Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

Affichage des articles dont le libellé est digitaline. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est digitaline. Afficher tous les articles

mercredi 6 juillet 2022

Meta Meat : Infrasupra

 

Comme je ne sais pas par où commencer cette chronique je vais raconter la série de petits hasards qui m’ont amené jusqu’à ce disque de META MEAT. En 2021 une poignée de labels – dont Araki records, Day Off et Pied De Biche – se sont cotisés pour rééditer en vinyle Non Wake Up Clocks, le seul et unique album du groupe parisien My Own. Un disque paru en 2001 uniquement en CD et très symptomatique d’un rock noisy et arty, post Sonic Youth si on veut – les new-yorkais étaient encore en activité à l’époque mais ils étaient déjà plus morts que vifs, non ? Cette réédition, j’aurais pu (j’aurais du ?) la chroniquer puisque Non Wake Up Clocks est l’un des meilleurs représentants du genre et que réécouter ce disque, alors que je l’avais presque oublié, m’a permis d’en réévaluer toute l’importance et de constater qu’il n’avait absolument rien perdu de sa superbe.
Il y a quelques années de cela, fin des années 2000 et début des années 2010, je me suis également intéressé – pour rapidement devenir fan – à 2kilos &More, un duo de musique électronique (etc…) dans lequel on retrouve Hughes Villette qui n’est autre que l’ancien batteur de My Own. J’ai juste fait le lien entre les deux projets, pourtant très différents. Ecouter de la musique n’est pas toujours, contrairement à ce que j’ai écrit un peu plus haut, qu’une question de simple hasard : la réédition de Non Wake Up Clocks m’a fait repenser à 2kilos &More, décidemment, et c’est là que j’ai découvert qu’Hughes jouait depuis quelques années et sous l’alias de Somekilos dans un autre duo, du nom de Meta Meat. A dix ans d’intervalle j’ai presque refait le même trajet. 








Le second membre de Meta Meat n’est autre que Phil Von, du groupe Von Magnet, ce qui n’est vraiment pas rien. Pour la petite histoire Hughes et Séverine Krouch (sa partenaire au sein de 2kilos &More) ont fait partie de Von Magnet sur la fin, on peut les entendre sur l’album Archipielagos, paru en 2012. Mais je vais arrêter là avec les détails techniques même si on peut y trouver quelques éléments d’explication : dans Von Magnet, Hughes/Somekilos occupait le poste de batteur et percussionniste – ce qu’il était déjà à l’époque de My Own – et la musique de Meta Meat est précisément basée autour d’un travail intense et fourni sur les percussions… Le duo quant à lui s’auto-définit comme electro et tribal.
Des percussions complètement en avant (le très ethnique et vibratoire Vagabond, l’anxiogène Trampled) et la plupart du temps déformées, encastrées, mises en relief et enrobées d’électronique... Sur Infrasupra la dimension rythmique n’est pas seulement une question de tribalisme mais développe un aspect shamanique, incantatoire même, avec en supplément l’appui de voix chantées ou samplées utilisées d’une façon assez pondérée, jamais trop en avant dans le mix, haletantes comme sur l’introductif et inquiétant Animal, altérées ou murmurées, provoquant un effet assez étrange voire angoissant. Parfois, coincé dans ma bulle, je me suis surpris à me demander : Suis-je le seul à les entendre ? D’où viennent-elles ? Que me disent-elles ? Infrasupra peut agir de façon très subliminale. Les hurlements sont rares mais lorsqu’ils interviennent (Primitive) ils ont un effet électrochoc.
Meta Meat n’a pas besoin non plus d’abuser d’effets de répétition et d’empilement pour nous faire ressentir cette sensation de pression et de tension propre aux musiques dites électroniques. Le duo se sert principalement d’effets narratifs en mettant éventuellement en avant des textures synthétiques (l’orientalisant Resurgent ou Downrising) mais, encore une fois, c’est surtout l’utilisation détournée et circonvolutionnaire des percussions qui est à l’origine de toute la magie incantatoire, tourbillonnante et voyageuse d’Infrasupra. Pour brouiller un peu les pistes, le groupe nous offre juste une petite pause avec le très beau et du coup mélodique Dichotomy sur lequel la musicienne Justine Ribière est venue poser quelques notes avec sa viole de gambe. Mais globalement Infrasupra est un enregistrement chargé d’intentions sauvages et brulantes, un disque étrangement mais inéluctablement organique, un peu (beaucoup) sorcier. Difficile donc de lui résister. 


[Infrasupra est le deuxième album de Meta Meat et a été publié en septembre 2021 par Ant-Zen pour la version vinyle et Le Label Beige pour la version CD – à noter que ce même label a en 2020 publié Exempt qui est à ce jour le dernier album de 2kilos &More et que je ne saurais que trop conseiller également]



mercredi 8 juin 2022

Société Étrange : Chance

 

Débuter une chronique de disque par un (gros) reproche n’est sans doute pas une bonne idée. Mais tant pis : si découvrir la pochette de Chance a refreiné mes ardeurs et ne m’a pas vraiment donné envie d’écouter le nouveau disque de SOCIÉTÉ ÉTRANGE, je comprends encore moins ce qui a pu motiver un tel choix. Pour moi, cette illustration ne colle tout simplement pas avec la musique instrumentale du groupe. Parce que lorsque j’écoute Chance je ne vois que des figures floues et simples (attention : descriptif à la con), principalement des triangles-rectangles et des carrés tout mous mais aussi parfois quelques ronds qui se déforment lentement, avec des couleurs vives mais jamais criardes. Des silhouettes impalpables qui s’entrecroisent sans s’entrechoquer, tandis que de leurs superpositions naissent d’autres formes et surtout d'autres couleurs, à peine plus élaborées mais un peu moins vives et qu’un fond clair à la lumière changeante fait doucement ressortir, comme autant de pulsations rythmiques et de motifs cinétiques et harmoniques – la boucle est bouclée.
C’est trop précis comme descriptif ? Trop kitschoune, trop facilement synesthésique et absolument pas original peut-être ? Je veux bien l’admettre et, après tout, ce que je vois derrière mes yeux en écoutant cet album sera sans doute différent de ce que toi tu verras et surtout, donc, de ce à quoi avait pensé le groupe. J’en viens donc à l’une des qualités essentielles de Chance et de la musique de Société Étrange. Cette faculté à lancer notre imagination dans des directions auxquelles on ne s’attendait pas. Nous raconter des histoires sans être trivialement narratif. Faire naitre des sensations en nous sans nous obliger à courir après. Nous donner envie… pour finir par se laisser faire sans se laisser enfermer. Chance pourrait être une drogue ni dure ni douce mais aux effets puissants et révélateurs, une drogue shamanique dont le plaisir sans cesse renouvelé n’aurait rien à voir avec l’addiction et se passerait également de toute descente. Le rêve.







