Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

dimanche 28 février 2021

Comme à la radio : Jean-Pierre Marsal (et 202project)

 




Dire que j’ai suivi de près et avec une attention grandissante les aventures musicales de Jean-Pierre Marsal aka 202project depuis maintenant une bonne dizaine années serait en dessous de la vérité.
Une rencontre à rebondissements puisque la première fois que j’ai vu 202project en concert je n’avais guère gouté à sa musique… jusqu’à ce qu’un jour je reçoive un disque promo avec une demande de chronique*. A ma grande surprise ce disque – il s’agissait de l’album Total Eclipse – m’avait énormément plu et j’avais tenu à en faire l’éloge.
Je ne vois que deux conclusions possibles à cette vieille histoire qui n’intéressera pas grand monde. Tout d’abord en matière de musique(s) il faut savoir se laisser faire et se laisser surprendre. Et surtout c’est la récompense du chroniqueur que de découvrir des musiques, des musiciennes, des musiciens, des groupes, d’en parler, de se faire accompagner par elles / eux pendant des années et de leur réserver une place à part – ce qui est très loin d’arriver tous les jours.

 

Mais 202project n’existe plus en tant que tel. JEAN-PIERRE MARSAL a décidé que dorénavant il allait continuer d’enregistrer et de diffuser sa musique uniquement sous son propre nom. C’est ainsi qu’est né Distance EP :



 



  

Enregistré pendant le premier confinement Distance EP présente une autre grande « nouveauté ». Désormais Jean-Pierre Marsal est seul avec sa voix et avec sa guitare, acoustique. Exit l’électricité, exit les machines et la boite-à-rythmes. Un dégraissage et un apurement drastiques dont on avait déjà pu constater quelques prémices sur le bien-nommé L’Age De Pierre, l’un des derniers enregistrements encore publiés sous l’appellation de 202project. L’Age De Pierre comportait encore de la guitare électrique, des synthétiseurs et des rythmes digitaux mais on y décelait comme une volonté d’en faire beaucoup moins avec l’intention d’en dire toujours plus.

Avec Distance Jean-Pierre Marsal va jusqu’au bout de cette logique. Une logique intime et personnelle à la fois en forme de renaissance et de continuation. On retrouve ici tous les éléments primordiaux et toutes les émotions qui jusqu’ici nous avaient fait profondément aimer 202project. Et il n’y aura aucun doute à avoir, il s’agit bien de la même musique, une musique qui nous parle exactement de la même façon mais juste avec des moyens différents. Cette façon de chanter si particulière qui colle au plus près des mélodies et des mots (le titre éponyme). Ces mots qui nous racontent des histoires souvent avec moult détails et beaucoup d’éléments que l’on devine très intimes mais qui, paradoxalement, évoquent ou même éveillent en nous tellement de choses qui nous sont propres.

En éliminant tous les effets superflus et en choisissant l’acoustique pur et dur Jean-Pierre Marsal ne fait pas autre chose que ce qu’il a toujours fait : être lui-même. Sauf qu’il n’a plus besoin de se rassurer en utilisant des machines, un ordinateur et une guitare électrique. Et je crois qu’il a encore beaucoup de choses à dire, à nous dire. Si un jour il n’y a plus d’électricité en flot continu et que les internets s’effondrent comme tout le reste tu ne pourras plus lire cette chronique. Mais Jean-Pierre Marsal, lui, pourra toujours continuer à faire de la musique**.


* j’en profite pour repréciser ici les conditions pour se faire chroniquer dans INSTANT BULLSHIT :

1 - je n’accepte aucun envoi de disques promotionnels et autres supports physiques donc ce n’est pas la peine de me demander mon adresse postale
2 - à la place il suffit de m’envoyer un message en utilisant le formulaire de contact situé en bas et à droite de cette page – si comme il se doit on consulte et lit Instant Bullshit dans sa version web et en utilisant un ordinateur – ou en m’écrivant à beatoccult[arobase]gmail[point]com avec un lien de téléchargement ou de streaming de l’enregistrement en question
3 - je ne promets rien par contre j’écoute tous les liens que l’on m’envoie parce que c’est la moindre des choses
4 - si je ne fais pas de chronique c’est tout simplement que le disque ne m’intéresse pas, même pour en dire du mal

 

** d’ailleurs Jean-Pierre Marsal réfléchit et travaille actuellement sur un nouvel album… à suivre



jeudi 25 février 2021

Ona Snop / Intermittent Damnation

 

Avec toute cette invasion actuelle de post punk britannique plus ou moins revivaliste on en oublierait presque que l’Angleterre est une vraie terre de contrastes (non, ceci n’est pas un slogan touristique et publicitaire). Et surtout, au Nord, une terre de désolation économique et sociale : la haine de la machine et de l’oppression industrielle et politique est un phénomène forgé de ce côté-là, celui des hauts fourneaux et des usines sidérurgiques depuis longtemps fermées. Il s’agit donc aussi d’un endroit où sont nés quelques uns des groupes parmi les plus extrêmes et les plus impressionnants de l’histoire musicale. Mais aussi parmi les plus revendicatifs.
Je parle de metal mais surtout de ce qu’il a engendré de plus acharné, de plus dense et de plus dangereux en s’hybridant mutuellement avec le punk et le crust. Au delà de la belle vitrine historique représentée par Napalm Death – ma foi encore plutôt convaincant après toutes ces années d’activité – il existe quantité de groupes parfaitement dingues et particulièrement jouissifs. Je me rappelle par exemple de Horsebastard, un groupe de grind originaire de Liverpool, complètement ahurissant de folie furieuse et découvert dans une cave lyonnaise lors d’un
concert subtilement organisé par les Dirty Seven Conspiracy.




