Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

mercredi 31 mars 2021

[chronique express] Cuir / Album


 


Le synth-punk aussi est à la mode, non ? Le… le quoi ? Ben tu sais bien : le synth-punk… cet énième sous-genre vaguement affilié au post-punk et qu’il est tellement chic d’écouter entre personnes toujours sûres d’elles-mêmes et désireuses de briller en petite société. Ce qui me plait le plus chez Doug, unique (gros) membre de CUIR, c’est au contraire son absence totale et parfaitement assumée de bon goût et le fait que de sa musique on ne retienne principalement que le mot punk. Il y a bien sûr et même beaucoup de synthétiseur sur Album mais il y a aussi et surtout une guitare qui débite salement, du chant qui vomit des histoires de dégout des autres et de dégoût de soi et une boite-à-rythmes monomaniaque qui sert de garde-fou / caniveau. A peine moins immature et à peine moins irrévérencieux que son prédécesseur Single Demo, le premier véritable album de CUIR est tout sauf un plaisir coupable. Mais ce n’est pas non plus un prétexte à la pignole ni de la musique de bourgeois. Si tu n’as rien compris c’est peut-être bien parce que ce disque n’est pas pour toi.

 

 

lundi 29 mars 2021

72 % - Modern Technology / Drowning In A Sea Of Bastards b/w Lorn


La bonne surprise du moment. Evidemment on peut écouter et se procurer ce très (très) beau 7’ uniquement sur la foi de la participation de Modern Technology mais comme pour tout split qui se respecte la découverte est également au rendez-vous. Et la découverte dont il est ici question s’appelle 72% – cela se prononce Seventy-Two Percent – soit un trio originaire de Northampton. Putain d’anglais aurais-je envie de dire mais la vulgarité ce n’est pas du tout mon genre, hein.






72% c’est deux guitaristes – Joshua Ryan et Joe Brown – et un batteur – Joel Harries – qui pratiquent un noise-rock évolutif, essentiellement instrumental, bien foutu, parcimonieusement mâtiné de cailloux progressifs et collant comme il faut malgré l’extrême rareté du chant. Mais parfois le groupe se laisse aller à un peu de beuglante, ce qui est le cas sur Drowning In A Sea Of Bastards dont le titre facilement traduisible a déjà l’immense avantage de nous faire part immédiatement de toute la colère et de tout le dégout de 72%. Et comme cela ne devait pas suffire quelques salves postillonnées sont également au rendez-vous. C’est donc à la version frénétique, bruyante et chantée hurlée du groupe à laquelle nous avons droit et Drowning In A Sea Of Bastards justifie à lui tout seul que l’on s’intéresse à ce disque. On peut également jeter son dévolu sur How Is This Going To Make It Any Better ? mis en boite en 2019 par Wayne Adams (encore et toujours), un enregistrement de 72% plus nuancé et plus délié, permettant d’écouter des compositions architecturées mais toujours courtes – ce qui est un gage d’absence d’ennui – et dont il faudra attendre la dernière pour trouver du chant…







On retourne le disque et là on tombe nez à nez avec Lorn, un titre de six minutes de MODERN TECHNOLOGY. Dans la foulée et dans la continuité de l’album Service Provider cette composition inédite du duo est terriblement sombre et incroyablement oppressante. Un titre qui allie lourdeur visqueuse, gravité, martèlements à froid et chant funeste. Mais toujours avec cette optique engagée et humaniste propre à Chris Clarke (basse et voix) et Owen Gildersleeve (batterie). Je suis à chaque fois stupéfait de constater que malgré son line-up allégé – deux personnes et c’est tout – Modern Technology génère une musique aussi dense, aussi massive et aussi profonde. Tout y est… Lorn est pour l’instant ce que le duo a enregistré de mieux, y compris dans le sentiment de frustration que l’on ressent à la fin de son écoute : la claque est d’autant plus forte que ces six minutes passent à la vitesse de l’éclair (un comble pour une composition aussi lente) et qu’une fois achevé – non sans nous avoir infligé un final d’une lourdeur particulièrement étouffante mais doté d’un groove infernal et d’une batterie très tribale – Lorn laisse soudain la place à un grand vide. Comme une sensation de vertige persistant, mais sans pouvoir tomber. Vivement le prochain album !


[Drowning In A Sea Of Bastards b/w Lorn est publié en vinyle de couleur gris / fumée et tourne en 33 tours – comme d’habitude avec le label Human Worth les bénéfices tirés des ventes du disque seront reversés à des organisations caritatives]

 

 

 

vendredi 26 mars 2021

Louis Jucker & Coilguns / Play Kråkeslottet & Other Songs From The Northern Shores



Ce disque retranscrit une expérience très intéressante : la réinterprétation par COILGUNS, un groupe (disons) très électrique, de certaines compositions solo de son chanteur LOUIS JUCKER. Lorsqu’on connait un peu la musique de ce dernier et lorsqu’on connait le déchainement dont il est également capable au sein de ces mêmes Coilguns il y a quand même de quoi être très intrigué. Mais je ne vais pas trop perdre de temps non plus à faire les présentations… juste : au risque de froisser la modestie de cette bande de jeunes gens j’affirmerais que Coilguns est l’un des tout meilleurs groupes actuels de hardcore noise métallisé (etc.) de l’hémisphère nord, du moins c’est l’un de mes préférés dans le genre. Voilà. Est-ce que tu la sens mon « objectivité » poindre le bout de son nez à la lecture de cette chronique ?






Comme pour tromper tout le monde Louis Jucker & Coilguns Play Kråkeslottet & Other Songs From The Northern Shores démarre par un We Will Touch Down – initialement enregistré pour l’EP Some Of The Missing Ones paru en 2015 – doté d’une intro presque bluesy et somme toute globalement assez calme. Il n’y a presque pas de batterie sur ce titre, les guitares sont bien présentes mais jamais tonitruantes et surtout le chant de Louis Jucker est bien plus grave et bien plus posé que lorsqu’il est tout seul (et il ne se met pas à brailler non plus comme avec les Coilguns). Seagazer, l’une des meilleures compositions tirées de Kråkeslottet, débarque tout de suite après et la machine se met alors davantage en branle, comme prise de gros frissons. Mais on reste toujours éloigné du chaos viscéral et habituel du groupe, malgré la tension qui monte au fur et à mesure du titre et la partie finale de guitare très noisy.