Les six compositions du disque n’ont pas réellement de début ni de fin au sens strict du terme et leur développement se fait en sous-main, par touches successives, par glissements et par adjonctions ou par soustractions, sous le patronage d’effets qui modifient les sons, d’une façon presque onctueuse. Comme lorsque tu marches pieds nus dans une forêt ombragée sur de la mousse épaisse et que tu sens la douceur végétale caresser la plante de tes pieds et remonter le long de tes jambes – tu as juste envie de t’allonger là, sur ce tapis de nature, de garder les yeux mi-clos, de suivre le scintillement du soleil à travers les branches des arbres au dessus de toi, une lumière qui dessine des formes fugitives et colorées, des tâches vivantes que ton imagination sculpte comme elle le souhaite (tu comprends maintenant cette histoire de pochette ?). La musique du trio est éminemment enveloppante et, c’est sans doute son autre grande qualité, possède un côté éminemment sensoriel voire sensuel – une mini bio de Société Étrange trouvée sur les internets parle d’ailleurs de « six chansons d’amour sans paroles » et je suis entièrement d’accord avec ça.
Le début de La Rue Principale de Grandrif qui ouvre formidablement l’album fait carrément penser à du Exek : basse aquatique, percussions aériennes puis sonorités synthétiques en survol mais aucun autre élément n’apparaitra dans la foulée, ni guitare, ni chant, ni trompette, etc… Et toutes les compositions de Chance resteront strictement concentrées autour de cette formule dépouillée et aérée, libre et atmosphérique, gazeuse et impalpable et pourtant génératrice d’émois (je voulais écrire quelque part un truc comme « force tranquille » mais c’est beaucoup trop connoté). Entre dub minimal, jazz tribal, funk mariné au zen et musique électronique, les trois musiciens de Société Etrange ont su trouver et tracer leur chemin, explorant sans cesse le champ d’infinis possibles en lançant autour d’eux des microcapsules en forme de mélodies répétitives et simplement évidentes, de rythmiques particulaires, de textures mouvantes. Parler de musique cinématographique ne rendrait pas suffisamment hommage à un disque avec lequel et dans lequel on se sent bien, définissant un espace-temps de plénitude aussi délicat qu’immersif.

[Chance est publié par les Disques Bonjo Joe et Standard In-Fi]



vendredi 27 mai 2022

[chronique express] Thank : Thoughtless Cruelty

 



Thoughtless Cruelty n’est que le premier album de THANK et sans doute mériterait-il une vraie chronique, détaillée et argumentée, blah blah blah. Mais je n’ai pas le temps et beaucoup trop la flemme pour rester les doigts collés sur un clavier d’ordinateur. Incongruité remarquable au milieu d’un océan de déviances musicales, on ne rangera pas le groupe anglais (Leeds) dans la catégorie noise-rock ou post-punk ni nulle par ailleurs, les cinq musiciens brouillant les pistes avec un plaisir évident, mélangeant dans le désordre mais avec distinction guitare cisaillée, plans electro qui donnent envie de danser même sans avoir pris de la drogue, rythmiques fulgurantes, basse terrassière, saxophone freeturé, atmosphères anxiogènes, moments faussement légers mais irrésistibles et – par dessus tout – un chant dominateur encore plus varié que le descriptif  très incomplet qui vient de précéder. Thoughtless Cruelty réveille tout le sadomasochisme musical en nous, fait bouillir nos sens, nous maltraite pour mieux nous séduire, nous séduit pour mieux nous avoir (et donc nous perdre). Assurément l’un des disques incontournables de cette année 2022, sorte de lien distendu entre les Liars période They Were Wrong, So We Drowned, le premier album de Girl Band et le Pyschic Graveyard de maintenant, un disque dont le côté arty sonne pour une fois comme une évidence parce que constamment contrebalancé par une hargne et une folie contagieuses.  


mercredi 25 mai 2022

Théorème : Les Artisans

 




Les mots en musique peuvent-ils encore avoir un sens ? Et doit-on, peut-on soi-même mettre d’autres mots sur ceux là ? Sur ce qui ne nous appartient pas et auquel nous avons malgré tout un accès privilégié ? (car écouter un disque, une musique, des paroles est une sorte de privilège, non ?) Le vide qui a entouré la sortie du deuxième album de THÉORÈME est abyssal. Même pas déconcertant parce qu’on pouvait aussi s’y attendre et même l’espérer. Un silence d’ignorance pour ce qui n’est pas compréhensible en moins d’une fraction de seconde. Le vide, cette caractéristique énergivore de notre monde pseudo réel et – par ricochet narcissique – des internets, les espaces incommensurables bourrés jusqu’à la gueule de flux, d’informations, de fils d’actualités, de traceurs, de gâteaux numériques pour appâter les gourmands jamais rassasiés et en manque. La consommation de la bêtise. Tout et rien. Rien dans tout. Avec Les Artisans il ne va être question que de sensations, de pensées et de sentiments comme autant de reflets, de miroirs. Et tout sera vrai.
Théorème est le projet solo de Maïssa que l’on connait sans connaitre, anciennement chanteuse de Sida, apparition moitié-urbaine et moitié de nulle-part, volontairement insaisissable, railleuse et narquoise, difficile à approcher, qui pose des questions auxquelles on ne sait pas répondre, qui ne répond pas aux nôtres (lorsqu’on ose lui en poser) ou alors de façon tellement inattendue et abrupte que l’on se promet de ne plus jamais rien lui demander. Maïssa possède ce pouvoir d’attraction des personnes qui semblent passer leur temps à nous dire j’en ai rien à foutre. Tu m’emmerdes. Laisse-moi tranquille. Mais tu sais malgré tout que tu peux quand même toujours essayer de l’écouter si tu en as le courage et la volonté.
Bien que synonyme d’impraticabilité rugueuse et de descente à la cave dans le noir, tout ceci n’est pas une posture ou une stratégie. Les Artisans est un album court avec huit compositions dont deux instrumentaux – le début de Tertre me fait invariablement penser au Get It On de T-Rex en version electro-minimale. Une grosse pointe de chaloupement hérité du dub ou d’un funk robotique (les lignes de basse de L’Enfer Définitif ou de Tourterelle), des machines qui cliquètent des rythmiques en forme de brindilles sèches et de craquements nocturnes, des couches et des couches de sonorités synthétiques qui paradoxalement en enlèvent plus qu’elles en rajoutent, des interventions parasitaires et un chant monocorde et humainement déformé, accentué on ne comprend pas comment, un déguisement qui distille des mots à moitié mâchouillés et recrachés dans une flaque huileuse, à nos pieds. Attention à ne pas glisser.
Tout est là, on peut le penser, on peut le sentir et on peut en émettre l’hypothèse, bien qu’il doive beaucoup en manquer, alors que Maïssa ne dit que ce qu’elle veut bien nous dire, avec cette diction du bout des lèvres, dans l’épaisseur des mots – encore eux – et du pâteux d’un phrasé chancelant, un phrasé ivre peut-être pour ne pas succomber à l’effort de l’intime et à la connerie d’en face. Les ragas électroniques de Théorème pratiquent l’inconfort sensitif et la poésie brutale à parts égales, la colère et le sarcasme sont au delà d’une véritable déclaration de vindicte, tout est voilé mais pourtant réel, comme la voix qui s’estompe à la fin des Giffles Du Pariétal pour mieux rester imprimée en nous.
Parfois l’affirmation est de sortie – les « je veux, je veux » et les « j’aime » (je t’aime ?) de Radionucléides – et le chant de Maïssa prend de nouvelles allures, luttant contre l’agitation, à peine maitrisée. Te Coloniser Là touche carrément à l’intérieur, en tous les cas c’est le texte le plus immédiatement physique, s’adressant directement à quelqu’un, déclaration d’amour en tutoiement. La seule chose que je regrette c’est que Les Artisans ne comporte pas d’insert avec les paroles imprimées même si je ne suis pas sûr que cela m’aurait aidé à davantage comprendre ces mots là et à placer, ici et maintenant, un peu des miens. Et puis ce n’est toujours pas le problème de Maïssa, évidemment.

