J’adore la pochette de ce disque. Et pas seulement parce qu’elle me rappelle certains motifs d’illustrations parmi les plus beaux et les plus intrigants que Peter Saville a dessinés pour Factory records dans les années 80 : des couleurs* qui s’opposent mais qui se complètent étrangement ; le chaud et le froid qui se répondent ; une cinétique proche de l’imperceptible… Lorsque je regarde cette pochette j’ai tout de suite envie de la toucher (ou de la caresser : c’est mon côté pervers fétichiste) et à chaque fois je m’attends à ce que mes doigts découvrent des pliures, des bosses, des creux, un gaufrage, une découpe dans le carton… mais non celui-ci est tout lisse et ne révèle rien, aucune coquetterie. Je ne suis pas déçu pour autant, je me demande seulement qui a réalisé la pochette de ce Lifelike**, le deuxième album de FACS. Je me demande qui a su imaginer un artwork si proche de l’esprit et de l’âme d’une musique aussi fugitive que persistante, aussi atmosphérique que plombée, aussi sensuelle que froide, aussi mouvementé qu’isolationniste.
Dans la foulée de Negative Houses, premier album de Facs publié il y a à peine une année et qui constituait déjà un petit mystère, Lifelike (également paru grâce au label Trouble In Mind) confirme la voie étrange et anxiogène empruntée par le groupe de Brian Case. L’album confirme également la stabilisation de la formation autour du guitariste/chanteur : on retrouve donc la bassiste Alianna Kalaba et le batteur Noah Leger, pour la petite histoire ancien membre de Disappears avec ce même Brian Case. Le premier constat qui s’impose est que l’arrivée d’Alianna Kalaba a quelque peu modifié le rôle central et décalé que jouaient les lignes de basse dans la musique de Facs sans toutefois remettre fondamentalement leur rôle en question. Toujours non mélodique mais davantage investie dans le processus rythmique que précédemment – les balayages intensifs sur XUXA par exemple –, la basse opère par successions de couches lentes déversant à-coups angoissants, soubresauts au bord du gouffre ou nappes proches d’un drone métallique. Elle laisse néanmoins énormément de place à la batterie et en premier lieu à la grosse caisse (vraiment très présente sur In Time et Total History) avec un kick mixé très en avant et, enfin, elle laisse plus de latitude aux guitares. La prédominance de la batterie et des percussions (les cataractes de Loom State) est l’une des caractéristiques les plus évidentes du son de Lifelike, un disque dont la froide lenteur et la torpeur quasiment industrielle tirent parfois vers un groove rampant presque dub et ainsi renforcé par les lignes de basses aux grondements telluriques tout juste étouffés par la mélancolie.
Brian Case peut alors se faire plaisir mais il le fait avec une énorme distinction et une énorme classe. Il multiplie les arpèges dissonants de guitare, les effets shoegaze et les fines déchirures noisy au scalpel. Il tort ses mélodies vers toujours plus de noirceur minérale – le son de sa guitare ressemble à ce que l’on ressent lorsqu’on mâche un bout de papier aluminium – mais il se tient à une distance respectueuse de la rythmique et de son pouvoir lentement propulsif. Ou plutôt il n’empiète pas sur elle. Tout chez Facs contribue à un équilibre envoutant voire enivrant pour une musique austère et obsédante. Si la guitare en est le parfum acide et souvent fulgurant, la basse lui donne toute son aridité tannique tandis que la batterie assure l’élan général et impératif d’un disque qui me semble un peu plus rapide que son prédécesseur mais pas moins brumeux, le tout pour un effet de séduction des plus toxiques.
Sur Lifelike les références aux années 80 s’imposent d’elles-même mais, à la différence de la pochette du disque à la lisibilité évidente, toute analogie ou comparaison se révèlent incomplète pour décrire complètement et pertinemment la musique de Facs. Y compris en ce qui concerne Total History, dernière plage du disque et composition la plus longue de l’album : une première partie davantage conventionnelle et occupée par un chant froid et distant (qui a déjà hanté tout l’album) laisse la place à un final s’étendant sur près de cinq minutes et ouvrant la voie à l’insistance de la grosse caisse (qui peut rappeler la frénésie du noise rock) tandis que la ligne de basse en vol plané s’apparente plus à des grincements de charnières rouillées et que la guitare amoncèle gémissements cristallins s’agglutinant en petites grappes explosives. Total History arrive à transformer magnifiquement un sentiment de départ proche de l’étouffement en une force libératoire mais sans dénouement définitif : Lifelike s’achève ainsi, sur un épilogue incomplet débordant de grésillements électriques et de spleen nématique.
* dans son édition limitée le vinyle est d’un bleu turquoise tout aussi fascinant
** l’information n’est mentionnée nulle part sur le disque…