Commençons par
un moment de vérité : j’ai appris à aimer BLEAKNESS alors qu’au départ je
n’appréciais pas le groupe plus que cela. Pendant longtemps le trio coincé
entre Paris et Lyon me laissait une drôle d’impression avec sa musique à la
fois séduisante et revigorante mais qui pouvait aussi à la longue se révéler un
peu trop lassante. Et puis le line-up s’est stabilisé avec l’arrivée de Jake à
la batterie – détail amusant : Jake est un anglais et réfugié politique
installé à Lyon depuis de nombreuses années maintenant et surtout il est l’un
des batteurs / percussionnistes des très protéiformes Action Beat. Comme je
trouvais que la batterie était l’un des points faibles de Bleakness je ne pouvais que me réjouir de son arrivée. Un problème
de résolu. Merci beaucoup Jake.
Parallèlement la musique de Bleakness
est devenue de moins en moins punk-rock et de plus en plus post-punk. Une évolution
que le groupe revendique clairement. Et qui a éveillé en moi un intérêt
grandissant. Intérêt qui s’est cristallisé autour de Functionaly Extinct, un premier LP paru en décembre 2019 et bien supérieur au 7’ Ruined Fate (2017) et au 12’ Frozen Refuge (2018). Pourtant j’ai
laissé filer toute l’année 2020 sans me décider à chroniquer cet album. J’ai
fait mon gros flémard.
A World To Rebuild est le dernier des
enregistrements publiés du trio et constitue la suite logique de Functionaly Extinct parce qu’il présente
quatre titres mis en boite en même temps que l’album, plus deux remix. On y
retrouve tout ce qui fait la force et l’intérêt de la musique de Bleakness, à commencer par les lignes
de basse de Phab, résolument énormes et toujours très présentes. Ainsi que des
parties de guitare ciselées comme des diamants noirs, de plus en plus fines, de
plus en plus fouillées. C'est l’œuvre de Nico qui il y a très longtemps officiait au
sein des immenses Amanda Woodward mais que l’on a également croisé dans Better
Off Dead ou Karysun (à la batterie) et qui s’occupe du label Destructure
records.
Les quatre « nouvelles » compositions d’A World To Rebuild – en fait deux titres alors tout juste terminés au
moment de l’enregistrement et deux titres plus anciens et retravaillés pour
l’occasion – sont des petits bijoux de post-punk dynamique et tendu, bien loin
du coté chichiteux-arty de trop de groupes revivalistes bon chic bon genre. Ça transpire comme il faut et ça donne envie de danser. En particulier les deux
titres de la face A lorgnent intelligemment du côté d’un Crisis, une influence
ici bien digérée. Rien que l’introduction du morceau-titre me donne des
frissons. Et que dire de Remedy The
Unease ? C’est un vrai tube ! Mais il y a mieux. Jusqu’ici ce qui
me refroidissait le plus chez Bleakness
c’est le chant de Nico : trop bourrin, pas assez nuancé et pas assez fin
pour être à la hauteur des aspirations post-punk du groupe. On notera donc que
le chant s’améliore sur A World To
Rebuild, qu’il est moins mixé en avant (du moins me semble t-il) et surtout
avec quelques effets bien placés qui en atténuent la rugosité tout en en
conservant le mordant. Et puis il y a toujours cette basse que j’adore et ces
parties de guitare étoilées, de plus en plus soutenues.
Les deux remix inclus ne sont pas à négliger. En particulier celui de The Closing Door et sa ligne de synthé
particulièrement envoutante qui habille le tout d’une magnificence à la fois
glacée et irrésistible. Over And Over
suit un peu le même genre de traitement mais en plus musclé : une mélodie au
saxophone (puis reprise par la guitare) lance les débats et c’est une vraie
vacherie tant elle reste dans la tête. Comme presque tout le disque, en fait, à l’exception de Discarded Tales que je trouve trop simpliste. A World To Rebuild permet même de réévaluer
à la hausse les précédents enregistrements de Bleakness – après tout, la première version de Remedy The Unease apparait sur une cassette démo de 2018 – et surtout
promet de belles et bonnes choses pour demain.
[A World To Rebuild est publié en vinyle
par Destructure records et Sabotage records – comme toujours avec Bleakness la présentation est aussi belle qu’impeccable et
l’identité visuelle du groupe est immédiatement reconnaissable]