Ce sont à peu près les mêmes gens que l’on retrouve derrière Dirty Seven Conspiracy et le label / distro Lixiviat records (en tous les cas ils ont le même attaché de presse, un petit gars au sourire particulièrement convaincant). Un label qui a publié il y a seulement quelques semaines de cela Intermittent Damnation, le deuxième LP d’ONA SNOP, une formation qui nous vient toujours du Nord de l’Angleterre mais cette fois-ci de Leeds et que les spécialistes qualifieront aisément de powerviolence ou de fastcore rotant du grind à l’occasion. OK… si tu veux. Mais moi, tu le sais sûrement déjà, je m’en fous toujours un peu des étiquettes et des nuances subtilement adéquates qu’elles sont censées apporter à ce qu’elles prétendent décrire, même si je dois encore une fois avouer qu’il s’agit d’un positionnement purement idéologique et plutôt confortable puisque en définitive je n’y connais pas grand-chose dans toutes ces musiques de crusty-barbares. Mais passons, je ne vais pas non plus encore répéter les mêmes considérations totalement inintéressantes dès que ça cause de crust-truc ou de grind-machin.

Ce que je retiens principalement des formidables et des plus que géniaux Ona Snop et d’Intermittent Damnation ce sont dix-sept compositions de malades, ultra rapides, ultra concises, ultra structurées et débordant de breaks spectaculaires tombant toujours au bon moment. Dix-sept titres en à peu près vingt minutes et gorgés de riffs d’une clarté merveilleusement machiavélique, souvent pas très éloignés de ce thrash si cher à mon cœur de vieil adolescent. Un découpage dans le vif et sans bavures tellement saignant et tellement jubilatoire qu'il me donnerait presque envie de demander un couteau à viande électrique pour mon prochain anniversaire (rassure-toi c’est dans longtemps et d’ici là j’ai le temps de changer d’avis). 
Intermittent Damnation n’est pas autre chose qu’une grosse bombe offensive de hardcore caparaçonné et densifié, entre excès de vitesse quasi permanent et grosse pression hydraulique à tous les niveaux. Autrement dit cela reste rugueux et très punk dans l’esprit tout en conservant toute la rectitude millimétrée et toute l’efficacité offensive du metal. Avec un surplus de grosse déconnade derrière tout ça (encore un des effets secondaires du thrash ?), impression que ne démentiront ni la pochette très fluo-flash ni le livret d’une vingtaine de pages qui accompagne le disque. Evidemment si le dernier album en date de Mr Bungle est pour toi l’incontournable sommet de l’extrémisme musical actuel et si ton rêve le plus cher est de pouvoir enfin assister à un concert de ce groupe de rentiers estivaux lors de la prochaine édition du Hell Fest en 2024, tu peux tout de suite oublier Ona Snop : l’écoute d’Intermittent Damnation risquerait de te faire tellement souffrir que tu ne comprendrais même pas pourquoi.



mardi 23 février 2021

TV Priest / Uppers


 


 

Dans son livre Rip It Off And Start Again le journaliste, chroniqueur et musicologue Simon Reynolds définit le « post punk » comme toutes les musiques arrivées à la fin des années 70 et début des années 80 après l’explosion punk – explosion s’arrêtant d’elle-même à la séparation des Sex Pistols en janvier 1978 (ahem). Une définition strictement et purement temporelle – je n’ose pas écrire historique – qui pour l’auteur a l’immense avantage de lui permettre de parler dans le même livre de musiques autrement insupportables et qui à mon sens n’avaient rien à y faire. Je pense notamment à toutes les productions saucissonnées du label ZTT, une maison scintillante et plaquée-or montée par le producteur / manipulateur Trevor Horn et le journaliste puis musicien Paul Morley. J’ai toujours pensé que Reynolds vouait légitimement une admiration sans bornes à Morley (l’un des premiers, si ce n’est le premier à avoir écrit au sujet de Joy Division, c’était dans les colonnes du New Muscial Express) et donc je lui passerai, parce que je suis du genre magnanime, sa vision trop élargie de l’appellation non contrôlée et surtout incontrôlable de post-punk.
On traduira facilement Rip It Off And Start Again par « déchire tout et recommence », un titre qui fait écho à un autre livre de Simon Reynolds : dans Retromania il déplore que depuis les années 2000 la musique ne soit plus une question d’inventions mais uniquement de recopiages et de citations. Là encore je ne serai pas du tout d’accord avec lui et le présent nous prouve exactement le contraire. J’ai un peu plus de cinquante ans maintenant (et oui) et jamais je n’aurai autant écouté ou découvert de choses nouvelles et passionnantes en matière de musique(s) que ces dix ou quinze dernières années.
TV PRIEST serait un parfait cas d’école pour Simon Reynolds. Voilà un groupe anglais il y a encore quelques semaines complètement inconnu au bataillon et qui publie son premier album sur un label ultra renommé et vénéré : Sub Pop. TV Priest est effectivement ce que l’on appelle un groupe de post punk. Et par post-punk j’entends moi, à la différence de Simon Reynolds, toute une nébuleuse de musiques électriques dont les frontières sont limitées par des lignes dessinées aux alentours des années 1978 / 1981 par quelques groupes pionniers mais peut-être bien complètement inconscients de ce qu’ils étaient alors en train d’inventer : les Buzzcocks, The Fall, Joy Division, Wire, Gang Of Four, The Cure, The Birthday Party, etc… (et cætera parce que cette liste n’est pas forcément exhaustive : par exemple pourquoi ne pas rajouter les trois premiers albums de Cabaret Voltaire ou ceux d’XTC ?).
Uppers a donc tout du disque « rétromaniaque » parce qu’il donne dans un post-punk acétique et nerveux bien que subtilement monotone. TV Priest est le digne héritier d’un The Fall, référence tarte à la crème de toutes ces dernières années dès qu’il s’agit de parler de musique électrique goguenarde et teigneuse, provocatrice et donc… euh, « post punk ». Mais toutes ces histoires d’étiquettes me donnent de plus en plus la nausée parce qu’elles ne font que masquer ce qui à mon sens reste le plus important lorsque on écoute un disque ou que l’on assiste à un concert : que ressent-on vraiment ? A-t-on envie d’aller plus loin avec cette musique ? Dans le cas d’Uppers et de TV Priest la réponse est indubitablement positive. Uppers est un disque excitant qui comporte nombre de pépites éminemment électrisantes. Pas de racolage ou si peu : légèrement plus arrangés que les autres titres de l’album, Powers Of Ten et Saintless peuvent faire figure de hit singles darkos à l’intention des foules (quand le groupe ajoute un peu de synthétiseur à la sécheresse de sa musique je trouve même que cela lui donne un petit côté à la Wire... non ?). Mais question « air du temps revivaliste » et absence d'inventivité ce sera à peu près tout, face à tant d’excitation ressentie.

