L’histoire de
Mary Bell est aussi triste que sinistre. Une « enfant-meurtrière » au
sujet de laquelle on a volontairement occulté qu’elle était aussi et surtout
une victime. D’abord en raison des mauvais traitements qu’elle a subis et qui
d’une façon certaine l’ont poussée à passer à l’acte. Ensuite parce qu’elle est
bien malgré elle devenue le symbole de l’incompréhension de façade et du rejet hypocrite
d’une société bien-pensante, coincée et outrée, celle de l’Angleterre à la fin
des années 60. On ne savait pas quoi faire d’une fillette de onze ans ayant froidement
assassiné par strangulation deux garçons âgés de quatre de trois ans. Punir
tout en niant est alors devenu la meilleure façon de ne pas voir et de ne pas
comprendre, la meilleure façon de refuser d’écouter et de parler. Je ne suis
pas certain que l’on agirait autrement de nos jours, la stigmatisation
systématique tenant toujours la première place dans les argumentaires
politiques les plus rétrogrades. Au contraire choisir MARY BELL comme nom de groupe est une profession de foi militante :
tailler dans le vif pour se faire toute la place nécessaire et pouvoir dire ce
que l’on a dire, faire ce que l’on a à faire. C’est le but de toute
provocation.
Bellatrix
Boadicea est le deuxième LP de Mary Bell : ce drôle de nom d’album est inspiré de celui de
Boadicée, reine des Iceni et prêtresse divinatrice du sud-est de l’actuelle
Grande Bretagne, en révolte contre l’Empire Romain et à la tête d’une armée coalisée
tentant de repousser l’occupation de son territoire, à peu près en 60 après
Jésus Christ (il y a plusieurs versions de son histoire mais c’est celle-ci que
je préfère). Je crois que ce n’est pas trop le côté « héroïne
populaire » ni « gloire nationale » de Boadicée – elle a quand même
droit à une statue
quelque part du côté de Londres – qui intéresse particulièrement les quatre Mary Bell mais le fait qu’elle se soit violemment révoltée
après avoir été battue jusqu’au sang et avoir vu ses deux filles violées par
les Romains, simples prises de guerre, victimes de l’appropriation du corps des
femmes par les hommes, les meneurs de guerres. Une histoire malheureusement aussi vieille que
l’humanité et qui continue de perdurer. Rappelons qu’aujourd’hui encore les
premières victimes des guerres conduites par les hommes sont toujours les
femmes et non pas l’économie, les banques ou les sociétés d’investissement. Et
l’essor du modèle économique capitaliste et impérialiste tel que nous le
connaissons a beaucoup reposé sur l’exploitation et la diabolisation des femmes*.
Derrière l’histoire officielle et figée en forme de monuments ou de statues il
y a une multitude d’histoires individuelles, celles de beaucoup de femmes, à
l’échelle de leurs vies de tous les jours. C’est aussi ce que racontent la
révolte et la vengeance sanglante de Boadicée.
Rage, révolte,
colère, furie : on s’intéressera donc, même si on fait déjà partie des
personnes a priori convaincues, aux textes des chansons de Bellatrix Boadicea, des textes dénonçant aussi bien la domination
et les injonctions masculines que l’hypocrisie ambiante, y compris là où on pourrait
s’y attendre le moins (Rapists Behind The
Scene, dernière salve brulante du disque et au titre particulièrement
explicite). Un sentiment de révolte et d’urgence qui gagne aussi et surtout la musique
de Mary Bell, très ancrée dans les années
90. Avec ce soucis permanent de marquer les esprits à l’aide de mélodies catchy
mais musclées, oscillant entre power pop à forte tendance grungy – Some Friendships Are Meant To End (You Never
Cared) – et rafales punkoïdes avec un super chant débité à toute vitesse
(les fulgurants Minimoi et Sacrificed). Le son et le rendu de
l’enregistrement sont impeccables (c’est du fait maison) et Bellatrix Boadicea réussit en quatorze titres et en
moins d’une demi-heure à concilier esprit mutin et humour – le très drôle Cat Opera ponctué de miaulements – avec gravité du propos. Ici on
n’est pas chez les crusts monacaux ni chez les goths anachorètes mais vraiment
du côté d’un punk rock sincère, lumineux et vivifiant. Ce qui n’a rien
d’incompatible avec le fait d’être militant·e et en colère, bien au contraire.
[Bellatrix Boadicea est publié en
vinyle par Destructure records]
* lire ou relire Silvia Federici : Le Capitalisme Patriarcal ou Une Guerre Mondiale Contre Les Femmes - Des
Chasses Aux Sorcières Au Féminicide, les deux sont édités par La Fabrique