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mercredi 3 février 2021

Thou & Emma Ruth Rundle / The Helm of Sorrow


Je ne sais pas du tout où j’étais allé chercher cette info mais le 12’ réunissant à nouveau THOU et EMMA RUTH RUNDLE n’a pas attendu le mois de mars 2021 pour être dans les bacs – comme quoi il ne faut vraiment pas prendre au pied de la lettre tout ce que tu peux lire ici. Pour être un peu plus exact The Helm Of Sorrow a d’abord été publié en guise de disque bonus avec la version dite « die hard » de l’album May Ours Chambers Be Full. Et il bénéficie donc maintenant d’une parution séparée. Une fois de plus et pour le plus grand bonheur des collectionneurs à haut pouvoir d’achat, le label Sacred Bones aura multiplié les formats et les versions et en même temps prouvé que question marketing et tiroir-caisse il en connait un sacré rayon.
Cela me chiffonne un peu parce que Thou a toujours eu cette réputation – justifiée – de ne pas faire n’importe quoi, de ne pas abuser, d’être engagé politiquement et plutôt investi dans les questions DIY. Je dois pourtant reconnaitre qu’en signant avec un label tel que Sacred Bones il a fait n’importe quoi… Mais n’oublions pas non plus le facteur sanitaire : avec la crise du coronavirus publier toujours plus de disques et les vendre toujours plus cher reste le seul moyen pour les groupes (et leurs labels) de continuer à vivre plus ou moins de leur musique. Monde de merde.




Ceci dit, la seule question que l’on peut maintenant se poser est : si comme moi on a adoré May Our Chambers Be Full, va-t-on également plébisciter son successeur The Helm Of Sorrow ? Oui, assurément. Pourtant il y a quelques nuances à apporter. May Our Chambers Be Full est un vrai album collaboratif. THOU et Emma Ruth Rundle peuvent se partager les mérites d’un disque particulièrement réussi et la chanteuse n’est pas là pour faire de la figuration ni servir de décoration d’intérieur. Changement de méthodologie avec The Helm Of Sorrow sur lequel Emma Ruth Rundle prend beaucoup moins de place. Une fois passée l’introduction un rien pompeuse d’Orphan Limbs c’est bien à du Thou pur et dur auquel nous avons doit, autrement dit un metal viscéral et méchant, poisseux et gras, sombre et nerveux. Et cela continue avec Crone Dance sur lequel Emma Ruth Rundle n’apparait qu’au moment des refrains ou en pointillé, assise sur un strapontin. On remarque surtout que la voix de la chanteuse est un peu sous-mixée, ce qui ne sera pas pour déplaire à toutes celles et tous ceux qui sont réticent.e.s par rapport à ses prouesses de chanteuse et au mélange gros metal / chant de princesse des ténèbres. Avec Recurrence c’est un peu la même, Emma Ruth Rundle continuant de jouer les seconds rôles dans le fond du mix et au moment des refrains. Pour l’instant The Helm Of Sorrow  devrait contenter les quelques déçu.e.s de l’album May Ours Chambers Be Full (il parait qu’il y en a).

