Au départ CARVER est un duo Nantais formé par David Escouvois, batteur
impeccable et mignon comme tout pour Mr Protector puis Franky Goes To
Pointe-à-Pitre, et par Thomas Beaudelin, auparavant chanteur et saxophoniste au
sein des affreux mais regrettés Café Flesh, plus récemment biniouteur de
freeture avec Trombe et poète / bidouilleur / chanteur obsédé par Tom Waits et Arthur
Rimbaud sous le nom de Tom Bodlin. Dans Carver
il s’occupe du chant, du saxophone mais également et surtout de la guitare, des
fois tout ça en même temps, les joies de l’overdub.
J’étais complètement passé à côté de Bouncing
In The Yards, premier enregistrement du groupe publié
uniquement en numérique
vers la fin de l’année 2019… un enregistrement qu’honnêtement je trouve trop vert
et souvent maladroit mais, au delà de la joie de retrouver la voix de Thomas
dans un registre davantage braillé / postillonné, il me faut également admettre
que ce premier essai dégage un truc intrigant et inhabituel. Bouncing In The Yards a été bouclé en
seulement deux jours avec l’aide au son de Pierre-Antoine Parois (batteur de
Room 204, Papier Tigre, Spelterini, oui on est toujours à Nantes) et celles et
ceux qui avaient découvert le groupe à ce moment là avaient au moins pu se dire
que quelque chose d’intéressant se tramait, quelque chose de prometteur pour la
suite.
La
suite s’appelle White Trash, quatre
titres gravés sur un disque en vrai et en dur et là encore mis en boite par
Pierre-Antoine. Le principal gros chambardement c’est l’arrivée en renfort du
bassiste Nicolas Monge. Une arrivée importante et qui change beaucoup de choses,
participant à l’épaississement et à la dynamisation du désormais
trio. L’autre fait marquant est plutôt de l’ordre de la confirmation, celle du
caractère assez unique de la musique de Carver.
Ce que l’on pouvait tout juste pressentir sur Bouncing In The Yards éclate de façon bien plus flagrante et
surtout singulière sur White Trash.
Friand de culture américaine – le nom de groupe est un hommage au romancier et
nouvelliste Raymond Carver, quant au titre du disque, inutile de te faire une
explication de texte – Carver n’est
pas vraiment un groupe de noise-rock. Du moins pas un groupe de noise-rock très
classique, dans les deux sens courants donnés au genre : les trois
musiciens ne marchent ni sur les platebandes tirées au cordeau de l’école de
Chicago ni sur les arpions poisseux d’Amrep (quoique… le son et la ligne de
basse de Priests sont tout à fait
dans cette dernière lignée, mais vite contredits par la guitare).
Il faut aller chercher un peu plus loin pour trouver quelques indices sur la
nature idiomatique d’une musique très énergique et au caractère imprévisible.
Je pense à ces rythmes tout bizarres, casse-gueules, ensoleillés pourrait-on
dire (il y a même une composition qui s’intitule Calypso, encore l’école nantaise), à ces riffs de guitare qui ligotent
sans appuyer inutilement et s’abstiennent de découper du lard et d’étaler du
gras plus que nécessaire (Everyone Knew),
à ce chant qui part très souvent dans l’égosillement, à ces surlignages au
saxophone qui ne s’égosille pas moins (Priests)
mais sait aussi se faire plus discret (The
Girl Next Door). Les quatre compositions de White Trash auxquelles les ayatollahs du couplet / refrain ne
comprendront rien accrochent sans faillir, intriguent et donnent du fil à
retordre sans rebuter, électrisent et séduisent, tout simplement : Carver est un drôle d’animal, aussi
inspiré qu’inspirant, et surtout le trio s’impose déjà comme une figure
atypique dans le paysage musical actuel.
[White Trash est publié en vinyle par
Araki – Simon, arrête de me
vouvoyer s’il te plait –, Day Off, Kerviniou recordz
et Pied De Biche]