Originaire
d’Athènes et découvert grâce au label Riot Season qui avait eu la très bonne
idée de publier ses tout premiers enregistrements, KRAUSE est un groupe qui n’a jamais fait dans la dentelle et le raffinement.
Une nouvelle maison de disque, donc, depuis 2022 avec Venerate Industries, un
single pétaradant en février dernier et maintenant The Art Of Fatigue, un troisième
album porteur de peu de changement : chez Krause
on aime le noise-rock à la fois véloce et épais, gras et alerte, bruyant et
mélodique, lourd et tourbillonnant, nervuré et palpitant. Une musique coincée
dans un sandwich grec entre les inévitables Unsane et les géniaux Hammerhead.
Ouais, toujours les mêmes. Sauf que Krause
est un groupe encore jeune et débordant de sève, très convaincant malgré son
manque d’originalité et il fait preuve d’une fougue comme d’une violence
implacables. On relèvera uniquement quelques traces fantaisistes au niveau de
cette pochette tout aussi colorée et psyché-déviante que d’habitude ou des
titres des onze compositions, loufoques voire sibyllins (parmi tant
d’autres : Ceremonial Aspects of
Everyday Bloodbaths ou The Things I
Love Affront Me With The Effort It Takes To Love Them – j’en rigole encore).
Autant d’absurdité dans un écrin noise aussi parfait que traditionnaliste,
autant de fureur pour s’exprimer, autant d’électricité pour faire le mal, je ne
peux être que d’accord, à genoux mais pas fatigué.
Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net
dimanche 29 janvier 2023
[chronique express] Krause : The Art Of Fatigue
vendredi 27 janvier 2023
[chronique express] Catorcio : self titled
L’une des bonnes surprises du moment nous vient d’Italie et plus précisément de Bologne : CATORCIO c’est quatre musiciens – chant, guitare, basse et batterie – qui mélangent avec bonheur et jubilation noise-rock et math-rock. Encore ? me diras-tu et là je te répondrai que l’on n’a pas affaire à une énième resucée de recettes usées jusqu’à la corde. Ce qui me parait essentiel dans la musique du groupe c’est qu’il ne se contente pas de jouer des trucs niqués et alambiqués mais qu’il passe une bonne partie de son temps à tout dégueulasser. La voix en est le meilleur exemple, bel organe rauque et grave qui glaviotte avec délectation ou susurre des postillons psychotiques. La basse virevolte mais elle fait aussi appel à ce bon gros son boueux, essentiel à tout groupe de noise qui se respecte. La guitare aime racler là où ça fait mal et nous enfoncer des clous entre les cervicales. La batterie réussit à être à la fois massive et inattendue. Maintenant, faisons un peu de géométrie : tu traces un triangle équilatéral et à chacun de ses sommets tu places (dans l’ordre que tu veux) Hoaries, Killdozer et The Conformists. Puis tu traces trois droites reliant de façon perpendiculaire chaque sommet avec son côté opposé. Tu remarqueras qu’elles se croisent en un seul et unique point, au milieu de triangle : c’est précisément là où se situe Catorcio, percheron roublard, bordélique mais extrêmement sympathique, toujours en train d’essayer de courir à reculons lorsqu’il ne rue pas dans les brancards pour nous fracasser le crane.
mercredi 25 janvier 2023
Still/Form : From The Rot Is A Gift
Il y a plus d’un
parti pris dans la musique de STILL/FORM mais celui qui pourrait
déranger le plus, au risque peut-être de faire fuir certaines personnes
pourtant pleines de bonne volonté, c’est celui du chant. Un chant curieusement
rauque ou plutôt enroué et presque en retrait, trainant, rugueux à rebours, jamais
excessif, se gardant bien de toute braillardise, de tout débordement, de tout
épanchement de testostérone. Un chant s’empêchant volontairement de crier à
s’en faire péter les amygdales ou le cortex cérébral et qui fait pour beaucoup
dans l’originalité d’une formation que, sinon, on rangerait sans discussion
possible dans la catégorie des groupes de noise-rock bon teint. Mais ici le
teint est blafard : Still/Form et en particulier son
guitariste/chanteur Robert Comitz – ex-Marriage + Cancer, que je n’ai jamais
écouté* – aiment brouiller les pistes. Faire du bruit avec des guitares, ça
d’accord. Blinder ses parties rythmiques, pareil. Composer des brûlots éventuellement
alambiqués ou torturés, également. Mais il y a autre chose, donc.
Une fois que l’on a accepté ce chant, une fois qu’on appris à l’aimer, on ne
peut plus s’en passer et tout coule de source – il devient impossible de
résister aux fulgurances cérusées de From The Rot Is A Gift. Still/Form
y déploie un talent incomparable, provoquant brulures persistantes et
contusions, se montrant intraitable sans en avoir l’air, solide comme un rock
et aiguisé, dans une veine noise-rock alambiqué juste ce qu’il faut, héritier
d’une violence torturée, chargé d’un malaise certain, d’une tension toujours
palpable et sans rémission possible. Il y aurait presque – j’ai dit presque – du
Dazzling Killmen là dedans, dans ce mode opératoire consistant à faire grimper
la température et accélérer la machine à tourments mais, c’est toute la
différence et elle est de taille, se gardant de toute explosion finale et
définitive. Pas de hara-kiri émotionnel et destructeur. Tout est dans cette rétention
quasi prophylactique incarnée par le chant de Comitz, un chant qui n’a rien non
plus de plaintif bien que visiblement désespéré, lugubre à force de mystère,
étrangement magnétique.