Arrive le gros morceau du disque. Hollywood est une reprise des atroces Cranberries. Emma Ruth Rundle et Thou reprenaient déjà régulièrement ce titre en concert, comme en témoignent quelques captations vidéo que l’on peu aisément trouver sur les internets*. Mais je jubilais avant même d’écouter cette version studio, imaginant la chanteuse des Cranberries se retournant dans sa tombe rien qu’à l’évocation d’une telle reprise. C’est là que le fameux – et fumeux – débat « faut-il séparer l’homme / la femme de l’artiste ? » prend tout son sens. Lorsqu’on ouvre sa gueule et que l’on profite de son audience et donc de son pouvoir pour la ramener et faire de la politique la réponse est évidemment NON.
Dans le cas de Dolores O’Riordan, connue pour ses positions anti-avortement, ses critiques contre le féminisme et son catholicisme traditionnaliste et militant (elle a chanté plusieurs fois au concert de Noël du Vatican), avoir une de ses chansons-phare reprise par un groupe de branlos libertaires tels que Thou relève du blasphème et de la profanation. Et cela me fait hurler de rire (imagine un peu les chéris de Fange reprenant Les Lacs Du Connemara ou les teigneux d’Hørdur s’attaquant à du Didier Barbelivien par la face nord). Malheureusement la version que donnent Emma Ruth Rundle et Thou de Hollywood reste convenue – principal avantage malgré tout : on n’a pas à subir le chant insupportable de Dolores O’Riordan – et assez sage, sans que l’on y sente trop de relents de corruption ou de putréfaction. Quelque chose me dit qu’Emma et ses petits copains du moment sont peut-être bien des vrais fans de la musique des Cranberries et qu’ils n’ont pas osé aller trop loin dans le dynamitage. Après tout on peut très bien être un excellent groupe et une excellente musicienne et avoir des goûts de chiottes. Quant à Dolores, elle a disparu depuis longtemps dans le tout-à-l’égout.


[The Helm Of Sorrow est publié en vinyle et en CD par Sacred Bones]

 

* par exemple, ou bien ici (avec une qualité sonore bien meilleure)

 

 

mercredi 16 décembre 2020

[chronique express] Thou & Emma Ruth Rundle / May Our Chambers Be Full

 



Histoires d’a priori et de préjugés d’un vieux ronchon à lunettes, épisode 524 : je n’avais pas du tout envie d’écouter ce disque, je m’en méfiais comme de la peste bubonique et des dérives sécuritaires de nos vieilles démocraties à bout de souffle. J’avais en fait beaucoup trop peur qu’il ne soit qu’un projet de circonstance savamment orchestré par une maison de disques un peu trop envahissante mais c’était bien mal connaitre et sous-estimer le meilleur groupe de metal du monde.
Réunissant donc Emma Ruth Rundle et THOU May Our Chambers Be Full est une très belle réussite avec ses huit compositions où chacune des deux parties sert l’autre le mieux possible, c’est-à-dire admirablement. Tout simplement un chef d’œuvre de doom sludge spectral et brumeux. Ce disque est déjà épuisé, c’est dire si son succès est mérité, mais il sera réédité par le label qui entretemps a annoncé la suite des aventures de nos tourtereaux de l’extrême avec la parution d’un EP quatre titres intitulé The Helm of Sorrow, pour mars 2021, c’est-à-dire pile-poil après la fin du troisième confinement. Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule.

 

 

mercredi 4 novembre 2020

VA / What Is This That Stands Before Me ?

 

Et bien… comment le dire ? Je suis un imbécile. Un imbécile qui dès qu’il aperçoit dans les parages un disque compilant des reprises d’un groupe qu’il aime plutôt bien par quelques autres groupes que parfois il aime beaucoup se dit que le disque en question est peut-être bien fait pour lui. Il y a quelques semaines j’ai parlé de Really Bad Music For Really Bad People, une compilation mi-figue mi-raisin consacrée aux Cramps... Et voilà que débarque What Is This That Stands Before Me ?, un double vinyle publié chez les new-yorkais de Sacred Bones records, consacré à BLACK SABBATH et comprenant des reprises par des groupes issus du label. Il faut dire aussi que l’occasion était trop belle : les deux premiers albums de la bande à Ozzy Osbourne et Tommy Iommi ont été publiés en 1970, respectivement le 13 février pour le premier éponyme et le 22 septembre pour le second, le génial et l’insurpassable Paranoid (huit titres, six tubes). Ces deux disques ont donc fêté leurs cinquante printemps cette année et comme notre époque est très friande d’hommages nostalgiques et autres commémorations passéistes – c’est sûrement la fin du monde humain approchant à grands pas qui fait ça – il semblait logique qu’un label aussi arty que Sacred Bones en fasse quelque chose.
Tout d’abord il convient de préciser que What Is This That Stands Before Me ? n’est pas un double album mais un double 12’ c’est-à-dire que les deux galettes tournent en 45 tours et que la durée totale de cette compilation est de 50 minutes. Les neuf titres qui la composent auraient bien pu tenir sur un simple LP mais il est vrai qu’un double vinyle ça fait beaucoup plus classe et que surtout cela se vend beaucoup plus cher. Surtout que quelques unes des reprises proposées ici sont des plus dispensables… comme on va le voir What Is This That Stands Before Me ? aurait largement pu prendre la forme d’un unique 12’ avec seulement trois ou quatre titres. C’est dire si cette compilation est un énième trompe-l’œil à l’usage des crédules et des naïfs. 