Sur Play Kråkeslottet Coilguns se révèle pleinement en tant que formation classique de rock (oui), avec un caractère épais et robuste, soucieuse de donner le meilleur d’elle-même et d’œuvrer au service de
s compositions plutôt que de tout exploser sur son passage – tu me diras : les deux n’étaient pas forcément incompatibles. On sent un réel investissement de la part de Jona Nido (guitare), Donatien Thiévent (synthétiseur, basse et voix) et Luc Hess (batterie), les trois musiciens s’appropriant la musique de Louis Jucker comme la leur. Cela peut donner des titres très enlevés tels que The Stream et le plus sombre Back From The Mine ou d’autres bien touffus comme A Simple Song et The Woman Of The Dunes. Play Kråkeslottet concrétise aussi et d’une façon différente les talents de chanteur de Louis Jucker, souvent un peu crooner poppy-destroy, plus rarement un peu funambule (Storage Tricks et surtout Merry Dancers, magnifique composition retrouvant tout le côté intimiste et poétique de sa musique).
J’avoue que j’ai un peu triché en écrivant tout cela parce que je savais déjà à quoi m’attendre, ayant assisté en février 2019 à un concert de Louis Jucker & Coilguns. Un vrai beau souvenir – non, je ne ferai aucune remarque à ce sujet et en rapport avec la crise sanitaire actuelle et les restrictions qui en découlent, tout ceci est beaucoup trop désespérant – mais, honnêtement, la découverte et l’écoute de Play Kråkeslottet ont également été un grand moment. Même si les notes au dos de la pochette précisent que tout a strictement été enregistré tel que joué lors des concerts, sans arrangements supplémentaires effectués en studio : cela ne m’a pas empêché d’être surpris…

Et puis… je sais bien que ni le chanteur ni le groupe ne font exactement deux fois la même chose, de la même façon (mais c’est aussi pour cette raison qu’on les apprécie) pourtant j’aimerais bien ou plutôt je rêverais qu’un jour tout ce beau monde remette ça et donne une suite à ce formidable Louis Jucker & Coilguns Play Kråkeslottet.  Et refasse des concerts sous cette forme, évidemment. Merci.


[Louis Jucker & Coilguns Play Kråkeslottet & Other Songs From The Northern Shores est publié en vinyle rouge membrane par Hummus records]

 

 

 

 

jeudi 25 mars 2021

Louis Jucker / Something Went Wrong


 


 

Lorsque j’écoute un album solo de LOUIS JUCKER je m’imagine toujours la drôle de tête que va faire celle ou celui découvrant pour la première fois la musique du chanteur / guitariste de Coilguns. Mais ne soyons pas intolérants ni obtus et d’ailleurs je ne le suis pas – enfin, pas tout le temps non plus. Bref... il n’y a strictement aucun rapport entre ce que fait le groupe suisse de hardcore noise et ce que fait Louis tout seul. Mais c’est tant mieux, non ?
Pour ma part j’en étais resté à Kråkeslottet, son gros os de baleine, la Norvège, le cercle arctique et les compositions intimistes du jeune homme. Et l’envie d’en entendre bien davantage. Kråkeslottet est un disque très court, presque un instantané. Something Went Wrong a beaucoup plus de quoi combler mon appétit avec ses trente cinq minutes. Mais au fond rien de change. Ce nouvel album possède la même fragilité – disons plutôt le même caractère ténu et aérien – et la même grâce diaphane que son prédécesseur. Et beaucoup plus de lumière. Enregistré au cours du mois d’aout 2018, encore une fois en solitaire ou presque, à l’aide d’un huit-pistes et avec une instrumentation souvent très sommaire, Something Went Wrong peut être appréhendé comme une sorte de journal intime. La première chanson intitulée 31 Years Of Waiting For This évoque d’ailleurs directement l’âge du chanteur au moment de l’enregistrement. On est donc en plein dedans. Comme lorsqu’on regarde le portrait de Louis Jucker sur la pochette du disque. Une photo prise par Augustin Rebetez qui signe également la série des beaux polaroids qui illustrent l’épais livret joint au disque. Les yeux fermés. Après tout, lorsque on se décide à s’ouvrir autant et à livrer beaucoup de soi au travers de sa musique il n’y a sans doute pas d’autre solution que celle là.
Fermer les yeux c’est aussi et surtout ce que l’on est invité à faire en écoutant Something Went Wrong. Un disque dont le caractère intérieur et profond n’est pas altéré par le titre pourtant pessimiste voire négatif du disque. J’ai cherché un début d’explication à un tel titre dans les paroles des chansons et les notes du livret mais je ne l’ai pas vraiment trouvée… En fait je ne vois que celle, assez commune pour tout dire, d’une vie qui n’apporte jamais tout ce que l’on pense pouvoir attendre d’elle, si on se laisse aller (le tout étant de s’en rendre compte). Crise de la trentaine ou pas pour Louis Jucker je n’en sais rien mais Something Went Wrong semble déborder de questionnements existentiels.
Enregistré à la maison, c’est-à-dire dans un chalet des montagnes suisses et non pas en voyage/itinérance et dans un pays lointain, voilà un album qui assemble tout doucement les pièces d’un repli introspectif, pas forcément évident mais nécessaire et inévitable pour son auteur – peut-être est-ce pour cette raison qu’autant de temps a passé entre l’enregistrement et la publication définitive du disque. Voix souvent haut perchée et même quelques fois presque fluette, instrumentations à minima et rarement électriques (une boite-à-rythmes discrète et de la guitare sur
31 Years Of Waiting For This, le caractère plus rock de The Dam et c’est à peu près tout), quelques traces de field recordings parfois (I Hate To Hurt The Hearts I Eat), expérimentations sonores délicates, hasards heureux d’un enregistrement soigneusement lo-fi : Something Went Wrong n’a rien d’un disque neurasthénique et d’abattement. Au contraire j’y vois comme une nouvelle étape poétique pour Louis Jucker et une source de chaleur, douce mais persistante… Then live before I die / Using this time / Leave it all behind / All that’s left.


