« Magrava » ? Est-ce que cela signifie quelque chose ? Dans une langue ou dans une autre ? Je ne le crois pas. Je me rappelle juste en avoir discuté un jour avec Cyril Meysson, le guitariste du groupe : « on se cherchait un nom, un nom que les gens puissent retenir sans pouvoir l’associer à quoi que ce soit, le rattacher à un langage connu ». Et là en moi-même je m'étais dit : histoire de pouvoir jouer sans trop d’entraves, se libérer des préjugés musicaux et entretenir sans frais la VMC ? bon, après tout, on verra bien…
ʭɧ est en fait le deuxième album de Magrava, duo composé de Cyril, donc, et de Rodolphe Loubatière à la batterie. Lui je l’ai déjà croisé de nombreuses fois, au cours de ces douze dernières années. A commencer par un concert organisé par Franck Gaffer dans le salon moquette de Grrrnd Zero en compagnie des saxophonistes Romain Dugeley (futur Kouma, Polymorphie, Pixvae, etc) et Yoann Durant (futur Irène et après je ne sais pas) et sous le nom de RYR – j’ai encore le CD quelque part, édité par le Grollektif dont c’était l’une des toutes premières productions. Puis je l’ai revu, toujours grâce à Franck, lors d’une édition du Gaffer Fest au Périscope, pour son fantastique duo avec Pierce Warnecke – là aussi il y a un disque, un vinyle paru en 2013 chez Gaffer records. Et je me rappelle encore d’un autre duo, cette fois avec Franck Vigroux…
Bref, le tout premier album enregistré par Cyril Meysson et de Rodolphe Loubatière a été publié sous le nom des deux musiciens : Sédition a été à moitié chroniqué dans cette gazette internet, oui à moitié seulement. Puis les deux musiciens ont donc décidé de se trouver un nom. Et ce sera MAGRAVA. Personnellement, je trouve ça beaucoup mieux, mieux que toutes ces associations de musiciens qui se contentent de brancher une enseigne lumineuse avec dessus leurs patronymes qui clignotent en toutes lettres puis qui jouent et enregistrent une musique qui du coup a tout de suite l’air beaucoup trop sérieuse, trop pensée, trop savante et compliquée, cérébrale, démonstrative. Comme si cette musique n’était que la somme de plusieurs noms et du nombre consécutif de participations individuelles. Dans le cas de Magrava et en suivant cette logique cela n'aurait fait que 1 + 1…
Bref, le tout premier album enregistré par Cyril Meysson et de Rodolphe Loubatière a été publié sous le nom des deux musiciens : Sédition a été à moitié chroniqué dans cette gazette internet, oui à moitié seulement. Puis les deux musiciens ont donc décidé de se trouver un nom. Et ce sera MAGRAVA. Personnellement, je trouve ça beaucoup mieux, mieux que toutes ces associations de musiciens qui se contentent de brancher une enseigne lumineuse avec dessus leurs patronymes qui clignotent en toutes lettres puis qui jouent et enregistrent une musique qui du coup a tout de suite l’air beaucoup trop sérieuse, trop pensée, trop savante et compliquée, cérébrale, démonstrative. Comme si cette musique n’était que la somme de plusieurs noms et du nombre consécutif de participations individuelles. Dans le cas de Magrava et en suivant cette logique cela n'aurait fait que 1 + 1…
Et bien non. Sur ʭɧ c’est l’exponentiel qui prime. Ou plutôt la synergie, le résultat total étant supérieur à la somme des éléments. Ce qui ne signifie pas, non plus, que les individus ne soient pas à prendre en compte : c’est d’ailleurs pour cela que j’ai un peu insisté sur le cas de Rodolphe Loubatière au début de cette chronique – qui elle non plus n’en est pas vraiment une. J’ai écrit qu’il est batteur mais s’il n’était que batteur, s’il n’était que cet organe pulsatif, s’il ne faisait que donner et garder le rythme et même s’il le faisait avec la meilleure technique du monde, et pourquoi pas aussi avec ce sens du groove qui des fois fait toute la différence, certes je pourrais l’apprécier mais de fait je l’apprécie aussi et surtout pour bien d’autres raisons. Car Rodolphe Loubatière sculpte ses rythmes : il ne fait pas que frapper ses peaux et ses cymbales, il fait aussi des sons, il crée une masse sonore grouillante, il imagine et donne naissance à des textures de notes qui vont au delà du marquage à la culotte de son alter-ego au sein de Magrava. Il n’est pas le batteur qui accompagne le guitariste Cyril Meysson mais le batteur qui joue avec lui et pour lui, tout comme le guitariste joue avec et pour le batteur Rodolphe Loubatière.
Il y a donc une explication tangible à la beauté incandescente et sauvage de ʭɧ, un disque certes bruyant, métallique et strident, dégueulant de saturation et de tribalisme, trempé de sueur et baigné d’éclats de lumière aveuglants, un disque brûlant et agité, noir et oppressant, tellurique et mordant, mais aussi un disque imaginatif, contrasté, onirique, libérateur et stratosphérique. Cyril Meysson et Rodolphe Loubatière sont deux parfaits chamanes. Ils prononcent et libèrent aux vents contraires les formules magiques et mystérieuses qui déclenchent les forces d’une musique frôlant la théorie du big bang : tout commence et tout fini par elle. C’est le cas sur la première partie de ʭɧ, où le silence électrique finit par céder la place à un nouveau monde encore en formation ; c’est encore plus le cas sur la deuxième partie du disque où la batterie ouvre et ferme la marche d’un long processus de refonte cosmique.
Enfin, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, ʭɧ est un disque réflexif – ce que je veux dire : l’improvisation spontanée n’y a quasiment pas droit de citer, tout ici a été composé et répété inlassablement. Ce qui pourrait se révéler en totale contradiction avec ma petite théorie du début sur les noms de groupes mais en fait, non, encore une fois. Magrava est bien ce duo étrange et alchimique qui transforme le bruit en musique et la musique en cathédrale. Cet effort de composition, je ne l’ai pas deviné et je crois que je n’aurais pas pu le faire tout seul : c’est encore Cyril Meysson qui me l’a appris, toujours au cours de la même conversation. Et je comprends pourquoi le duo a agi ainsi. En mettant en forme ʭɧ et en s’y tenant – le dernier concert du groupe auquel j’ai assisté reprenait tout l’album – Magrava ne fait pas œuvre de paresse et de facilité en ayant recours à la mémoire de ses deux musiciens ; au contraire ils ont travaillé tant et plus, non pas pour apprendre à se connaitre (ce qu’ils avaient déjà fait avec Sédition) mais pour élaborer ce langage commun qui fait aussi œuvre commune et qui nous explose au visage. Après ça, qu’importe de savoir si ʭɧ a roti dans une marmite de freeture végétale ou a longuement mijoté dans une cocotte en fonte, puisque le résultat obtenu s’avère à la fois explosif et concentré, brûlant et texturé, sauvage et héroïque, rebelle et hypnotisant. Donc oui, Magrava signifie réellement quelque chose et ce quelque chose tu ne le trouveras pas ailleurs.
[ʭɧ est publié en CD et un cassette – il n’y a pas d’édition vinyle – par Sorcerer Productions, un label dont le catalogue regroupant des musiciens chinois et européens s’étend du harsh noise au black metal en passant par le free, la musique expérimentale, l’ambient et toutes les variations et toutes les déclinaisons que l’on peut inventer ou imaginer entre tout ça… Magrava est donc parfaitement à sa place au sein d’un tel label].