 


 

What Is This That Stands Before Me ? démarre pourtant très bien avec The Soft Moon et une version bien darkos post punk de Black Sabbath, le célébrissime titre d’ouverture du premier album des Sab Four. Tout y est, depuis la cloche qui résonne lugubrement au début jusqu’à l’ambiance indus frigidaire bien martelée. Je ne suis pas du tout fan du groupe de Luis Vasquez mais je dois avouer que sur ce coup là The Soft Moon n’est pas loin de casser la baraque. Молчат Дома / Molchat Doma est un groupe biélorusse apparemment tout récemment signé par Sacred Bones, un groupe que l’on pourrait qualifier de synth-pop ultra kitsch et sur lequel il n’y a pas trop lieu de s’étendre : il reprend Heaven And Hell, soit un titre de la période Ronnie James Dio de Black Sabbath et cela ne me fait ni chaud ni froid. Par contre et comme on pouvait s’y attendre Thou – grand groupe devant l’éternel – déchire tout avec une superbe version de Supernaut agrémentée d’un passage bossa-nova apocalyptique. Difficile alors pour Marissa Nadler de passer après. Sa reprise de Solitude (de l’album Master Of Reality en 1971) semblait pourtant bien pouvoir lui convenir mais je m’ennuie un peu… Tout comme avec N.I.B. repris par Hilary Woods, encore plus éthéré et moins inspiré. OK : je n’ai pas de cœur. Et c’est déjà la fin du premier disque.
Le massacre continue avec Zola Jesus qui a jeté son dévolu sur Changes, le slow ultra niais qui orne de paillettes dorées le Vol. 4 de Black Sabbath (1972). Je comprends alors un peu trop tard que
What Is This That Stands Before Me ? préfère se cantonner majoritairement dans les compositions les plus molles du groupe anglais. Et ça continue avec l’ « incontournable » Planet Caravan par Moon Duo. L’original ne durait que quatre minutes, le groupe de Sanae Yamada et Ripley Johnson l’étire au delà de neuf et c’est neuf minutes de trop, bourrées de bablocheries psychédéliques qui feraient presque regretter Marissa Nadler, Hilary Woods et Zola Jesus réunies. Quant à Dean Hurley, il s’agit d’un musicien / producteur et collaborateur régulier de David Lynch. On peut se demander ce que vient faire ici sa version « Bar Band » de Warning qui en fait n’est pas une composition de Black Sabbath mais une reprise d’un titre de The Aynsley Dunbar Retaliation qu’Ozzy and C° avaient placé à la fin de leur premier album (il y a donc une erreur dans les crédits de la compil). Et inutile de dire que l’on frise le ridicule, ce Warning n’ayant strictement aucun intérêt.
Pour finir Uniform a la lourde tâche de remonter le niveau avec Symptom Of The Universe, titre-phare de l’album Sabotage (1975). Problème : cette reprise de Symptom Of The Universe n’est absolument pas inédite, figurant déjà en face B du maxi Ghosthouse, premier disque que Uniform a jamais publié chez Sacred Bones en 2016, avant même l’album Wake In Fright. La version 2020 ne me semble pas différer de celle de 2016 et ce n’est pas le mastering signé James Plotkin qui ajoutera un quelconque intérêt à quelque chose que l’on connaissait – et appréciait – déjà. Conclusion : passe ton chemin et je ne peux que t’adresser toutes mes félicitations si jamais tu viens de perdre ton temps précieux à lire cette chronique de plus de 900 mots et se terminant sur ce terrible constat d’échec. 

