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jeudi 19 mai 2022

Big'n : DTS 25

 



On n’en finira donc jamais avec BIG’N ? Apparemment, non. Le label Computer Students (ou CmptrStdnts™ pour les intimes) poursuit son travail d’inhumation/résurrection/restauration du plus méconnu des groupes de noise-rock des années 90, école de Chicago. A l’époque, cette bande de furieux était passée plutôt inaperçue : publier deux LP chez skin Graft – Gasoline Boost pour les versions européennes – ainsi qu’une flopée de singles et de splits y compris avec des groupes nettement plus connus et adulés n’aura pas suffi (Shellac et US Maple figurent dans la liste, de même, certes sur un EP posthume, que les futurs stars d’Oxes). Pourquoi ? Big’n est resté incompris, trop souvent cantonné au rang de ramassis de bourrins pas finauds, jouant une musique toujours pareille et doté d’un chanteur particulièrement horripilant… Il est vrai que les vociférations de William Akins peuvent facilement être apparentées aux cris d’un porc adolescent en train de se faire castrer à la cisaille électrique par un employé d’abattoir scrupuleusement sadique.
Pourtant les disques de Big’n méritent que l’on y revienne et même que l’on s’y attarde. Tout comme il faut être un sacré bon acteur pour réussir à dignement interpréter un crétin dans un film de Max Pécas ou un esprit supérieur dans un film d’Alain Resnais scénarisé par Robe-Grillet, il faut avoir une vision claire, affutée et intelligente de sa musique pour réussir à la rendre aussi vicieuse et impure que l’ont fait les quatre Big’n. Et la rendre aussi monolithique ou, disons, homogène, le groupe donnant tout son sens à ce genre d’expression pénible du type « jouer comme un seul homme » qu’il est l’un des rares à pouvoir pleinement revendiquer. Une composition signée William Akins, Todd Johnson, Mike Chartrand et Brian Wnukowski c’est toujours l’assurance de ce prendre un gros pavé de crasse musicale bien séchée et bien aiguisée au travers de la gueule. OK, le noise-rock méthode Big’n sent le poil transpirant et la testostérone de redneck viriliste mais, comme tous les plaisirs désormais un peu coupables, c’est exactement pour ces raisons là qu’on l’aime.
Pour rester dans l’allégorie cinématographique « DTS » ne renvoie pas au Digital Theatre Sound, ce mixage 5.1 dégueulasse devenu la norme du cinéma grand public contemporain mais à Discipline Through Sound*, deuxième album de Big’n publié en 1996 et qui a donc fêté son vingtième-cinquième anniversaire en 2021 (l’année où aurait du être publié DTS 25 si le monde des humains n’avait pas brutalement appuyé sur la pédale d’accélérateur en direction de l’apocalypse définitive. Tu comprends maintenant ce titre ? A ce disque j’ai toujours préféré son prédécesseur, le monstrueux Cutthroat (1994), beaucoup plus sale et méchant à mon goût mais cette réédition me ferait presque changer d’avis. D’abord parce qu’elle permet de réécouter consciencieusement et religieusement et donc de redécouvrir Discipline Through Sound désormais rehaussé par une remasterisation signée Carl Saff qui a fait du bon boulot. Ensuite parce qu’un deuxième 12’ propose dix suppléments parmi lesquels les titres du split avec Oxes mentionné plus haut, des titres parus uniquement sur des compilations et un inédit dont on ne sait pas trop d’où il sort.
Mais le plus beau et le meilleur ce sont les cinq plages qui occupent la face C de DTS 25 : Moonshine, Dry, Lucky 57, White Russian et Dying Breed, tous en version démo. C’est à dire des versions enregistrées par un certain Dave Zuchowski (il a travaillé avec nombre de musiciens de la très riche scène free jazz et impro de Chicago). Mon anglais aussi parcellaire que maladroit m’a permis de comprendre, en lisant l’abondante documentation du livret de douze pages qui accompagne DTS 25, que ces versions là auraient du constituer l’album final. Finalement Big’n a réengistré sous la houlette de Steve Albini, l’homme qui a fait autant de bien au noise-rock en définissant ses contours sonores et esthétiques qu’il a fini par lui faire du mal en donnant naissance à des stéréotypes, ouvrant la voie aux redites et autres imitations ridicules (exactement le même phénomène qui s’est produit avec Kurt Ballou et le hardcore).
Je préfère nettement les versions « démo » de Discipline Through Sound à celles qui figurent sur l’album que tout le monde a écouté pendant vingt-cinq années. Elles ont plus de hargne, plus de contours, plus de violence… elles sont parfaites. Je n’en dirai pas plus. La musique parle pour elle-même. Une fois de plus avec cette réédition Computer Students nous a concocté un objet somptueux et luxueux mais ce n’est qu’un objet. Le livret quant à lui est des plus passionnants avec des textes signés Akins, Albini, Jeff Helland (des géniaux Hoaries) ou Wnukowski ainsi que des photos parfois désopilantes comme celle de Big’n posant en compagnie des membres de Kiss (mais est ce que ce sont les vrais Kiss ? mystère…).

* le lien renvoie à la version de Discipline Through Sound publiée par Skin Graft et Gasoline Boost – la version Computer Students est dispo ici