Après Laredo en 2017 puis Matamoros en 2019, USA / MEXICO continue le tour des villes frontalières entre son
Texas natal et le Mexique. Le voyage n’est pas des plus logiques ni des plus
reposants, le groupe semblant se moquer de faire des allers-et-retours le long d’une
ligne de démarcation faite de plusieurs centaines de kilomètres, de murs en
béton et de fils barbelés entre le répit – à défaut de salut – économique d’un
pays surdéveloppé et vampirique et la misère d’une Amérique Latine toujours
aussi chaotique et trop difficile à survivre. Cette fois-ci nous nous
retrouvons donc du côté de Del Rio, petite ville située à peu près à mi-parcours
de la frontière, un endroit d’apparence paisible et une vraie carte postale
pour touristes.
Je m’arrêterai là pour ce qui est des aspects les plus agréables et les plus acceptables
de cette chronique. Qu’est ce que j’avais écrit déjà à
propos de Matamoros ? Que USA / Mexico allait toujours plus loin
dans l’essorage à sensations au point d’engendrer la musique la plus vomitive
qui soit de toutes ces dernières années ? Et bien j’avais tort. Bien que
sur le moment je ne pouvais pas le savoir, tout simplement parce qu’alors
c’était vrai. Toujours sous le haut commandement d’un Craig Clouse plus génialement
psycho que jamais et toujours avec Nate Cross de When Dinosaurs Ruled The Earth
à la basse et de King Coffey des légendaires Butthole Surfers à la
batterie, le trio s’est pour cette fois
enrichi d’un invité (désormais permanent ?) pour l’enregistrement de son
troisième album. Un certain Colby Brinkman tient le micro sur Del Rio et il suffit d’écouter les premières démos de son propre
groupe Taverner pour comprendre à quel genre de bonhomme on a affaire. Sauf que
là aussi on sera en dessous de la vérité.
Qu’est ce qu’il y a de pire lorsqu’on fait un cauchemar ? La sensation
emprisonnante et empoisonnante d’absurdité totale ou celle, angoissante, de la
violence subie et de l’horreur qu'il nous en reste au moment du réveil ? Del Rio est un vrai cauchemar. Et on
a surtout l’impression que tout réveil est, précisément, impossible. En ouverture
du disque, les quatre minutes de Chorizo
ne sont donc qu’un leurre. On y entend une musique plus déformée que jamais,
vortex bruitiste mais encore à peu près reconnaissable bien que l’on puisse
avoir du mal à croire que les bandes (ou les cartes mémoires d’une machine) utilisées
n’ont pas été trafiquées ni plongées dans un bain d’acide pour en altérer
irrémédiablement l’empreinte électrique. Le principal mérite, si je puis dire,
de Chorizo est donc de nous donner un
aperçu de la nature sonore complètement déviante de Del Rio. Voilà, maintenant tu es prévenu, semblent nous dire les
quatre USA / Mexico. Et on aurait
sûrement à ce moment là préféré déchiffrer sur le visage de cette hydre musicale
un rictus certes effroyable mais néanmoins identifiable.
Soft Taco et Del Rio (respectivement d’une durée de 13 et de 16 minutes) sont
les deux gros morceaux de l’album. Deux longs moments éternisés et où plus rien
n’existe. Que reconnaitre, quoi comprendre et quoi ressentir face à un tel
magma sonore putrescent ? Oh, bien sûr, pour satisfaire les cartographes
et les infectiologues on pourrait sortir des formules descriptives telles que
« ultra doom bruitiste en phase de décomposition terminale » ou
« acharnement psycho-cinétique au dessus d’un gouffre abyssal », des
mots qui ne pourront pas signifier plus de choses que la satisfaction de
celui ou de celle qui les aura trouvés et prononcés. Mais USA / Mexico s’en fout complètement de notre satisfaction. Cela me
fait penser à ce passage d’un bouquin où le narrateur à la fois
complètement horrifié, dégouté, hypnotisé et attiré par le « monstre »
auquel il est confronté n’a pas d’autre solution que celle de recourir à l’indicible, acceptant en même
temps son impuissance à raconter ce qu’il est en train de vivre et surtout le
vide terrifiant de tout ce qui n'admet pas de mots, par delà l’idée d’exister et l’idée
de mort… Et effectivement, plus nihiliste et plus jusqu’au-boutiste que Del Rio, tu meurs.
[Del Rio est publié en vinyle couleur
vomi de tapas avariées par Riot Season
– gloire éternelle à son boss Andy Smith, l’homme grâce à qui nous pouvons
écouter ce disque tant qu’il en est encore temps]