En septembre 1979
Ari Up, Viv Albertine et Palmolive apparaissaient à moitié nues et couvertes de
boue sur la pochette de Cut, le
premier album des Slits. Leur message était des plus essentiels : nos corps
nous appartiennent et nous en faisons ce que nous voulons. Contrairement à ce
que l’on pense souvent, la révolution punk n’a pas été épargnée par le sexisme,
le machisme, les injonctions patriarcales et le virilisme – on peut relire De Fringues, De Musique Et De Mecs
de cette même Viv Albertine ainsi que, dans le domaine des musiques et
pratiques expérimentales, Art Sexe
Musique de Cosey Fanni-Tutty où la musicienne, artiste et performeuse met
en parallèle son art pornographique et sa lutte permanente pour se réapproprier
son corps et garder ses droits à en disposer. Il y a quarante ans, pour une femme, se mettre volontairement à
poil sur la pochette d’un disque était vécu comme une provocation et c’est encore le cas aujourd’hui. Pourtant la provocation n’existe réellement que
dans le regard porté par celui – et des fois également par celle – qui crie au
scandale et à l’immoralité. Et on ne parlera même pas de toutes ces pochettes de disques où
des corps de femmes sont étalés comme des objets pour mettre en valeur l’Homme
Dominant car
car elles sont complètement hors de propos.
ROSE MERCIE, formation de quatre musiciennes et amies de longue
date, vient de publier son deuxième album, ¿
Kieres Agua ?. Sa pochette est de celles que l’on remarque : Inès Di Folco, Louann Djian, Charlotte Kouklia et Michèle Santoyo y
apparaissent entièrement nues, évoquant les esprits, dansant au milieu de flammes semblant parfois
sortir de leurs corps et les entourant d’une aura mystérieuse et protectrice
(peut-être) mais surtout d’une force sûre d’elle-même. On ne voit jamais de
pochettes de disque aussi revendicatrices que celle-ci et qui n’ont pas recours
non plus à la brutalité, la violence ou l’agression. Une pochette qui nous
dit simplement « le feu c’est nous, il est en nous, autour de nous et avec nous »
pour un disque qui, avec beaucoup d’humour, nous demande également si on a
besoin d’eau pour éventuellement éteindre l’incendie de notre indignation (¿ Kieres Agua ? ou plutôt « ¿
quieres agua ? » se traduisant par « est-ce que tu veux de
l’eau » ?). Si tu as trop chaud en regardant ces joyeuses sorcières
modernes en plein sabbat musical c’est donc, encore une fois, ton problème et
effectivement tu as grandement besoin de te rafraichir les idées, ton mental
dominateur et tout le reste.
¿ Kieres Agua ? a été partiellement
composé au Mexique – l’une des musiciennes est originaire de ce pays –, au bord
de la Méditerranée et en banlieue parisienne et les textes se partagent entre
espagnol, français et anglais mais la musique de Rose Mercie est de nulle part, appartenant à une vaste
nébuleuse entre post-punk et pop, refusant également de délimiter et trop définir
son langage propre. Toujours en équilibre, funambule et délicatement
volontaire, intime, le disque dévoile un nuancier qui tient autant de la force
que de la douceur et rend complètement obsolète ce type de classifications
archétypales et dichotomiques. On s’épargnera donc les qualificatifs douteux et
réactionnaires propres aux rock-critics du siècle dernier : ¿ Kieres Agua ? est ni « un
disque de filles qui font comme les mecs » ni un disque de « filles
sensibles mais trop sympas » (on remarquera d’ailleurs qu’à l’inverse,
s’il s’était agi d’un disque d’hommes ou de garçons, la question ne se serait
même pas posée). Parfois le ton monte, mais toujours sans aucune dureté et avec
une fantaisie espiègle d’autant plus impertinente que ça appuie là où il faut –
Chais Pas et ses trop de garçons qui
se ressemblent tous – ou évoquant quelques sortilèges d’une
telle évidence naturelle qu’il n’y a rien à comprendre de plus – Witching et son refus de la dualité du bien et du mal.
Les instruments passent de main en main, plusieurs voix se font entendre, parfois en
même temps (comment ne pas penser aux mélodies de chant d’une Verity
Susman ?) et s’il fallait parler de magie et de charmes, ce seraient d’abord
ceux d’un disque engagé à sa façon unique et personnelle mais décidée et positive et
qui, si tu ne l’écoutes pas comme il devrait l’être, en toute simplicité et en
toute honnêteté, te renverra à ton propre enfermement et à tes préjugés. Les
histoires racontées par ¿ Kieres
Agua ? n’ont rien d’édifiant, elles sont uniquement pleines de vérités et il n’est vraiment pas courant
d’inventer et d’enregistrer une musique aussi libre que celle-ci. L’affirmation
sans entraves, autrement. Un disque sans compromis, merveilleux et généreux.
[¿ Kieres Agua ? est publié en vinyle
par Jelodanti et Celluloid Lunch]