Comme d’habitude je
traine, je traine… je traine… Mais c’est qu’un disque de MAINLINER cela
se déguste sur la longueur. Pour tout un tas de raisons évidentes. Et en
premier lieu : les compositions du groupe sont d’une durée aberrante. Dual
Myths est un double album et il ne comporte que quatre titres d’en moyenne
vingt minutes chacun, un par face. Pourtant il n’y a pas beaucoup de musiques
électriques aussi prégnantes et aussi explosivement hallucinogènes que celle de
Mainliner. On parle ici d’un power trio, ce type de line-up cher aux
métallurgistes comme aux punks et aux garagistes. La formation reine du
rock’n’roll dans ce qu’il peut avoir de plus sauvage et de plus direct. Sauf
que le groupe de Kawabata Makoto (Acid Mothers Temple, etc.) est un
maitre-étalon en matière d’ouragan psyché-noise. Donc le côté « direct »
de sa musique s’étale allégrement en de longs développements complètement incantatoires,
entre freeture et lourdeur, psychédélisme et explosivité. Des jams interminables
basées sur des compositions à la répétitivité hypnotique.
Pour parler de Dual Myths je pourrais presque reprendre mot pour mot la chronique
que j’avais écrite au sujet de Revelation Space il y a quelques
années. Nous étions alors en 2013 et après plus d’une décennie de silence Kawabata
venait de réactiver Mainliner avec un nouveau line-up, sans
Nanjo Asahito. C’est sans doute pourquoi le groupe avait alors été rebaptisé Makoto
Kawabata’s Mainliner. Donc sur Dual Myths on retrouve à nouveau le
bassiste / chanteur Taigen Kawabe ainsi que le batteur Shimura Koji* aux côtés du
musicien-gourou japonais, plus solaire que jamais. Sa guitare irradie
constamment les quatre compositions lourdement chargées de solos psychotropes
et incendiaires. Enregistré sur une période beaucoup plus longue que son
prédécesseur, Dual Myths bénéficie aussi d’un son moins grésillant mais
beaucoup plus magmatique, défoncé à la fuzz et à la reverb, tour à tour
fissionnel et fusionnel, un immense champ magnétique multipolaire et un chaos organisé
proche de l’envoutement. Un flash permanent.
Avec ce nouvel album Mainliner
est plus que jamais l’écrin parfait pour permettre à toute la folie musicale de
Kawabata de s’exprimer pleinement, en tous les cas encore plus librement je
crois qu’avec Acid Mothers Temple – dont il est pourtant le leader incontesté –
car sans la concurrence d’autres instrumentistes tentés eux aussi par des
échappées belles. Une réappropriation définitive puisqu’au départ Mainliner
était, rappelons-le, le projet de son premier bassiste / chanteur / producteur Nanjo Asahito (également dans High Rise, Musica Transonic, Toho Sara...) qui composait quasiment
tout le matériel que le trio réarrangeait ensuite à sa sauce. Rôle qu’occupe
désormais le guitariste. Mais on se rend bien compte que ni Taigen Kawabe ni
Shimura Koji ne restent cantonnés à des rôles de faire-valoirs ou de sidemen,
fussent-ils de première catégorie. En particulier le bassiste qui écrit
toujours tous les textes qu’il chante et dont la voix fait beaucoup pour
l’étrangeté et le côté ensorcelant de la musique du groupe (sur Blasphemy Hunter son chant évoque
quelque créature aérienne tandis que sur Dunamist
Zero il se permet nombre d’extravagances hystérisantes). Avec Shimura Koji
il forme surtout un tandem rythmique incroyablement solide, persévérant et
endurant – et de l’endurance il n’en faut pas qu’un peu lorsqu’il s’agit de ne
pas perdre le fil lors des longues déambulations soniques du guitariste en
chef.
Ecouter Dual Myths ne revient pas seulement à s’en prendre plein la
gueule. Même s’il y a beaucoup de ça. Il y a surtout une grande part de rêve éveillé
/ merveilles révélées sous influence dans la musique de Mainliner, parce
qu’elle a cette capacité à nous englober (nous avaler) tout en se montrant
fuyante. Une course-poursuite par paliers successifs sans que l’on sache comment
sera précisément le prochain palier ni quelle hauteur et durée il aura. Un
long trip sans fin si ce n’est celle du disque : sur Hibernator’s Dream et Silver
Guck un fade-out vient nous rappeler qu’une face de LP ne dure pas
éternellement et que si la musique enregistrée doit s’arrêter les musiciens ont
eux du continuer sur leur lancée – mais pendant comment de temps encore ?
– comme lors des concerts-fleuves pour lesquels le groupe est particulièrement renommé…
[soupirs]
[Dual Myths
est publié en double LP – le premier vinyle est argenté, le second est noir – et
même en CD par Riot Season]
* erratum : contrairement
à ce que je croyais Shimura Koji joue depuis fort longtemps dans Mainliner et
n’était pas un nouveau venu dans le groupe lorsqu’il s’est reformé en 2013… il
est crédité à partir de l’album Solid Stick Attack (1999), prenant la
suite d’Hajime Koizumi et surtout de Tatsuya Yoshida (Ruins)