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vendredi 11 juin 2021

Mary Bell : Bellatrix Boadicea



L’histoire de Mary Bell est aussi triste que sinistre. Une « enfant-meurtrière » au sujet de laquelle on a volontairement occulté qu’elle était aussi et surtout une victime. D’abord en raison des mauvais traitements qu’elle a subis et qui d’une façon certaine l’ont poussée à passer à l’acte. Ensuite parce qu’elle est bien malgré elle devenue le symbole de l’incompréhension de façade et du rejet hypocrite d’une société bien-pensante, coincée et outrée, celle de l’Angleterre à la fin des années 60. On ne savait pas quoi faire d’une fillette de onze ans ayant froidement assassiné par strangulation deux garçons âgés de quatre de trois ans. Punir tout en niant est alors devenu la meilleure façon de ne pas voir et de ne pas comprendre, la meilleure façon de refuser d’écouter et de parler. Je ne suis pas certain que l’on agirait autrement de nos jours, la stigmatisation systématique tenant toujours la première place dans les argumentaires politiques les plus rétrogrades. Au contraire choisir MARY BELL comme nom de groupe est une profession de foi militante : tailler dans le vif pour se faire toute la place nécessaire et pouvoir dire ce que l’on a dire, faire ce que l’on a à faire. C’est le but de toute provocation.





Bellatrix Boadicea est le deuxième LP de Mary Bell : ce drôle de nom d’album est inspiré de celui de Boadicée, reine des Iceni et prêtresse divinatrice du sud-est de l’actuelle Grande Bretagne, en révolte contre l’Empire Romain et à la tête d’une armée coalisée tentant de repousser l’occupation de son territoire, à peu près en 60 après Jésus Christ (il y a plusieurs versions de son histoire mais c’est celle-ci que je préfère). Je crois que ce n’est pas trop le côté « héroïne populaire » ni « gloire nationale » de Boadicée – elle a quand même droit à une statue quelque part du côté de Londres – qui intéresse particulièrement les quatre Mary Bell mais le fait qu’elle se soit violemment révoltée après avoir été battue jusqu’au sang et avoir vu ses deux filles violées par les Romains, simples prises de guerre, victimes de l’appropriation du corps des femmes par les hommes, les meneurs de guerres.  Une histoire malheureusement aussi vieille que l’humanité et qui continue de perdurer. Rappelons qu’aujourd’hui encore les premières victimes des guerres conduites par les hommes sont toujours les femmes et non pas l’économie, les banques ou les sociétés d’investissement. Et l’essor du modèle économique capitaliste et impérialiste tel que nous le connaissons a beaucoup reposé sur l’exploitation et la diabolisation des femmes*. Derrière l’histoire officielle et figée en forme de monuments ou de statues il y a une multitude d’histoires individuelles, celles de beaucoup de femmes, à l’échelle de leurs vies de tous les jours. C’est aussi ce que racontent la révolte et la vengeance sanglante de Boadicée.
Rage, révolte, colère, furie : on s’intéressera donc, même si on fait déjà partie des personnes a priori convaincues, aux textes des chansons de Bellatrix Boadicea, des textes dénonçant aussi bien la domination et les injonctions masculines que l’hypocrisie ambiante, y compris là où on pourrait s’y attendre le moins (Rapists Behind The Scene, dernière salve brulante du disque et au titre particulièrement explicite). Un sentiment de révolte et d’urgence qui gagne aussi et surtout la musique de Mary Bell, très ancrée dans les années 90. Avec ce soucis permanent de marquer les esprits à l’aide de mélodies catchy mais musclées, oscillant entre power pop à forte tendance grungy – Some Friendships Are Meant To End (You Never Cared) – et rafales punkoïdes avec un super chant débité à toute vitesse (les fulgurants Minimoi et Sacrificed). Le son et le rendu de l’enregistrement sont impeccables (c’est du fait maison) et Bellatrix Boadicea réussit en quatorze titres et en moins d’une demi-heure à concilier esprit mutin et humour – le très drôle Cat Opera ponctué de miaulements – avec gravité du propos. Ici on n’est pas chez les crusts monacaux ni chez les goths anachorètes mais vraiment du côté d’un punk rock sincère, lumineux et vivifiant. Ce qui n’a rien d’incompatible avec le fait d’être militant·e et en colère, bien au contraire.


[Bellatrix Boadicea est publié en vinyle par Destructure records]


* lire ou relire Silvia Federici : Le Capitalisme Patriarcal ou Une Guerre Mondiale Contre Les Femmes - Des Chasses Aux Sorcières Au Féminicide, les deux sont édités par La Fabrique