Uppers
arrive à provoquer un enthousiasme certain, celui du moment, et uniquement lui. Et finalement il n’est pas si étonnant que cela que les quatre TV Priest aient signé chez Sub Pop : malgré le côté très anglais de leur musique j’y trouve aussi parfois quelques concordances avec celle d’un Pissed Jeans, surtout dans ce côté abrasif, grondant et sans concession mais très accrocheur. Oubliez donc les hippunks d’Idles et leurs bonnes intentions. Oubliez les freluquets de Shame et leurs promesses non tenues sur la longueur. Jetez-vous sur cet album sincère, cru et nuageux et bien plus signifiant qu’il n’en a l’air au départ.

 

 

dimanche 21 février 2021

[chronique express] Gatecreeper / An Unexpected Reality



 

Surprise ! Après une poignée de formats courts et deux LP, les Gatecreeper de Tuscon / Arizona nous font le coup du disque tombé du ciel et rigolo. Bon, ce n’est un secret pour personne que beaucoup de groupes signés chez Relapse n’y sortent que deux albums avant d’être soudainement pris d’une envie irrésistible d’aller voir ailleurs – sûrement une histoire de contrat-type et de royalties… C’est donc Closed Casket Activities qui se charge de mettre An Unexpected Reality sur le marché. Un 12’ distinctement divisé en deux partie : sur la première Gatecreeper fait du bourrin rapide, le death metal old school du groupe flirtant plus que de raison avec le hardcore et même le grind (sept titres tournant autour de la minute) ; sur la seconde Gatecreeper fait tout le contraire en se la jouant lent et lourd (une seule composition de onze minutes). Dans les deux cas les guitares sont accordées très bas, le double kick martèle comme les orgues de Staline et il n’y a rien à redire sur la prestation générale du groupe si ce n’est que le chanteur-moustachu Chase Mason ne me semble pas toujours très à l’aise dès qu’il s’agit de growler avec la tête dans la centrifugeuse à broyer du cactus. On retiendra donc surtout An Unexpected Reality pour sa face B et le terrible Emptiness dont les relents death doom donnent envie de hurler avec les coyotes dans les déserts sans fin d’Arizona. La suite des aventures de Gatecreeper se fera chez Nuclear Blast qui a pris l’habitude de récupérer les transfuges de chez Relapse… Le mercato du metal bat son plein.

vendredi 19 février 2021

Radical Kitten / Silence Is Violence


 


RADICAL KITTEN annonce d’emblée la couleur. Et c’est ça qui est bien. Même si sans doute cela ne convaincra personne de plus que toutes celles et tous ceux qui alléché.e.s par un si beau programme et l’affirmation claire et nette d’opinions aussi peu conventionnellement politiques ont déjà écouté ce disque ou l’écouteront demain (« politique » c’est juste le mot qu’on aime employer quand on prétend en faire, ce qui ici n’est pas le cas). Avoir pour nom Radical Kitten, appeler son premier album Silence Is Violence et débuter celui-ci par un morceau s’intitulant Wrong ! – dont les paroles répètent très clairement I Don’t Give A Shit – ne laisse guère de place au doute. Et le groupe de rajouter pour tous les mous et toutes les molles du bulbe céphalo-rachidien : nous sommes un groupe « Rrrriot post-punk meow, queer and feminist ». Je crois que je n’ai pas besoin de traduire.
Avec Radical Kitten tout est donc dans l’affirmation virulente et la revendication – l’important c’est déjà d’ouvrir sa gueule. Et de faire. Pas de chichi ni d’équivoque, ce sera ça ou rien. Et ça, c’est donc un trio mixte qui adule les chats et surtout revendique fièrement ses idées. Mais non sans un certain humour, parfois grinçant et très drôle (cf la pochette du disque). De quoi se faire haïr des fafs de tout poil et se faire mépriser par la petite bourgeoisie bienpensante et installée, surtout celle qui se revendiquant progressiste et ouverte à tout ne comprendra rien à un tel déferlement de violence et de « vulgarité ». Allons !
Allons ! Pourquoi autant de colère et de radicalité ? Ne peut-on pas tout arranger dans le respect de ce qui existe déjà ? Ces beaux préceptes qui posent les fondements de notre chouette société capitaliste, patriarcale, sexiste (etc.), cette société dont la moindre des qualités n’est pas celle de savoir constamment s’amender et s’améliorer ? (rires dans la salle)
Et bien justement : NON. Des groupes tels que Radical Kitten sont nécessaires car ils s’opposent aux discours généralistes et discriminants et refusent de rentrer dans le moule d’un débat dont le fonctionnement et les principes mêmes empêchent tout espoir d’avancées parce qu’intrinsèquement assujettis au modèle dominant. Il y a un moment ou il faut choisir et arrêter de parler à celles et ceux qui nous enjoignent d’être raisonnables (i.e. avoir une attitude démocratiquement soumise) pour leur cracher feuler à la gueule. Et c’est exactement ce que fait Radical Kitten.

Mais les messages et les idées que veulent faire passer Iso (guitare et chant), Marin (basse et chant) et Marion (batterie) ne le seraient pas aussi efficacement si la musique du groupe n’était pas aussi réussie. Une sorte de post punk chaloupé au vitriol et à l’émeri. Une basse très présente alliée à une batterie trépidante qui tissent un lit de clous et de bris de verre pour une guitare bien foutraque et un chant mixte – majoritairement féminin, le garçon se retrouvant souvent cantonné au rôle de contrepoint et de faire-valoir –, rageur et, en même temps, ultra accrocheur. Pour simplifier à outrance : Radical Kitten c’est un peu la rencontre de Melt Banana avec Crass pour un résultat se rapprochant de vieux machins tels que Dawson / Archbishop Kebab / Badgewearer / early The Ex ou, beaucoup plus près de nous, du premier album – et uniquement celui-là – d’un Trash Kit. Tu vois le genre ? Ça crie, ça grince, ça consume, ça pulse, ça groove et ça donne envie de danser frénétiquement sur les ruines d’un monde dont on ne veut plus.



