Pionnier et pilier historique de la
scène free européenne et de la musique improvisée mondiale, colosse du
saxophone et agitateur musical depuis plus de cinquante ans, Peter Brötzmann a publié tellement
d’enregistrements tout au long de sa longue carrière – certains devenant des
monuments incontournables – que depuis quelques années j’ai un peu lâché
l’affaire non pas par désintérêt mais par désargentement et parce que suivre ce
grand bonhomme infatigable m’était devenu impossible car épuisant (c’est ça
d’être fainéant en plus d’être pauvre). Mais j’ai toujours gardé un œil sur ce
cher Peter, guettant s’il ne venait pas à monter un nouveau groupe supersonique
ou à jouer avec un nouveau ou une nouvelle partenaire. Et la sonnette d’alarme
a retenti lorsque Trost records a annoncé la publication d’un enregistrement de
Peter Brötzmann avec une certaine Heather Leigh – cette dernière jouant
de la lapsteel guitar, instrument dont l’usage est on ne peut plus rare voire
quasiment inexistant dans le monde de la musique improvisée.
Je pensais ne pas connaitre du tout Heather Leigh mais je me trompais puisqu’elle a fait partie de Charalambides. Par contre, j’ai eu beau me creuser la mémoire et essayer de me souvenir d’un concert auquel j’ai assisté il y a quelques années et alors qu’elle jouait encore dans le groupe, je n’en garde strictement aucun souvenir… (et voilà : en plus je n’ai aucune mémoire). Mais comme je l’ai dit la guitare lapsteel en mode expérimental n’est pas un instrument courant – pourtant Heather Leigh publie des disques depuis le début des années 1990 * – et il n’en fallait pas plus pour aiguillonner ma curiosité. Comment pouvait sonner une telle association, a priori pour le moins étrange ? Je peux dire que je n’étais pas prêt d’arriver au bout de mes surprises.
Je pensais ne pas connaitre du tout Heather Leigh mais je me trompais puisqu’elle a fait partie de Charalambides. Par contre, j’ai eu beau me creuser la mémoire et essayer de me souvenir d’un concert auquel j’ai assisté il y a quelques années et alors qu’elle jouait encore dans le groupe, je n’en garde strictement aucun souvenir… (et voilà : en plus je n’ai aucune mémoire). Mais comme je l’ai dit la guitare lapsteel en mode expérimental n’est pas un instrument courant – pourtant Heather Leigh publie des disques depuis le début des années 1990 * – et il n’en fallait pas plus pour aiguillonner ma curiosité. Comment pouvait sonner une telle association, a priori pour le moins étrange ? Je peux dire que je n’étais pas prêt d’arriver au bout de mes surprises.
Sparrow
Nights est donc cet album enregistré en studio par PETER BRÖTZMANN et HEATHER LEIGH. Le premier y utilise toute une gamme de anches (clarinette et
saxophone dans différentes tonalités) et il fait du Brötzmann avec son génie
habituel mais aussi ses petites manies, il n’y a aucun doute à avoir là dessus.
C’est lui qui débute le disque délicatement, distillant des notes de velours
bancales et éphémères sur un Summer Rain
tellement court (deux minutes) qu’il ressemble à une simple introduction,
presque anecdotique mais qui donne une bonne idée de l'atmosphère générale du
disque.
Sparrow Nights est en mode doux voire planant et atmosphérique la plupart du temps. Même lorsque les deux musiciens montent dans les tours et font bouillir la marmite à freeture, il résulte toujours de leur musique un long continuum entre blues aérien et noise nuageuse, Heather Leigh et Peter Brötzmann se passant en permanence le relais au niveau des motifs dessinés, des textures utilisées et des chemins empruntés par l’une comme par l’autre. Il ne s’agit pas d’un jeu de questions et de réponses ni d’un jeu de correspondances mais bien d’un langage commun, un langage à deux. D’abord extrêmement déroutant parce que s’affranchissant de toute temporalité préconçue (le disque passe à la vitesse de l’éclair alors que sa durée dépasse elle les soixante-dix minutes, du moins dans la version CD) et jouant la circularité ou carrément la sphéricité (non, ce n’est pas un mot que j’ai inventé), Sparrow Nights est un monde à lui tout seul, un monde de poésie musicale.
Sparrow Nights est en mode doux voire planant et atmosphérique la plupart du temps. Même lorsque les deux musiciens montent dans les tours et font bouillir la marmite à freeture, il résulte toujours de leur musique un long continuum entre blues aérien et noise nuageuse, Heather Leigh et Peter Brötzmann se passant en permanence le relais au niveau des motifs dessinés, des textures utilisées et des chemins empruntés par l’une comme par l’autre. Il ne s’agit pas d’un jeu de questions et de réponses ni d’un jeu de correspondances mais bien d’un langage commun, un langage à deux. D’abord extrêmement déroutant parce que s’affranchissant de toute temporalité préconçue (le disque passe à la vitesse de l’éclair alors que sa durée dépasse elle les soixante-dix minutes, du moins dans la version CD) et jouant la circularité ou carrément la sphéricité (non, ce n’est pas un mot que j’ai inventé), Sparrow Nights est un monde à lui tout seul, un monde de poésie musicale.
Pour en revenir plus particulièrement à Heather Leigh je dois préciser qu’elle
ne joue pas de son instrument de façon usuelle et que sa pratique semble vraiment
peu orthodoxe. C’est à dire qu’elle ne passe pas son temps à frotter les cordes
de sa lapsteel avec un bottleneck pour en tirer des miaulements campagnards et
folklorique mais elle l’effleure, y compris à rebrousse-poil, elle le fait
vibrer pour en tirer des superpositions de nappes sonores – parfois noisy mais
souvent brumeuses et voilées de mouvements d’air – sans réellement attaquer les
cordes ni les lâcher, comme si elle agissait par fluide magnétique et continu…
oui c’est vraiment très étrange (et, en ce qui me concerne, très beau). Heather Leigh est pour beaucoup dans la
magie de Sparrow Nights mais je ne
veux pas être injuste avec Peter
Brötzmann qui ne serait pas ce fabuleux grand bonhomme s’il n’avait pas été
capable de jouer et de vibrer avec elle : nous avons affaire ici à un duo
véritable.
Pour finir, j’ai appris, quelques temps
après avoir découvert ce disque, qu’en fait ces deux là jouent depuis longtemps
ensemble et qu’ils avaient enregistré trois albums en concert avant de se
lancer dans un premier album studio. Voilà sans doute pourquoi Sparrow Nights résonne de façon aussi
accomplie et entière tout en refusant en permanence l’enfermement des miroirs
sonores et la routine de l’improvisation. Sparrow
Nights est beau disque poétique, un disque aux parfums
inhabituels mais persistants.
[Sparrow Nights est publié en double
vinyle et en CD par Trost records]
* son dernier album solo intitulé Throne vient de paraitre aux Éditions
Mego