Tiens, pour la
peine, encore un groupe de noise-rock : SHIFTING
nous vient d’Irlande (Dublin) et je ne peux que remercier mon petit camarade /
vendeur de disques qui un jour m’a incité à écouter It Was Good, publié à la toute fin de ce mois d’aout 2020. Lui-même
se l’était fait conseiller par un autre camarade qui en avait entendu parler,
blah blah blah, via un musicien de sa connaissance qui avec son propre groupe
avait partagé l’affiche avec Shifting,
lors d’un lointain concert, etc. Ouais les concerts deviennent tellement lointains,
maintenant… – je veux parler des vrais concerts, ceux où on transpire, où on
peut se bourrer la gueule et consommer de la drogue sans se faire jeter par un
vigile d’une société de sécurité et où on a le droit d’hurler ses postillons et
de se faire marcher sur les pieds par la personne d’à côté dans la joie et la
bonne humeur, pas des concerts où on est obligé de rester bien sagement le cul
assis sur une chaise totalement inconfortable, à bonne distance de toutes les
autres âmes en peine.
Mais je crois
que j’aurais malgré tout fini par entendre parler de ce It Was Good puisqu’il a été publié grâce aux efforts conjoints de
quelques labels de par ici et dont les productions ont déjà trouvé quelques échos
favorables dans cette gazette. Au milieu de ce magnifique plateau hexagonal de
fromages qui puent il n’y a que Constant Disappointment records qui détonne un peu. Il s’agit d’un label américain encore
tout jeune (début d’activité : printemps 2017 me semble t-il), au sujet
duquel je ne sais presque rien mais je ne peux pas résister au plaisir intense de
vous faire part de son credo très personnel : « Label from
Massachusetts that will not release your band’s record ». Inutile de dire que
j’apprécie plus que tout ce genre d’humour.
Shifting
est un trio. Paul Clynes à la guitare, Matt Hedigan à la basse et Lewis
Hedigan à la batterie (seraient-ils frères ?). Si j’en crois mes
petites oreilles, les deux premiers se partagent le chant. Le guitariste a la
voix plus lisse bien que très énervée ; le bassiste a la voix plus rauque
et abrasive. Et puis il y a le son du groupe : une rythmique tendue comme
une fin de mois difficile, avec une batterie qui frappe sec et une basse
imposante et qui ne bave pas ; une guitare qui déchire, cisaille, casse et
pourfend froidement. En fermant les yeux et sans réfléchir plus que cela
j’aurais tout de suite affirmé que Shifting
était originaire de Chicago et alentours, soit la scène noise dans tout ce
qu’elle peut avoir de plus aride et de plus acéré et dont les héritiers actuels
se nomment Buildings (certes de Minneapolis) ou même Luggage. Mais Shifting
est bien un groupe de Dublin, juste à quelques milliers de kilomètres de la
ville des vents et sûrement ces gens-là se foutent-ils complètement de toutes
ces histoires de territoires, de catégorisations et de figures imposées. Comme
moi.
La preuve en est que la musique du trio est très loin d’être unidimensionnelle
et It Was Good se révèle bien plus
varié et détaillé qu’on pourrait le croire au départ. Derrière les locomotives-vapeur
que sont Spudgasm et Big Ed, Shifting se paie le luxe de quelques coquetteries bien senties, à
commencer par le plus intrusif et subtilement vicieux Polo Neck Dream, le tourmenté (et pièce maitresse de l’album) Pig From Heaven, le froid et distant Big Bottle ou le sombre Little Pal. Ce qui peut faire dire que Shifting fait définitivement partie des
bons groupes de noise et non pas des simples suiveurs et vils copieurs c’est la
faculté du trio à dévier doucement mais surement des tournures idiomatiques du
genre pour imposer un souffle d’étrangeté très personnelle, au fur et à mesure
que le disque avance. Il est donc faux d’affirmer que It Was Good s’essouffle peu à peu et à l’inverse je trouve que le
disque gagne en force de persuasion et en originalité petit à petit, plaçant Shifting dans le peloton de tête des groupes
de noise-rock avec lesquels il convient désormais de compter.
[It Was Good est publié en vinyle par Assos’Y’Song, Constant Disappointment records, Gabu records, les Disques Du Permafrost et Whosbrain records]