Une autre caractéristique de la musique de Still/Form,
c’est la guitare de ce même Robert Comitz qui peut prendre des chemins particulièrement
inattendus. Sur Dead Check et plus encore sur Pigs End (mais il y
a d’autres exemples) on peut légitimement se demander quels genres de pédales
d’effet le musicien utilise pour faire sonner son instrument comme… une
guitar-synth ? un four à micro-ondes couplé à un couteau à viande
électrique ? Un truc pas spécialement recommandable en fait, quelque chose
de non seulement déroutant mais que dans un tout autre contexte – i.e. un style
de musique différent et basé, au hasard, sur l’enfilage à rallonges de perles
progressives – on aurait volontiers rejeté en bloc. Mais, cette fois encore,
cela fonctionne, parce que le résultat en devient plus interpellant que
déstabilisant. Et malgré tout dangereux. From The Rot Is A Gift
ressemble souvent à ces serpents du désert qui s’enfouissent volontairement
sous le sable, ne laissant dépasser qu’un petit bout de tête et leurs crocs chargés
de venin, attendant que quelqu’un leur marche malencontreusement dessus pour le
mordre. L’un des disques les plus étonnants et les plus originaux de l’année
2022.
[From The Rot Is A Gift
est publié en vinyle et en CD par Hex records]
* maintenant c’est fait
dimanche 15 janvier 2023
Comme à la radio : Blacklisters
BLKLSTRS ? Oui, Blacklisters : il
aura fallu attendre un peu plus de deux années pour que les Anglais sortent
enfin de leur silence et fassent à nouveau parler d’eux… et deux ans c’est
beaucoup trop long ! Le nouvel EP du groupe s’intitule Leisure Center, un titre prometteur et particulièrement sarcastique pour un
enregistrement jamais avare en grosses déflagrations. Attention.
Quatre titres seulement, une publication uniquement au format cassette (encore
cette putain de crise ?) chez Exploding In Sound records mais
douze minutes gavées de noise-rock roublard et épais. De l’étourdissement bien
gras et visqueux avec une nette tendance aux rythmes ralentis et appuyés. Si on
peut encore penser aux Jesus Lizard et autres Pissed Jeans, on trouvera malgré
tout que les quatre Blacklisters
tirent de mieux en mieux leur épingle du jeu question originalité et qu’ils ne
doivent finalement plus grand-chose à personne. Le poisseux leur va si bien. Ainsi
le morceau titre qui ouvre le bal se montre particulièrement corrosif et
grinçant mais dommage que mon niveau d’Anglais Langue Vivante 1 acquis au
milieu des années 80 ne me permette pas de comprendre toute la subtilité acide
des paroles du braillard éclairé Billy Mason-Wood. Lequel se paie aussi de luxe
de nous surprendre sur un The Wrong Way
Home avec ce chant tellement gouailleur qu’il en devient drolatique.
Pourtant la principale singularité de Leisure
Center réside dans la présence d’un saxophone perturbateur sur la moitié
des compositions. Parfois facétieux (la toute fin de Why Deny ?, une véritable pépite), souvent free et même
bruyant, Rob Mitchell – un musicien au pedigree totalement inconnu des services
d’Instant Bullshit – donne un sacré coup de fouet à la musique de Blacklisters. En bon adorateur éternellement
à genoux de Fun House, voilà une caractéristique
qui ne pouvait que me convaincre et me plaire.
Pour le reste, on reste évidemment en terrain connu mais on saluera
l’excellence traditionnaliste d’un groupe qui connait les règles d’or du
noise-rock sur le bout des doigts : guitare acérée coupante et lignes de
basse aussi imposantes que possible, etc. Rappelons d’ailleurs que le poste de
bassiste est toujours occupé par Steven Hodson, par ailleurs chanteur et
guitariste de USA Nails, qui en plus s’est occupé du mix de Leisure Center. Bien lui en a pris et
en espérant que ces quatre titres soient surtout les prémices d’un véritable
quatrième album.
vendredi 30 décembre 2022
Comme à la radio : Less
Il est grand
temps de parler un peu de LESS dans cette gazette internet.
Un trio franchouille à la composition plutôt inhabituelle puisque comprenant deux bassistes
(dont un chanteur) et un batteur. Et une musique qui fait plus que lorgner vers
le noise-rock. C’est important de le souligner puisque Less reprend à son compte les us et coutumes d’un genre sans trop y
ajouter d’autres influences, si ce n’est une bonne grosse dose de punk. Dans ce
pays, les quelques rares (et bons) groupes que l’on pourrait qualifier de noise
mélangent malgré tout pas mal d’ingrédients extérieurs – on citera Schleu et
ses perturbations no wave et jazz core, Membrane qui fait plus que lorgner sur
le post hard core ou Fleuves Noirs qui a trop bouffé d’acide. Avec Less, les lignes de basse sont évidemment
au centre de la musique, constitutives et typiques de ce son abrasif et
viscéral issu des années AmRep. Mais là où le trio a tout bon, c’est qu’il
n’oublie pas non plus de placer accroches et rampes de lancement. Derrière le
mur du son, le charme vénéneux de l’électricité maltraitée.
Depuis le début de l’année 2022, Less a ainsi inondé le whawhawha de pas moins quatre singles
numériques. Le vieux râleur que je suis ne s’empêchera pas de toujours préférer
les éditions physiques au streaming ou aux mp3 et consorts mais le fait est que
la musique mis en ligne par le groupe vaut complètement le déplacement. Sa toute
dernière publication est un deux titres intitulé Trauma et il aurait fait un excellent 7’ parce qu’il s’agit sans
aucun doute de la meilleure réalisation du trio à ce jour.
Tu trouves que
tout ceci manque de finesse ? Je reconnais que Bad To The Bone est un titre rapide et furieux qui va droit au but
sans s’encombrer de complications mais il est surtout très représentatif du
noise-punk de Less. La surprise vient juste
après, des quelques cinq minutes de Substance
et de sa longue première partie lente et poisseuse d’où émerge un chant clair d’abord
faussement détaché puis sujet à plus de tension et de perturbations. Une très
bonne composition.
