Affirmons-le
tout de suite : Iron Pourpre
fait partie de ces disques difficiles mais qui ne vous lâchent pas. Soit on
rejette immédiatement cette musique magmatique, intense, viscérale et
exigeante, soit on se fait attraper et on rentre complètement dedans pour ne
plus en sortir. Avec A SHAPE c’est donc du tout ou rien.
Et plus de trois ans après un Inlands
captivant bien qu’un chouïa trop désordonné, le groupe est enfin de retour. Et
quel retour !
Fondamentalement
la musique d’A Shape n’a pas énormément
changé, ses façons de faire non plus. On remarquera juste qu’Iron Pourpre a été enregistré avec un
seul guitariste (je crois qu’Emmanuel Bœuf d’Echoplain, Emboe et Sons Of Frida
a en fait quitté le groupe peu de temps après l’enregistrement d’Inlands), qu’Anthony Serina a remplacé Tanguy
Delaire derrière la batterie tandis que Philippe Thiphaine d’Heliogabale fait
une apparition et que Quentin Rollet (Prohibition, Melmac, Red,
etc.) est invité sur près de la moitié des titres, ceux de la face B du disque.
Si le bleu-gris ténébreux qui envahissait la magnifique pochette d’Inlands dissimulait à peine
l’incandescence explosive d’une musique très mouvante et aux volumes imposants,
il n’y aura pas d’équivoques au sujet d’Iron
Pourpre et de sa pochette gatefold d’un rouge à la fois sombre et enflammé.
Comme si désormais, après avoir défriché, élagué et réassemblé ses idées, A Shape assumait plus que jamais la
force vitale qui jaillit constamment de sa musique. Et puis, après tout, le
rouge n’est-il pas la couleur de la passion ?
De la passion, Iron Pourpre en est rempli jusqu’à la
gueule. Une passion dévorante qui prend la forme d’une guitare acérée et généreusement
piquante (Eric Pasquiet), d’une basse très présente (Matt Le Bon), le tout
couronné par une batterie imaginative. Jusque là on tient presque le descriptif
très généraliste et à peu près commun de tout groupe de noise-rock qui se
respecte, option sauvagerie des sens et noblesse indomptée. Sauf qu’A Shape n’est pas un groupe de noise
comme les autres, dépassant les catégorisations, envoyant balader les codes et
les définitions, préférant jouer sa musique à lui, comme un jaillissement
d’électricité et de feu, fracassant les barrières et les résistances, déversant
sa violence, exerçant un pouvoir d’attraction peu commun, créant puis trouvant
provisoirement sa place au milieu d’un immense cyclone sonique avant de
reprendre son souffle et de refoncer au milieu des vents contraires et des
bourrasques à rebrousse-poils, pour recommencer aussitôt.
Iron
Pourpre offre peu voire aucun répit, au moins sur les cinq titres
de sa première face durant lesquels A
Shape n’arrête jamais, sa musique sonnant plus que jamais comme un
incessant tumulte, portant le chant d’une Sasha Andrès (Heliogabale, bien sûr)
sans cesse sur le fil, d’un lyrisme parfois étranglé, à la limite de la
possession, hurlant et hululant ses mots crus, ses mots de rage et ses mots
d’amour, zigzagant, montant en flèche pour redescendre encore plus vite et – là
encore – recommencer. Exactement comme la musique, donc.
L’apparition du
saxophone de Quentin Rollet ne change pas trop la donne, au moins sur Lungs et l’incroyablement beau et fort Vertical Flex*, rajoutant juste ce qu’il
faut de lyrisme et de profondeur. La fin du disque, d’apparence plus apaisée,
plus lente et moins frénétique, n’en est pourtant pas moins intense (le final
ascensionnel de Thrist Trip) mais
apporte un supplément de nuances, dessinant de nouvelles ondulations : le cramoisi
se pare d’un peu de froid, le rouge vire à l’obscurité, mais le feu est
toujours là, à peine recouvert, jamais éteint et il brûle, il nous brûle,
toujours plus, mais jamais suffisamment pour nous empêcher de le regarder en
face et de nous emporter avec lui.
[Iron Pourpre est publié en vinyle à deux cent exemplaires numérotés par Araki records et Jelodanti]
* seul titre du disque dont les paroles n’ont pas été écrites en anglais mais en hindi (non ?)