On n’en finira
donc jamais avec BIG’N ?
Apparemment, non. Le label Computer Students (ou CmptrStdnts™ pour les intimes) poursuit
son travail d’inhumation/résurrection/restauration du plus méconnu des groupes
de noise-rock des années 90, école de Chicago. A l’époque, cette bande de
furieux était passée plutôt inaperçue : publier deux LP chez skin Graft – Gasoline
Boost pour les versions européennes – ainsi qu’une flopée de singles et de
splits y compris avec des groupes nettement plus connus et adulés n’aura pas suffi (Shellac et
US Maple figurent dans la liste, de même, certes sur un EP posthume, que les
futurs stars d’Oxes). Pourquoi ? Big’n est resté incompris, trop souvent cantonné au rang de ramassis
de bourrins pas finauds, jouant une musique toujours pareille et doté d’un
chanteur particulièrement horripilant… Il est vrai que les vociférations de
William Akins peuvent facilement être apparentées aux cris d’un porc adolescent
en train de se faire castrer à la cisaille électrique par un employé d’abattoir
scrupuleusement sadique.
Pourtant les disques de Big’n méritent
que l’on y revienne et même que l’on s’y attarde. Tout comme il faut être un
sacré bon acteur pour réussir à dignement interpréter un crétin dans un film de
Max Pécas ou un esprit supérieur dans un film d’Alain Resnais scénarisé par
Robe-Grillet, il faut avoir une vision claire, affutée et intelligente de sa
musique pour réussir à la rendre aussi vicieuse et impure que l’ont fait les
quatre Big’n. Et la rendre aussi
monolithique ou, disons, homogène, le groupe donnant tout son sens à ce genre
d’expression pénible du type « jouer comme un seul homme » qu’il est
l’un des rares à pouvoir pleinement revendiquer. Une composition signée William
Akins, Todd Johnson, Mike Chartrand et Brian Wnukowski c’est toujours
l’assurance de ce prendre un gros pavé de crasse musicale bien séchée et bien
aiguisée au travers de la gueule. OK, le noise-rock méthode Big’n sent le poil transpirant et la
testostérone de redneck viriliste mais, comme tous les plaisirs désormais un
peu coupables, c’est exactement pour ces raisons là qu’on l’aime.
Pour rester dans l’allégorie cinématographique « DTS » ne renvoie pas
au Digital Theatre Sound, ce mixage 5.1 dégueulasse devenu la norme du cinéma
grand public contemporain mais à Discipline Through Sound*, deuxième
album de Big’n publié en 1996 et qui
a donc fêté son vingtième-cinquième anniversaire en 2021 (l’année où aurait du
être publié DTS 25 si le monde
des humains n’avait pas brutalement appuyé sur la pédale d’accélérateur en
direction de l’apocalypse définitive. Tu comprends maintenant ce titre ? A ce
disque j’ai toujours préféré son prédécesseur, le monstrueux Cutthroat (1994), beaucoup plus sale et
méchant à mon goût mais cette réédition me ferait presque changer d’avis.
D’abord parce qu’elle permet de réécouter consciencieusement et religieusement
et donc de redécouvrir Discipline Through
Sound désormais rehaussé par une remasterisation signée Carl Saff qui a fait du bon boulot. Ensuite parce qu’un deuxième 12’ propose dix suppléments
parmi lesquels les titres du split avec Oxes mentionné plus haut, des titres
parus uniquement sur des compilations et un inédit dont on ne sait pas trop
d’où il sort.
Mais le plus beau et le meilleur ce sont les cinq plages qui occupent la face C
de DTS 25 : Moonshine, Dry, Lucky 57, White Russian et Dying Breed,
tous en version démo. C’est à dire des versions enregistrées par un certain
Dave Zuchowski (il a travaillé avec nombre de musiciens de la très riche scène
free jazz et impro de Chicago). Mon anglais aussi parcellaire que maladroit m’a
permis de comprendre, en lisant l’abondante documentation du livret de douze
pages qui accompagne DTS 25, que ces
versions là auraient du constituer l’album final. Finalement Big’n a réengistré sous la houlette de
Steve Albini, l’homme qui a fait autant de bien au noise-rock en définissant
ses contours sonores et esthétiques qu’il a fini par lui faire du mal en donnant
naissance à des stéréotypes, ouvrant la voie aux redites et autres imitations
ridicules (exactement le même phénomène qui s’est produit avec Kurt Ballou et
le hardcore).
Je préfère nettement les versions « démo » de Discipline Through Sound à celles qui figurent sur l’album que tout
le monde a écouté pendant vingt-cinq années. Elles ont plus de hargne, plus de
contours, plus de violence… elles sont parfaites. Je n’en dirai pas plus. La
musique parle pour elle-même. Une fois de plus avec cette réédition Computer
Students nous a concocté un objet somptueux et luxueux mais ce n’est qu’un
objet. Le livret quant à lui est des plus passionnants avec des textes signés
Akins, Albini, Jeff Helland (des géniaux Hoaries) ou Wnukowski ainsi que des photos
parfois désopilantes comme celle de Big’n
posant en compagnie des membres de Kiss (mais est ce que ce sont les vrais Kiss
? mystère…).
* le lien renvoie à
la version de Discipline Through
Sound publiée par Skin Graft et Gasoline Boost – la version Computer Students est dispo ici