela. Je n’ai aucune excuse.
Mais revenons-en au « bonheur »… Happiness
est le quatrième enregistrement publié de Luggage
mais c’est aussi le premier mini album du groupe : seulement six compositions
et dix neuf minutes de musique. Ce qui n’est absolument pas un problème. Comme
à chaque fois, il se produit ce même phénomène miraculeusement collant et
envahissant avec la musique du groupe… je peux écouter le même disque
en boucle, passer des heures à le parcourir inlassablement, sans m’endormir
dessus et sans rien faire d’autre. Tu pourrais supposer qu’il s’agit d’un
comportement obsessionnel et peut-être même complètement maladif et tu aurais
raison. Mais j’assume. Et encore plus que Three
(2017) et Shift (2019), Happiness me fait exactement le même
effet, malgré donc sa courte durée.
Placé en ouverture, le morceau titre aurait pu être une composition
de Slint. Mais ce n’en est pas une. N’importe qui ne pourra qu’admettre
l’apparente filiation mais il y a des détails qui changent tout : les
micro-larsens qui cisaillent l’air, les petits roulements de batterie, la
précision affichée, la tension qui monte aussi rapidement qu’elle peut
redescendre, sans aucune mollesse ni effet brouillard… Il y a un côté très
volontariste chez Luggage,
une volonté et une affirmation exprimées malgré tout avec distinction et
finesse et réellement spécifiques au groupe. Lie Design et Wealth –
qui s’achève sur un fade-out plein de promesses – sont deux compositions
particulièrement entrainantes tandis que Fear
gagne en profondeur et en trouble grâce à quelques notes de lap steel en
embuscade et jouées par Michael John Grant. Et même si l’ambiance générale
n’est pas à la fête, même si la mélancolie pointe régulièrement le bout de son
nez, chez Luggage on sait ce que
signifient les mots présence et chaleur. Happiness
est ainsi un disque moins glacé, disons qu’il est évite habilement la
problématique embarrassante des petits courants d’air frais qui génèrent des
frissons parfois trop prévisibles (ce qui n’empêche pas Idiot Bliss de
provoquer par contre un sentiment de malaise assez pesant).
Donc Luggage s’affranchit de toute
référence encombrante grâce à son sens très personnel de l’intensité et Happiness est un enregistrement débarrassé de tout complexe
neurasthénique, un enregistrement encore plus habité que ses prédécesseurs bien
que d’apparence encore plus minimale et désossée. Pourtant Luggage s’inscrit toujours dans une vraie tradition, celle commune
à moult formations made in Chicago. Encore une fois enregistré au Electrical
Audio avec l’aide technique de Jeremy Lemos – pour ses deux disques précédents
le trio avait travaillé avec Matthew Barnhart – mais toujours avec le fidèle
Bob Weston au mastering, Happiness
possède ce son sec et aride de beaucoup de groupes du coin. Un son
reconnaissable entre mille mais que Luggage
transcende et même domine plus que jamais. Légataires et tributaires comme tant
d’autres d’une longue histoire, les trois musiciens réussissent peut-être à en
être les seuls héritiers dignes de ce nom : écouter et apprécier à sa juste
valeur Happiness c’est reconnaitre en
Luggage un groupe unique et
incomparable.
[Happiness
est publié en vinyle et en CD par Husky Pants record]