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lundi 22 novembre 2021

Tardis : Never Grow Up


Je pense parfois que ce pays manque singulièrement de dignes – j’ai bien écrit dignes – représentants de l’indie rock, ce genre musical tellement populaire chez les trente-quarante-cinquantenaires éternellement adolescents mais dont la réelle définition reste obscure et incertaine. Un truc un peu fourre-tout, faussement mou ou pas vraiment énervé (c’est selon), un peu arty, un peu punk (mal coiffé si tu préfères), toujours mélodique bien que souvent délicieusement tordu, des fois sucré-acidulé et peut-être légèrement grungy sur les bords (encore plus mal coiffé, mais différemment que chez les punks). Oui, bon, OK, je caricature un peu, carrément beaucoup en fait, mais la nonchalance assumée et la branlitude experte en matière de musique (tout en sachant plutôt ce que l’on est en train de faire) sont deux choses difficiles à définir correctement – on se poserait moins de questions avec un groupe de black metal complotiste ou de goregrind zoophile, ça c’est sûr.
Et puis voilà que le nom de TARDIS apparait sur les écrans des radars balayant les vortex spatio-temporels de l’univers connu. Un groupe dont on nous dit que les quatre membres, une fille et trois garçons, se partagent entre la France, la Belgique et le Luxembourg mais que pour plus de facilité et par pure paresse – donc – on géolocalisera à Nancy, à quelques dizaines de kilomètre de Metz, la ville où est basée son label actuel, Les Disques de la Face Cachée. Il n’en a pas toujours été ainsi : Never Grow Up est le deuxième LP de Tardis mais le premier, intitulé Machines Are Talking Behind Your Back et datant de 2017, était lui sorti de façon complètement autoproduite, c’est à dire sans l’aide d’aucun label, et il porte la référence Tardis001. Un bel exemple de DIY.






Il m’est impossible de parler de Never Grow Up sans évoquer ce premier essai. D’abord j’ai découvert les deux en même temps et une bonne partie des innombrables qualités de la musique de Tardis sont déjà présentes sur Machines Are Talking Behind Your Back. Le point essentiel étant que pour un premier album celui-ci était d’une maturité incroyable – oui cette affirmation sonne paradoxalement s’agissant d’une telle musique, volontairement juvénile – et contenait nombre de chansons imparables et foutrement réussies. Tardis s’imposait comme une usine à tubes, maniant aussi bien la chaleur pop que l’électricité alternative, le tout avec un sens affûté de la composition et donnant une musique finalement pas si régressive que ça.
Quatre années ont passé : Tardis tourne désormais à plein régime et les promesses faites sur Machines Are Talking Behind Your Back sont plus que tenues avec Never Grow Up. C’est là que l’on s’aperçoit que finalement le groupe ne saurait être trop facilement catalogué et que son indie rock définitivement 90’s possède encore plus de cordes à son arc qu’on pouvait le penser au départ (ce qui n’est pas peu dire). Un peu de gras délicatement saturé, des mélodies qui coulent de source, une énergie jamais gaspillée, ce qu’il faut de bizarreries séduisantes (quelques zigouigouis électroniques et autres instruments additionnels), un chant masculin un peu nasillard mais non dénué d’une emphase certaine donc souvent interpelant et un chant féminin qui tombe toujours juste et au bon moment.
Never Grow Up c’est tout cela et encore plus, beaucoup plus en fait qu’une tentative d’intrusion acnéique dans le continuum temporel, bien que le nom du groupe tende à nous faire croire le contraire – Tardis serait l’acronyme de « Time And Relative Dimension In Space », du nom d’une machine à remonter dans le temps utilisée par Doctor Who dans la série britannique des années 60 du même nom. Indices quelque peu trompeurs, la pochette de l’album rappellera, surtout par jeu, celle du Dirty de Sonic Youth tandis que l’alternance couplet calme / refrain agité de Ragle Gumm et surtout French Movies Are Cinematic Guano évoquera les vieux Pixies (ou Nirvana, on le sait bien). Et j’ai évidemment fait exprès de ne citer que des groupes américains. Pourtant avec Never Grow Up Tardis s’affranchit de la dimension indie US de sa musique grâce à toujours plus de sophistication dans ses arrangements (At The Arcade, le superbe Isolation Tank), une production léchée à mille lieues du lo-fi indé et un niveau d’écriture encore plus sublimé qu’auparavant (la pop y prend toujours plus de place, comme sur Video Nasties et New Gods, New Stigmata – et au passage, jette un coup d’œil sur les textes du groupe, d’une rare acuité).
Dit autrement, ce que ces jeunes gens perdent en américanismes, ils le gagnent en se rapprochant singulièrement de la musique anglaise, encore celle des années 90 – britpop mon amour – mais celle également du début des années 70, grâce à ce lyrisme élégant hérité du glam flamboyant. Que du bonheur, si tu veux tout savoir : Never Grow Up est un disque idéal pour se tenir bien au chaud avec ses doudous fétiches et, personnellement, refuser de grandir ne m’a jamais posé aucun problème.

[Never Grow Up est publié en vinyle de couleur blanche nacrée (super beau) par Les Disques de la Face Cachée – quant à Machines Are Talking Behind Your Back, bien qu’édité à seulement 100 exemplaires, il semble qu’il est toujours disponible auprès du groupe ou de quelques distros et revendeurs consciencieux]