Cette semaine sera la semaine des morts.
Les hommages se sont multipliés après la disparition le 23 aout dernier de Tom
Relleen. Je ne te parle pas de ces cavalcades de pleureurs et de pleureuses qui
s’empressent de prendre la parole pour en fait surtout parler d’eux-mêmes mais
bien de profonds hommages, sincères et désolés, dévastés pour certains. Parce
que cela faisait très longtemps que Tom Rellen faisait de la musique et
multipliait les collaborations et les amitiés. Celles et ceux qui n’ont rien eu
à foutre de sa disparition se sont simplement contentés de fermer leur gueule…
Tom Relleen inspirait ce respect que seules les grandes âmes sincères et généreuses
peuvent inspirer.
Je ne pleure jamais les morts des
personnes – artistes ou non – que je ne connais pas personnellement… même
lorsque cela me rend triste. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à
celle-ci, forcément injuste. Tout comme je repense aux groupes dans lesquels
Tom Relleen a joué et aux très nombreux disques auxquels il a collaboré. Il y a
bien sûr The Oscillation (en tant qu’homme de main) et surtout les géniaux
Tomaga en compagnie de la batteuse/percussionniste Valentina Magaletti* mais
aussi Papivores (avec la violoniste Agathe Max) et tellement d’autres choses
que j’en découvre encore, à l’occasion de cette disparition prématurée suite à
un vilain cancer de l’estomac. Tom Relleen avait 42 ans.
C’est avec Demian Castellanos, le grand
patron de The Oscillation, que Tom Relleen avait monté il y a quelques années un
projet du nom d’AUTOTELIA. Sobrement
– et définitivement – intitulé I le
premier album du duo a été publié en juillet 2020. Mais revenons un peu en
arrière. Paru deux années plus tôt, l’album U.E.F de The Oscillation pouvait surprendre par son caractère très
majoritairement instrumental, expérimental et répétitif. Enregistrées quasiment
seul par Demian Castellanos – comme d’habitude un peu assisté par le batteur
Tim Weller – les deux uniques compositions de cet album troublant et hypnotique
s’étalent volontiers dans les sphères du kraut rock à tendance psychédélique.
Il s’agit de mon album préféré de The Oscillation parce que c’est aussi celui
qui retranscrit le mieux les méandres colorés, groovy et parfois troubles des
concerts du groupe (ceci dit je n’ai rien contre les autres albums de The
Oscillation, davantage orientés vers le format chanson de pop noisy et psyché).
Et U.E.F peut également constituer une
sorte de porte d’entrée vers la musique d’Autotelia
dont il est un peu le pendant rythmique et, évidemment, nettement plus
dynamique.
Du psychédélisme électronique, des
circonvolutions synthétiques et des spirales en forme de choux-fleurs
aquatiques il n’y a pratiquement que ça sur I
mais avec une approche nettement plus ambient et plus sombre, mélancolique par
moment. Si je mets les deux disques en parallèle c’est parce qu’ils me font
chacun penser à la musique d’un même film… schématiquement U.E.F en serait le générique ou accompagnerait les scènes où les
personnages principaux cherchent à fuir à corps perdus devant l’effroyable, un
monde dont ils ne veulent pas ; I
illustrerait plutôt les moments où tout se ralentit et où les images à l’écran
relèvent plus de l’impression que de l’expression. Ce film raconte surement une
histoire de science fiction où le personnage principal chasseur et tueur
d’androïdes révoltés est à la recherche de sa propre humanité disparue (toute ressemblance
avec un film existant déjà n’est absolument pas fortuite).
Autotelia
résume ainsi le côté assombri et introspectif de la musique de deux musiciens
qui collaborent ensemble depuis des années. Pourtant I n’est pas le 56244ème album de musique ambient en roue
libre et idéal pour fumer son petit stick du soir. Au contraire les liens unissant
Demian Castellanos et Tom Relleen réellement palpables peuvent expliquer
pourquoi la musique d’Autotelia
sonne aussi aboutie et édifiée, bien qu’enregistrée sur des périodes parfois
très étalées – par « édifiée » je veux dire que les quatre**
titres de I constituent quatre
moments à la fois solides et intenses, aux effets durables mais qui n’enferment
pas l’auditeur dans des schémas attendus et contraints : l’imaginaire
reste roi.
On dit d’une personne « autotélique »
qu’elle n’agit que par rapport à elle-même et surtout au plaisir que lui
apporte cette activité et ce sans rapport avec les interactions extérieures et
leurs conséquences***. Le nom du groupe correspond parfaitement à une musique
dont on sent qu’elle a été enregistrée sans les contraintes fonctionnelles de
l’écriture et de sa formalisation, laissant la place aux flottements créatifs et
aux échanges instantanés entre deux amis. Alors heureusement que malgré le nom
de leur groupe Demian Castellanos et Tom Relleen n’ont pas composé ni enregistré
toute cette musique uniquement pour leur seul plaisir et que la partager a fini
par leur paraitre plus que nécessaire. Et effectivement… ce disque est
nécessaire, surtout maintenant et plus que jamais, pour toujours.
[I est publié en vinyle vert ou noir et blanc par Rocket recordings]
* un album posthume de Tomaga terminé
juste avant la mort de Tom Relleen devrait paraitre en 2021…
** quatre sur le vinyle mais cinq sur la page b*ndc*mp d’Autotelia... toutefois je trouve Storm At Tucanae nettement moins intéressant et passionnant que les
titres du vinyle, c’est donc une bonne chose qu’il n’y figure pas
*** ce qui est différent de l’égoïsme où
on agit pour soi et pour son intérêt