[Silence Is Violence est publié en vinyle par Araki records,
Attila Tralala, Domination Queer records, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Gurdulu, La Loutre Par Les Cornes, Retratando Voces, Stonehenge records et Uppercat records]



mercredi 17 février 2021

[chronique express] Presque Maudit / Température Variable

 


 

Très grosse séance de rattrapage. J’ai fini par écouter Température Variable pour la première fois il n’y a pas si longtemps que cela. Mais j’ai deux excuses. La première est que je suis né au millénaire dernier et qu’en tant que représentant d’une espèce en voie de disparition j’écoute de la musique presque exclusivement sur support physique mais que là j’ai vraiment trainé avant de me procurer le vinyle ; la seconde est que ce deuxième album de PRESQUE MAUDIT a été publié le 5 mars 2020 soit quelques jours à peine avant le début officiel de la fin du monde.
Un an. Température Variable a donc presque un an. Et c’est un chef d’œuvre de math rock fortement teinté de noise. Le son du disque est colossal, la guitare virevolte et tranche dans le vif, la rythmique est implacable. Toutes les compositions buttent, sans aucune exception. Ce n’est pas très étonnant puisque Presque Maudit est la réunion de musiciens ayant joué dans Marylin Rambo et Grand Prédateur : le groupe allie à merveille l’inventivité progressive des premiers et la puissance hardcore des seconds. Si comme moi tu es lassé et blasé par tous ces groupes de math rock en tongs et chemises à fleurs qui confondent guignoleries festives avec musique, Presque Maudit et Température Variable auront de quoi te réconcilier avec le genre. Et bien plus encore : le trio te remontera le moral dans ce monde de merde. Incontournable. 

 


lundi 15 février 2021

Toru / self titled


  


 

Une pochette reprenant le détail d’un croquis de Léonard de Vinci (je l’ai lu dans les notes au verso). Et un nom faisant, effectivement, référence à un très gros roman de Yukio Mishima (je me suis renseigné auprès de l’un des musiciens du groupe). Toru est le prénom de l’un des protagonistes de La Mer de Fertilité, tétralogie testamentaire que l’auteur japonais considérait comme son grand-œuvre. Toru Yasunaga apparait dans le dernier tome intitulé L’Ange En Décomposition et est – peut-être – la dernière incarnation d’un seul et même personnage au milieu d’un récit multiple autour du Japon, depuis l’ère Meiji jusqu’à l’après-guerre et la reconstruction sous emprise américaine. Et c’est également un récit, finalement, évoquant l’irréalité du monde tel que nous le concevons et le percevons. Je n’ai jamais relu La Mer De Fertilité achevé par Mishima la veille de son coup d’éclat militariste et de son seppuku mais j’en garde le souvenir d’une lecture intense et fascinée malgré la difficulté de l’œuvre et des longueurs inhérentes aux démonstrations philosophiques et métaphysique de l’auteur (dans mes souvenirs de jeune homme de vingt et quelques années, des dizaines et des dizaines de pages sur les phénomènes de réincarnation et de métempsychose).
TORU c’est donc aussi un trio basé à Nice. Avec Nicolas Brisset à la batterie (mon informateur, c’est lui). Un musicien que l’on a déjà croisé puisqu’il joue, du moins lorsqu’il arrive à parcourir les quelques centaines de kilomètres qui le séparent de Reims et de ses deux petits camarades, avec Isaac, un autre trio dont on a abondamment parlé. Dans Toru les deux guitares sont elles tenues par Heloïse Francesconi et Arthur Arsenne qui par ailleurs officient au sein de HHH, groupe entièrement dédié à la musique synthétique analogique et modulaire (là aussi je me suis renseigné).

Heureusement pour nous et à la différence de La Mer De Fertilité la musique de Toru n’a jamais rien de fastidieux. Le premier album du groupe possède une immédiateté absolument remarquable. Comme si les trois musiciens jouaient là, devant nous, naturellement et librement, en direct. En fermant les yeux on imagine très bien Nicolas raclant la tranche de ses cymbales ou frappant la peau de ses fûts avec ses baguettes ; on pense à Arthur frottant les cordes de son instrument avec un tournevis en guise de plectre tout en les triturant de son autre main ; on se représente parfaitement Heloïse manipulant les effets de sa guitare pour sculpter des sons toujours plus étranges. La musique de Toru jaillit, dès le départ torrentielle et tribale mais pas exclusivement, ouvrant en grand une porte vers tous les possibles, refusant de rester dans un seul et unique registre, désignant d’entrée l’épicentre de ses secousses telluriques puis s’éloignant de ce point de départ grondant, tournant autour, l’oubliant, y revenant, passant par dessus, essayant de l’effacer puis de le retrouver, etc. Tout est question de processus et de narration autour d’idées foisonnantes et pour se faire les trois Toru multiplient autant qu’ils le peuvent les langages, les techniques, les volumes, les durées, les intensités.
Bien que systématiquement instrumentale – exception faite d’un 1, 2, 3, 4 ! tout ce qu’il y a de plus rock’n’roll en introduction de Trotteur Orlov et renvoyant, mais peut-être n’est-ce là qu’un pur hasard, à The Map des Deity Guns – la musique du groupe ne reste pas dans un seul registre et mélange noise, post, proto, free, truc et machin avec un sens de la temporalité qui laisse béat d’admiration. Entre autres, le rythme régulier de la batterie sur la deuxième partie de Diligence se rapproche curieusement du battement rassurant et inflexible d’une vieille horloge de campagne, une de celles dont le mécanisme est entrainé par la force de poids qu’il faut sans cesse remonter, tandis que les deux guitares jouent délicatement mais assurément au chat et à la souris.
L’album est d’une densité rare et sa durée relativement courte pour un enregistrement de musique instrumentale (37 minutes) n’enlève rien au sentiment d’achèvement et de dépaysement que l’on peut ressentir à son écoute. Mais en parlant d’achèvement je ne veux pas dire que Toru prétend faire le tour de la question : bien au contraire le groupe reste perpétuellement en état de recherche ; tout comme par dépaysement je n’entends que l’invitation à être emmener toujours plus loin. Jamais un locked groove placé en fin de disque ne m’aura semblé plus pertinent.