[Les artisans est publié en vinyle par Maple Death records, un label insaisissable lui aussi, puisqu’on ne sait pas trop s’il est basé au Canada, en Angleterre ou en Italie – peut-être bien les trois, finalement]


vendredi 22 avril 2022

[chronique express] Shit And Shine : Phase Corrected







Et si SHIT AND SHINE était tout simplement l’un des meilleurs groupes du monde ? Bon, d’accord, j’exagère peut-être un peu mais il n’empêche que question musique de branleur irritante et inconfortable, le projet multiformes de Craig Clouse – ici uniquement accompagné du batteur Adam R. Hatley – ressemble plus que jamais à un gros vomi rampant de putrescence bruyante en phase active de recomposition/ignition. Ce qui confirme une nouvelle fois que les meilleurs enregistrements de Shit And Shine qui dans la passé a épuisé la solvabilité de plus d’un label de bonne volonté ont souvent été publiés chez Riot Season, toujours fidèle au poste après toutes ces années. Cela confirme également que si la musique peut être une drogue dure, les effets dévastateurs et hallucinogènes du doom électro-magmatique, fracassé et lèche-cerveau de Phase Corrected en sont l’une des meilleures illustrations. A écouter très (très) fort et sans aucune modération et si jamais tu entends des voix d’outre-tombe hurler des incantations dans ta tête c’est que tout va bien, non ? 



lundi 11 avril 2022

Gnod / Whok : split







Attention : contrairement à ce qu’indique la pochette de ce split 12' et le titre de cette chronique, ceci n’est pas véritablement un nouvel enregistrement de Gnod. Pour cela il faudra attendre l’arrivée plus qu’imminente d’Hexen Valley, le cinquante-quatrième (?) album du collectif anglais, chez son label habituel, Rocket recordings. Non, j’aurais mieux fait de préciser GNOD R&D, c’est-à-dire l’association de Paddy Shine et de Chris Haslam et ce qu’ils définissent comme une version épurée de Gnod dont ils sont tous les deux, oui c’est vrai, des membres fondateurs. Le projet est relativement récent mais a tout de même engendré l’édition de quatre cassettes et d’un double LP depuis 2017. Si j’ai bien tout compris, les deux compères se servent de Gnod R&D pour tester des nouveaux sons, des nouvelles configurations et des nouvelles idées pour leur groupe principal. Ils souhaitent également jouer la carte de l’interactivité avec leur public et les lieux dans lesquels ils donnent des concerts. Mais pour écouter les titres qu’ils proposent ici il vaut mieux malgré tout oublier le nom de Gnod.
Pas de basse et pas de batterie mais une boite-à-rythmes et quelques trames de synthétiseur. Pas de guitares mais des sons chelous et piquants. Le chant sur Paint It Blacker conserve il est vrai la fonction d’invective propre à Gnod mais on a ni plus ni moins affaire à de la musique électronique, froide et inquiétante. Pas de quoi crier au génie mais pas de quoi non plus hurler à l’arnaque. Juste une composition répétitive et oppressante de six minutes qui se termine en queue de poisson. Let’s Get Numb est encore moins palpitant (pourtant cette fois-ci il y a un peu de guitare qui vient foutre le bordel) et on a finalement l’impression que Shine et Haslam voulaient avant tout s’amuser. J’espère que la drogue était bonne et qu’ils ont effectivement pris du bon temps.
L’autre côté du disque est occupé par deux titres de WHOK aka Whirling Hall of Knives. La référence aux Butthole Surfers n’aura échappé à personne mais elle ne sera d’aucune utilité pour appréhender correctement la musique de ce groupe (encore un duo) irlandais qui lui aussi donne dans la musique electro minimale, frappée et toxique. Cloratranq et Cloratranq (Afterglow) sont nettement plus intéressants que la contribution de Gnod R&D. Une composition et une réinterprétation gazeuse de celle-ci malsaines et perturbantes avec leurs rythmiques indansables et leurs voix toutes niquées à l’aide de cartes son défectueuses (uniquement pour la première) et dotées d’un goût assuré pour les crises d’angoisse montantes et les descentes d’escaliers mécaniques pris à l’envers – comprendre : c’est plutôt lent, rampant et caillouteux. Afterglow est même très cinématographique, dans le bon sens du terme. En fan irréfléchi je m’étais aveuglément procuré ce disque pour sa première face et finalement je n’en écoute surtout que la seconde, en attendant de creuser un peu plus le sujet, ces deux compositions de Whok m’ayant tout simplement mis en appétit (haha). Et on reparlera vraiment de Gnod ici dès que possible…

[Gnod - Whok est publié en vinyle (orange) par Riot Season à 350 exemplaires]



mercredi 16 février 2022

[chronique express] Portal : Hagbulbia

 



Ainsi donc, PORTAL, maitre du death metal obscurantiste et extrémiste, a publié un second album le même jour que le plutôt décevant Avow. On ne saura jamais si dans l’esprit malfaisant du groupe il convient d’écouter Hagbulbia avant ou après son compagnon semizygote : toutes les limites de la musique de Portal se révèlent dans cet entre-temps et cet entre-deux, dans le gouffre qui sépare et relie Avow et Hagbulbia. Concrètement, ce dernier ressemble à une énorme créature sanguinolente et visqueuse, du même plus death metal passé à la moulinette d’un mix où les textures et les sons sont le plus important, où les rythmes et les riffs disparaissent presque complètement pour ressurgir sans prévenir des abysses et où seule la voix est complètement dévouée au service d’une horreur concrètement palpable. Tout n’est donc qu’affaire de production et de manipulation en studio (c’est décidemment à la mode) et dans ses meilleurs moments Hagbulbia pourrait être la rencontre au sommet du dark ambient d’un Lustmord resté coincé dans les 90’s (Heresy, The Place Where The Black Stars Hang), du power electronics de Whitehouse et du metal noir d’Abruptum. Entre la viande avariée d’Avow et le vomi empoisonné de Hagbulbia je préfère malgré tout la version la plus expérimentale et torturée de Portal, dommage que le groupe ait choisi de publier deux disques à la fois au lieu de combiner la terreur totalitaire de l’un et l’innommable sanctuarisé de l’autre. Et si j’essayais de les écouter en même temps ?


mercredi 9 février 2022

Plebeian Grandstand : Rien Ne Suffit



Rien Ne Suffit
est le quatrième album de PLEBEIAN GRANDSTAND et il faut bien garder à l’esprit qu’il s’agit de musique enregistrée en studio et pas d’autre chose. Je n’enfonce pas les portes ouvertes, je n’énonce par des évidences et je n’essaie pas non plus de faire mon malin : ce double 12’ est un artefact sonore, une avalanche de techniques et de technologies, un pur travail conceptuel, une construction, une idée architecturale – cinématographique ? on y reviendra – de la musique. Mais de quelle musique parle-t-on ? Là aussi on y reviendra. Ces morceaux qui s’achèvent brutalement, ces montages électromécaniques en forme de chevauchements meta-sensoriels, ces interventions parasitaires qui finissent par devenir la trame du disque, ex-aequo avec la batterie… Rien Ne Suffit est en soi un vaste travail de manipulation des sons et de leur enregistrement. Est-ce naturel ? Non. Voilà un album colossal qui dicte sa loi, une véritable épreuve d’écoute et qui n’est pas sans poser quelques questions.