 

[What Is This That Stands Before Me ? est publié en double vinyle noir, vert ou violet par Sacred Bones]

mercredi 8 mai 2019

Ragana & Thou / Let Our Names Be Forgotten






Publié à l’automne 2018 Let Our Names Be Forgotten est un album estampillé Ragana & Thou. Bien que ces derniers soient assez friands de l’exercice il ne s’agit pas d’une collaboration en bonne et due forme entre les deux groupes mais d’un split LP, chacun s’occupant d’une face rien qu’à lui. Et voilà bien une phrase qui m’ennuie. Non pas pour ce qu’elle exprime – un disque, deux groupes – mais parce que sa tournure strictement genré au masculin oublie quelque chose d’important : Ragana est un duo de filles se définissant comme anarchistes et féministes et jouant une musique souvent qualifiée de witch doom.
Les étiquettes cela me fatigue toujours un peu (beaucoup) parce que pendant que l’on perd son temps à mettre les gens et les musiques dans des petites cases on passe toujours à côté de l’essentiel. Mais des fois les étiquettes servent quand même à quelque chose, surtout lorsque elles sont à ce point revendiquées. C’est bien le cas pour Ragana dont les engagements, les façons de faire, le discours et la musique traduisent une détermination politique, celle mettant le combat des femmes et des queers au centre de leurs préoccupations et de leurs volontés. Alors oui et même si cette chronique est écrite dans une langue sur laquelle veille une tribu consanguine de vieux grigous en uniformes de parade payés pour faire respecter des lois grammaticales telles que « en français le masculin l’emporte toujours sur le féminin » il me semble important de signaler que ce disque n’est pas qu’un disque.

Mais parlons musique. RAGANA a été formé aux alentours de l’année 2011 et du côté d’Olympia par Maria (guitare et chant) et Nicole (batterie et chant) ou plutôt les deux Ragana parlent de « rencontre » (Ragana has existed since autumn 2011 when Maria and Nicole met in Olympia, wa.). Le duo a déjà enregistré pas moins de trois albums depuis ses débuts, tous publiés en autoproduction puis avec l’aide du label An Out Recordings militant pour l’égalité sous toutes ses formes, publiant des musiques allant du black metal à l’indus et optant pour une optique DIY jusque dans la fabrication de ses disques (risographie, sérigraphie, etc.). Inutile de dire que tu auras plutôt du mal à trouver les disques de Ragana chez le disquaire du coin de la rue pourtant je ne saurais trop te conseiller le dernier en date, le très beau et dépouillé You Take Nothing (2017). Les trois titres que le duo a placés sur Let Our Names Be Forgotten sont dans la même veine. Le truc de Ragana c’est un mélange de vapeur empoisonnée et de rythmiques doom, avec parfois des incursions black (The Sun) mais le duo évite tout empilement et toute surcouche inutile et il n’est pas rare qu’une composition de Ragana se réduise à sa plus simple expression : une guitare, une batterie et du chant. Pas de double amplification pour rajouter des basses et les riffs jouent la carte de la concision et de l’immédiateté, générant tension et malgré tout emphase (The Void). J’avoue trouver le côté naturel et très organique de la musique de Ragana complètement fascinant. En plus d’être à mille lieues de tous les groupes qui produisent des disques avec l’optique que plus on en met, plus on s’étale, plus on épaissit le trait (et le son) meilleure est la musique. Ragana nous démontre que non.