 

[le premier album sans titre de Toru est publié en CD et en vinyle par Araki records, Jarane, Pied De Biche et Poutrage records]

 

dimanche 14 février 2021

Comme à la radio : The Grasshopper Lies Heavy

 


 

 

Avec son nom tiré d’un bouquin de Philip K. Dick THE GRASSHOPPER LIES HEAVY est du genre à ne rien vouloir faire comme tout le monde, ce qui en soit est déjà une immense qualité. Chaque enregistrement de ce trio originaire du Texas est toujours différent du précédent et je crois que je n’en ai pas écouté deux qui se ressemblent réellement.
The Grasshopper Lies Heavy
n’hésite donc pas à s’essayer au sludge, au metal, au noise-rock, au post hardcore, au post rock… La plupart du temps la musique est complètement instrumentale mais il me semble que le trio a davantage utilisé le chant sur ses derniers enregistrements. Bref, avec The Grasshopper Lies Heavy on pourrait facilement s’y perdre et pourtant on y revient à chaque fois, sans doute parce que le groupe, quoi qu’il fasse, fait toujours preuve d’une incroyable maitrise et de beaucoup d’imagination.

Pourtant on ne manquera pas d’être un peu décontenancé en découvrant l’une de ses dernières productions :

 

 

We Shouldn’t Be Here b​/w Façade of Niceity est publié uniquement en cassette (et en édition limitée) et présente deux très longues compositions complètement instrumentale de vingt minutes chacune et cette fois ci enregistrées à deux musiciens. Il n’y a pas de batterie et seuls James Woodard (guitare et synthétiseur) et Mario Trejo (guitare) apparaissent ici. Très marqué par la musique ambient et notamment Tangerine Dream – une influence ouvertement citée par The Grasshopper Lies HeavyWe Shouldn’t Be Here est une composition lente et linéaire qui nécessite beaucoup d’attention de la part de l’auditeur. Le groupe recommande d’ailleurs d’écouter sa musique très fort pour en saisir toutes les nuances et percevoir correctement toute l’amplitude des fréquences utilisées. Il n’en demeure pas moins que We Shouldn’t Be Here devrait ravir tous les amateurs d’ambient un rien mélancolique et nocturne.

Façade of Niceity est une composition un peu plus dynamique et un plus accidentée. Cette fois l’influence majeure de The Grasshopper Lies Heavy est plutôt à chercher du côté des formidables Barn Owl (une référence également revendiquée) ne serait-ce qu’avec l’intervention de cette guitare spectrale et somptueusement minérale en plein milieu du morceau. A vrai dire je préfère lorsque le groupe se laisse ainsi un peu plus aller. Mais dans les deux cas The Grasshopper Lies Heavy a à nouveau créé la surprise et démontré son caractère unique…

 

 

vendredi 12 février 2021

Stef Ketteringham / Cry And Sing

 

Stef Ketteringham a publié son premier album solo en septembre 2016. Guitar Arrangements est un disque aride, sec, désossé, déstructuré presque, et s’il y a une moto sur la pochette c’est peut-être parce que Stef a eu un terrible accident en mai 2015, un accident entrainant d’importantes conséquences et qui aurait pu lui coûter très cher. Un accident le blessant à la main et l’empêchant de continuer à jouer la musique de son groupe Shield Your Eyes (officiellement séparé en novembre 2015) ainsi que ses propres compositions mais le poussant à trouver d’autres moyens, d’autres façons, d’autres techniques pour réussir à s’exprimer. C’est un peu cela Guitar Arrangements : le résultat d’une résistance, d’une résilience – je déteste ce mot là mais tant pis – et sans doute faut-il voir dans ce nom d’album comme un jeu de mot, ce n’est pas tant de guitare dont il est question mais d’un musicien qui a du trouver comment s’arranger avec les aléas de la vie.
Cette histoire me fait penser à celle du grand guitariste anglais Derek Bailey, chantre de l’improvisation libre que ce soit avec le Spontaneous Music Ensemble ou en solo, et qui à la fin de sa vie avait fait face à des problèmes de canal carpien. Ce qui l’avait obligé à totalement repenser sa musique et sa façon de jouer (on peut écouter le résultat de cette transformation sur l’album Carpal Tunnel publié en 2005 par Tzadik). Les comparaisons entre Derek Bailey et Stef Ketteringham pourraient s’arrêter là mais je trouve malgré tout de nombreux points communs entre les sculptures effilées et équilibristes du premier et le blues atomisé et ensauvagé du second. Une sorte de beauté poétique commune.

 


 

Depuis Guitar Arrangements Stef Ketteringham a formé Reciprocate – un nouveau groupe en compagnie d’Henri Grimes, l’ancien batteur de Shield Your Eyes – et il a également enchainé les enregistrements en solo. Le dernier en date s’intitule Cry And Sing et a été publié en octobre dernier sur Romac Puncture Repairs, le propre label du guitariste. Bien que le style de jeu de Stef soit à chaque fois immédiatement indentifiable Guitar Arrangements et Cry And Sing sonnent assez différemment. Le premier est un album pur et dur de guitare seule et sans aucun ajout. Comme peuvent le suggérer sa pochette et surtout son titre, le second est davantage une collection de chansons : le musicien ne fait pas que d’y jouer de la guitare, il chante également et il s’accompagne de percussions (une grosse caisse jouée au pied), rejoignant la vieille tradition du one man band.
En grossissant le trait et en simplifiant on pourrait affirmer que Cry And Sing présente une version encore plus épurée de la musique de Stef Ketteringham avec ses groupes – que ce soit Shield Your Eyes ou Reciprocate. On y retrouve les mêmes mélopées / complaintes déchirantes et teintées d’un blues-folk par très orthodoxe, parfois dissonant et où l’exaltation de l’émotion semble être le seul but à atteindre. Il arrive que la voix se casse, parfois pas très juste, que la guitare parte de traviole ou se mette à ruer et que le rythme se fasse irrégulier, un peu comme un battement cardiaque tachycardique, donnant aux compositions du chanteur/guitariste un caractère systématiquement authentique et généreux. Totalement honnête. Et avec ses faux airs de Captain Beefheart isolationniste joué avec un surplus de poésie et de sensibilité, Cry And Sing est aussi un album qui flirte constamment avec les notions d’effondrement, de dérapage et d’expérimentation. Stef Ketteringham semble vouloir tout oser, rassemblant tous les moyens dont il dispose pour arriver à ses fins, et s’il échoue – mais lui seul sûrement pourrait nous dire si c’est le cas ou non – on ne s’en rendra jamais compte, complètement subjugué par cette musique faite de chair et de cœur. Encore un très beau disque de la part d’un musicien aussi rare qu’inestimable. 