Au rayon commérage on signalera également que Less, à l’origine basé du côté d’Annecy, a émigré vers les Pays de
Loire. Et que le second bassiste et le batteur ont quitté le groupe mais ont
été depuis remplacés, le bassiste/chanteur Romain Frelier-Borda restant le seul
membre d’origine du groupe. En espérant que cette relocalisation et ce
changement de line-up soient également synonymes d’un nouvel enregistrement et
en dur, s’il vous plait (vinyle, cassette ou CD je m’en tape mais
démerdez-vous).
mercredi 28 décembre 2022
Multicult & Child Bite : split
Annoncé par
surprise au début de l’été 2022 par Hex records mais au départ prévu
pour une parution aux alentours de 2021, voilà un split 12’ qui réunit Multicult et Child Bite. Deux groupes U.S. qui malheureusement et comme tant d’autres – toujours la faute à la crise sanitaire et à la crise économique –
avaient du se faire discrets ces deux dernières années.
On était ainsi sans aucune nouvelle des MULTICULT depuis leur album Simultaneity
Now en 2019 et leur excellente participation à la compilation en soutien à Reiner Fronz et Learning Curve records en
2020. Cela fait une excellente raison pour se jeter sur les trois inédits
proposés ici. Le noise-rock du groupe de Baltimore a toujours été sec, décharné
et anguleux, centré autour des lignes de basse de Rebecca Burchette, cérébral
et assez froid aux premiers abords. Avec Extra
Spherical View, le plus anecdotique Myriad
et Countdown – presque un
instrumental parsemé de borborygmes et cris divers – on ne sera pas dépaysé ni déçu :
les premières écoutes commencent par une nécessaire phase d’apprivoisement car
ici pas d’artifices inutiles, pas de grands gestes démonstratifs ni d’étalage
de testostérone mais une musique racée, pensée et qui perdure, assurément. Avec
Multicult il ne faut donc jamais
hésiter à persister.
On note malgré tout une certaine rigidité générale qui s’explique par
le fait que ces trois inédits ont été enregistrés à deux, le
guitariste/chanteur Nick Skrobisz s’occupant également de la batterie. Le son
n’est pas non plus vraiment à la hauteur – surement un enregistrement maison –
mais cela suffira à mon bonheur. Et puisque nous sommes en plein dans la
période des vœux, souhaits, bonnes résolutions et autres conneries divinatoires,
moi je demande un beau et nouveau disque de Multicult pour 2023. Et pour de vrai.
Dès que résonnent les premières notes de Pass
The Glue, il devient évidemment que CHILD BITE est en très grand forme. Je n’ai jamais été réellement
convaincu par l’évolution musicale du groupe de Shawn Knight (chant, bidouilles
en tous genres et seul membre originel) dont les deux 10’ Monomania (2012) et Vision
Crimes (2013) – réunis plus tard sur un seul et même LP – constituent pour
moi le sommet du groupe. L’accentuation de plus en plus hardcore et très
métallisée de la musique de Child Bite
avait abouti à l’album Blow Off The Omens
(2019) avec des parties de guitare peu imaginatives et parfois laborieuses en
guise de principal défaut. C’est pourtant bien le guitariste Jeremy Waun que
l’on entend à nouveau sur ce Pass The
Glue, virevoltant et éclairé à la manière d’un East Bay Ray clouté. Un
élément qui ajouté au chant très Biafra-ien de Knight renforce plus que jamais
les comparaisons entre le groupe de Detroit et les feu Dead Kennedys.
Moins hystérique et plus lent, privilégiant l’épaisseur et la lourdeur, Erect For Dystopia confirme. Entre les
deux, Swan Song Of A Boiled Dog,
comme souvent doté de paroles complètement barges de la part de Shawn Knight,
joue sur les ambiances horrifiques et les contrastes malaisants. Je préfère
toujours et encore le Chid Bite
d’avant (tant pis si je me sens un peu seul sur ce coup là) mais je dois
reconnaitre que ces trois titres me font espérer beaucoup pour la suite :
un peu plus de punk, de noise et moins de métallurgie au rabais, s’il vous
plait.
Pour les détails techniques, signalons que ce split 12’ tourne en 45 tours, est doté d’un insert, a été pressé en blanc
et en vert, chaque version étant tirée à 150 exemplaires numérotés. L’illustration
très colorée est signée Nick Skrobisz tandis que Shawn Knight s’est occupé du
graphisme. Et, cerise sur le gâteau, la pochette est sérigraphiée.
vendredi 23 décembre 2022
Nerver : Cash
Et le grand
gagnant du super concours du meilleur groupe de noise-rock pour l’année 2022
est… Non, je raconte encore n’importe quoi. Ce n’est pas que je n’estime pas le
deuxième album de NERVER au plus au point – bien au
contraire ! – mais disons que les classements, best of, palmarès,
récapitulatifs, prix honorifiques, distributions de médailles et léchages
d’égos et de culs parfumés, ça me gonfle toujours autant et même de plus en
plus, avec l’âge. Ça va avec ma détestation des gens et du monde, tu me diras. Pourtant
Cash est sans aucun doute possible l’album
de noise-rock que j’ai le plus écouté cette année, l’album du genre que je
retiendrais in fine s’il n’en fallait
qu’un seul et alors qu’une fois de plus – quelle période bénie que celle des
sursauts de vitalité avant l’ultime – les
bons disques avec des guitares assassines, des rythmiques-pilon et du chant
braillard ça n’a pas manqué, au moins de l’autre côté de l’Atlantique Nord. Voilà.