Question épaisseur et volumétrie THOU – qui occupe donc la deuxième face de  Let Our Names Be Forgotten – est pourtant expert en la matière. Je ne me remets toujours pas de Magus que le groupe a publié à la fin de l’été 2018 et je vais également avoir du mal à me remettre de The Fool Who Thought Is Was King et de son final gothico-atmosphérique comme de Death To The King And All His Loyal Subjects (plus linéaire et moins nuancé mais totalement submergeant). Il n’y a rien à ajouter pour les fans du groupe comme pour ses détracteurs (qui n’ont toujours rien compris), Thou restant ce groupe unique et entier jouant une musique oppressante et libératrice, incantatoire et sauvage. Je me demande comment ces petits gars réussissent à être aussi prolifiques sans que leur musique en pâtisse. 

[Let Our Names Be Forgotten est publié en vinyle couleur houblon 4.5° par An Out recordings (donc) pour l’Amérique du Nord et par Feast Of Tentacles pour l’Europe ; l’artwork est absolument magnifique et crypto-ésotérique juste ce qu’il faut avec notamment cette inscription sur la tranche de la pochette : once you think you’re in, you’re out…]

lundi 19 novembre 2018

Thou / Magus



En me précipitant tel un affamé ou presque sur les trois EP/mini albums publiés par Thou entre les mois de mai et juillet 2018 en guise de préambules au nouvel album du groupe – pour mémoire : The House Primordial puis Inconsolable et enfin Rhea Sylvia – j’ai bien failli griller toutes mes cartouches. Je m’explique : je crois que je n’ai jamais apprécié un enregistrement de Thou immédiatement après ses premières écoutes, de manière instinctive et irréfléchie, ce qui peut sembler complètement contradictoire pour quelqu’un qui se vante en permanence (oui, je suis un gros vantard) de privilégier le cœur à la tête, l’instinct à la pensée et la chair à l’esprit.
Je me rappelle encore de ma découverte du groupe de Baton Rouge / Louisiane, c’était avec l’album Summit, en 2010, un troisième album qui à l’époque m’avait laissé de marbre voire avait fait naître en moi une profonde incompréhension. Aujourd’hui ce même Summit est l’un de mes disques préférés de Thou, un disque dont je ne voudrais pas me passer. Dois-je préciser que quelques années plus tard la même « aventure » m’est arrivée avec Heathen (2014), un disque considéré par beaucoup comme le chef d’œuvre absolu du groupe ? Et bien voilà : après bien des mois, Heathen avait également réussi à entrer dans mon petit cœur de pierre de binoclard fossilisé où il sest mis à trôner aux côtés de Summit pour me tenir chaud avec autant d’efficacité que d’humanité.
 




J’ai donc eu peur d’avoir épuisé tout mon potentiel émotionnel et affectif avec ces trois disques lancés en éclaireurs et que j’avais déjà beaucoup trop disséqués lorsque THOU a finalement publié Magus (le cinquième album du groupe) au mois de septembre. Bon… fort heureusement et malgré tout, il me semble depuis qu’il y a plus que jamais et indubitablement un mystère Thou. Et plus je cherche – et trouve – des éléments de réponses pour le solutionner et plus ce mystère m’échappe. Mais cela me va bien. C’est même plutôt réconfortant et galvanisant d’être presque obligé de faire une confiance aveugle (mais exigeante malgré tout) à un groupe. La confiance c’est tellement facile avec un groupe lambda qui joue une musique totalement codifiée parce qu’en fait on trichera toujours a priori et finalement on tournera toujours en rond autour d’une autosatisfaction-miroir confortable. Mais avec un groupe en plein mouvement et hors sentiers battus ce n’est pas du tout la même histoire.  
C’est même l’histoire d’un danger bénéfique : si le danger n’existe plus, la confiance disparait également et aujourd’hui je crois que la publication antérieure de The House Primordial et surtout de Inconsolable et de Rhea Sylvia aura servi à cela. Ces trois disques sont des plus explicites quant à la démarche musicale et personnelle de Thou mais en même temps ils foutent un gros bordel en démontrant que Thou est un groupe à l’esprit libre. Un groupe romantique et anarchiste qui n’a pas d’égal pour décloisonner, démonter, détruire et reconstruire derrière avec les éléments déchiquetés (mais aimés) par son appétit de destruction quelque chose qui n’appartient qu’à lui, un système qui possède la perfection de ses défauts, Thou étant l’un des rares groupes qui a compris qu’un système – je raisonne en assimilant une création musicale et donc artistique à un système – est en même temps un chaos irréversible. Toute fenêtre est autant une fermeture qu’une ouverture, une loi est autant une barrière ou une règle qu’une incitation à désobéir ou partir et Magus est la cristallisation d’un tout, aussi universel qu’incomplet et, conséquemment, un tout en mouvement épiphanique. 
Dans Magus la noirceur et la violence de Thou ne sont donc pas feintes et ne constituent pas plus un décorum – en cela Thou est l’exact opposé d’un Cult Of Occult –, c’est une noirceur et une violence qui ont du sens, une noirceur et une violence qui possèdent leur propre signification, leur propre vérité et leur propre lumière. Magus est autant un enregistrement transcendant qu’un chef-d’œuvre musical (je n’ai pas du tout envie de parler de ces riffs incroyables, de ce chant/logorrhée quasiment infini, de cette lourdeur atmosphérique, d’autres le font bien mieux que moi) et je préfère insister une dernière fois sur le caractère émotionnel, physique et métaphysique de Magus. Une dernière fois mais comme une première.