[Something Went Wrong est publié en vinyle transparent par Hummus records – il est également en téléchargement à prix conseillé sur le site du label] 

 

 

mardi 23 mars 2021

USA / Mexico - Del Rio




 

 

Après Laredo en 2017 puis Matamoros en 2019, USA / MEXICO continue le tour des villes frontalières entre son Texas natal et le Mexique. Le voyage n’est pas des plus logiques ni des plus reposants, le groupe semblant se moquer de faire des allers-et-retours le long d’une ligne de démarcation faite de plusieurs centaines de kilomètres, de murs en béton et de fils barbelés entre le répit – à défaut de salut – économique d’un pays surdéveloppé et vampirique et la misère d’une Amérique Latine toujours aussi chaotique et trop difficile à survivre. Cette fois-ci nous nous retrouvons donc du côté de Del Rio, petite ville située à peu près à mi-parcours de la frontière, un endroit d’apparence paisible et une vraie carte postale pour touristes.
Je m’arrêterai là pour ce qui est des aspects les plus agréables et les plus acceptables de cette chronique. Qu’est ce que j’avais écrit déjà à propos de Matamoros ? Que USA / Mexico allait toujours plus loin dans l’essorage à sensations au point d’engendrer la musique la plus vomitive qui soit de toutes ces dernières années ? Et bien j’avais tort. Bien que sur le moment je ne pouvais pas le savoir, tout simplement parce qu’alors c’était vrai. Toujours sous le haut commandement d’un Craig Clouse plus génialement psycho que jamais et toujours avec Nate Cross de When Dinosaurs Ruled The Earth à la basse et de King Coffey des légendaires Butthole Surfers à la batterie, le trio s’est  pour cette fois enrichi d’un invité (désormais permanent ?) pour l’enregistrement de son troisième album. Un certain Colby Brinkman tient le micro sur Del Rio et il suffit d’écouter les premières démos de son propre groupe Taverner pour comprendre à quel genre de bonhomme on a affaire. Sauf que là aussi on sera en dessous de la vérité.

Qu’est ce qu’il y a de pire lorsqu’on fait un cauchemar ? La sensation emprisonnante et empoisonnante d’absurdité totale ou celle, angoissante, de la violence subie et de l’horreur qu'il nous en reste au moment du réveil ? Del Rio est un vrai cauchemar. Et on a surtout l’impression que tout réveil est, précisément, impossible. En ouverture du disque, les quatre minutes de Chorizo ne sont donc qu’un leurre. On y entend une musique plus déformée que jamais, vortex bruitiste mais encore à peu près reconnaissable bien que l’on puisse avoir du mal à croire que les bandes (ou les cartes mémoires d’une machine) utilisées n’ont pas été trafiquées ni plongées dans un bain d’acide pour en altérer irrémédiablement l’empreinte électrique. Le principal mérite, si je puis dire, de Chorizo est donc de nous donner un aperçu de la nature sonore complètement déviante de Del Rio. Voilà, maintenant tu es prévenu, semblent nous dire les quatre USA / Mexico. Et on aurait sûrement à ce moment là préféré déchiffrer sur le visage de cette hydre musicale un rictus certes effroyable mais néanmoins identifiable.
Soft Taco et Del Rio (respectivement d’une durée de 13 et de 16 minutes) sont les deux gros morceaux de l’album. Deux longs moments éternisés et où plus rien n’existe. Que reconnaitre, quoi comprendre et quoi ressentir face à un tel magma sonore putrescent ? Oh, bien sûr, pour satisfaire les cartographes et les infectiologues on pourrait sortir des formules descriptives telles que « ultra doom bruitiste en phase de décomposition terminale » ou « acharnement psycho-cinétique au dessus d’un gouffre abyssal », des mots qui ne pourront pas signifier plus de choses que la satisfaction de celui ou de celle qui les aura trouvés et prononcés. Mais USA / Mexico s’en fout complètement de notre satisfaction. Cela me fait penser à ce passage d’un bouquin où le narrateur à la fois complètement horrifié, dégouté, hypnotisé et attiré par le « monstre » auquel il est confronté n’a pas d’autre solution que celle de recourir à l’indicible, acceptant en même temps son impuissance à raconter ce qu’il est en train de vivre et surtout le vide terrifiant de tout ce qui n'admet pas de mots, par delà l’idée d’exister et l’idée de mort… Et effectivement, plus nihiliste et plus jusqu’au-boutiste que Del Rio, tu meurs.



[Del Rio est publié en vinyle couleur vomi de tapas avariées par Riot Season – gloire éternelle à son boss Andy Smith, l’homme grâce à qui nous pouvons écouter ce disque tant qu’il en est encore temps]

 

 

dimanche 21 mars 2021

Comme à la radio : Leadbelly (et le label Night records)



(tout le monde connait Leadbelly, même toi)


Allons-y pour les tartes à la crème. En 1994, DGC records, désireux de presser un peu plus le citron du cadavre encore fumant de Kurt Cobain et de capitaliser une nouvelle fois sur la gloire définitivement posthume du chanteur suicidé, a publié le très aseptisé MTV Unplugged In New York. Ne soyons toutefois pas trop méchant. Ce live débranché – ceci est un oxymore – et télévisuel de Nirvana comporte quelques surprises. Dont une magnifique interprétation de la chanson Where Did You Sleep Last Night ? à l’origine chantée par Leadbelly.


Il serait juste de préciser que Kurt Cobain a en fait piqué l’idée de cette reprise à son très cher ami Mark Lanegan qui avait inclus Where Did You Sleep Last Night ? sur son premier album solo The Winding Sheet (paru 1990 chez Sub Pop). Sur la version Lanegan un certain Krist Novoselić joue les parties de basse tandis qu’un certain Kurt Cobain s’occupe de la guitare… Si tu ne connais pas cet enregistrement je t’enjoins à te jeter dessus : l’interprétation pleine de force et de rugosité que donnent Mark Lanegan et son backing band d’un jour de ce standard du blues folk américain mérite amplement le détour.






Né Huddie William Ledbetter en Louisiane aux alentours des années 1890 (on n’est pas absolument certain de la date exacte), Leadbelly est une véritable légende. Sa vie tumultueuse pourrait à tort être uniquement résumée par une suite de clichés folkloriques – du point de vue de l’homme blanc et dominant – mais malheureusement elle ne fait que trop bien décrire la triste réalité d’un noir dans les Etats Unis ségrégationnistes de la fin du 19ème siècle et début du 20ème : issu d’une famille pauvre, élevé du côté du Texas, ouvrier parfois, musicien toujours, grande gueule, bagarreur, ayant fait de la prison – y compris pour tentative de meurtre – Leadbelly ne connaitra jamais réellement le succès. Son jeu à la guitare douze cordes est très spécifique et aura une influence inestimable (fin de la distribution de tartes à la crème).

Le label Night records vient précisément de publier Easy Rider, une belle anthologie consacrée à Leadbelly et je te rassure tout de suite, Where Did You Sleep Last Night ? fait bien partie du tracklisting :

 

 


Easy Rider est la dixième référence publiée par Night records depuis 2017. Le label, affilié a Replica records, est né de l’association de La Face Cachée – Specific recordings, c’est aussi eux – avec Jean Luc Navette dans le rôle de directeur artistique et d’illustrateur en chef.
Evidemment la première parution du label était consacrée à Robert Johnson – l’homme de la musique du Diable – mais il ne faudrait pas s’arrêter en si bon chemin et vraiment prendre le temps d’écouter tous les autres disques édités par Night records. Un excellent moyen de (re)découvrir des musiciennes et des musiciens dont les œuvres sont aussi essentielles que fondatrices de la musique populaire nord-américaine et même de ce cher bon vieux rock’n’roll (alors encore loin d’être né et pas tout à fait une musique blanche, donc).