Mais affinons un peu le propos. Nerver n’est pas qu’un groupe de
plus qui défouraille et forcera les vieux et irréductibles noiseux à faire
illico dans leurs culottes molletonnées. Question violence musicale, lourdeur,
électricité, bruit et sauvagerie, le trio* de Kansas City en connait assurément
un rayon et sait s’y prendre pour nous étaler sur la gueule son savoir-faire
démoniaque et destructeur. Cash est
un disque intraitable, lourd, gras, tranchant et, éventuellement, malsain, à la
façon dont pouvaient l’être un Unsane au millénaire dernier (tu te
rappelles ?). Toujours les mêmes références, je le reconnais bien
volontiers, mais je n’en trouverai pas d’autres pour tenter de situer un disque
et une musique qui refont l’histoire et remettent les pendules à zéro – tout
comme le 7’ de Mirakler récemment évoqué ici et ce n’est sans doute pas pour rien si
les deux groupes sont des camarades de label.
Mais il y a un truc vraiment à part du côté de Nerver. L’idée de ne pas toujours tout donner directement et
frontalement, de savoir en garder un peu sous le coude, de louvoyer
sournoisement, d’ouvrir quelques fenêtres mélodiques pour aérer et faire
momentanément disparaitre les odeurs de pieds qui puent (Purgatory en est l’un des meilleurs exemples, de même que toute la
fin du morceau-titre, comme une sorte de pied de nez). Derrière la sauvagerie
et les bas instincts, Nerver aime se montrer plus indulgent avec nous et pour notre petite
santé mentale mais le groupe le fait intelligemment, pas pour s’autoturluter et
se faire mousser gratuitement. Pas pour simplement mettre en valeur ses
innombrables et essentiels moment de colère noire, mais parce qu’il aime ça, on
le sent bien.
Un bon disque de noise-rock en 2022 ce n’est certainement pas une
leçon d’originalité ni d’innovation mais une question de sincérité et de
vérité, des deux côtés, celui qui donne comme celui qui reçoit. Avec Cash, Nerver a enregistré un disque qui s’élève au dessus des autres
parce qu’il ne laisse pas le choix et se montre impératif à force de conviction
et de droiture. Ce qui n’est pas donné à tous le monde et en plus je suis
persuadé que Evan Little (basse et chant), Jake Melech (guitare) et Mat
Shanahan (batterie) sont des petits rigolos voire des vrais déconneurs :
on ne peut pas appeler son disque « cash » ni choisir des photos
aussi stupides pour son artwork si on n’en est pas un.
[Cash est publié en vinyle et en CD par The Ghost Is Clear
– la version cassette est disponible chez Knife Hits]
* la nouvelle est tombée il y a peu : Nerver joue désormais à quatre avec l’adjonction
d’un second guitariste…
mercredi 21 décembre 2022
[chronique express] Trigger Cut : Soot
Faut surtout pas
se laisser faire. Si le troisième album de TRIGGER
CUT s’intitule Soot (« suie »
en français) c’est parce qu’en 2021 le groupe allemand emmené par le guitariste et
chanteur Ralph Scharrschimdt a vu son local de répétition détruit par un
incendie. Les instruments de musique et tout le matériel qui n’ont pas été la
proie des flammes ont tout simplement été rendus inutilisables par une suie
noire et collante, un vrai poison. Si on rajoute un défaut d’assurance, le
tableau de la catastrophe devient complet et on a connu des groupes qui se sont
séparés pour beaucoup moins que ça. Un peu plus d’une année plus tard, appels aux
dons et mobilisation aidant,
Trigger Cut nous revient donc. Plus vivant,
plus virulent et plus fort que jamais. D’où, sûrement, la symbolique pas très
finaude d’un Phoenix sur la pochette du disque. Mais ce n’est pas qu’une image :
Soot est un concentré de hargne et de
rage électrique propre à ce bon vieux noise-rock strident, tendu du slip à la
mode de Chicago et régulièrement éclairé par une pointe d’émophilie
post-Dischord, surtout au niveau du chant égosillé. A tout bien y réfléchir, Trigger Cut est l’un des meilleurs représentants
en la matière, reprenant de main de maitre une musique irradiante qui m’avait
marqué entre toutes dans les 90’s et ce que le groupe fait, souvent il le fait largement
mieux que les autres. Je déteste cette expression qui consiste à dire « un
mal pour un bien » mais je dois bien avouer malgré tout que Soot est de très
loin le meilleur album du groupe. Parce que c’est le plus énervé, le plus
débridé, le plus furieux mais aussi le plus mélodique. Fire walk with me.
lundi 12 décembre 2022
Mirakler - Moon Pussy
Si tu as raté la
tornade TRVSS c’est dommage pour toi parce que le trio n’existe plus vraiment
mais il n’y a rien de rédhibitoire non plus à cela. Après deux albums dont
un New Distances quasi miraculeux en 2020
puis le départ de la section rythmique du groupe, le guitariste/chanteur Daniel
Gene est de retour avec deux nouveaux musiciens et un nouveau de nom : MIRAKLER. Et dans les faits cela ne
change pas grand chose. Ou plutôt Mirakler
laisse à penser qu’une étape supplémentaire a été franchie avec ce récent single
à la pochette aussi inquiétante que réussie (un faux test de Rorschach ou une
tête de mort, c’est comme on veut) qui comprend deux titres complètement
dingues.
Même les vieux noiseux rétrogrades ou les personnes qui pensent que Chris
Spencer et Unsane ont encore deux ou trois truc intéressants à raconter seront
scotchés par la violence du trop bien nommé Instant
Drugs et de The Shootist,
nouveaux maitres-étalons en matière de noise-rock vicieux, sale, méchant et
destructeur. Ce n’est même pas la peine de parler de machine à remonter le
temps et de voyage dans l’éternité des 90’s, tout ici est parfait, depuis les
guitares qui cisaillent constamment de la viande avariée à la rythmique ultra
énervée en passant par le chant légèrement trafiqué et définitivement malsain. Instant Drugs / The Shootist
est un single incendiaire comme on n’en croise plus tellement, publié
conjointement par deux des meilleurs labels US dans le genre, The Ghost Is Clear et Reptilian records.