Tout est pensé sur Rien Ne Suffit, tout suit une logique, une histoire peut-être bien. Il n’y a pas de hasard, chaque détail a son importance, chaque élément répond à une exigence de la part des quatre musiciens et trouve ainsi sa justification propre. On devrait même parler de cinq musiciens puisque l’ingénieur du son et producteur Amaury Sauvé s’est tellement impliqué dans l’enregistrement du disque qu’il est également crédité comme compositeur et auteur. En plus, semble-t-il, d’être responsable d’une bonne partie des éléments bruitistes/harsh qui parcourent les quatre faces de Rien Ne Suffit (et il est sur la photo du groupe figurant au beau milieu du livret accompagnant le disque).
On peut également admirer le jeu et la technique du batteur Ivo Kaltchev, cette façon irrémédiable qu’il a de poser ses rythmes, tellement éloignée, à de nombreuses reprises, de celles du black metal ou du hardcore chaotique chers à Plebeian Grandstand, la technique au service de la perfection. Une perfection inhumaine que l’on ne rencontrerait guère que dans la frappe sèchement digitale d’un vieux Scorn – pour les quelques passages les plus lents – ou dans les cascades rythmiques d’un Venetian Snares dans les moments les plus fous, la construction jusque dans la déconstruction. Sauf que l’on sait pertinemment que les électroniciens Mick Harris et Aaron Funk manipul(ai)ent des machines. Et puis on sait aussi qu’Ivo est toujours un être vivant. Alors soudain quelque chose ne va plus, comme une révélation, ou plutôt un doute : que cherche à exprimer la musique de Rien Ne Suffit ? Et donc, consécutivement : de quoi nous parle Plebeian Grandstand et son chanteur Adrien Broué ? Les titres des compositions – et bien sûr les paroles – nous donnent des indications. A Droite Du Démiurge, A Gauche Du Néant, plus loin Part Maudite ou Jouis, Camarade et enfin Nous En Sommes Là (sic) et Rien N’y Fait, finalement. De la chair et du sang. De la rage et du dégoût. De la violence et de la révolte. De l’amertume et du rejet. En gros, que de l’humain et encore de l’humain. En colère.
De l’humain ? Lorsqu’on regarde la pochette on ne voit pas autre chose. Toujours la main du sapiens-sapiens, ses différents échos et actions vitales – préhension, compréhension, appréhension – tout ça broyé, déchiqueté. Un savant désordre géométrique, de la souffrance angulaire comme étalon de mesure. Et un avertissement. Est-ce pour des raisons philosophiques ou des raisons esthétiques que Plebeian Grandstand nous met autant à l’épreuve et nous punit ainsi ? Le groupe aurait pensé son disque comme un tout, allant jusqu’à imaginer une sorte de scénario avec tous les éléments importants qu’il voulait absolument y inclure, les compositions découlant ensuite et méthodiquement – il y a donc bien une « histoire » tout comme il y a du « cinéma ». Mais il n’y a toujours pas de vie, ni même sa négation ou son anéantissement. A quoi bon hurler des paroles aussi fortes, à quoi bon tordre des riffs de guitare, à quoi bon construire un tel édifice, à quoi bon inventer autant, si c’est pour aboutir à un résultat certes admirablement vertigineux mais tellement froid ? Cela me fait penser – puisqu’on parlait de cinéma – à ces films qui à force de montrer finissent par se prendre les pieds dans le beau tapis de leurs contradictions et déroulent le sens opposé, abondent dans une direction contre laquelle ils s’élevaient au départ. Moi, passées les premières fulgurances et passés les premiers étourdissements, je n’ai plus du tout marché dans cette histoire là.

[Rien Ne Suffit est publié en vinyle, CD, cassette, etc. par Debemur Morti]

 

lundi 10 janvier 2022

[chronique express] Moor Mother : Black Encyclopedia Of The Air

 




Pas la peine de faire de très longs discours pour présenter Camae Ayewa aka Moor Mother, sa musique, son travail, ses idées et sa mystique, elle le fait très bien elle-même dans les notes qui accompagnent Black Encyclopedia Of The Air : « Sound to me is an agency for healing and peace and ritual ». Musicalement moins virulent, moins urbain, davantage atmosphérique et flottant mais pas moins expérimental que la plupart de ses plus illustres prédécesseurs et notamment le génial Analog Fluids Of Sonic Black Holes, ce nouvel album (paru en septembre 2021) reste tout aussi inclassable. Les environnements musicaux – samples de soul, de jazz ou de hip-hop, field recordings, archives sonores, traficotages et voix multiples – s’y superposent pour former une vision unique et affirmée, à la rencontre d’une nouvelle graphie de l’humanité – par nouvelle entendons également non déterminée par les règles et archétypes imposés dans un monde blanc, impérialiste, capitaliste, raciste, sexiste, patriarcal, etc. Moor Mother partage cette idée spirituelle entre toutes que, contrairement à ce que la technologie galopante nous impose, le monde ne nous appartient pas mais que nous, humaines et humains, appartenons à ce monde. Pourtant elle-même use et abuse de diverses technologies pour créer sa musique mais avec Black Encyclopedia Of The Air elle réaffirme aussi fort brillamment sa croyance et sa confiance en leur pouvoir libérateur, du moment qu’on les utilise à bon escient et qu’elles servent à retrouver et retisser les liens de l’univers commun. Un beau message.

 

 

 

mercredi 4 août 2021

[chronique express] Scorn : The Only Place




 

L’histoire musicale de Scorn et l’histoire personnelle de Mick Harris sont intimement liées et il ne servirait à rien de trop chercher à distinguer et à séparer les deux : The Only Place est (peut-être) le quinzième album de SCORN et il marque une nouvelle étape dans le processus d’explosion / disparition / renaissance de son créateur. Faisant suite à un Cafe Mor très sombre mais nécessaire, The Only Place poursuit donc l’exploration d’une electro lourde, oppressante, chargée de basses telluriques, dubisante, industrielle et ontologique. On devra se souvenir qu’il n’existe que peu de musiques électroniques aussi immersives et aussi intenses que celle-ci et le vieux fan que je suis ne peut alors que saluer la beauté froidement envoutante d’un enregistrement qui marque un certain retour aux accroches mélodiques et mélancoliques. A noter un excellent featuring du rapper Kool Keith sur Distortion, une collaboration qui met plus que jamais en lumière les incroyables talents de producteur de Mick Harris… alors pourquoi pas, un jour, enregistrer un album entier de Scorn avec des invités·es aux voix et aux textes sur tous le titres ? 