Signalons tout d’abord Walking Blues consacré au terrible bluesman Son House et publié en même temps que Easy Rider en février dernier. Une vraie découverte en ce qui me concerne. Quelques noms connus figurent logiquement au programme (Devil Got My Woman de Skip James ou Bad Luck Blues de Blind Lemon Jefferson) mais mes deux références préférées du label restent sans aucun doute Down Home Girl de Memphis Minnie à égalité avec Rise And Erasure de Geeshie Wiley et Elvie Thomas.
C’est bien évidemment Navette qui se charge de tous les artworks des disques Night records et le moins que l’on puisse dire c’est qu’à chaque fois le résultat frise le sublime – l’« objet » Rise And Erasure mérite toutefois la mention spéciale du jury puisqu’il s’agit d’un vinyle monoface avec une illustration gravée sur sa face sans sillon – la grande classe.

Le tout forme une collection de disques très beaux, de grande qualité côté restauration des bandes et côté pressage et au service d’une musique aussi universelle qu’incontournable. Car même si comme moi tu n’y connais absolument rien au blues et au folk américain je te mets au défi de ne pas avoir envie de tendre l’oreille à l’écoute de ces disques et de ne pas reconnaitre, ça et là, une suite d’accords, un riff ou une ligne de chant qui évoqueront quelque chose en toi. Une chose que tu as entendue, ailleurs, qu’en fait tu connais déjà et que tu aimes. Cette chose qui vient de la musique inventée il y a des dizaines d’années par ces grands musiciens et ces grandes musiciennes, et tu ne le savais même pas.



vendredi 19 mars 2021

Grand Veymont / Persistance & Changement

 



GRAND VEYMONT est typiquement un groupe qui me donne envie de prendre mon temps. Ecouter la musique du duo revient à se retrouver dans un ailleurs inconnu mais particulièrement accueillant. On ne peut que vouloir y aller. Lentement. Mais on y va. Je te ferai grâce des métaphores géographiques liées au nom du groupe – Grand Veymont est le nom du point culminant à 2341 mètres du massif du Vercors, nous précise-t-on gracieusement sur les internets – mais je comprends parfaitement que cet endroit que je ne connais absolument pas puisse être la principale source d’inspiration de la musique du groupe. En fait je crois que plus qu’une inspiration il s’agit d’une question d’environnement. C’est dans celui-ci que Béatrice Morel Journel et Josselin Varengo composent et enregistrent leurs disques. Lorsqu’ils sont chez eux ils peuvent plus facilement partir, n’importe où mais avec leur musique, tout en restant attachés à cet environnement. Et de nous emmener avec eux. Ainsi nombre de compositions de Grand Veymont décrivent des endroits ou prennent place dans des lieux qui semblent réellement exister (La Tête De La Dame ou Bois Barbu, par exemple) tout en les survolant presque, comme s’ils n’étaient plus qu’un point d’ancrage et en même temps une vaste porte de sortie.

Avant Josselin jouait de la batterie avec les magnifiques et bruyants Deborah Kant. Béatrice chantait dans The North Bay Moustache League aux côtés de son frère Alexis, par ailleurs guitariste et chanteur de ces mêmes Deborah Kant. Puis ces trois là se sont également retrouvés au sein des très psychédéliques Gloria. Mais depuis Béatrice et Josselin semblent uniquement se consacrer à Grand Veymont. Un groupe qui selon leurs propres dires ressemble un peu à un défi puisqu’il s’agit de faire ressurgir la musique qu’ils sentent en eux avec seulement quatre mains pour jouer sur des vieux synthétiseurs, un kit rudimentaire de percussions, un peu de flûte – une instrumentation à laquelle s’ajoutent des parties de chant entre lyrisme ténu et psalmodie. Jusqu’ici c’est très réussi, comme en témoignent un premier album Route Du Vertige publié en 2018 chez Objet Disque ainsi que les démos et premiers essais enregistrés puis finalement éditées en 2019 chez Outre Disque.

Mais cela ne devait pas suffire au duo. Ou peut-être qu’il s’est aguerri et que de cette relative confiance en lui est né ce projet un peu fou d’une longue composition de près de quarante minutes. Un seul et même titre divisé en plusieurs mouvements, Persistance & Changement, et s’étalant sur les deux faces d’un vinyle à nouveau publié par Objet Disque. Encore une fois je ne voudrais pas trop convoquer ces mots incomplets et autres métaphores géographiques et affectives. Ou plutôt je vais à nouveau parler de ma propre affectivité.
Hypnotique et enivrante, la musique de
Grand Veymont sur Persistance & Changement échappe encore et toujours à toutes formes de catégorisation. Pas vraiment minimale ni répétitive mais lentement stroboscopique et mantrique (OK : c’est un mot qui n’existe pas mais tu n’as qu’à mélanger « mantra » et « tantrique » et tu ne seras plus très loin de ce que j’ai voulu exprimer ici). Sophistiquée et raffinée elle ne tombe jamais dans le piège de la construction purement cérébrale. Simple et lumineuse elle ne connait pas la facilité. Poétique et onirique elle prend la route sans savoir si elle va se perdre ou pas. Si la musique de Grand Veymont est un chemin inconnu – après tout, lorsqu’on intitule son premier album Route Du Vertige ce n’est pas du tout impossible – et donc un moyen, Persistance & Changement est une odyssée magnifique. Une lente élégie un peu (des fois, beaucoup) triste, doucement mélancolique, et plein de questionnements. Des entrelacs de sons et de mots. Des poèmes. Des mélodies gazeuses et célestes. Des brins de courants d’air dans les cheveux. Et le bruit des herbes longues qui se plient. Un disque vraiment à part.


mercredi 17 mars 2021

Echoplain / Polaroid Malibu

 

Attention : marqueurs spatio-temporels de toute première importance. Lorsqu’on intitule son premier album Polaroid Malibu – en l’occurrence le nom d’un gadget photographique très en vogue dans les années 70, toujours en cours chez les hipsters du 21ème siècle et ici associé au nom d’une boisson alcoolisée tellement 80’s et idéale pour chopper une bonne gueule de bois doublée d’une crise de foie persistante – c’est soit que l’on est un jeune con prétentieux postmoderne qui veut faire genre soit un vieux schnock qui n’a plus peur de rien.
Avec ECHOPLAIN la réponse est toute trouvée : il s’agit d’un trio parisien composé d’anciens Sons Of Frida, le guitariste et chanteur Emmanuel Bœuf et le bassiste Clément Matheron. Des vétérans, si je puis dire, auxquels se rajoute le batteur Stéphane Vion qui lui joue dans Vélocross (groupe dans lequel on retrouve également Geoffrey Jégat, encore un ex Sons Of Frida et actuel Tabatha Crash). Ce monde est décidemment bien petit mais, je te rassure tout de suite, il sera toujours assez grand pour accueillir des groupes de la trempe d’Echoplain.