 

 

mercredi 10 février 2021

[chronique express] Mange Ferraille / Erba Spontanea



 

Erba Spontanea est la suite logique et attendue du premier album sans titre de Mange Ferraille. Trois années séparent les deux disques, trois années visiblement mises à profit pour étoffer et perfectionner la musique cyclique, répétitive, millimétrée mais organique du trio. Sauf que cette fois Anthony Fleury (guitare baryton, orgue et voix), Thibault Florent (guitare et orgue) et Etienne Zemniak (batterie) ont fait le pari d’un seul et long titre à épisodes, étalé sur près de quarante minutes : Erba Spontanea développe inlassablement ses tourneries, affole inexorablement le tensiomètre et transforme circonvolutions répétitives et micro-décalages en maelstrom pyrotechnique et en mantra tribal. Ecouter ce disque c’est comme contempler une éruption volcanique au ralenti, se délecter voluptueusement de la température qui monte, oser s’exposer avec hardiesse aux morsures impitoyables du feu et finir complètement enseveli et possédé, jusqu’au cri, entre stupéfaction et fascination

 

 

lundi 8 février 2021

Exhalants / Atonement


C’est déjà l’heure du deuxième album  pour EXHALANTS, jeune trio originaire d’Austin / Texas. Deux années après un premier essai tout ce qu’il y avait de plus réussi et de plus prometteur, Bill Indelicato (basse), Tommy Rabon (batterie) et Steve Pike (guitare et chant) sont donc de retour avec un Atonement qui casse littéralement la baraque et repousse les limites de ce cher bon vieux noise-rock à papa. Oui. Si j’étais en train de te parler musique en vrai, comme dans l’ancien temps lors d’une conversation enflammée autour d’un pack de bières ou d’une bouteille de vodka glacée (mais on peut toujours rêver), tu entendrais ma voix tremblotante de houblon et d’électricité te faire l’apologie d’un album assurément et lourdement furieux et pourtant d’une subtilité certaine.
La subtilité dans le noise-rock qu’est-ce que cela signifie ? Rien d’autre que la faculté et le talent de ne pas se laisser déborder ni dévorer par ses propres démons électriques, ne pas tout abandonner à la facilité du bruit divin, aux sirènes des guitares qui découpent grossièrement, aux rythmiques qui ne font que tout écraser et au chant beuglard sans vergogne. Foncer droit dans le mur et réussir à passer au travers, il y a finalement très peu de groupes qui y sont arrivés (meilleurs exemples en la matière : Unsane et Cherubs) et tellement d’autres qui ont échoué, se contentant de singer ce que finalement ils sont dans la triste réalité, des bourrins plus ou moins sympathiques (non, pas d’autres exemples à citer sur ce coup là, mon secrétariat personnel est déjà débordé par tout un flot de courriers d’insultes avec menaces à la clef).

 


 

Et puis il y a tous les autres groupes, ceux que je préfère et de loin, qui ont compris que pour faire ressentir un peu de personnalité dans leur musique il faut surtout y insuffler de l’étrangeté, de la déviance, de la roublardise, du vice – parfois les quatre à la fois. C’est dans cette catégorie de groupes que je range – façon de parler, évidemment – Big Black, les Butthole Surfers, Distorted Pony, Slug, US Maple, Dazzling Killmen, Craw ou autres Couch Slut et Hoaries (pour parler cette fois de l’époque actuelle). Des groupes qui musicalement n’ont rien à voir entre eux mais qui possèdent tous quelque chose de différent. Un caractère propre. Et Exhalants fait partie de cette élite. Atonement a été publié par Hex records, un label de Portland dont le catalogue révèle des goûts très sûrs (Ed Gein, Playing Enemy, Grizzlor, The Great Sabatini, Great Falls, Gaytheist, USA Nails et tout récemment Alpha Hopper dont on reparlera bientôt).
Les premières secondes de The Thorn You Carry On Your Side et sa ligne de basse à la Fudge Tunnel nous donnent une précieuse indication : Exhalants n’aura rien à envier aux autres. Bang puis Passing Perceptions confirment immédiatement. La basse est placée en tête de gondole et le restera jusqu’à la fin disque, monumentale. Ce n’est pas un hasard non plus si en énumérant le line-up du groupe j’ai précisément commencé par nommer le bassiste et sa grosse (grosse) Rickenbacker. Rarement j’aurai écouté un enregistrement où cet instrument joue un rôle aussi central, pivot, éclairant et fédérateur. Tu connais mon amour biblique et quasiment inconditionnel pour les groupes dotés d’une quatre-cordes proéminente – non, pas d’analyse psychologico-phallique s’il te plait – pourtant Exhalants atteint un nouveau degré de monstruosité avec des lignes de basse alliant sécheresse qui claque façon Table et puissance de frappe digne d’un Godflesh.

Atonement
c’est aussi des tonnes de trouvailles et de détails qui mis tous ensemble donnent à la musique d’Exhalants son caractère personnel. Le très post hardcore (dans le sens employé dans les années 90) Definitions évoque un A Minor Forrest en plus torturé. Quant à Lake song et ses instruments additionnels – de la trompette et du violoncelle – je ne peux pas m’empêcher d’y trouver comme une pointe de June Of 44 et d’Engine Kid.
Sur les compositions les plus virulentes, les plus lourdes et les plus puissantes c’est la guitare qui occupe le poste de coloriste et assure le contrebalancement. Une guitare qui n’hésite pas à déraper, à irriter ou à enflammer mais surtout qui ne rechigne jamais à recourir au pouvoir des mélodies. Un enveloppement subtil et bien soigneusement délimité dont l’évidence princière s’impose face aux martèlements terrassiers non domesticables du couple rythmique. L’équilibre parfait entre la fureur et l’éclat, entre la crasse et la noblesse. Avec Atonement les trois Exhalants s’imposent parmi les plus grands et les plus dignes représentants d’un genre – le noise-rock – qui a donc toujours son mot à dire.


