Si tu as pris l’habitude
de lire Instant Bullshit non pas à l’aide d’un téléphone riquiqui et
ridiculement cher mais sur ordinateur – ce que je te conseille plus que
vivement : premièrement tu te feras moins mal aux yeux et, deuxièmement,
si jamais tu es au travail derrière un bureau, au moins cela te permettra de
t’occuper avec autre chose que ce que tu es censé faire pour ton patron et en
échange d’une bouchée de pain mensuelle – bref, si tu est présentement devant
ton écran et que tu consultes la version web de cette gazette tu as sûrement
remarqué, placée tout en haut, cette devise formidable (je l’avoue, et c’est
moi qui l’ai trouvée tout seul) qui dit « in blog we trust, too old to die
young ». Mais à bien y réfléchir j’aurais aussi pu choisir celle-ci :
« il n’est jamais trop tard pour prendre son temps ».
Derrière la boutade se cache à peine une réalité qui conviendrait parfaitement
à L’EFFONDRAS, un trio instrumental originaire
de Bourg-en-Bresse. Savoir poser et mettre en place les éléments de sa musique
comme il le faut et créer paysages mouvants et atmosphères subtilement
changeantes, un peu comme lorsque tu regardes un beau ciel nuageux éclairé par
les rayons d’un soleil s’approchant lentement de la ligne d’horizon. Tu
contemples quelque chose qui semble inamovible, tu te perds dans cette
contemplation et dans ce qu’elle déclenche en toi jusqu’à ce que tout
disparaisse, que le ciel d’il y a quelques minutes à peine se soit transformé
en un autre ciel, balayé par les vents, obscurci par la nuit qui tombe, masqué par les silhouettes des arbres qui s’allongent, peut-être à nouveau éclairé par la
lune qui commence à apparaitre, révélé par des sons que jusqu’ici tu
n’entendais pas, ceux des animaux qui ne sortent de leurs tanières et refuges
que le soir venu, le courant de la rivière qui se met à raisonner étrangement
dans la vallée encaissée, le pas d’une vie humaine pressée de rentrer chez elle
parce que trop souvent la vie humaine a peur de ce qui bouge et remue sans lui
demander son avis. En peinture cela donnerait un tableau de Joseph Mallord
William Turner, cet immense génie.
Le mouvement est un élément primordial de la musique de L’Effondras
et il l’est d’autant plus qu’il est subtilement et délicatement dosé. Tout en
décrivant des atmosphères intouchables, parfois des bourrasques doucement changeantes,
des tempêtes sourdes, des blocs de couleurs et de lumières qui s’entrechoquent,
des montagnes qui se rapprochent du ciel, des cieux qui n’en finissent jamais.
Pas de grosses ruptures spatio-temporelles ni de montées supersoniques comme
chez les maitres incontestés du post-rock Godspeed You! Black Emperor ou
leurs imitateurs (Explosions In The Sky, Mono, etc.) mais des coups de pinceaux
et de couteaux à peinture qui forment, déforment, malaxent et sculptent une
partition musicale qui touche au plus profond, refusant toute dualité binaire
et tout manichéisme musical, une expérience de vie. Et il ne tient qu’à toi de
te plonger dedans.
Un peu plus techniquement et toujours à propos de ces foutues temporalités, Anabasis est le troisième album de L’Effondras et le premier après quatre années de silence. C’est
aussi le premier enregistrement du trio avec Raoul Vignal à la seconde guitare
(baryton), un garçon qui d’habitude fait ses trucs à lui tout seul dans son
coin. Pour la première fois également me semble-t-il il y a un peu de voix sur
l’un des titres (Norea), un genre de
spoken words que l’on remarque d’abord à peine mais qui pourtant sont bien là,
encore une autre forme de mouvement. Anabasis a officiellement été publié en mai 2021 et en vinyle uniquement
par 98 Décibels, Araki records, Kerviniou recordz et Medication Time.
Mais la release party n’a eu lieu que le 1er octobre dernier, au
Sonic à Lyon (non, je n’y étais pas).