Je ne vais donc pas cacher mon enthousiasme débordant face à la musique de trois garçons pour qui porter des chemises à carreaux ne relèverait ni d’une attitude anachronique ni d’une posture revivaliste, qui ont tellement bien fait le tour de leurs goûts musicaux qu’ils continuent malgré tout de découvrir de nouvelles choses et qui – je l’imagine – jouent à titre très personnel la musique qui leur tient le plus à cœur. C’est ce que l’on entend en premier en découvrant les dix compositions virevoltantes et survoltées de Polaraid Malibu : toute l’unité et toute la cohérence dont font preuve ces trois là, au service absolu d’un rock tendu, sec, nerveux, emporté, électrique et souvent bruyant. Le côté indéfectible de la musique.
Tu remarqueras que je n’ai pas écrit directement « noise rock » bien que je n’en pense pas moins. Mais le noise-rock, c’est un peu comme le post punk : je ne sais pas vraiment ce que c’est mais j’en écoute tous les jours. Ici on ne peut qu’être scotché par la solidité, l’aplomb et la lucidité démontrés par la musique d’Echoplain sans pour autant avoir à déplorer un quelconque manque de fiabilité sur la longueur ou une propension irraisonnable pour le bruit gratuit et sans fondement. Loin des images floues (certes parfois pleines de charme) d’un polaroid et loin de la saturation écœurante de la boisson alcoolisée susnommée, le noise-rock du trio est un bijou d’équilibre, de netteté, de dosage et une mécanique si finement réglée que l’on ne s’en aperçoit même pas. Comme lorsqu’on parle de la mise en scène d’un film et que l’on affirme qu’elle est d’autant plus réussie qu’elle ne se voit pas à l’écran (ou plutôt : tu es tellement captivé par ce que tu regardes que tu ne te préoccupes plus trop de tout le reste).
Le mot finesse prend ici un sens encore plus aigu, parce que cette finesse est au service d’une musique que n’importe qui pourrait – uniquement par défaut ou par désinvolture, je ne sais pas – qualifier de bruyante. 
Mais ce serait omettre que si la musique d’Echoplain n’était que fracassante on finirait forcément par s’emmerder. Et ne pas comprendre que si elle l’est autant c’est bien parce que les trois Echoplain sont des orfèvres en la matière. A grands coups de saturation bien dosée et de dissonances bien placées (école Sonic Youth période Sister / Daydream Nation). A l’aide d’une rythmique à la volumétrie implacable et imaginative. Avec un coté mélodique indéniable, souvent mis en avant dans le chant, parfois parlé, parfois crié, toujours avec ce même sens du dosage et de l’à-propos. Un à-propos qui ne masque rien de la noirceur exprimée au travers d’une musique qui n’est pas là non plus pour nous séduire à tout prix. Et qui, en suivant toujours le même principe, y arrive donc parfaitement. La boucle est bouclée en quelque sorte. Mais le sujet est loin d’être clôt. Parce qu’il est littéralement impossible de se lasser d’Echoplain et de Polaroid Malibu.

 

 

[Polaraid Malibu est publié en vinyle par Araki, Pied De Biche et Zéro Egal Petit Intérieur – l’artwork est signé Sasha Andrès, chanteuse d’Heliogabale et d’A Shape, un groupe dont Emmanuel Bœuf, homme aux mille projets, a également été membre]

 

lundi 15 mars 2021

[chronique express] Bambara / Stray



 

Je continue de rattraper mon « retard chronique » avec un disque publié en février 2020… Stray est le quatrième album de BAMBARA, trio de Brooklyn emmené par le très charismatique chanteur / guitariste Reid Bateh. Il s’agit surtout de l’album le plus arrangé, le plus orchestré et le plus léché du groupe, aussi on pourra toujours et sûrement à juste titre lui préférer les enregistrements précédents et notamment Swarm (2016).
Quelques fautes de goût notoires (des chœurs lénifiants et / ou l’intervention de synthétiseurs glycémiques sur la moitié des titres) ainsi qu’une construction trop attendue (alternance de titres rapides qui défouraillent et de chansons mid-tempo ou de bleuettes insipides) empêchent d’adhérer complètement au maniérisme caricatural de Stray. Une galette que l’on aurait aimé déguster en solitaire et dans la pénombre confortable de son petit chez soi et qui laisse malgré tout deviner qu’en concert le mix goth / glam réfrigéré / swamp variétoche / cabaret toc de Bambara doit faire quelques étincelles et allumer fugitivement des étoiles dans les yeux. On peut alors penser au Nick Cave de la grande époque mais dont l’encombrant héritage serait mal digéré… Tant pis. Et à défaut de pouvoir retourner vivre du côté des années 80 voire 90 on se rabattra sur Wailin Storms ou Vincas, bien meilleurs dans le genre post Birthday Party et post Gun Club. Et surtout beaucoup plus méchants, comme moi.

 

dimanche 14 mars 2021

Comme à la radio : Flaming Tunes (et le label Superior Viaduct)

 

On ne saurait trop louer le travail d’archives et d’exhumation effectué depuis une bonne dizaine d’années maintenant par label Superior Viaduct. Basée à San Francisco cette vénérable maison a réédité tellement d’enregistrements historiquement et musicalement essentiels qu’en donner la liste, même partielle, donne le vertige : Avengers, MX-80 Sound, Gun Club, Gruppo Di Improvvisazione Nuova Consonanza (avec Ennio Morricone !), The Urinals, Devo, Tuxedomoon, Brigitte Fontaine, Alice Coltrane, Glenn Branca, Harry Pussy, DNA, The Fall, Crime, Spacemen 3, Phil Niblock, The Mekons, Ike Yard… Et encore, j’en oublie.

 



On remarquera le grand écart stylistique d’un tel catalogue. On notera surtout qu’aux côtés de disques que tout le monde connait déjà mais souvent devenus introuvables depuis des lustres, Superior Viaduct a le don de rééditer des enregistrements rares et inédits mais toujours de qualité – un exemple parmi tant d’autres mais très significatif : les deux volumes Hardcore Devo consacrés au groupe des frères Mothersbaugh, une vrai mine d’or !


