Bon allez, je me
lance. Cela fait plusieurs mois maintenant que j’écoute le premier album de SALO. Bien sûr j’ai un peu
triché (attention : je vais me la péter) et j’ai pu prendre mon temps
parce que le groupe m’avait gentiment envoyé les fichiers de From Melmac With Hate. Ça, c’était en
plein milieu d’un énième épisode de la pandémie et de je ne sais plus quelles
restrictions sanitaires, alors que les petits groupes qui ne font de la musique
que pour s’amuser, conjurer le sort, tromper l’ennui, se défoncer, emmerder le
monde, rêver trop fort (rayer les mentions inutiles) étaient encore contraints de
se terrer dans leurs caves ou leurs locaux de répétition, sans pouvoir vraiment
jouer devant des gens debout, éructant, transpirant, titubant et prêts à
n’importe quoi. Avant que la crise du vinyle – alimentée par la surconsommation
en polymères des majors inflationnistes, au détriment des labels indés et DIY –
ne retarde encore davantage la sortie des disques de ces mêmes petits groupes.
Cette musique là.
From Melmac With Hate a ainsi été
enregistré en une poignée de jours et en prise directe sur la grande scène de Grrrnd
Zero du côté de Lyon par Big Flo
pendant l’été 2020, il y a trop longtemps. Seules les voix ont été capturées à
part et un peu plus tard, dans le salon des parents. Le son de l’enregistrement
est brut et violent, viscéral et teigneux, grésillant et explosif, chaud et
humide, exalté et éjaculatoire, exactement les mêmes termes que l’on pourrait trouver
pour évoquer une bonne partie de la musique de Salo. Je suis complètement ravi, aux anges, et je dois même dire
que j’exulte de tout mon petit corps tremblotant : le fond et la forme ensembles
dans le creux de mes mains rassemblées en cœur et entre mes oreilles en
chou-fleur.
Maintenant que je peux confortablement écouter et réécouter From Melmac With Hate en vinyle (la
sortie officielle du disque est prévu pour la fin du mois de janvier 2022,
ouais je me la pète encore une fois) je prends encore plus la mesure de son
importance. Partie de loin sur des intentions plutôt garage en mode musclé, la
musique de Salo n’a plus aucun
équivalent en ce moment. Vraiment aucun. Il est facile de deviner quelques uns
des illustres modèles affectionnés par le groupe mais il est impossible d’en
tirer trop hâtivement et trop définitivement la moindre conclusion. Par exemple
l’une des compositions s’intitule Jay
(Reatard, bien sûr) mais ce n’est qu’un exemple… L’illustration de la pochette
– dessinée par le chanteur/guitariste/dictateur de l’impossible Romano Krang – renvoie
elle au personnage du Révérend Harry Powell incarné par Robert Mitchum dans la Nuit Du Chasseur de Charles Laughton.
Tandis que Melmac, je l’avais oublié, est le nom de la planète originelle d’Alf… un truc de l’enfance.
Lorsque la musique devient un tel exutoire et un tel déversoir à passions – et
celle de From Melmac With Hate l’est
complètement – on aura beau chercher et fouiller dans tous les coins et recoins,
on ne trouvera ainsi que des bribes d’explications, convaincantes mais pas
suffisantes. Encore et toujours, vraiment côté musique cette fois : il y a
pas mal de Thee Oh Sees période garage éjaculatoire ; les lignes de basse
imposent une massivité et une volumétrie puisant directement leur source dans
le noise-rock des années 90/AmRep/Trance Syndicate ; le chant haut perché
(mais ce n’est pas sa seule caractéristique) n’aurait pas fait tâche sur un
vieil album de Cherubs, oui encore les 90’s ; et puis il y a Knee KO, la composition du disque qui
reflète le plus volontiers une influence southern goth pour cowboys
mélancoliques, mystiques et irrécupérables (16 Horsepower et Wovenhand en tête
de congole).
Alors voilà, je viens de balancer autant de références que possible – surtout ne
m’en veux pas trop si j’ai en oubliées plein – mais ce ne sont finalement que
des impressions, des marquages à la culotte, des flashs éphémères qui
reviennent à la gueule et qui s’effacent devant l’incroyable volontarisme de From Melmac With Hate. Un disque carnassier
dont le bouillonnement permanent sert non seulement de prétexte mais aussi de
carburant high octane au défoulement, en lutte contre l’instabilité. Un disque
qui, ce n’est pas incompatible mais bien un de ces miracles dont seul le ROCK a
le secret, se tient droit debout, fulgurant et intraitable, fracturé et entier,
malade et curatif, mélodique et sale, tout en paradoxes. Fort. L’électricité,
la colère et la sauvagerie en bonnes fées adoratrices du Diable et marraines du
Mal Rédempteur, perchées au dessus du berceau d’un être monstrueux et attachant,
violent mais séduisant, débordant et contradictoire, tellement humain. Lorsqu’on
écoute ce chant qui semble suivre les rails d’un train fantôme en mode
roller-coaster c’est le chemin tourbillonnant du vertige que l’on suit, la bave
au bord des lèvres et la peur du précipice au ventre. Définitivement : le
seul destin des âmes perdues est de brûler éternellement.
[From Melmac With Hate est publié en
vinyle par Bigoût records,
label joyeusement velléitaire qui a d’ores et déjà annoncé la parution de deux nouveaux
disques pour l’année 2022 – mais qu’est-ce qu’il y a les gars ? vous êtes
malades ?]