[Magus est publié en double vinyle et en CD par  Sacred Bones et que ce soit particulièrement ce label qui s’y soit collé me semble être le seul défaut insurmontable de ce beau et inestimable disque]

jeudi 30 août 2018

Thou / The House Primordial


Demain vendredi 31 aout paraitra officiellement le cinquième album de THOU. J’écris « officiellement » parce que l’intégralité de Magus traine déjà depuis plusieurs semaines dans les labyrinthes d’internet et qu’il n’y a pas besoin d’avoir son diplôme en piratage informatique pour réussir à mettre la main dessus. Si je faisais ouvertement l’apologie du vol numérique et du téléchargement illégal je me ferais assurément taper sur les doigts (aïe !) mais il y a tout de même deux ou trois choses qu’il me semble nécessaire de rappeler : le piratage ne tue pas la musique, il tue uniquement le business musical, celui des majors (et de certains labels déguisés en labels indépendants) pour qui un musicien n’est qu’un produit et le fan une vache à lait ; les voleurs ce sont les (grosses) maisons de disques, pas les kids qui préfèrent en toute logique acheter des bombecs ou tout autre drogue plutôt que des mp3 qualitativement limités ; les petits labels et les groupes indépendants/DIY ont plus de dignité et plus de respect pour la musique et, même si leurs productions sont elles aussi piratées, continuent et réussissent à faire vivre ce en quoi ils croient plus que tout, tout simplement en appliquant un modèle économique viable pour tous.
Ainsi il n’est pas rare que ces mêmes labels et groupes donnent eux-mêmes leur musique gratuitement parce ce que non seulement il s’agit du meilleur moyen pour la diffuser et qu’en plus, tout compte fait, ils atteignent des personnes qui achèteront encore et toujours des disques. Thou est de ces groupes là puisque il propose via sa page bandcamp l’intégralité de ses trois EPs pré-Magus en téléchargement libre : pour cela il suffit de cliquer sur « acheter l’album numérique » et de renseigner un prix égal à 0 (oui : zéro). Les autres disques de Thou, sauf ceux en collaboration avec The Body, sont également en libre accès : internet peut encore être cet espace de liberté et confiance réciproque. 