Toujours chez The Ghost Is Clear, un autre 7’ publié un peu plus tôt dans l’année et dont le
premier avantage est de nous donner des nouvelles fraichement réjouissantes de MOON PUSSY (meilleur nom de groupe du monde, selon l’une de mes
filles). On avait déjà adoré
l’album sans titre publié en 2020 par ce trio originaire du Colorado et on
adore tout autant Mediation et Mary Anning, deux nouveaux titres
visqueux qui tournent toujours autour des lignes de basse et du chant écorchée
de Crissy Cuellar. Le premier est le plus direct et le plus classique mais très
efficace tandis que le second rappelle que Moon
Pussy excelle particulièrement dans le domaine de la reptation du malsain.
On retourne la galette (en vinyle rose) et, puisqu’il s’agit d’un split, on
retrouve Mirakler avec là aussi deux titres. En fait un titre et demi puisque Cotard’s Delusion est un court instrumental qui sert d’introduction
à One, une reprise… de Metallica, ce
groupe de beaufs qui en 1986 aurait mieux fait de crever en même temps que son
bassiste à pattes d’éléphant. Dans mes souvenirs le titre original est une
sorte de slow existentialiste, démago et pleurnichard. Ce qu’en fait Mirakler n’a strictement rien à voir,
c’est du pur noise-rock mâtiné d’alternance entre passages faussement calmes
mais fébriles et épandages vitriolés chargés d’une tension qui laisse
systématiquement penser que le pire reste encore à venir. Un titre qui donne
furieusement envie d’en écouter beaucoup plus de la part de Mirakler et un split single
presque incontournable lui aussi.
mercredi 23 novembre 2022
Oxbow & Peter Brötzmann : An Eternal Reminder Of Not Today - Live at Moers
En d’autres temps (et au
siècle dernier) j’aurais sûrement payé très cher pour assister au concert qui a
abouti à l’enregistrement de An Eternal Reminder Of Not Today : la réunion d’OXBOW
et du saxophoniste Peter BRÖTZMANN sur une
même scène, celle de l’édition 2018 du Moers Festival, en Allemagne. Inutile
cependant de rêver, je n’étais même pas au courant et mon désamour pour Oxbow
depuis la parution de l’album Thin Black Duke en 2017 m’aurait
certainement dissuadé de parcourir les quelques centaines de kilomètres
séparant mon home sweat home de Moers. Mais quand même… l’un des meilleurs – et
pendant longtemps mon préféré – groupes américains des années 90 qui joue avec
l’un des piliers de la scène free et improvisée européenne des années 60, 70,
80, 90, etc. J’avoue que cela aurait pu avoir de la gueule.
Ce sont les internets qui ont craché le morceau quelques semaines à peine après
le concert. Il était facile d’en retrouver l’enregistrement vidéo, en bonne
qualité puisque repiqué à une chaine TV culturelle franco-allemande bien connue
et je l’avais regardé, mi-sceptique et mi-amusé, entre agacement et fascination.
La dite vidéo a rapidement été supprimée en raison d’une réclamation de Nico Werner d’Oxbow pour atteinte à la propriété artistique. Tant
pis pour les pirates… Cependant la récente publication sur disque du concert (i.e. l’objet de la présente chronique) est une bonne chose, ne serait-ce que pour pouvoir (ré)écouter
sereinement cette musique sans avoir à supporter les images d’un public de
jazzophiles concentrés et assis.
An Eternal Reminder Of Not Today - Live at Moers ne présente aucun inédit
mais des nouvelles versions de compositions d’Oxbow, piochant dans
presque toute la discographie du groupe, exception faite du génial Let Me Be
A Woman de 1995, ce que je ne pourrais que regretter, et de The Narcotic
Story (2007), ce que je regrette déjà beaucoup moins : The Valley
est tiré du premier album Fuck Fest (1989), Angel et Cat And
Mouse sont extraits de King Of Jews (1991), Over de Serenade
In Red (1996), Skin de An Evil Heat (2002) et malheureusement
Thin Black Duke est représenté par trois titres : A Gentleman’s
Gentleman, Host et The Finished Line. Mais je ne devrais pas
écrire « malheureusement » parce que ces trois compositions sont celles qui
ressortent le mieux du traitement à la moulinette freeturée made in Brötzmann,
peut-être parce que les versions initiales de 2017 étaient décevantes. En
particulier A Gentleman’s Gentleman est très enlevé (malgré des foutues
parties de piano !) et rassure sur le fait que An Eternal Reminder Of Not
Today ne sera pas entièrement dédié aux tempos lents ou mediums. Quant à The
Finished Line il s’agit du meilleur titre du disque.
Et le reste alors ? Difficile de ne pas ressentir un fort sentiment de
frustration. Tout est bien en place, tout est parfaitement joué et souvent même
des fois un peu trop (les glissandos de Dan Adams sur le manche de sa basse
fretless m’insupportent). An Eternal Reminder Of Not Today est un disque
confortable à l’artificialité convenue mais plaisante. Et tout le génie de
Peter Brötzmann n’y peut rien. Je ne vais pas repartir sur le même refrain,
dire qu’Oxbow c’était mieux avant, que le groupe n’a plus rien de
dangereux, de méchant, de malsain et de saignant parce qu’après tout c’est bien
ce que la bande à Eugene Robinson et Nico Wenner souhaite faire depuis quelques
années : du rock de salon, habillés en costards, dépravés avec soin, et que ce
qu’ils font, ils le font bien. Juste que cela ne m’intéresse plus du tout. J’ai
toujours pensé qu’il fallait que je me méfie d’un groupe très électrique à partir du moment où
il commençait à faire des versions acoustiques de ses compositions, exercice qu’Oxbow a pratiqué dès les années 2000. Et comme je
suis particulièrement prétentieux, je ne peux qu’affirmer avoir eu raison. J’espère aussi que la prochaine étape ne sera pas avec orchestre philharmonique et chorale de jouvenceaux prépubères.