vendredi 23 juillet 2021

Snapped Ankles / Forest Of Your Problems







Je ferme très fort mes petits yeux pour être sûr de ne rien voir, je serre très fort mes petits poings même si ça me fait franchement mal aux jointures des doigts, je sors la bétonnière du garage et je coule une grosse dalle bien compacte sur tous mes aprioris de vieux schnarkbull et de ronchon olympique. SNAPPED ANKLES représente tout ce que je n’aime pas en matière de m’as-tu-vu. Rien que les costumes de scène dont s’affublent les quatre membres du groupe me font hésiter entre rire évacuateur – senteur eau de Javel – et haut-le-cœur contaminant. Je vais étaler mes références de vieux : lorsque Johnny Ramone imposait à sa tribu de porter des t-shirts rayés, des jeans troués, des baskets élimées et des perfectos en peau d’animal mort je trouvais ça presque touchant de naïveté ; lorsque chez Devo on s’affublait de couvre-chefs pyramidaux et que l’on s’habillait de salopettes jaunes cela me faisait rire ; lorsque Nocturno Culto et Fenriz faisaient des concours de maquillage je me disais que les forêts norvégiennes étaient un endroit délicieusement dangereux pour la santé mentale ; lorsque les Bad Seeds de la grande époque débarquaient sur scène au grand complet (sic) habillés de costards-cravates je trouvais que cela avait vraiment beaucoup de classe.
Si tout n’était que question de look, d’apparence et de marketing différentiel jamais je n’aurais vraiment écouté Forest Of Your Problems et Snapped Ankles serait retourné directement dans la grotte humide et luxuriante qui lui sert de tannière. Je n’aime pas trop les shamans druidiques échappés de la forêt de Brocéliande. Même sous acide. Mais il me parait évident qu’un tel enrobage vestimentaire pour le moins envahissant (sans parler de tout le reste) est fait pour attirer l’attention… je préférerais pourtant toujours un vieux crust qui pue la bière tiède, le mauvais shit et le chien mouillé à un néo-hippie-hipster. Pour son troisième album (?) le groupe a toutefois fait évoluer son image et ses visuels vers quelque chose d’encore plus conceptuel, avec tenues de baroudeurs sportifs, vêtements du dimanche, accessoires électroniques, beaucoup de bleu électrique, de la coolitude décomplexée, sans oublier l’éternelle petite touche shamanique (perruques ectoplasmiques et masques en écorce d’arbre peinte). Honnêtement, autant de mauvais goût me fascine.
Ce qui n’empêche pas Forest Of Your Problems d’être un disque passionnant. Je vais donc une nouvelle fois trahir mes idéaux de base et la ligne du Parti pour faire l’apologie (ou presque) d’un disque très dans l’air du temps : je n’hésiterai pas non plus une seule seconde à rapprocher la musique de Snapped Ankles de certains travaux de Crack Cloud, mais en beaucoup plus électronique, avec cette manie identique d’en mettre de partout et même d’en rajouter systématiquement une couche parce qu’il n’y en a jamais assez. On trouve également un petit côté Gum Takes Tooth mais la sauce à base de champignons hallucinogènes d’origine amazonienne en moins. Et puis des fois Forest Of Your Problems me ferait presque fantasmer sur un Coil éternellement bloqué en mode Love Secret Domain et copulant sauvagement avec les Talking Heads, comme si John Balance n’avait pas sombré dans un alcoolisme profond et la dépression pour se lancer en compagnie de David Byrne dans la confection de pièces montées exotiques à base de chamallows fourrés aux Xtas et au speed.
Bien chargé en sonorités synthétiques et électroniques – il y a très (très) peu de guitare – et charpenté de rythmes incessants et entrainants, Forest Of Your Problems se situe à la croisée de l’eclectro zouk, du kraut rock écolo, de la batucada spatialisée, de l’exotisme circassien, de la robotechnique appliquée et de la new-wave incantatoire gavée au fréon. Il ne faut pas avoir peur du kitsch, de la verroterie, des moulures ni des poignées de porte (de la perception) en plastique imitation doré. Il faut juste y aller franchement, péter un bon coup dans l’eau du bain et se laisser faire : malgré tous les remous occasionnés par cette musique moléculairement agitée et malgré les deux locked grooves qui clôturent chaque face du disque on ne risque pas de s’y noyer. Il y a même quelques moments qui subliment tout, comme ce Xylophobia saturé de choucroute 70’s, entre mécanismes répétitifs et formules chimiques éclatées. Est-ce que tu m’imagines, là, en train de danser au milieu de mon petit salon-moquette ?

[Forest Of Your Problems est publié en vinyle, CD, etc. par The Leaf Label]



jeudi 15 juillet 2021

Moor Mother : Circuit City

 

Un nouvel album de MOOR MOTHER ? Non, pas tout à fait. Déjà ce Circuit City a officiellement été publié en septembre 2020 (dans sa version dématérialisée) et surtout il s’agit de la « bande-son » d’un spectacle / performance associant théâtre, poésie, musique et multimédia. Un disque un peu à part, donc, mais s’intégrant parfaitement dans la démarche unique, expérimentale et militante d’une musicienne, créatrice et artiste hors du commun. Et dont on parle de plus en plus : désormais le travail de Moor Mother parcourt le monde et ses performances ou interventions prennent place dans des festivals spécialisés dans le multimédia mais aussi dans des fondations, galeries ou même musées d’Art Contemporain. J’ai alors toujours ce mouvement instinctif de recul face à la réalisation d’idées, pensées et concepts qui me convaincraient autrement et davantage s’ils n’étaient pas financés par un quelconque ministère de la Culture bienveillant (comme en France, pays spécialiste en institutionnalisation des artistes) ou une fondation montée par un riche capitaliste au grand cœur (le mécénat, contrepartie souriante du désastre économique libéral) qui voudrait malgré tout prouver au monde qui le regarde de travers que, premièrement, il peut avoir du cœur, s’intéresser aussi aux autres et pas qu’à son argent et, deuxièmement, qu’il peut avoir quelques goûts pourquoi pas affichables en matière de création artistique. Mais pour l’instant Moor Mother est encore très loin de faire partie d’un quelconque Art Officiel et disons que son travail s’inscrit plus que jamais dans une logique de torpillage d’un système dominant – blanc et patriarcal pour faire vite.







Mais revenons-en à notre sujet principal : Circuit City. Et je ne parlerai ici que de musique. A peine remis de la claque expérimentale Analog Fluids Of Sonic Black Holes enregistré sous son seul nom et du stellaire Who Sent You ? enregistré au sein du collectif de free jazz Irreversible Entanglements, Camae Ayewa aka Moor Mother revient avec cet album qui, musicalement du moins, tient un peu plus du second que du premier. Les quatre musiciens d’Irreversible Entanglements sont tous présents et leurs improvisations occupent beaucoup de place, surtout les interventions du trompettiste Aquiles Navarro. Elles sont accompagnées ou plutôt doublées par des sons électroniques et une production en direct assurés par Steve Montenegro / Mental Jewelry et Ada Adhiyatma / Madam Data. C’est comme si Moor Mother avait expressément voulu travailler avec tous ses collaborateurs principaux en même temps mais la superposition des deux types de sources sonores – instrumentale d’un côté, bidouille de l’autre – n’est pas toujours très heureuse, frise la saturation des sens et honnêtement on respire un peu plus lors des passages où l’une et l’autre se fait entendre seule ou lorsque le troublant Elon Battle se lance au chant, presque en solitaire (le début de Time Of No Time, très beau).
Tout ça est très intéressant mais – avouons-le – souvent un peu épuisant. On peut se délecter des textes slammés de Moor Mother mais on regrette surtout qu’il n’y ait pas plus de dichotomie et de dialogue en alternance entre les deux principales composantes musicales de Circuit City, ce qui aurait permis de mieux apprécier la qualité du travail de tous les musiciens en présence. Par exemple Circuit Break présente à partir de sa troisième minute un effacement certain de la composante instrumentale / free jazz et tout devient tout de suite beaucoup plus lisible… même lorsque le saxophone de Keir Neuringer remonte en puissance, avec un son visiblement retraité directement, ce qui lui donne une saveur plutôt étrange. C’est là une autre critique que l’on pourrait adresser mais cette fois uniquement au côté création sonore / bidouille de Circuit City : la nature trop souvent académique et convenue des sons et textures employés, typiques des créations multimédias s’associant avec l’informatique musicale ou l’acousmatique, et pas toujours pour le meilleur, donc (tu sais bien, ces petits sons qui font comme des bidibulles électromagnétiques qui papillonnent légèrement).
Alors donc : même si Circuit City n’est pas la meilleure introduction possible au travail de Moor Mother – pour cela on peut se référer aux deux enregistrements formidables mentionnés au début de cette chronique – il n’en demeure pas moins un disque à écouter… en attendant le prochain, déjà annoncé sur le label Anti pour le 17 septembre 2021, et intitulé Black Encyclopedia Of The Air.