En 2020 Superior Viaduct a jeté son dévolu sur les premiers méfaits de The Ex et je ne peux que conseiller le séminal History Is What's Happening, merveilleux en tous points et offrant un éclairage rétroactif étonnant sur l’évolution du groupe hollandais... Mais aujourd’hui intéressons-nous plutôt au seul et unique album de FLAMING TUNES, réédité lui au mois de novembre de l’année dernière :


 

Flaming Tunes
est un duo éphémère composé de deux musicien.nes et ami.e.s d’enfance : Mary Currie et un certain Gareth Williams. Oui, tu as bien lu : Gareth Williams, l’un des trois membres de l’un des groupes les plus importants de la fin des années 70 et du début des années 80, les très avant-gardistes This Heat.


Publié presque en douce et en cassette uniquement, Flaming Tunes est un disque entièrement enregistré à la maison, fait de bric et de broc et surtout débordant d’une poésie des sons amoureusement bidouillée et funambule dont le charme et l’attrait ne sont plus à prouver. Douces mélodies bancales, naïveté cabossée, traficotages de bandes, bruitages d’origine indéterminée, emprunts aux musiques indiennes (surtout au niveau de quelques rythmes), interventions d’un chant parcellaire et lunaire sur une poignée de chansons pop à la limite du psychédélisme des années 60, qualité sonore lo-fi… Flaming Tunes est un disque étrange où rien ne nous est étranger, un disque intimiste de partages et une sorte de courant d’air frais traversant les années 80 – nous sommes en 1985 – pourtant si tapageuses et si racoleuses.


D’abord réédité en 2009 et en CD par Life And Living records puis en 2012 par le label anglais Blackest Ever Black, l’unique album sans titre des Flaming Tunes – à l’origine publié sous le nom de « Gareth Williams & Mary Currie » – se voit ainsi offrir une nouvelle chance de toucher les oreilles curieuses et les cœurs ouverts. Et comme toujours avec Superior Viaduct le résultat est impeccable : remasterisation sans surgonflage, beau pressage en vinyle transparent, pochette soignée, insert, notes explicatives, etc…

(malheureusement Gareth Williams est mort beaucoup trop tôt en 2001 et à l’âge de 48 ans seulement)

 

 

vendredi 12 mars 2021

Tabatha Crash / Twist


 




Avec un nom de groupe en forme de référence de vieux aux années 90 et de blague potache (c’est presque aussi réussi que Charogne Stone ou que Clit Eastwood), TABATHA CRASH ne pouvait qu’attirer mon attention de vieux bougon renfrogné et cloitré à la maison entre deux piles de disques ou de bouquins et attendant des jours meilleurs. Tu rajoutes une photo de pochette avec un bobtail bien baveux et visiblement prêt à tout pour une partie de léchouilles endiablées et le tour est presque joué. Mais en fait, ce qu’il faut surtout retenir c’est que Tabatha Crash est né des cendres des excellents Sons Of Frida – dont le Tortuga est resté dans toutes les mémoires – puisque on y retrouve le guitariste / chanteur / trompettiste Benoit Malevergne ainsi que le batteur Thierry Cottrel. Quant à la basse elle est tenue par Geoffrey Jégat qui me semble t-il jouait lui aussi aux tout débuts de ces mêmes Sons Of Frida… Une suite logique, en quelque sorte, et un line-up en théorie typiquement noise-rock.
Twist
est le deuxième enregistrement publié par le groupe. Il conviendrait de parler de mini album puisque celui-ci ne contient que six titres pour tout de même vingt-cinq minutes de coït ininterrompu. Je vais commencer par avouer que je n’avais écouté son prédécesseur sans titre que d’une oreille assez lointaine et distraite et que maintenant je m’en mords un peu les doigts. Tant pis, je rattraperai mon retard avec ce Twist bien mené, bien tourné, bien ourlé et doté d’une qualité sonore bien meilleure parce qu’offrant plus de clarté et de lisibilité, bref d’efficacité – au passage signalons que l’enregistrement et le mixage sont le fait de Manu Laffeach (il a bossé avec Shub, Poutre, Marylin Rambo, Ultracoït et tant d’autres) tandis que le mastering est l’œuvre du wizzzzard Cyril Meysson (Magrava, Satan, etc.).
Difficile cependant de limiter les trois musiciens de Tabatha Crash au seul registre du noise-rock à papa et maman. Toujours au rayon années 90 et musiques de vieux et de vieilles, le trio semble aussi très largement puiser son inspiration dans le post hardcore. Mais le vrai post hardcore, canal historique, pas celui des saloperies progressives vouées au culte lunaire ou au dieu solaire mais celui des groupes du label Dischord et qui donnera l’emo avant que cela ne dégénère en musique pleurnicharde, complaisante et peignée au gel à fixation forte. L’énergie est constamment présente mais il s’agit donc d’une énergie toujours finement enclenchée – si tu veux de la bourrinade à la queue-leu-leu va plutôt voir ailleurs –, apportant son lot important de subtilités et d’attraits mélodiques.
Les six compositions de Twist pourraient avoir l’air de rien – je veux dire par là qu’elles ne rentrent pas frontalement dans le lard pour tout dévaster et repartir sans laisser plus d’impressions que celles de la gratuité et de la facilité – mais elles sont plutôt du genre à s’immiscer avec assurance, à se faire une place au chaud et à rester bien dans la tête. Fast End est caractéristique de cette façon de faire, pleine de conviction et de détermination mais aussi de souplesse et de séduction. D’allant et d’intelligence. Au rayon des positions intenables et extravagantes Tabatha Crash ne remportera peut-être pas le premier prix d’excellence – la décence m’interdit absolument de traduire « twist » dans un tel contexte – mais le trio gagne celui de l’agilité et de la persuasion.



[Twist est publié en vinyle par Araki et Zéro Egal Petit Intérieu



 

mercredi 10 mars 2021

Chicaloyoh / L'Inventaire Des Disparitions


 

Aimer un disque est une chose. Trouver les mots justes – ou les mots dont on pense qu’ils sonneront juste – pour décrire son ressenti et peut-être réussir à expliquer pourquoi en est une autre. Si tant est qu’une telle tentative soit réellement envisageable ou même acceptable. Avec L’inventaire Des Disparitions c’est presque mission impossible. Enregistré au cours de l’année 2019, disponible sur les internets dès le mois de novembre de cette même année pour finalement bénéficier d’une parution en vinyle tardive et surtout bien trop confidentielle à mon goût en novembre 2020 (mais ce sont les règles injustes de la pandémie et de la crise sanitaire actuelles), L’inventaire Des Disparitions est un album envoûtant.
Une fois de plus serais-je tenté de dire mais ce serait inapproprié. Car avec CHICALOYOH on ne sait jamais à quoi s’attendre vraiment. Alice Dourlen ne fait jamais deux fois le même disque. Elle surprend toujours et sans doute est-ce là l’un des buts qu’elle recherche avec sa musique, ses enregistrements, ses textes, ses peintures, bref avec son Art : nous surprendre et se surprendre elle-même, constamment. Merde à l’ennui mais pas à n’importe quel prix et surtout pas n’importe comment. Et surtout pas en renonçant à quoi que ce soit d’elle. S’il y a de la provocation et du défi dans les disques de Chicaloyoh et en particulier dans L'Inventaire Des Disparitions c’est principalement du au caractère effronté et à l’audace d’une artiste qui n’en fait donc qu’à sa tête.