[An Eternal Reminder Of Not Today - Live At Moers est publié en double
vinyle (il y a une version rouge pour les addicts) et en CD par Trost records, maison dont la succursale Cien Fuegos réédite un par un tous
les enregistrements historiques de Peter Brötzmann mais aussi nombre de ceux de
ses camarades musiciens et amis, de Han Bennink à Sven-Ake Johansson (etc.),
des disques que je ne saurais que trop conseiller]
mardi 25 octobre 2022
Fantôme Josépha + Sida @Grrrnd Zero [21/10/2022]
Grosse surprise
du mois avec SIDA de retour
après des années de silence et d’inactivité – chacun des membres du groupe s’étant consacré à ses propres projets – pour un concert tendu, sec et méchant à
faire trembler Grrrnd Zero et face à
un public qui en a même redemandé. Le grand écart par rapport à Fantôme Josépha qui a joué en
premier et dans un tout autre registre, bien plus calme et onirique.
mercredi 12 octobre 2022
[chronique express] Sinking Suns : Dark Days
Comme les SINKING SUNS sont des joyeux drilles
ils ont décidé d’intituler leur nouveau disque Dark Days : question
optimisme forcené, joie de vivre et soupe de nouilles lyophilisée cela ne se
pose pas vraiment là. Mais, plus sérieusement, qui pourra leur donner
tort ? Pas moi, en tous les cas, car musicalement le constat est le même et
il sera difficile de contredire un groupe qui plonge tête baissée dans les eaux
boueuses, sombres et malsaines héritées de ce que l’underground US des 80’s et 90’s
a engendré de meilleur : le troisième album de ces petits gars du
Wisconsin perpétue la longue tradition d’un noise-rock toujours puissant mais mélodique
et plus d’une fois on pensera aux grands Hammerhead avec, de temps à autre, un
je ne sais quoi de swamp californien (notamment certaines parties de guitare qui
n’auraient pas été reniées par un East Bay Ray). Là où Bad Vibes (sorti
en 2018 et encore un titre d’album top shinny) se montrait presque élégant et
racé dans sa colère, Dark Days
n’y va pas par quatre chemins, se montre particulièrement intraitable et se
révèle être le meilleur disque à ce jour de Sinking Suns grâce à son côté plus sale, plus terrien et plus
charbonneux. Ce qui n’exclut pas quelques nuances – Asleep by the Fire et sa
séquelle The Invisible Sun,
assurément le duo gagnant du disque, option hit-parade – d’autant plus que le
bassiste/chanteur Dennis Ponozzo s’est une nouvelle fois collé à
l’enregistrement et que ce type s’y connait comme personne pour faire sonner
son propre groupe. Rien de tel qu’une rasade de noirceur viscérale fortement
dosée pour faire mon bonheur.
mercredi 21 septembre 2022
Dandaure : Rude Nada
Attention : grand
disque. Musiciens d’exception. Frissons garantis. Bonheur absolu.
DANDAURE est un quartet découvert grâce à Franck Gaffer. D’abord
avec un premier EP publié en cassette sur son défunt label en 2018 puis lors de
la dixième et dernière édition du Gaffer Fest, en septembre 2019. Un split en compagnie de Chamane Chômeur plus tard, les quatre
musiciens sont enfin de retour avec un premier album enregistré en décembre
2019 et intitulé Rude Nada. Il aura
fallu bien plus d’une année pour que deux des membres du groupe – en
l’occurrence Billy Guidoni (batterie) et Fabrizio Bozzi Fenu (guitare) – se
retrouvent et procèdent au mix puis au mastering de l’album. Un travail au long
cours, les temps sont difficiles pour les musiciens, spécialement pour les plus
pointus d’entre eux.
Mais faisons les présentations. Billy a joué dans Costa Fatal (actuellement en
hibernation plus que prolongée…) et joue toujours – du moins je l’espère – avec
les excellents Emwewme ; il participe à Bruits Confus,
émission musicale incontournable et inclassable, tous les quinze jours sur
Radio Grenouille à Marseille. Le bassiste Krim Bouslama est un vieux complice
puisqu’il est l’autre moitié du duo Costa Fatal et fait aussi partie de
l’équipe Bruits Confus. Par contre je ferai moins le malin en ce qui concerne
les deux guitaristes de Dandaure.
Fabio Cerina a joué dans énormément de groupes dont seul Uncle Faust me dit
vaguement quelque chose. Quant à Fabrizio Fenu, c’est l’inconnu total mais il
semblerait qu’il est très investi dans les musiques improvisées non
idiomatiques. Petit détail géographique, Cerina comme Fenu sont Sardes alors que Bouslama et Guidoni viennent de Marseille.
Rude Nada. Que, selon quelques vagues
et médiocres souvenirs de mes cours d’Espagnol au lycée, je traduirai par
« rien de grossier ». Rien de présomptueux non plus dans ce titre.
S’il faut opposer simplisme, balourdise, vulgarité et inélégance à finesse, distinction
et exigence alors les quatre musiciens ont parfaitement eu raison de choisir un
tel nom d’album. Parce qu’il définit parfaitement leur musique, son inventivité
permanente, sa richesse et sa profondeur, son esprit aventureux.
Résumer un disque aussi court – beaucoup trop court diront peut-être certain·es
– est cependant difficile. Dandaure se présente comme une
formation aux horizons multiples, fouinant dans le bruitisme des guitares,
alliant blues déconstruit et abstrait, taquinant la freeture, frôlant les excès
de la no-wave, aimant les dissonances, les suites d’accords bizarres, les
mesures avec des chiffres à virgule (je sais que cela n’existe pas mais tu
comprends le principe, non ?), le psychédélisme voyageur, les paysages désertiques... et le groupe d’inventer,
semble-t-il spontanément ou en tous les cas d’une manière qui sonne spontanée
et sans entraves ni travail d’écriture formelle en amont, une musique rayonnant d’intelligence.
