J’ai longtemps été
amoureux de PJ HARVEY, comme un
imbécile. Un pur phantasme né de ses chansons et de mon profond attachement à ce
que pendant très longtemps j’ai considéré comme la seule chose valable sur
cette terre – je parle de la musique au sens général – au point de passer
complètement à côté de toutes les autres. Et puis elle était tellement
inaccessible Polly Jean, et tellement plus grande et plus mature aussi, alors
que nous avons le même âge, puisque nous sommes nés la même année (ce que je
n’ai découvert que beaucoup plus tard). La PJ Harvey que j’aimais plus
que tout et que j’aime toujours c’est celle des deux premiers albums. A
l’époque son nom n’était pas synonyme de celui d’une artiste solo mais d’un
véritable trio, fondé avec l’aide du bassiste Ian Olliver et du batteur Rob Ellis.
Deux membres comme elle du groupe Automatic Dlamini dans lequel officiait
également un certain John Parish, grand ami et collaborateur récurent de PJ.
Mais ce n’était pas assez pour elle. Je me rappelle d’un concert du PJ
Harvey trio dans une salle seulement remplie à moitié, c’était pour la
tournée Rid Of Me, un deuxième album récuré à l’émeri par un Steve
Albini trop envahissant. Nous avions attendu la chanteuse-guitariste de longues
minutes avant qu’elle balance son set de manière expéditive. Ce fut un concert
beaucoup trop court et en définitive moins percutant et moins intéressant que
celui du groupe de première partie (les fantastiques Gallon Drunk). Elle n’a
pas joué quelques uns de mes titres préférés – non, pas de Victory… – et
elle semblait tellement mal à l’aise dans cette robe de soirée en lamé, avec
ses cheveux mouillés qu’elle avait plaqués en arrière, comme si pour se donner
du courage elle s’était passé la tête sous un robinet avant de pouvoir monter
sur scène. Elle jouait difficilement à côté de deux autres musiciens au sein
d’un trio désormais trop petit pour elle, un trio qui en fait n’était plus
vraiment le même groupe, Steven Vaughan ayant remplacé Olliver au poste de
bassiste. Non, elle n’avait rien à faire là mais je suis quand même resté un
peu amoureux.
To Bring You My Love
a été publié en 1995. Cette fois-ci PJ Harvey n’est plus un simple groupe
mais le nom d’une artiste / chanteuse / musicienne toute seule et pourtant très
entourée. Rob Ellis est toujours là, John Parish est de nouveau à ses côtés et
le Bad Seeds Mick Harvey fait son entrée dans la famille. La musique de To
Bring You My Love pourtant assez minimale se dégage nettement de
l’instrumentation guitare / basse / batterie et voix et s’enrichit de cordes,
d’orgue et de percussions additionnelles. Cela reste finalement assez peu mais
c’est déjà presque beaucoup trop pour moi, la fausse simplicité des compositions
n’arrivant pas à recréer la magie émotionnelle et tendue de celle d’un Dry
et d’un Rid Of Me. Et puis surtout Mark Ellis aka Flood qui a coproduit
l’album n’a pas pu s’empêcher de polir et d’aseptiser l’enregistrement :
ce qui aurait pu être un bon disque de chansons mi-intimistes teintées de rock
un peu bluesy est devenu un disque propre et commercialement acceptable, ce qui
de ce point de vue-là fut une réussite (à ce jour To Bring You My Love
se serait vendu à plus d’un million d’exemplaires). Après avoir carrément forcé la dose
sur Rid Of Me, PJ Harvey avait donc choisi de faire exactement
l’inverse avec son troisième album…
Le concert auquel j’ai assisté à la même époque et dans exactement la même
salle que précédemment m’a également déçu. Mais je n’avais pas vraiment envie
d’y assister : je n’avais pas dormi depuis presque deux jours, je
revenais d’un hôpital où j’avais accompagné un ami qui avait décidé qu’il ne
voulait plus vivre et je me sentais perdu au milieu du public, je me tenais à côté d’une personne qui disait tenir à moi
alors que moi je n’en avais vraiment rien à faire d’elle. Un vrai bordel de vie.
Et puis j’avais peur d’être encore plus déçu que je ne l’avais déjà été par un album
beaucoup trop tiède à mon goût. Le concert très orchestré et théâtralisé de PJ Harvey s’est terminé sous des
applaudissements nourris, j’avais trouvé que celui de Tricky en première partie
avait été bien plus intéressant (l’histoire se répète). Surtout je n’arrivais pas à me
décider à partir : cette fois ci c'est moi qui n’avais rien à faire
là.
Peut-être pour désamorcer la violence de Rid
Of Me, PJ Harvey a dès 1993 publié 4-Track Demos,
c’est-à-dire les versions démos de son deuxième album, nous permettant de
découvrir l’essence profonde de compositions taillées dans l’intime, exactement
ce qu’Albini n’avait pas vraiment su capter ni retranscrire. A noter que les
versions démos du premier album Dry avaient également été publiées sur un CD
bonus accompagnant un tirage limité à 1000 exemplaires de l’album.
Mais contrairement à celles de Rid Of Me les démos de Dry sont
dispensables : on y découvre une PJ Harvey a la voix encore très juvénile
et au chant parfois peu assuré, pas grand-chose ne pouvant laisser présager du
futur grand disque à venir. Lorsque la campagne de réédition des
albums de la chanteuse a été lancée pendant l’été 2020 les demos de Dry
ont pourtant fait l’objet d’une version vinyle, tout comme celles de To
Bring You My Love.
Ecouter les versions primitives des dix compositions de To Bring You My Love
s’est révélé être une expérience troublante, d’autant plus que le tracklisting
est exactement dans le même ordre que celui de l’album studio de 1995. On
découvre alors un grand beau disque, des compositions fortes et habitées bien
qu’inachevées et à l’instrumentation bricolée (de la boite-à-rythmes). C’est un
disque qui se suffit à lui-même et aurait largement mérité d’être publié tel
quel, en lieu et place de celui que tout le monde connait.
Vingt-cinq années
après il est donc temps pour moi de me réconcilier avec une musique que je
n’avais appréciée qu’à moitié, presque par dépit et pour de mauvaises raisons, trop personnelles. Et par truchement me
réconcilier avec un disque que je n’ai pas écouté très souvent car il ne
parvenait pas à me faire oublier les deux premiers et ne se montrait pas non
plus à la hauteur du suivant : bien qu’encore plus sophistiqué et infesté
de synthétiseurs et de claviers divers Is This Desire ? reste en
effet à mon avis le plus bel album de la deuxième partie de carrière de PJ
Harvey. Ce qui peut sembler paradoxal après tout ce que je viens de dire de To Bring You My Love… Disons qu’avec Is This Desire ? Polly Jean avait vraiment atteint son but. J’espère que les démos de cet album seront également bientôt éditées
correctement et avec celles de To Bring You My Love
j’aurais au moins découvert quelque chose qui pourtant se
tenait là, presque à portée, mais trop inaccessible. Avec la musique il y a
vraiment un temps pour tout.