L’inventaire Des Disparitions n’est sûrement pas un disque facile. Je trouve la musique de Chicaloyoh toujours aussi belle, toujours aussi poétique et de plus en plus mystérieuse – mystérieuse puisque, encore une fois, elle ne se laisse pas faire – mais sur ce nouvel album je la trouve également plus dure et plus sombre. À fleur de peau malgré la lumière. Toujours en évolution et en plein élan, oscillant entre ce bleu enflammé et ce rouge pénétrant. As-tu remarqué toute l’importance de ces deux couleurs dominantes sur la pochette du disque ? Alors que celle de Jaune Colère n’était qu’unité éclatante et solaire (lorsque je relis la chronique qui lui est consacrée, je ne peux que constater que, présentement, je réutilise toujours les mêmes arguments et toujours les mêmes mots au sujet des disques de Chicaloyoh… ainsi cette nouvelle tentative pourra te sembler bien répétitive et incomplète !).
L’inventaire Des Disparitions est également le disque le plus varié d’Alice. Les compositions sont souvent très courtes, condensant même parfois en deçà des deux minutes toute une architecture très personnelle. La musique de Chicaloyoh donne plus que jamais cette impression perpétuelle de mouvement(s) et de recherche, pourtant ce que l’on écoute ressemble bel et bien à un accomplissement. Ne serait-ce pas là la description la plus proche que l’on puisse trouver d’une musique aussi expérimentale – car celle de Chicaloyoh l’est assurément –, une musique entre poésie chantée, instrumentations lunaires, bruissements industriels, grincements colorés et collages sonores ? L’inventaire Des Disparitions cultive un sens inné de l’exploration mais aussi celui de l’affirmation. Si on peut être ici bousculé ou même décontenancé on est également complètement sous le charme d’une telle magie.

Ce ne sont là que des mots écrits malgré tout, des mots qui sonnent banalement et anodinement : L’inventaire Des Disparitions vole largement au dessus. Et ce n’est jamais pour rien.



[L’inventaire Des Disparitions est publié en vinyle par Màgia Roja – nb : le disque comporte deux titres en plus par rapport au b*ndc*mp] 

 

 

lundi 8 mars 2021

MelmAC.Hello / Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri





Ceci est un livre. Pour de vrai. Il a pour titre Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri. Accessoirement il possède même un isbn : 979-10-96324-06-4. Et un prix marqué, merci Jack : 18 €uros. Pourtant ce n’est pas ce qui en fait un livre. En fait il suffit de l’ouvrir et de lire les mots, les textes d’A.C. Hello (ce n’est pas parce qu’ils sont imprimés en très gros qu’il faut en avoir peur). Des mots qui se jettent sur toi et t’assaillent, presque sans répit. De la sauvagerie, de la rudesse, de la violence pourquoi pas, mais plutôt la violence que l’on ressent et dont on se sert également pour faire sortir ces mots là – de la révolte, donc. Comme une respiration qui soudain ne demande qu’à s’élargir – tu sais bien, des fois tu as envie (et besoin) d’inspirer et d’expirer un bon coup, de tester ta résistance interne et externe à la pression de l’air et de ton environnement, presque de savoir que tu es en vie et capable de vivre. Oui, évidemment.
Je me suis un peu renseigné. A.C. Hello a déjà au moins trois parutions / livres à son actif. Et elle vient brutalement de rejoindre le petit club des poétesses et des poètes sonores dont j’ai un jour, enfin, entendu parler – et honnêtement il n’y en a pas beaucoup, un peu les mêmes que tout le monde, en fait : Charles Pennequin, Bernard Heidsick, Anne James Chaton… – alors que cela fait dix années qu’elle écrit et donne vie à ses textes. Tordre et déplier sa poésie de combat, ses mots d’urgence mais qui pourtant savent rester.

Ceci est un disque (un CD, un compact disc : un bout de plastique de douze centimètres de diamètre avec un trou au milieu). De la musique, si tu préfères (moi je préfère). Le groupe s’appelle MELMAC et la dernière fois que je m’y étais intéressé de près c’était au sujet d’un autre enregistrement, datant de 2011 : Le Désert Avance. A l’époque et sur ce disque on ne trouvait que deux musiciens. Aux guitares, aux effets et aux manipulations sonores. Luc et Nicolas Reverter. Et sur Le Désert Avance la musique de Melmac ressemblait, ressemble toujours et même de plus en plus (je l’ai réécouté exprès), à de longues et lentes coulées de lave qui crépitent et roulent dans la nuit – désolé mais moi par contre je suis vraiment nul en poésie.
Surprise. Désormais, en tous les cas sur Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri, ils sont quatre dans le groupe. Aux deux frères Reverter se sont ajoutés le batteur Jean-Yves Davillers et le saxophoniste Quentin Rollet – fondateur jadis du label Rectangle aux côtés de Noël Akchoté, saxophoniste pour Prohibition, il a également joué avec et pour Red, Romain Perrot/Vomir, etc. En 2020 on l’avait croisé sur l’album Iron Pourpre d’A Shape, où il participe à une bonne moitié des titres. La musique de Melmac a donc changé, elle aussi. On retrouve toujours à certains endroits les mêmes textures sonores fusionnées à base de guitares, comme sur Moutons ou Cette Seconde. Mais je n’ai pas d’autre choix que d’écrire que maintenant Melmac est aussi et surtout un groupe de… rock. Particulièrement rythmé, Je Laisse Surgir n’est pas autre chose qu’un bulldozer intrépide ronflant au milieu de l’arène.

Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri est un livre et un disque. Melmac et A.C. Hello s’épaulent, fusionnent et explosent. La musique n’a rien d’un faire-valoir, un cadre décoratif et clignotant seulement quand on lui dit de clignoter. Bien qu’elle soit moins éruptive que les mots, mis à part sur quelques parties réellement instrumentales où elle ne vit que par elle-même (le long et magnifique final de Cette Seconde).
La musique n’éclipse pas les textes. Les textes n’empêchent pas d’écouter les musiques. Les uns ne vont pas sans les autres. Tout comme la brutalité et la sensibilité cohabitent étrangement, mutuelles et sans que l’on puisse les séparer, comme deux frères ou deux sœurs de cœur, dans un amour bancal et réciproque, un truc sensitif et affectif qui a un jour existé et, on y pense sans y penser, existera toujours. Comme une trace de vie pas davantage explicable, une trace de ses soulèvements communs et de ses confrontations, de ses oppositions. Un truc épidermique et instinctif. Envahissant et persistant. Libérateur. Lutter et respirer. Encore. Toujours.