[Circuit City est publié en vinyle orange – la pochette est gatefold et comprend quelques photos prises lors des représentations – et en CD par Don Giovanni records]







vendredi 4 juin 2021

Tomaga : Intimate Immensity

 



Allons bon ! Est-ce que je peux vraiment chroniquer un disque tel que celui-ci ? Je veux dire : la disparition tragique et prématurée de Tom Relleen ne risque-t-elle pas de fausser mon jugement ? Surement, oui. Mais cela fait aussi partie de toute l’histoire. L’histoire d’un enregistrement que le bassiste / producteur / multi-instrumentiste / compositeur a absolument tenu – et réussi – à terminer alors qu’il se savait condamné à court terme parce que la maladie était inexorablement en train de le rattraper. Avec sa coéquipière et amie Valentina Magaletti il a réalisé une dernière fois ce prodige, aussi unique qu’universel : faire de la musique et libérer la beauté.
Intimate Immensity n’est pas un disque au rabais. Ce n’est pas un assemblage imparfait de bandes incomplètes. Non, il s’agit une œuvre véritable, achevée – si tant est que l’enregistrement d’un disque puisse être réellement terminé et que l’on puisse ainsi définitivement figer la musique – et signifiante. TOMAGA restera. Tout comme Tom Relleen, finalement. Son empreinte marque tout le disque, on peut même lire une citation de lui à l’intérieur de la pochette gatefold du disque et dans laquelle il parle de La Poétique De L’Espace de Gaston Bachelard, un livre qu’il met en parallèle avec la musique de Tomaga, ses compositions en forme de petits mondes individuels et poétiques, ses microcosmes protecteurs contre l’extérieur, ses histoire à raconter pour se faire du bien.
L’immense qualité de Tomaga est d’avoir réussi à concilier musique expérimentale et musique à vivre. Musique cérébrale et musique émotive. Exigeante et abordable. Bizarre et mélodique. Un peu comme le faisait Moondog, bien que les compositions de celui-ci n’aient pas grand-chose à voir avec celles de Valentina Magaletti  et de Tom Relleen. L’idée c’est de toucher les autres avec des idées, justement. Dire que l’émotion est un phénomène aussi simple que compliqué. Que la générosité compte tellement. Pourtant pas de foisonnement ici, pas de gros dispositif. Ils n’étaient que deux dans Tomaga, jouant de la batterie, des percussions, du synthétiseur, de la basse, des machines, etc. Un véritable petit orchestre. Parfois avec l’aide d’une invitée, comme Agathe Max et son violon sur le morceau titre (elle avait d’ailleurs monté un autre duo avec Tom Relleen, du nom de Papivores) ou la voix et la production additionnelle de Cathy Lucas sur Very Never (My Mind Extends). Et une musique faite de souffles rythmiques, de gamelans stellaires, de mélodies tintinnabulantes, de dub aquatique, de craquements boisés, de lumière matinale, de pas de danse feutrés.
Intimate Immensity est un album apaisant. Même pas mélodramatique, malgré le côté emphatique qui domine largement la toute dernière plage du disque. Longtemps je me suis demandé quoi faire avec cette ultime composition qui ressemblerait presque un peu trop au générique de fin d’un film doux-amer mettant en scène les relations humaines et les questionnements de l'existence. Il n’y a qu’une seule solution : retourner le disque et le réécouter depuis le début, en entier. Parce que la vie continue.

[
Intimate Immensity est publié en vinyle – bleu, noir ou blanc – par Hands In The Dark]

 



lundi 31 mai 2021

J'Entre Par Tes Yeux : self titled


J’ai d’abord été plus que tenté par la facilité et surtout tenté de résumer le premier album de J’ENTRE PAR TES YEUX par un catalogue select de références de haut vol. Quelques unes des œuvres poétiques à base de voix chuchotées d’Etant Donnés pour le premier titre éponyme ; certaines productions de Raster-Noton (et pourquoi pas Anbb soit l’association d’Alva Noto et de Blixa Bargeld d’Einsturzende Neubauten) pour Anyone Realize ; ce même Bargeld ou Diamanda Galas pour le traitement des voix et les techniques de chant sur Le Corps De Ton Corps. Coil pour le magnifique De Las Lilas. Etc… Attention : je ne cite pas tous ces noms au hasard. Pour moi, s’il s’avère que ces musicien.ne.s et ces artistes ont effectivement inspiré la musique de J’Entre Par Tes Yeux – mais ça je n’en sais finalement rien du tout –, ces noms constituent surtout des musiques et des esthétiques de première importance, des choses que j’ai toujours beaucoup écoutées. Et je crois que j’aimerais vraiment découvrir davantage de groupes et d’enregistrements influencés par de telles musiques. En 2021. Car cela me manque. Autrement dit : l’album de J’Entre Par Tes Yeux arrive vraiment au bon moment.








Mais je ne veux pas non plus être trop simplificateur. Et je ne le peux pas. Dans les faits J’Entre Par Tes Yeux est un duo composé d’Alice Dourlen (aka Chicaloyoh – on a parlé d’elle et de son disque L’Inventaire Des Disparitions il n’y a pas si longtemps que cela) et Julien Louvet (The Austrasian Goat et tant d’autres choses, de lui aussi on a souvent parlé). J’aurais eu du mal à imaginer que l’association de ces deux là ne donne rien de bon. Ou alors débouche sur un truc fadasse, grisâtre, inodore et sans danger. Mais je ne m’attendais pas non plus à un disque aussi réussi et, finalement aussi… personnel. Oui : personnel, malgré l’étalage de références citées ci-dessus.
A y regarder de plus près J’Entre Par Tes yeux est traversé par deux courants / axes principaux. Deux composantes qui s’opposent et se nourrissent l’une de l’autre. La première, musicale, est majoritairement électronique et la plupart du temps très expérimentale, carrément technoïde dans le cas de Tendresse Soviétique (à quand un maxi de remix ?) ou dark indus-ambient dans celui de Chante Blessure Ferme Toi Bouche ; la seconde n’est pas musicale mais thématique et ce thème c’est celui du corps, ou plutôt des corps : le poème d’Octavio Paz qui sert de trame au premier titre du disque, Le Corps De Ton Corps ou Chante Blessure Ferme Toi Bouche (bien qu’il s’agisse d’un instrumental, d’une beauté inquiétante). Sur Tendresse Soviétique (dont on nous dit qu’il est inspiré de Klaus Legal) ) Alice y chante plus que jamais les corps, la confrontation, l’incantation charnelle mais également l’ironie, non sans facétie.