[Atonement est publié en CD et en vinyle noir, bleu transparent et rose uni ou fruité-marbré par Hex records]

 

 

vendredi 5 février 2021

Brame / Ce qui rôde



 

Lorsqu’on regarde d’un peu plus près la discographie de BRAME, on s’aperçoit tout de suite d’une chose, très importante : jusqu’ici tous les enregistrements du duo ont été autoproduits. Sans exception. Brame c’est José à la guitare et Serge à la voix, deux types dans leur coin, plutôt discrets à vrai dire et qui font leur truc bien à eux. Je me suis alors rappelé de cette fois où j’avais trouvé dans ma boite-aux-lettres le CDr d’un groupe dont je ne connaissais encore rien. Une belle présentation, avec un nom : celui de Brame. Et un petit mot accompagnant le disque, Tenaille, qui m’avait tenu en haleine. Ou plutôt qui m’avait mordu jusqu’au sang, ne lâchant rien. Jusqu’à ce jour de 2013 où La Nuit, Les Charrues  a débarqué à son tour. Toujours plus loin. Puis ce fut Basses Terres. Un vrai CD cette fois, avec une présentation encore plus belle et encore plus attirante. On était déjà en 2015, une sale année pour tout dire. Maintenant j’ai un peu de mal à faire la part des choses. Entre ce qu’alors je refusais d’entendre du côté du réel (disons, pour faire simple : celui du fracas et de la destruction) et ce que j’entendais au delà, comme à chaque fois que je mettais Basses Terres dans le lecteur.

Je n’ai pas réécouté Basses Terres ni ses deux prédécesseurs depuis des années maintenant. Sans doute par peur d’y retrouver ce que j’ai voulu fuir. Des conversations insensées à n’en plus finir, des horizons depuis longtemps effondrés, des promesses non tenues, des existences disparues, des regards éteints, des mains qui se desserrent (les mains qui se desserrent : voilà le plus important). Tout en sachant aussi ce qu’il y avait – ce qu’il y a toujours – dedans : des tranches de vie(s). Bien saignantes les vies, et puis découpées avec un vieux couteau tout rouillé. Un vrai travail de sagouin, quelque chose d’irrécupérable mais dont on ne peut pas se défaire. La violence de la musique de Brame est souvent, toujours, ainsi. Insoutenable si on la prend comme telle. Une vraie torture, sans échappatoire.
Alors que de là surgit aussi toute sa beauté. Au milieu d’un grand ragout de tripes faisandées. Des lambeaux de chairs et d’existences assaisonnés d’une sale guitare – la seule que je connaisse comme ça. Une musique qui en quelques notes brûlantes et vibrantes réussit à associer blues des cavernes, paysages rocheux, vieilles voies ferrées parcourues par des trains fantômes, bêtes sauvages affamées, crépuscules orageux, plaines désertiques, refuges de fortune, gémissements de proies aux abois, marches solitaires, rivières torrentielles. Peu importe l’ordre.

Ce qui rôde est le quatrième album de Brame. Je pourrais (je vais) dire que c’est le plus beau parce que pour la première fois c’est un vinyle, bien épais et bien dense, dans une pochette en gros carton qui l’est tout autant. Sans oublier les inserts sérigraphiés, un autocollant. C’est un objet. (Sans code-barres, sans aucune référence, sans dépôt de droits d’auteurs ni logo régional de subventions culturelles.) Mais je vais dire que c’est le plus beau surtout à cause de la musique qu’il contient. Celle que je n’avais pas oubliée. La guitare qui remue la boue et convoque le vent. Les battements minéraux. L’harmonica au loin. Les hurlements de vie. Et la paix qu’il ramène avec lui, la sérénité presque, une fois que l’on a compris et senti que la violence de cette musique n’en est pas réellement une, que c’est plutôt comme un monde qui s’ouvre et que s’ouvrir comme ça et bien ça peut faire mal. Je suis heureux de savoir que tu fais encore partie du monde des vivants. Et je suis heureux d’en faire encore partie moi aussi. 

 

 

mercredi 3 février 2021

Thou & Emma Ruth Rundle / The Helm of Sorrow


Je ne sais pas du tout où j’étais allé chercher cette info mais le 12’ réunissant à nouveau THOU et EMMA RUTH RUNDLE n’a pas attendu le mois de mars 2021 pour être dans les bacs – comme quoi il ne faut vraiment pas prendre au pied de la lettre tout ce que tu peux lire ici. Pour être un peu plus exact The Helm Of Sorrow a d’abord été publié en guise de disque bonus avec la version dite « die hard » de l’album May Ours Chambers Be Full. Et il bénéficie donc maintenant d’une parution séparée. Une fois de plus et pour le plus grand bonheur des collectionneurs à haut pouvoir d’achat, le label Sacred Bones aura multiplié les formats et les versions et en même temps prouvé que question marketing et tiroir-caisse il en connait un sacré rayon.
Cela me chiffonne un peu parce que Thou a toujours eu cette réputation – justifiée – de ne pas faire n’importe quoi, de ne pas abuser, d’être engagé politiquement et plutôt investi dans les questions DIY. Je dois pourtant reconnaitre qu’en signant avec un label tel que Sacred Bones il a fait n’importe quoi… Mais n’oublions pas non plus le facteur sanitaire : avec la crise du coronavirus publier toujours plus de disques et les vendre toujours plus cher reste le seul moyen pour les groupes (et leurs labels) de continuer à vivre plus ou moins de leur musique. Monde de merde.




