Fange / Punir

Punir est déjà le quatrième album de FANGE en un peu moins de six années d’existence. Bon, OK, Poisse (2014) et Pourrissoir (2017) seraient plutôt des mini albums mais il n’empêche que je suis à deux doigts de parler de performance tant Fange n’a jamais faibli depuis ses débuts, enfonçant pieusement (sic) et toujours plus profondément le clou rouillé et tordu d’un metal lourd, puissant, boueux et grésillant, étendard hardcore d’un sludge apocalyptique aux relents industriels et torturé, avec une touche de power electronics et des vocaux qui font froid dans le dos.

D’habitude je ne suis guère enclin à faire les louanges d’un groupe qui ne chercherait qu’à aller toujours plus loin en faisant des concours de bite avec lui-même mais Fange n’est pas qu’une équipe surentrainée et stéroïdée d’athlètes de l’extrême et du chaos, je préfère parler d’un projet qui évolue frénétiquement dans la noirceur et le malaise. Des membres fondateurs il ne reste aujourd’hui que le guitariste (qui joue également dans Huata) et surtout le groupe a connu différents types de line-up, d’abord sans basse mais avec un bidouilleur de sons, puis avec deux chanteurs et désormais avec un bassiste et un seul chanteur, ce qui est le line-up le plus conventionnel qu’ait jamais connu Fange et celui avec lequel le groupe a enregistré Punir. 
Cela signifie t-il que la musique du groupe est elle aussi devenue plus conventionnelle ? Pas vraiment et le contraire aurait vraiment été décevant… Mais disons que Fange a encore poussé les murs (du temple) et consacré encore plus d’énergie négative à égorger bétail sacré et auditeurs innocents sur l’autel sacrificiel.

Ceinturon par exemple est une sorte de cavalcade écrasante au milieu d’un rayon boucherie fréquenté par des adorateurs insatiables du Mal et de la Désolation ; il s’agit d’un titre avec de nombreux passages rapides mais toujours très denses ce qui jusqu’ici était plutôt rare chez Fange mais le groupe est parfaitement à l’aise dans ce registre là, également. Mais quel registre ? Et bien avec Ceinturon (et plus largement sur Punir) il semble que nos petits bourreaux ont décidé d’inclure une bonne dose de death metal dans leurs compositions – du death bien gras, bien old school et bien lourd. Ce n’est pas pour me déplaire et Ceinturon annonce donc clairement la couleur, celle d’une brutalité extraordinaire et du jaillissement abyssal de l’horreur.
Fange en serait resté là et se serait contenté de ce simple repositionnement stratégique de son langage premier j’aurais simplement opiné du chef et serais ensuite retourné aux enregistrements précédents du groupe, à priori plus enténébrés. Mais le chef, ce n’est pas moi parce que c’est toujours Fange qui décide : passé la surprise de me retrouver confronté à quelque chose de plus identifiable et de plus genré, il est devenu évident que le death version Fange n’en est pas vraiment non plus, le groupe étant vraiment passé maitre dans l’art et la manière de pervertir tout ce qu’il touche. La noirceur ne fait que s’amplifier au fur et à mesure de l’écoute de Punir, et si la tonalité death s’installe définitivement tout au long de l’album, devenant déterminante et souvent ligne directrice, elle n’est pas non plus exclusive. Le Vice est toujours là et sans lui un enregistrement de Fange n’en serait pas vraiment un.

Il y a un certain masochisme de ma part à aimer être malmené par une telle musique mais l’art destructeur et annihilateur de Fange atteint avec Punir des nouveaux sommets de perversion et donc déclenche en moi une profonde fascination. La première face du disque ne laisse aucun moment de répit et lorsque s’achève Les Boyaux De La Princesse l’unique question que je peux encore me poser reste : mais que pourra bien proposer Fange après cette incroyable démonstration de démence et d’oppression ? Réponse : la même chose ou presque… en ouverture de la face B Opinel est un titre court bardé d’interférences horripilantes et de parasites électroniques avec une voix trafiquée et un peu en retrait, imprécatrice de l’ombre, la menace d’une catastrophe à venir. La catastrophe on y a déjà eu droit auparavant mais apparemment Fange aime aussi jouer au chat et à la souris, avec toute la cruauté possible et imaginable. Un peu plus loin Maintien De L’ordre est du même acabit qu’Opinel, en plus court et en plus industriel (et aussi en un peu moins réussi)...

Or ces deux titres aèrent la seconde moitié de Punir ou plutôt ils échangent une atmosphère lourdement empoisonnée contre une autre, puisqu’il est hors de question de faire une pause dans le malaise. À peine peut-on parler de diversion… Opinel et Maintien De L’ordre rendent la punition finale encore plus inexorable et encore plus définitive, jouant le rôle d’antiennes aux deux grands carnages qui s’annoncent juste après, respectivement Il Reconnaitra Les Siens et Second Soleil. N’ayant plus rien à prouver, le groupe assène en guise de coup de grâce ce qui restera ainsi la meilleure composition de l’album (à égalité peut-être avec Chien De Sang) : le déjà nommé Second Soleil est ce qui se rapproche le plus des précédents disques de Fange, le côté boueux et le côté visqueux remontent effectivement à la surface en égalant le côté massif mais sans l’éclipser non plus. Comme si le groupe avait patiemment préparé tout ce long chemin intestinal et tortu(r)eux pour nous amener jusqu’à cette évidence suprême : Tournesol à la droiture de poignard, ciel de soufre pour mes pupilles strabiques et cramées. Mon cœur écartelé entre deux soleils. Et moi je veux mourir.

[Punir est publié en CD et en vinyle par Throatruiner records en différentes versions ; la mienne est un vinyle transparent couleur de pisse]