En résumé on a d’un côté une musique très froide, très dure, parfois très mécanique, inflexible, territoriale, totalitaire mais aussi bruyante, bizarre et dérangeante. De l’autre il y a donc la chair, la friction des corps, les blessures, l’effusion, la jouissance trouble, quelque chose de fondamentalement organique et de physique. De perturbant. La musique dans tout ce qu’elle peut avoir de déshumanisé fait face aux voix – celle d’Alice comme celle de Julien –, seuls repaires vivants d’un disque qui nous malmène constamment. Position inconfortable mais privilégiée de celui ou celle qui écoute et qui en redemande. Attraction et fascination. Dépendance. Peur et douleur. Plaisir. En guise de conclusion glacée Chante Blessure Ferme Toi Bouche nous laisse aussi inassouvis que provisoirement tranquilles. Epuisés et en manque. Comme si la dislocation de nos propres chairs nous avait enfin permis de mieux regarder en nous-mêmes. 


[J’Entre Par Tes Yeux est publié en vinyle par Specific recordings]

 

 

vendredi 19 mars 2021

Grand Veymont / Persistance & Changement

 



GRAND VEYMONT est typiquement un groupe qui me donne envie de prendre mon temps. Ecouter la musique du duo revient à se retrouver dans un ailleurs inconnu mais particulièrement accueillant. On ne peut que vouloir y aller. Lentement. Mais on y va. Je te ferai grâce des métaphores géographiques liées au nom du groupe – Grand Veymont est le nom du point culminant à 2341 mètres du massif du Vercors, nous précise-t-on gracieusement sur les internets – mais je comprends parfaitement que cet endroit que je ne connais absolument pas puisse être la principale source d’inspiration de la musique du groupe. En fait je crois que plus qu’une inspiration il s’agit d’une question d’environnement. C’est dans celui-ci que Béatrice Morel Journel et Josselin Varengo composent et enregistrent leurs disques. Lorsqu’ils sont chez eux ils peuvent plus facilement partir, n’importe où mais avec leur musique, tout en restant attachés à cet environnement. Et de nous emmener avec eux. Ainsi nombre de compositions de Grand Veymont décrivent des endroits ou prennent place dans des lieux qui semblent réellement exister (La Tête De La Dame ou Bois Barbu, par exemple) tout en les survolant presque, comme s’ils n’étaient plus qu’un point d’ancrage et en même temps une vaste porte de sortie.

Avant Josselin jouait de la batterie avec les magnifiques et bruyants Deborah Kant. Béatrice chantait dans The North Bay Moustache League aux côtés de son frère Alexis, par ailleurs guitariste et chanteur de ces mêmes Deborah Kant. Puis ces trois là se sont également retrouvés au sein des très psychédéliques Gloria. Mais depuis Béatrice et Josselin semblent uniquement se consacrer à Grand Veymont. Un groupe qui selon leurs propres dires ressemble un peu à un défi puisqu’il s’agit de faire ressurgir la musique qu’ils sentent en eux avec seulement quatre mains pour jouer sur des vieux synthétiseurs, un kit rudimentaire de percussions, un peu de flûte – une instrumentation à laquelle s’ajoutent des parties de chant entre lyrisme ténu et psalmodie. Jusqu’ici c’est très réussi, comme en témoignent un premier album Route Du Vertige publié en 2018 chez Objet Disque ainsi que les démos et premiers essais enregistrés puis finalement éditées en 2019 chez Outre Disque.

Mais cela ne devait pas suffire au duo. Ou peut-être qu’il s’est aguerri et que de cette relative confiance en lui est né ce projet un peu fou d’une longue composition de près de quarante minutes. Un seul et même titre divisé en plusieurs mouvements, Persistance & Changement, et s’étalant sur les deux faces d’un vinyle à nouveau publié par Objet Disque. Encore une fois je ne voudrais pas trop convoquer ces mots incomplets et autres métaphores géographiques et affectives. Ou plutôt je vais à nouveau parler de ma propre affectivité.
Hypnotique et enivrante, la musique de
Grand Veymont sur Persistance & Changement échappe encore et toujours à toutes formes de catégorisation. Pas vraiment minimale ni répétitive mais lentement stroboscopique et mantrique (OK : c’est un mot qui n’existe pas mais tu n’as qu’à mélanger « mantra » et « tantrique » et tu ne seras plus très loin de ce que j’ai voulu exprimer ici). Sophistiquée et raffinée elle ne tombe jamais dans le piège de la construction purement cérébrale. Simple et lumineuse elle ne connait pas la facilité. Poétique et onirique elle prend la route sans savoir si elle va se perdre ou pas. Si la musique de Grand Veymont est un chemin inconnu – après tout, lorsqu’on intitule son premier album Route Du Vertige ce n’est pas du tout impossible – et donc un moyen, Persistance & Changement est une odyssée magnifique. Une lente élégie un peu (des fois, beaucoup) triste, doucement mélancolique, et plein de questionnements. Des entrelacs de sons et de mots. Des poèmes. Des mélodies gazeuses et célestes. Des brins de courants d’air dans les cheveux. Et le bruit des herbes longues qui se plient. Un disque vraiment à part.


vendredi 13 novembre 2020

Fange / Poigne

 



Donc... pas trop le temps de dire ouf après un Pudeur plutôt réussi et explorant de nouveaux horizons industriels que FANGE revient déjà avec un mini-album intitulé Poigne, un disque estampillé, c’est écrit en très gros tout en haut de la pochette, « Bretagne Industrielle » (et c’est une constante chez le groupe de donner à tous ses enregistrements des titres commençant uniquement par un P, un peu comme Foetus ou Jesus Lizard donnaient aux leurs des four letter words). Toutes les informations techniques et artistiques figurent d’ailleurs en bonne place au recto, à commencer par le line-up du groupe : on apprend ainsi qu’au trio déjà présent sur Pudeur et toujours composé d’Antoine Moreau, Mathias Jungbluth et Antoine Perron se rajoute un certain Jean Baptiste Lévêque. Celui-ci avait déjà joué au sein de Fange, c’était aux débuts du groupe et on peut l’entendre sur Poisse (2014) ainsi que sur Purge (2016)…
… Ce « nouveau » renfort n’a rien de si étonnant : ayant également été le tout premier chanteur / hurleur de Fange  – avant que Matthias Jungbluth n’occupe le poste avec le brio que l’on sait – Jean Baptiste Lévêque est un habitué des machines et un bidouilleur de sons et sa présence donne le La à un septième enregistrement encore plus marqué que son prédécesseur par la musique industrielle et la froideur mécaniquex. De son côté Antoine Moreau est toujours crédité à la guitare mais il s’est également concentré sur les machines et la programmation des rythmes tandis qu’Antoine Perron a complètement délaissé sa basse pour lui aussi se mettre à la bidouille synthétique.
Avec Poigne, le groupe, toujours aussi prolifique, continue sa mue, son évolution, son exploration des ténèbres et s’auto-qualifie désormais d’ « industrial death » et de « harsh sludge ». Il est vrai que Les Jours Azurs ne laisse guère de place au doute avec un démarrage à vif et concassé de bruits divers et (a)variés pouvant vaguement rappeler l’intro mythique de l’album Haus der Lüge de Neubauten. Un titre qui reste mon préféré de Poigne car le rythme y est lent et l’ambiance vraiment malsaine, parce qu’on y entend encore un peu de guitare (notamment à partir de l’ultime reprise, à 2’40) et que l’aspect machines / synthèse bruitiste n’a pas totalement pris le dessus sur tout le reste. Les trois autres compositions du disque n’ont pourtant rien de déshonorant, bien au contraire. En utilisant des sons de nature plus identifiable (i.e. synthétique) Flamme Mourante est un peu plus conventionnel, à la croisée d’une EBM rampante et perverse. Ce que ne démentent pas D’un Désarroi L’autre (mâtiné d’un peu de Nine Inch Nails primitif) ni le final Géhenne, sombre reptation un rien grandiloquente au pays de la douleur et des doutes. 
Reste – encore une fois – à évoquer le chant de Mathias Jungbluth qui est le seul participant au disque à ne pas avoir trop bouleversé ses façons de faire. Et évoquer ses paroles que l’on peut découvrir sur la totalité du verso de la pochette**, c’est dire si elles sont importantes. A chacune et à chacun de tirer un sens qui lui appartienne de textes sombrement poétiques et décidemment tourmentés mais chargés d’un pessimisme qui pourtant ne me semble jamais totalement défaitiste – et je citerai à nouveau Les Jours Azurs dont les paroles sont pour moi les plus achevées du disque.

