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jeudi 24 janvier 2019

Émilie Zoé / The Very Start






The Very Start est le deuxième album solo d’ÉMILIE ZOÉ. Dix titres que la chanteuse-guitariste et compositrice suisse a longuement muris et rodés dans sa chambre puis lors de concerts en compagnie du batteur Nicolas Pittet, lequel joue également sur le disque (mais je ne suis pas totalement certain que parler de « maturation » soit dans le cas présent réellement approprié, The Very Start n’a rien d’un pinard tannique et goûtu vieilli en fûts de chêne ni d’un bouton d’acné juvénile).  
En concert Émilie Zoé parle énormément entre chaque titre, elle fait des petites blagues douces-amères, expliquant volontiers d’où lui sont venues l’inspiration pour telle composition, l’idée de telle autre, certaines paroles… elle évoque alors une anecdote tirée de son quotidien, un souvenir précis, un moment mélancolique ou une histoire avec sa grand-mère. Émilie Zoé c’est de la mise à nu avec toute cette vérité que l’on ne peut convoquer que par modestie – faire de la musique et s’exposer devant un public prend alors toute sa dimension existentielle, libératrice mais aussi, des fois, cathartique. Ce n’est donc pas un hasard non plus si Émilie Zoé joue également dans Autisti avec Louis Jucker à ses côtés.

Si j’évoque autant la chanteuse en concert, c’est parce que je me suis retrouvé devant une sorte de dilemme : celui de pouvoir découvrir enfin The Very Start et ses chansons magnifiquement poignantes qui m’avaient tant touché sur scène tout en ayant peur du décalage entre cette expérience du live et l’écoute du disque. Émilie Zoé compose et joue dans un registre difficile, celui de l’intime (donc) et du personnel, celui de l’intérieur qui s’échappe presque furtivement par l’épiderme (les chansons à fleur de peau) et en découvrant The Very Start j’ai brièvement éprouvé ce sentiment de tricher puisque j’avais en quelque sorte eu droit à toutes sortes d’explications lors d’un concert, comme si j’avais eu par avance une antisèche avant un examen et que l’affaire était finalement entendue. 
Tout ne s’est pas passé de cette façon, en tous les cas rien ne peut jamais être aussi évident ni prévisible et c’est tant mieux. The Very Start s’affirme rapidement sans plus de justifications grâce à sa beauté tout simplement émouvante et le talent d’une chanteuse forte de tout ce qu’elle cherche à exprimer. Et au contraire je reste persuadé que d’avoir assisté à un tel concert bien avant la sortie du disque en novembre 2018 n’a été quune aubaine involontaire et quune sorte d’étape : finalement ces chansons je les connaissais sans les connaitre, il en subsistait quelques traces en moi – des traces, je dois l’avouer, fugaces, plus des impressions persistantes et ineffaçables qu’autre chose – alors ces chansons je les ai (re)découvertes et je les ai à nouveau aimées. Et peut-être bien que je me suis mis à les aimer encore davantage.

Lorsque je dis qu’Émilie Zoé opère dans un registre difficile c’est aussi parce qu’elle est presque toute seule, ou plus exactement elle joue à deux : avec sa guitare plus ou moins électrique et son chant, sa voix ; accompagnée de son indispensable complice Nicolas Pittet à la batterie (délicate), lequel joue également un peu de clavier ou donne de la voix de ci de là. La musique d’Émilie Zoé qui tire ses racines de la poésie du folk et de la mélancolie du blues – et inversement – est surtout d’un minimalisme abrupt et d’une évidence simple, il n’y a pas de moulures en stuc ou de peintures en trompe-l’œil, tout est là à portée d’oreille et de cœur.
Pour autant The Very Start n’est pas un disque facile, non c’est un disque exigent – et cette exigence est celle d’Émilie Zoé. Alors qu’il ne reste que sa voix, sa guitare et ses mots, l’écoute devient obligatoire, c’est à dire non pas imposée mais indispensable ; lorsque un second chant, un piano ou un orgue apparaissent, lorsque la guitare se met en mode très électrique ce n’est jamais pour superlativiser, ce n’est pas non plus pour faire un écran de fumée mais pour exprimer avec toute la justesse possible ce qui doit l’être. Avec The Very Start il ne manque donc jamais rien comme il n’y en a jamais de trop. 
Enfin, je ne veux pas non plus trop comparer. J’entends parfois qu’Émilie Zoé serait le pendant helvète d’une Chan Marshall (Cat Power) perdue dans un vieux grenier ou d’une PJ Harvey retrouvant la grâce… si Émilie Zoé devait me faire penser à quelqu’un et si sa musique devait être mise en parallèle avec d’autres, je parlerais plutôt de Troy Von Balthazar et de Bill Callahan / Smog : deux musiciens et auteurs qui n’ont jamais eu peur de parler d’eux-mêmes, de leurs fragilités, de leurs doutes, de leurs désirs, de leurs petites luttes ; deux personnes qui osent s’ouvrir à celles et ceux qui les écoutent et qui donc les aiment aussi pour cette raison là. La pudeur est un don dans tous les sens du terme mais c’est également une force, aussi noble, évidente et sincère que possible – bien loin de tout étalage qui corrompt l’âme. Le genre humain.

Une bonne nouvelle : Émilie Zoé traversera la France en long en large et en travers cet hiver pour défendre The Very Start en qualité d’invitée de marque sur la tournée de Louis Jucker qui lui s’apprête à publier un nouvel album solo début mars et sera pour l’occasion accompagné de ses petits camarades de Coilguns comme backing band. Les lyonnaises et les lyonnais auront le plaisir de voir tout ce beau monde à La Triperie (20 rue Imbert-Colomès, Lyon 1er) le 25 février.

[The Very Start est publié en CD et en vinyle par Hummus records qui par ailleurs a également réédité Dead End Tape, le premier album de la chanteuse]