Ceci dit, la seule question que l’on peut maintenant se poser est : si comme moi on a adoré May Our Chambers Be Full, va-t-on également plébisciter son successeur The Helm Of Sorrow ? Oui, assurément. Pourtant il y a quelques nuances à apporter. May Our Chambers Be Full est un vrai album collaboratif. THOU et Emma Ruth Rundle peuvent se partager les mérites d’un disque particulièrement réussi et la chanteuse n’est pas là pour faire de la figuration ni servir de décoration d’intérieur. Changement de méthodologie avec The Helm Of Sorrow sur lequel Emma Ruth Rundle prend beaucoup moins de place. Une fois passée l’introduction un rien pompeuse d’Orphan Limbs c’est bien à du Thou pur et dur auquel nous avons doit, autrement dit un metal viscéral et méchant, poisseux et gras, sombre et nerveux. Et cela continue avec Crone Dance sur lequel Emma Ruth Rundle n’apparait qu’au moment des refrains ou en pointillé, assise sur un strapontin. On remarque surtout que la voix de la chanteuse est un peu sous-mixée, ce qui ne sera pas pour déplaire à toutes celles et tous ceux qui sont réticent.e.s par rapport à ses prouesses de chanteuse et au mélange gros metal / chant de princesse des ténèbres. Avec Recurrence c’est un peu la même, Emma Ruth Rundle continuant de jouer les seconds rôles dans le fond du mix et au moment des refrains. Pour l’instant The Helm Of Sorrow  devrait contenter les quelques déçu.e.s de l’album May Ours Chambers Be Full (il parait qu’il y en a).

Arrive le gros morceau du disque. Hollywood est une reprise des atroces Cranberries. Emma Ruth Rundle et Thou reprenaient déjà régulièrement ce titre en concert, comme en témoignent quelques captations vidéo que l’on peu aisément trouver sur les internets*. Mais je jubilais avant même d’écouter cette version studio, imaginant la chanteuse des Cranberries se retournant dans sa tombe rien qu’à l’évocation d’une telle reprise. C’est là que le fameux – et fumeux – débat « faut-il séparer l’homme / la femme de l’artiste ? » prend tout son sens. Lorsqu’on ouvre sa gueule et que l’on profite de son audience et donc de son pouvoir pour la ramener et faire de la politique la réponse est évidemment NON.
Dans le cas de Dolores O’Riordan, connue pour ses positions anti-avortement, ses critiques contre le féminisme et son catholicisme traditionnaliste et militant (elle a chanté plusieurs fois au concert de Noël du Vatican), avoir une de ses chansons-phare reprise par un groupe de branlos libertaires tels que Thou relève du blasphème et de la profanation. Et cela me fait hurler de rire (imagine un peu les chéris de Fange reprenant Les Lacs Du Connemara ou les teigneux d’Hørdur s’attaquant à du Didier Barbelivien par la face nord). Malheureusement la version que donnent Emma Ruth Rundle et Thou de Hollywood reste convenue – principal avantage malgré tout : on n’a pas à subir le chant insupportable de Dolores O’Riordan – et assez sage, sans que l’on y sente trop de relents de corruption ou de putréfaction. Quelque chose me dit qu’Emma et ses petits copains du moment sont peut-être bien des vrais fans de la musique des Cranberries et qu’ils n’ont pas osé aller trop loin dans le dynamitage. Après tout on peut très bien être un excellent groupe et une excellente musicienne et avoir des goûts de chiottes. Quant à Dolores, elle a disparu depuis longtemps dans le tout-à-l’égout.


[The Helm Of Sorrow est publié en vinyle et en CD par Sacred Bones]

 

* par exemple, ou bien ici (avec une qualité sonore bien meilleure)

 

 

lundi 1 février 2021

Contractions - The Horsebites / split

 

Voici sans aucun doute possible le plus bel objet de ce début d’année : un 12’ réunissant deux groupes de Lyon avec les Contractions et The Horsebites. Normalement lorsque on parle de split on évoque successivement les deux faces du disque, chaque formation s’en octroyant une, mais dans le cas de ce très (très) beau disque les contributions des deux groupes s’enchainent sur la première face et s’il en est ainsi c’est parce que la seconde est non gravée, entièrement sérigraphiée et qu’en plus le vinyle en lui-même est transparent. La sérigraphie est donc visible des deux côtés, avec un dessin signé Rick Froberg (Pitchfork, Drive Like Jehu, Hot Snakes et Obits, une vraie légende à lui tout seul). La grande classe.
Même en me creusant un peu la tête je n’ai pas trouvé beaucoup d’exemples comparables mis à part celui de More Vultures, Hyenas And Coyotes, un 12’ publié en 2007 par un autre groupe de Lyon : SoCRaTeS. Mais présentement le concept est poussé encore plus loin, le vinyle des Horsebites et des Contractions étant emballé dans une pochette elle aussi transparente et uniquement agrémentée d’un obi double face très élégant. Cet objet de désir profondément fétichiste a été publié grâce aux efforts conjoints d’Echo Canyon records et de Dangerhouse Skylab. Quant à la sérigraphie, elle a été façonnée par les petites mains délicates de la fine équipe de No Sun No Media.

 


 

Mais parlons un peu musique. Parce qu’un beau disque c’est bien mais un bon disque c’est tellement mieux. Et là aussi il n’y a vraiment rien à en redire. Ce sont les CONTRACTIONS qui ouvrent le bal avec un Qu’On N’en Parle Plus d’excellente facture et dans la lignée directe de leur premier album Demain Est Annulé. On y retrouve cette énergie quasi juvénile entre punk franc et direct et pop garagiste, le tout accompagné d’une belle fougue existentielle et de textes toujours aussi sensibles. Ecouter une telle musique fait vraiment du bien tout comme elle peut inciter à la rage, celle contre l’interdiction actuelle des concerts pour raisons sanitaires. Car Qu’On N’en Parle Plus donne surtout envie de voir les Contractions en live, de se trémousser, de transpirer et de postillonner sans retenue. Oui je rumine (et je fulmine). Le deuxième titre proposé par le groupe est une sacrée surprise et pas uniquement parce qu’il s’agit d’une reprise de Marie Et Les Garçons : A Bout De Souffle va réellement comme un gant aux Contractions et on pourrait presque croire qu’il s’agit d’une de leurs propres compositions…
THE HORSEBITES prennent ensuite la relève. Eux aussi ont déjà un premier (et excellent) album au compteur et leur garage aristocratique mi-poppy mi-noisy sent bon la vieille tourbe et la maturation décennale en fûts de chêne. Si on a déjà écouté Shadows on ne sera donc pris au dépourvu ni par le tubesque Kimmy ni par Party Boy et son allure de bombardier en mode aéroglisseur. Deux titres qui confirment tout le savoir-faire un rien désinvolte mais néanmoins consciencieux de The Horsebites, un groupe qui lui aussi incite fortement à partager sa salive avec sa voisine ou son voisin.