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mercredi 2 juin 2021

Mainliner : Dual Myths






Comme d’habitude je traine, je traine… je traine… Mais c’est qu’un disque de MAINLINER cela se déguste sur la longueur. Pour tout un tas de raisons évidentes. Et en premier lieu : les compositions du groupe sont d’une durée aberrante. Dual Myths est un double album et il ne comporte que quatre titres d’en moyenne vingt minutes chacun, un par face. Pourtant il n’y a pas beaucoup de musiques électriques aussi prégnantes et aussi explosivement hallucinogènes que celle de Mainliner. On parle ici d’un power trio, ce type de line-up cher aux métallurgistes comme aux punks et aux garagistes. La formation reine du rock’n’roll dans ce qu’il peut avoir de plus sauvage et de plus direct. Sauf que le groupe de Kawabata Makoto (Acid Mothers Temple, etc.) est un maitre-étalon en matière d’ouragan psyché-noise. Donc le côté « direct » de sa musique s’étale allégrement en de longs développements complètement incantatoires, entre freeture et lourdeur, psychédélisme et explosivité. Des jams interminables basées sur des compositions à la répétitivité hypnotique.

Pour parler de Dual Myths je pourrais presque reprendre mot pour mot la chronique que j’avais écrite au sujet de Revelation Space il y a quelques années. Nous étions alors en 2013 et après plus d’une décennie de silence Kawabata venait de réactiver Mainliner avec un nouveau line-up, sans Nanjo Asahito. C’est sans doute pourquoi le groupe avait alors été rebaptisé Makoto Kawabata’s Mainliner. Donc sur Dual Myths on retrouve à nouveau le bassiste / chanteur Taigen Kawabe ainsi que le batteur Shimura Koji* aux côtés du musicien-gourou japonais, plus solaire que jamais. Sa guitare irradie constamment les quatre compositions lourdement chargées de solos psychotropes et incendiaires. Enregistré sur une période beaucoup plus longue que son prédécesseur, Dual Myths bénéficie aussi d’un son moins grésillant mais beaucoup plus magmatique, défoncé à la fuzz et à la reverb, tour à tour fissionnel et fusionnel, un immense champ magnétique multipolaire et un chaos organisé proche de l’envoutement. Un flash permanent.
Avec ce nouvel album Mainliner est plus que jamais l’écrin parfait pour permettre à toute la folie musicale de Kawabata de s’exprimer pleinement, en tous les cas encore plus librement je crois qu’avec Acid Mothers Temple – dont il est pourtant le leader incontesté – car sans la concurrence d’autres instrumentistes tentés eux aussi par des échappées belles. Une réappropriation définitive puisqu’au départ Mainliner était, rappelons-le, le projet de son premier bassiste / chanteur / producteur Nanjo Asahito (également dans High Rise, Musica Transonic, Toho Sara...) qui composait quasiment tout le matériel que le trio réarrangeait ensuite à sa sauce. Rôle qu’occupe désormais le guitariste. Mais on se rend bien compte que ni Taigen Kawabe ni Shimura Koji ne restent cantonnés à des rôles de faire-valoirs ou de sidemen, fussent-ils de première catégorie. En particulier le bassiste qui écrit toujours tous les textes qu’il chante et dont la voix fait beaucoup pour l’étrangeté et le côté ensorcelant de la musique du groupe (sur Blasphemy Hunter son chant évoque quelque créature aérienne tandis que sur Dunamist Zero il se permet nombre d’extravagances hystérisantes). Avec Shimura Koji il forme surtout un tandem rythmique incroyablement solide, persévérant et endurant – et de l’endurance il n’en faut pas qu’un peu lorsqu’il s’agit de ne pas perdre le fil lors des longues déambulations soniques du guitariste en chef.

Ecouter Dual Myths ne revient pas seulement à s’en prendre plein la gueule. Même s’il y a beaucoup de ça. Il y a surtout une grande part de rêve éveillé / merveilles révélées sous influence dans la musique de Mainliner, parce qu’elle a cette capacité à nous englober (nous avaler) tout en se montrant fuyante. Une course-poursuite par paliers successifs sans que l’on sache comment sera précisément le prochain palier ni quelle hauteur et durée il aura. Un long trip sans fin si ce n’est celle du disque : sur Hibernator’s Dream et Silver Guck un fade-out vient nous rappeler qu’une face de LP ne dure pas éternellement et que si la musique enregistrée doit s’arrêter les musiciens ont eux du continuer sur leur lancée – mais pendant comment de temps encore ? – comme lors des concerts-fleuves pour lesquels le groupe est particulièrement renommé… [soupirs]

 

[Dual Myths est publié en double LP – le premier vinyle est argenté, le second est noir – et même en CD par Riot Season]

* erratum : contrairement à ce que je croyais Shimura Koji joue depuis fort longtemps dans Mainliner et n’était pas un nouveau venu dans le groupe lorsqu’il s’est reformé en 2013… il est crédité à partir de l’album Solid Stick Attack (1999), prenant la suite d’Hajime Koizumi et surtout de Tatsuya Yoshida (Ruins)