Beaucoup d’intelligence, même. Mais rien non plus de maniéré, d’orgueilleux ou
de vaniteux : Dandaure, bien qu’étant composé de musiciens aguerris, imaginatifs, sans peur et sans
reproches, n’est pas un groupe élitiste et cérébral s’adressant à un parterre
de connaisseurs ne jouissant de la musique qu’avec leur tête. Au contraire, si Dandaure est un groupe ambitieux c’est
avant tout par générosité et par sensibilité. Son free noise – appellation du
coup un peu courte sur pattes mais bien pratique – est aussi alambiqué et
exigeant que lisible, aussi abrupt qu’altruiste, aussi réfléchi que bouillonnant
et incandescent, exploratoire mais jamais en vain, épidermique et parfois
hallucinatoire, mutant mais limpide et lumineux. Avec en ligne de mire cette
volonté authentique de nous prendre par la main, de nous
embrasser, nous enflammer, nous enlever, la tête qui tourne et le cœur qui s’emballe, qui s'apaise, plus
loin, plus fort. Tout sourire.
[Rude Nada est publié en CD
uniquement – pour l’instant ? – par Araki records ; son
artwork est signé Federico Orrù et je l’aime beaucoup, dommage que l’on ne puisse pas l’admirer sur
une pochette de disque vinyle]
lundi 12 septembre 2022
[Chronique express] Chat Pile : God's Country
C’est peut dire que
j’attendais le deuxième LP de CHAT PILE
avec impatience. Le premier
était une compilation de deux EP mais se tenait parfaitement de bout en bout,
au point d’être l’un de mes disques préférés de l’année 2020. La suite est
encore meilleure et un peu différente. Massif, monolithique, caréné
à la crasse, laissant moins libre cours au désordre suintant qui hantait les
disques précédents, moins organique, définitivement psychopathe et vicieux mais
surtout désespérant, cérébral et anxiogène comme jamais, God’s Country fait tout pour nous enlever toute joie de vivre. Il n’est pas très
aisé de rentrer complètement dedans, inconditionnellement, sans y laisser
quelques points de vie. Mais une fois que l’on y est, on ne veut plus en
ressortir, alors tant mieux s’il ne s’agit pas d’un disque facile ou immédiat. Plus
métallique, plus industrielle et (un peu) moins noise rock, la musique de Chat Pile se mérite donc toujours
plus – on aime ou on déteste. Ici on adore complètement et définitivement. Avec
une légère restriction : Grimace
Smoking Weed, dernier titre de l’album, un chouïa laborieux parce que trop
volontairement torturé du haut de ses neuf minutes – les gars, on avait déjà
compris que vous souffrez et que vous tenez absolument à ce que l’on souffre
avec vous. Mais pour le reste c’est du tout bon (Anywhere, à la fois visqueux et urticant), voire de l’exceptionnel
(Wicked Puppet Dance, brûlot incontestable).
Avec God’s Country Chat Pile réédite l’exploit de publier l’un des disques majeurs et
incontournables de l’année et confirme qu’il est bien ce grand groupe sur
lequel il va falloir compter.
vendredi 5 août 2022
Schleu : Lying In The Wrong Coffin
Le monde, les autres,
l’avenir, la beauté, tout ça : essayons de sauver le monde, juste pour rire et juste avant de vomir. Une
conversation nocturne absurde et alcoolisée qui a fini par tourner en rond –
quoi faire ? – et qui s’est fatalement terminée dans la pure débilité.
Une question comme un défi, au lieu d’aller enfin dormir. Lorsque tu m’as
demandé quel super-héros sauveur de l’univers (rires) j’aimerais être et quel
super pouvoir/force rouge-bleue-verte-jaune j’aimerais posséder, je n’ai pas hésité.
Tu connais Scanners,
le film de Cronenberg ? J’aimerais être comme ça, avoir le pouvoir de
faire exploser la tête de mes congénères rien que par la pensée et réduire en
bouillie tous les crânes, liquéfier toutes les cervelles des personnes que je
déteste et je crois que ça en ferait un paquet. Mais ce n’est qu’une vue de
l’esprit, une pauvre Chimère qui en plus ne crache même pas de flammes. Les
super pouvoirs cela n’existe pas (à part le pouvoir de nuisance et de
destruction du capitalisme triomphant et mondialisé), les super-héros sont en
plastique non biodégradable et vendus dans les rayons jouets des hypermarchés, Scanners n’est qu’un film, certes
excellent, et moi je me retrouve comme un imbécile avec mes rêves ultimes d’annihilation
humaine. Mais j’ai trouvé une solution de rechange : je vais te faire écouter Lying In The
Wrong Coffin, le premier album de Schleu.
SCHLEU est un groupe basé à Lyon et formé par des musiciens
d’horizons assez différents. Le guitariste a joué ou joue encore dans Torticoli
et Tombouctou, le bassiste vient de Garmonbozia et de Süryabonali, le batteur
tape ou tapait dans Burne, Plèvre et Neige Morte et la chanteuse était
auparavant dans Le Death To Mankind. Tout ça nous donne une guitare roublarde
et vicieuse, volontiers stridente et souvent malaisante, une basse élastique et
transformiste, une batterie qui pilonne impitoyablement mais non dénuée d’un
groove certain et un chant… non, le chant on en parlera un peu plus loin, il le
mérite. Lying In The Wrong Coffin présente
un mélange d’autant plus fracassant qu’il tient étonnamment bien la route et
négocie parfaitement les virages en zig-zag et autre têtes d’épingle. Un gros
parpaing de fureur corrosive, d’acidité et de violence. De méchanceté, même. On
pense à quelques trucs datant d’une époque depuis longtemps révolue, lorsqu’un label
comme Skingraft sortait à la pelle des disques tous plus fous les uns que les
autres (le début de Zucchini Kills
rappellera immanquablement les grandes heures de Melt-Banana, Arab On Radar est
un autre nom qui reviendra souvent à l’esprit). Mais comparaison n’est pas
raison – déraison ?
