Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

jeudi 17 janvier 2019

Fleuves Noirs / Respecte-moi






Je dois avouer qu’au départ j’ai vraiment eu du mal avec Respecte-moi, tout premier album de FLEUVES NOIRS. Et il m’arrive encore, mais de plus en plus rarement, de ne pas y comprendre grand chose (ce n’est pas non plus ce qu’il y a de plus grave dans la vie). Sans doute en est-il ainsi avec les disques dont j’attends beaucoup trop – l’idéalisme en matière de goûts musicaux devient alors une sorte de maladie honteuse – et celui-ci n’a pas tout à fait eu l’effet escompté sur moi. Les symptômes de l’addiction n’ont pas été immédiats, cela n’a pas été le coup de foudre instantané, l’étreinte charnelle, la folle passion ni le baiser du tueur. J’ai écouté Respecte-moi un nombre déraisonnable de fois ; puis je ne l’ai plus écouté du tout ; avant de recommencer à le faire, encore, à différents moments, dans différentes conditions et différentes positions. J’ai cru enfin voir la lumière, même vacillante, j’ai cru sentir le début d’un frémissement, avant de me retrouver de nouveau face à un mur. Pas un mur du son, ni même un mur d’incompréhension mais un mur… de désamour : la noirceur ironique et la folie mongoloïde de Fleuves Noirs me sont apparues bien ordinaires et ne me touchaient presque pas, pas plus qu’elles ne me faisaient peur. J’en avais vu et surtout j’en avais déjà entendu bien d’autres.

Pourtant tous les ingrédients semblent réunis pour faire de Respecte-moi un disque largement au dessus du lot. Mais la théorie et la pratique ce n’est pas la même chose : Respecte-moi gagne peut-être le grand prix de l’originalité parce que voilà un disque dont on se souvient et qui ne laisse pas indifférent mais il perd celui de l’obsessionnel rigolard, ce qui est un peu dommage pour un groupe qui joue à fond la carte du délire foutraque et halluciné. On retrouve ici l’ancienne section rythmique de feu Berline0.33 et je suis très heureux d’avoir des nouvelles de ces deux là, j’oserais presque affirmer qu’ils me manquaient et ils constituent un argument de poids non négligeable en faveur de la musique de Fleuves Noirs, l’un de ses atouts principaux et l’une de ses qualités premières – un couple basse/batterie jouant autant la souplesse que l’appui, c’est plutôt rare. Ensuite il y a un chanteur / shaman échappé de Cheyenne 40. Un vrai débile au cœur pur comme je les aime, spécialisé dans les borborygmes vocaux inintelligibles et au seuil de l’agaçant, sorte de croisement entre John Lydon qui aurait perdu son dentier, Mark Mothersbaugh (avec des cheveux longs) et Gibby Haynes (avec des lunettes cerclées). Enfin le guitariste, malgré toute sa discrétion (il est loin d’occuper la première place dans le mix), joue un rôle prépondérant, celui de l’électron libre et de l’élément qui fait ressortir tous les autres en semant le trouble.

Dès Jean Roulin c’est presque une affaire entendue que basse et batterie d’un côté et chant de l’autre ont un champ d’action certes plutôt large mais bien défini et bien délimité et qu’ils n’en sortiront pas ou que très rarement, respectant les préceptes qui établissent l’architecture de base et la nature des compositions de Fleuves Noirs. Par contre la guitare papillonne et virevolte constamment, seul élément subtil et aérien – bien que très souvent dissonant voire bruitiste – au milieu d’une grosse boucherie psyche-noise qui en rajoute constamment. Les meilleurs titres sont logiquement ceux sur lesquels le couple rythmique redonde et mouline du chou-rave tandis que le chant glaviote toujours plus de sauce harissa-mayonnaise-nutella sur les murs : un tel dispositif devient source d’irritabilité aigue et permet à la guitare de faire ce qu’elle veut avec nos petits nerfs en pelotes et d’asséner le coup de grâce. Toutefois cette mécanique bien huilée montre toutes ses limites sur Hesitanza, composition barbante et trop linéaire qui ne fait que s’enliser sans jamais décoller et qui est pour beaucoup dans mes premières réticences à l’égard de Respecte-moi.

Je ne ferai aucun mystère qu’à la première face de Respecte-moi je lui préfère largement la seconde que j’écoute bien plus souvent : elle donne à entendre Bambu / Con Moto qui est le jumeau hétérozygote (et donc réussi) de Hesitanza ; surtout cette seconde face se termine avec Loufresnaere qui est le meilleur morceau du disque parce que le plus varié et le plus sophistiqué : sa construction en forme de trip-tyque échappe toujours plus aux règles du bon goût formaté mais également aux modes opératoires précédemment mis en place par Fleuves Noirs. La guitare, ici beaucoup plus présente, gagne autant en miraculeux qu’en tumultueux tandis que basse, batterie et chant s’aventurent en dehors que leurs rôles habituels (avec l’appui bienvenu d’un synthétiseur crépusculaire). C’est dans les eaux agitées et réellement dangereuses de ce Fleuves Noirs là que j’aurais volontiers préféré me noyer. Bambu / Con Moto, Loufresnaere mais également Il est Beethoven Deux Heures (!) portent en eux toute la réussite et donc toutes les promesses d’un groupe dont j’espère quil ne s’arrêtera pas en si bon chemin car après tout Respecte-moi n’est qu’un premier disque, avec ses qualités et ses défauts, donc peut-être le point de départ vers quelque chose d’encore meilleur. En tous les cas Fleuves Noirs est un groupe à suivre.

[Respecte-moi est publié en vinyle transparent par Etienne Disc, Jarane, Poutrage records, Smart And Confused, Tandori records et Te Koop records]