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vendredi 11 septembre 2020

Autotelia / I

 

Cette semaine sera la semaine des morts. Les hommages se sont multipliés après la disparition le 23 aout dernier de Tom Relleen. Je ne te parle pas de ces cavalcades de pleureurs et de pleureuses qui s’empressent de prendre la parole pour en fait surtout parler d’eux-mêmes mais bien de profonds hommages, sincères et désolés, dévastés pour certains. Parce que cela faisait très longtemps que Tom Rellen faisait de la musique et multipliait les collaborations et les amitiés. Celles et ceux qui n’ont rien eu à foutre de sa disparition se sont simplement contentés de fermer leur gueule… Tom Relleen inspirait ce respect que seules les grandes âmes sincères et généreuses peuvent inspirer.
Je ne pleure jamais les morts des personnes – artistes ou non – que je ne connais pas personnellement… même lorsque cela me rend triste. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à celle-ci, forcément injuste. Tout comme je repense aux groupes dans lesquels Tom Relleen a joué et aux très nombreux disques auxquels il a collaboré. Il y a bien sûr The Oscillation (en tant qu’homme de main) et surtout les géniaux Tomaga en compagnie de la batteuse/percussionniste Valentina Magaletti* mais aussi Papivores (avec la violoniste Agathe Max) et tellement d’autres choses que j’en découvre encore, à l’occasion de cette disparition prématurée suite à un vilain cancer de l’estomac. Tom Relleen avait 42 ans.

 


 

C’est avec Demian Castellanos, le grand patron de The Oscillation, que Tom Relleen avait monté il y a quelques années un projet du nom d’AUTOTELIA. Sobrement – et définitivement – intitulé I le premier album du duo a été publié en juillet 2020. Mais revenons un peu en arrière. Paru deux années plus tôt, l’album U.E.F de The Oscillation pouvait surprendre par son caractère très majoritairement instrumental, expérimental et répétitif. Enregistrées quasiment seul par Demian Castellanos – comme d’habitude un peu assisté par le batteur Tim Weller – les deux uniques compositions de cet album troublant et hypnotique s’étalent volontiers dans les sphères du kraut rock à tendance psychédélique. Il s’agit de mon album préféré de The Oscillation parce que c’est aussi celui qui retranscrit le mieux les méandres colorés, groovy et parfois troubles des concerts du groupe (ceci dit je n’ai rien contre les autres albums de The Oscillation, davantage orientés vers le format chanson de pop noisy et psyché). Et U.E.F peut également constituer une sorte de porte d’entrée vers la musique d’Autotelia dont il est un peu le pendant rythmique et, évidemment, nettement plus dynamique.
Du psychédélisme électronique, des circonvolutions synthétiques et des spirales en forme de choux-fleurs aquatiques il n’y a pratiquement que ça sur I mais avec une approche nettement plus ambient et plus sombre, mélancolique par moment. Si je mets les deux disques en parallèle c’est parce qu’ils me font chacun penser à la musique d’un même film… schématiquement U.E.F en serait le générique ou accompagnerait les scènes où les personnages principaux cherchent à fuir à corps perdus devant l’effroyable, un monde dont ils ne veulent pas ; I illustrerait plutôt les moments où tout se ralentit et où les images à l’écran relèvent plus de l’impression que de l’expression. Ce film raconte surement une histoire de science fiction où le personnage principal chasseur et tueur d’androïdes révoltés est à la recherche de sa propre humanité disparue (toute ressemblance avec un film existant déjà n’est absolument pas fortuite).

Autotelia
résume ainsi le côté assombri et introspectif de la musique de deux musiciens qui collaborent ensemble depuis des années. Pourtant I n’est pas le 56244ème album de musique ambient en roue libre et idéal pour fumer son petit stick du soir. Au contraire les liens unissant Demian Castellanos et Tom Relleen réellement palpables peuvent expliquer pourquoi la musique d’Autotelia sonne aussi aboutie et édifiée, bien qu’enregistrée sur des périodes parfois très étalées – par « édifiée » je veux dire que les quatre** titres de I constituent quatre moments à la fois solides et intenses, aux effets durables mais qui n’enferment pas l’auditeur dans des schémas attendus et contraints : l’imaginaire reste roi.
On dit d’une personne « autotélique » qu’elle n’agit que par rapport à elle-même et surtout au plaisir que lui apporte cette activité et ce sans rapport avec les interactions extérieures et leurs conséquences***. Le nom du groupe correspond parfaitement à une musique dont on sent qu’elle a été enregistrée sans les contraintes fonctionnelles de l’écriture et de sa formalisation, laissant la place aux flottements créatifs et aux échanges instantanés entre deux amis. Alors heureusement que malgré le nom de leur groupe Demian Castellanos et Tom Relleen n’ont pas composé ni enregistré toute cette musique uniquement pour leur seul plaisir et que la partager a fini par leur paraitre plus que nécessaire. Et effectivement… ce disque est nécessaire, surtout maintenant et plus que jamais, pour toujours.

[I est publié en vinyle vert ou noir et blanc par Rocket recordings]

 

* un album posthume de Tomaga terminé juste avant la mort de Tom Relleen devrait paraitre en 2021…
** quatre sur le vinyle mais cinq sur la page b*ndc*mp d’Autotelia... toutefois je trouve Storm At Tucanae nettement moins intéressant et passionnant que les titres du vinyle, c’est donc une bonne chose qu’il n’y figure pas

*** ce qui est différent de l’égoïsme où on agit pour soi et pour son intérêt