Dans le grand chaudron de Schleu on
trouvera donc pêle-mêle de la no-wave, du rock régressif, quelques fuites de
jazz, de l’agilité arachnide, du poison violent, des bouts de technicité métallique
corrompue… Une grosse salade de bruits mais rien de classiquement noise-rock,
d’ailleurs je pense que les membres du groupe s’en défendraient totalement :
ils prennent un tel plaisir à nous mener en bateau, multipliant les plans, les
idées, entrechoquant leurs envies de bordel et de déflagration, alignant sans
aucune pitié crescendos assassins et tabassage de crânes, le tout entrecoupé de
moments plus calmes mais qui ne durent jamais (tu voulais un peu de répit ?
tu espérais qu’on allait te foutre la paix ? perdu !). Schleu allie fureur incisive et démence
généralisée avec un sens de la précision et une efficacité redoutable, Lying In The Wrong Coffin semble avoir
principalement été conçu dans l’optique de ne jamais laisser indifférent,
quitte à prendre le risque de devenir détestable.
Reste le chant. Et la voix. Hors de question pour cette chanteuse survoltée et un
brin allumée de faire de la figuration, de n’être qu’un prétexte pour une
musique déjà complètement folle. Le chant ne s’arrête jamais, littéralement, il
envahit tout Lying In The Wrong Coffin
et domine infatigablement la musique de Schleu.
Une déferlante de mots, encore des mots et toujours des mots, éructés, écorchés, crachés,
hurlés, feulés, persifflés, miaulés sans relâche. Pas de repos pour les larves.
Jusqu’à épuisement (le notre, bien sûr) et sans que l’on ait la possibilité de
demander grâce, supplier que le déluge s’arrête enfin. Mais elle ne lâche rien,
odieuse, névrotique, sans la moindre trace d’empathie, jouant elle aussi
dangereusement avec la détestation, pouvant nous pousser à bout car elle est là
pour faire chier : on n’a plus qu’à la fermer, c’est elle la chanteuse et
ses textes déversent inlassablement des histoires de vessie et de pisse, de
courgette, de trous, de cicatrices, de plaies, d’aiguilles, de porcs,
d’hypocrisie, de connerie.
On sort de là complètement lessivé, sans avoir exactement
compris tout ce qui venait de nous arriver. On vient d’en prendre plein la
gueule, plein pour notre grade, on le sait et parler d’inconfort serait encore
trop positif. Mais on est d’accord.
[Lying In The Wrong Coffin est publié en vinyle par Cheap
Satanism records, Degelite, L’Etourneur, L’Hygiène Sonore, Jarane, Pied De Biche, Poutch Militaire, Prix Libre record
et Rockerill records]
dimanche 19 juin 2022
[chronique express] Prayer Group : Michael Dose
Ça fait beaucoup
trop longtemps que cette gazette internet de bas étage n’a pas parlé de ce pour
quoi elle a au départ été principalement conçue : noise-rock mon Amour
j’écris ton nom. Et les quatre PRAYER
GROUP, puisque c’est d’eux dont il s’agit, pratiquent le genre à la
perfection, réveillant une nouvelle fois et de plus belle mes bas instincts
d’éternel adolescent frustré et de vieux noiseux rétrograde (tout ça dans un
seul et même corps, oui). Rien que l’écoute de World Of Mirror / World Of Mind (pile-poil à la fin de la face A du
disque, moment stratégique s’il en est) me fait transpirer du bulbe rachidien
et me lance des frissons incommensurablement douloureux de plaisir dans la
colonne vertébrale pendant des jours entiers. Ces garçons de Richmond /
Virginie reprennent plus que dignement à leur compte toutes les règles
inamovibles du noise-rock des 90’s – cela ne t’étonnera donc pas d’apprendre
que les lignes de basse sont incroyablement monstrueuses – et poussent le
bouchon plus loin que la moyenne, notamment grâce à un chant de malade et à des
parties de guitare qui elles assurent le côté affiné, tannique et vicieux d’un
disque de très haut niveau. La première face de Michael Dose est déjà incroyable
mais que dire de la seconde si ce n’est qu’elle est… insurpassable ? Niveau
de composition très largement supérieur, énergie écrasante, électricité carnassière
et grésillante : le résultat est tout simplement parfait.
ps : Michael Dose est publié chez Reptilian records, label
chéri-chéri qui a également eu la bonne idée d’éditer en vinyle l’album Rule 38 d’Intercourse, un enregistrement
en son temps particulièrement plébiscité par la rédaction d’Instant Bullshit
vendredi 17 juin 2022
Tunic + Irnini Mons @Sonic [11/06/2022]
On ne peut pas
vraiment dire que ce concert de TUNIC a rameuté les foules et c’est bien
dommage parce que des groupes de cette trempe on n’en voit pas tous les jours.
Le trio canadien qui pratique une musique incandescente, acérée et
viscérale a définitivement conquis mon petit cœur de pierre glacé par une
existence morne et misérable. Tout en me rappelant une époque pas si lointaine que cela où
des groupes de noise-rock, on pouvait en découvrir beaucoup plus régulièrement
en concert... Mais les temps changent alors que moi, non (et d’ailleurs je m’y
refuse). Les filles et les garçons d’Irnini Mons ont joué en
première partie, dans un tout autre registre, beaucoup plus pop et sophistiqué,
mais pas moins intéressant*.