 

[Poigne est gravé sur un vinyle 12’ monoface de couleur marbrée rouge et noir (le regarder à la lumière est un délice qui fait froid dans le dos : on dirait l’intérieur d’une membrane), tourne en 33 tours, dure 15 minutes et a été publié par Throatruiner records]

 

* il est également l’auteur de l’illustration très réussie de Poigne
** paroles également accessibles sur le b*ndc*mp de Fange

vendredi 11 septembre 2020

Autotelia / I

 

Cette semaine sera la semaine des morts. Les hommages se sont multipliés après la disparition le 23 aout dernier de Tom Relleen. Je ne te parle pas de ces cavalcades de pleureurs et de pleureuses qui s’empressent de prendre la parole pour en fait surtout parler d’eux-mêmes mais bien de profonds hommages, sincères et désolés, dévastés pour certains. Parce que cela faisait très longtemps que Tom Rellen faisait de la musique et multipliait les collaborations et les amitiés. Celles et ceux qui n’ont rien eu à foutre de sa disparition se sont simplement contentés de fermer leur gueule… Tom Relleen inspirait ce respect que seules les grandes âmes sincères et généreuses peuvent inspirer.
Je ne pleure jamais les morts des personnes – artistes ou non – que je ne connais pas personnellement… même lorsque cela me rend triste. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser à celle-ci, forcément injuste. Tout comme je repense aux groupes dans lesquels Tom Relleen a joué et aux très nombreux disques auxquels il a collaboré. Il y a bien sûr The Oscillation (en tant qu’homme de main) et surtout les géniaux Tomaga en compagnie de la batteuse/percussionniste Valentina Magaletti* mais aussi Papivores (avec la violoniste Agathe Max) et tellement d’autres choses que j’en découvre encore, à l’occasion de cette disparition prématurée suite à un vilain cancer de l’estomac. Tom Relleen avait 42 ans.

 


 

C’est avec Demian Castellanos, le grand patron de The Oscillation, que Tom Relleen avait monté il y a quelques années un projet du nom d’AUTOTELIA. Sobrement – et définitivement – intitulé I le premier album du duo a été publié en juillet 2020. Mais revenons un peu en arrière. Paru deux années plus tôt, l’album U.E.F de The Oscillation pouvait surprendre par son caractère très majoritairement instrumental, expérimental et répétitif. Enregistrées quasiment seul par Demian Castellanos – comme d’habitude un peu assisté par le batteur Tim Weller – les deux uniques compositions de cet album troublant et hypnotique s’étalent volontiers dans les sphères du kraut rock à tendance psychédélique. Il s’agit de mon album préféré de The Oscillation parce que c’est aussi celui qui retranscrit le mieux les méandres colorés, groovy et parfois troubles des concerts du groupe (ceci dit je n’ai rien contre les autres albums de The Oscillation, davantage orientés vers le format chanson de pop noisy et psyché). Et U.E.F peut également constituer une sorte de porte d’entrée vers la musique d’Autotelia dont il est un peu le pendant rythmique et, évidemment, nettement plus dynamique.
Du psychédélisme électronique, des circonvolutions synthétiques et des spirales en forme de choux-fleurs aquatiques il n’y a pratiquement que ça sur I mais avec une approche nettement plus ambient et plus sombre, mélancolique par moment. Si je mets les deux disques en parallèle c’est parce qu’ils me font chacun penser à la musique d’un même film… schématiquement U.E.F en serait le générique ou accompagnerait les scènes où les personnages principaux cherchent à fuir à corps perdus devant l’effroyable, un monde dont ils ne veulent pas ; I illustrerait plutôt les moments où tout se ralentit et où les images à l’écran relèvent plus de l’impression que de l’expression. Ce film raconte surement une histoire de science fiction où le personnage principal chasseur et tueur d’androïdes révoltés est à la recherche de sa propre humanité disparue (toute ressemblance avec un film existant déjà n’est absolument pas fortuite).

Autotelia
résume ainsi le côté assombri et introspectif de la musique de deux musiciens qui collaborent ensemble depuis des années. Pourtant I n’est pas le 56244ème album de musique ambient en roue libre et idéal pour fumer son petit stick du soir. Au contraire les liens unissant Demian Castellanos et Tom Relleen réellement palpables peuvent expliquer pourquoi la musique d’Autotelia sonne aussi aboutie et édifiée, bien qu’enregistrée sur des périodes parfois très étalées – par « édifiée » je veux dire que les quatre** titres de I constituent quatre moments à la fois solides et intenses, aux effets durables mais qui n’enferment pas l’auditeur dans des schémas attendus et contraints : l’imaginaire reste roi.
On dit d’une personne « autotélique » qu’elle n’agit que par rapport à elle-même et surtout au plaisir que lui apporte cette activité et ce sans rapport avec les interactions extérieures et leurs conséquences***. Le nom du groupe correspond parfaitement à une musique dont on sent qu’elle a été enregistrée sans les contraintes fonctionnelles de l’écriture et de sa formalisation, laissant la place aux flottements créatifs et aux échanges instantanés entre deux amis. Alors heureusement que malgré le nom de leur groupe Demian Castellanos et Tom Relleen n’ont pas composé ni enregistré toute cette musique uniquement pour leur seul plaisir et que la partager a fini par leur paraitre plus que nécessaire. Et effectivement… ce disque est nécessaire, surtout maintenant et plus que jamais, pour toujours.

[I est publié en vinyle vert ou noir et blanc par Rocket recordings]

 

* un album posthume de Tomaga terminé juste avant la mort de Tom Relleen devrait paraitre en 2021…
** quatre sur le vinyle mais cinq sur la page b*ndc*mp d’Autotelia... toutefois je trouve Storm At Tucanae nettement moins intéressant et passionnant que les titres du vinyle, c’est donc une bonne chose qu’il n’y figure pas

*** ce qui est différent de l’égoïsme où on agit pour soi et pour son intérêt 

 

 

 

 

mercredi 3 juin 2020

[chronique express] Ich Bin / Obéis !





Encore une réédition mais celle-ci est à nouveau incontournable : tel le phœnix impérial renaissant de ses cendres et ravivant la splendeur du passé, Obéis ! est l’unique album des dieux du stade ICH BIN enregistré à une époque où Mulhouse était la capitale de la France et la France était le centre du monde, une époque où le bodybuilding était une discipline olympique, où l’eau oxygénée était en vente libre, où la 8.6 était considérée comme un fin nectar, où l’ordre n’était pas un vain mot, où l’allemand était une langue vivante, où écrire des chansons à texte avait une vraie portée politique et où Kraftwerk n’avait pas encore usurpé le titre d’inventeur de la musique électronique. Obéis !