 

[Le Cas Très Inquiétant De Ton Cri de MelmAC.Hello est publié par Bisou records, à la fois une maison d’édition et un label sous la direction d’Isabelle Magnon et de Quentin Rollet]

 

 

samedi 6 mars 2021

[chronique express] Pilori / A Nos Morts

 



Le 5 mars 2020 à très exactement 15h45 j’ai reçu le message suivant : « Ici Greg de Pilori, vous avez déjà écrit sur nous par le passé pour un live report d’un concert poitevin, et là je vous écris afin de savoir si vous seriez intéressé pour chroniquer notre premier album, À Nos Morts. Il sort ce vendredi 15 mai en full streaming sur toutes les plateformes et la sortie physique aura lieu le 26 juin […]. En espérant que ça puisse se faire, je vous souhaite une bonne journée. Bon courage, prenez soin de vous ! ». Inutile de dire que je me sens comme une vraie merde : je n’ai jamais chroniqué ce disque.
J’ai effectivement découvert
PILORI lors d’un concert en première partie de Whoresnation au Farmer, un bar bien connu des pentes de la Croix Rousse à Lyon – oui à Lyon et non pas à Poitiers mais je ne me vexerai pas pour si peu. Bref, je me sens comme une vraie merde parce qu’A Nos Morts est un album de hardcore métallisé viscéral et sombre, dense et chaotique, hargneux et infernal. A peu de choses près ce que j’apprécie généralement au rayon sidérurgie pré-apocalyptique. J’ai même un jour et à titre tout à fait personnel fait l’acquisition de ce vinyle via une plateforme internet. Et je t’enjoins à faire la même chose parce que : 1 - Pilori dispose encore de quelques exemplaires de son disque. 2 - en ces temps covidés et d’absence de concerts cela redonnera un peu de moral à un groupe qui le mérite amplement. 3 - plus j’écoute À Nos Morts et plus je me dis qu’il serait vraiment dommage de passer à coté d’un album aussi réussi et prometteur, entre hardcore, black et crust. Greg je te présente toutes mes excuses... (et au fait : est ce qu’on ne pourrait pas se tutoyer ?)  


jeudi 4 mars 2021

Crack Cloud / Live Leak

 

Intéressons-nous un peu au cas de CRACK CLOUD, collectif à géométrie plus que variable originaire de Vancouver et coqueluche des milieux autorisés qui s’autorisent. Le groupe – oui c’est plus facile de dire que s’en est un même si cela n’est donc pas totalement vrai – a publié en juillet 2020 et après une paire de singles remarqués un premier album intitulé Pain Olympics sur le label Meat Machine, une émanation de Tin Angel records.
Je ne vais pas chroniquer cet enregistrement parce que je ne l’aime pas beaucoup. J’admets que je peux prendre un certain plaisir, sadique et complètement déplacé voire complètement amoral, à dire tout le mal que je pense d’un disque. Et même des fois que j’en rajoute une couche, comme si je me masturbais tout en caressant avec délectation mon petit azerty. Cela me donne (enfin) l’impression d’exister. Mais là je ne le ferai pas.
Pour résumer rapidement la situation
Pain Olympics est un album beaucoup trop produit, beaucoup trop arrangé et trop léché qui ne laisse pas assez de place à la folie et à l’inventivité musicale de Crack Cloud. Un peu comme la pochette du disque, saturée de couleurs, de détails et qui finalement ne montre rien d’autre qu’un capharnaüm artistique à consonance digitalisée et futuriste / post apocalyptique. Il ne se passe pas grand-chose sur Pain Olympics si ce n’est un ennui grandissant – merde… j’ai quand même réussi à dire du mal de ce disque, promis je ne l’ai pas fait exprès.





Par contre Crack Cloud a publié un second LP en 2020 – toujours chez Meat Machine et à la fin du mois d’aout pour être plus précis – et celui-ci s’avère beaucoup plus intéressant. Contrairement à ce que laisserait supposer son titre, Live Leak n’est pas à proprement parler un enregistrement en concert. Mais regroupe deux sessions radio datant de 2019. La première face a été captée dans les studios de la radio KLXU à Los Angeles au mois de novembre ; la seconde en aout aux studios Maida Vale de Londres pour la BBC 6 et l’émission de ce très cher Marc Riley (journaliste depuis des lustres mais également un ancien membre de The Fall, celui des presque débuts, et viré comme tous les autres membres du groupe par l’atrabilaire et dictatorial Mark E. Smith, mais c’est une toute autre histoire).
Là encore on peut se fier à la gueule de la pochette. Celle de Live Leak est d’une sobriété qui ne gâchera pas la rugosité éclairée de deux enregistrements plein de flamme et de vigueur. De l’interprétation et rien que de l’interprétation. Et une bonne grosse dose d’électricité au service d’un post-punk bondissant et rebondi, pneumatique oserais-je même dire. Oui, il s’agit encore du post-punk… et celui de Crack Cloud, groovy et cuivré, n’est guère avare en matière de citations. Les archéologues et entomologistes réunis en séance plénière tomberaient sans aucun doute d’accord pour parler d’une mixture à mi chemin entre The Pop Group et Gang Of Four. Ce qui serait loin d’être faux et a l’avantage de laisser suffisamment de place et de latitude au groupe pour malgré tout placer un ou deux trucs qui lui sont propres. Sur Live Leak Crack Cloud est du genre festif et dansant, irisé et sautillard, épique et fougueux, chaud et soyeux, sec et humide à la fois, copulatoire et peut-être bien pansexuel. Un très chouette bordel, pour tout dire. 
On remarquera enfin que Live Leak et Pain Olympics ne possèdent qu’une petite moitié de titres en commun. Et comme les versions diffèrent largement on peut considérer que les deux enregistrements font bien plus que se compléter. Peut-être que toi tu préféreras la version plus sophistiquée et plus arrangée de la musique de Crack Cloud proposée par Pain Olympics mais pour ma part je n’en démordrais pas. Il y a des fois où je me demande même si les membres du groupe n’en ont pas pris conscience tout seuls et n’auraient pas publié Live Leak pour contrebalancer leur album studio. Je ne pourrai jamais le leur demander mais franchement j’aime bien cette idée…