The House Primordial est le premier des trois EPs publiés par Thou avant le nouvel album du groupe. Si je n’en parle qu’en dernier, après Inconsolable et Rhea Sylvia, c’est uniquement parce que The House Primordial est stylistiquement le plus proche de la musique de Thou. Mais les compositions de The House Primordial sont elles aussi bonnes et indispensables que les principaux enregistrements du groupe ? Moi je dis oui.
Enfin presque. Déjà certaines compositions n’en sont pas, servant d’introduction à celles qui suivent juste après (par exemple au début du disque Wisdom annonce Premonition) ou servant de lien entre deux autres. En fait la moitié des titres de The House Primordial sont des instrumentaux plus ou moins bruitistes, plus ou moins atmosphériques, paysages de larsens de guitares, magmas sonores d’où on s’attend à voir émerger la bête immonde. Les « vraies » compositions étant plutôt courtes pour du Thou – c’est-à-dire entre trois et quatre minutes pour la plupart – The House Primordial aurait pu ressembler à une simple collection de vignettes apocalyptiques : Diaphonous Shift est tellement noyé sous un déluge de saturation liant chant, guitares et batterie en un gros bordel terroriste et innommable qu’il en devient tout aussi latent que The Sword Without A Hilt qui lui sert de rampe d’accès vers le néant ; de son côté Psychic Dominance se termine beaucoup trop tôt et de façon tellement abrupte qu’il fait naitre beaucoup de frustration, d’autant plus que dans les faits il s’agit là de l’un des meilleurs passages de The House Primordial ; idem pour Malignant Horror ainsi que pour Occulting Light qui est pourtant le seul titre du EP à frôler les six minutes.
The House Primordial peut être écouté d’une seule traite, en considérant qu’il ne s’agit que d’un seul et même morceau divisé en sous-parties : Malignant Horror n’est jamais qu’une version poussée dans ses derniers retranchements de Premonition. Autrement dit The House Primordial possède son propre cheminement, possède (peut-être, seul le groupe pourrait réellement nous l’affirmer) un sens et en tous les cas il révèle une logique certaine, celle de la noirceur insondable. C’est ce qui fait sa force car Thou y insuffle un esprit encore plus sombre et torturé qu’à l’accoutumée, The House Primordial pouvant en outre être considéré comme l’un des enregistrements les plus lents, les plus lourds, les plus poisseux, les plus boueux, les plus malsains et les plus désespérés du groupe.

[The House Primordial est publié en vinyle par Raw Sugar et en CD par Gilead Media]

mardi 21 août 2018

Thou / Rhea Sylvia






Rhea Sylvia est le troisième et dernier EP publié par THOU avant la sortie le 31 aout prochain de Magus, le nouvel et très attendu cinquième album du groupe. Je ne vais pas m’étaler sur les six nouvelles compositions de Rhea Sylvia autant que je l’ai fait sur celles d’Inconsolable mais, avant toute chose, un peu d’histoire s’impose. 
Les latinistes lecteurs assidus de Tite-Live et autres bac + 16 savent déjà que Rhea Silvia est la mère naturelle de Remus et Romulus, ce dernier devenant le fondateur de la Rome antique non sans s’être auparavant entrainé au fratricide. C’est ce fanfaron de Mars – le dieu de la guerre, rappelons-le – qui a engrossé cette pauvre Rhea Silvia en la « visitant » pendant un rêve. Tout ça quelques décennies avant que Marie ne subisse le même sort grâce au doigt de dieu et n’engendre son fils Jésus. De là à dire que les chrétiens ont tout copié sur les romains il n’y a qu’un pas que je ne franchirai pas puisque à mes yeux d’indécrottable mécréant toutes les religions se valent. La différence est que Rhea Silvia était une vestale – une prêtresse si tu préfères – et qu’à ce titre elle avait fait vœu de chasteté. Elle a donc été emmurée vivante et ses deux gamins ont été jetés dans le fleuve Tibre avant d’être secourus et élevés par une louve avec les conséquences civilisationnelles et impérialistes que l’on connait maintenant. Tout ça à cause de ce foutu patriarcat dominant qui considère entre autres que si une femme ne peut pas être une mère c’est qu’elle n’est qu’une pute.

Mais trêve de bavardages inutiles. Et comme la musique n’est pas une religion je serai sans pitié. Rhea Sylvia se veut un hommage à celle que les musiciens de Thou écoutaient quand ils étaient petits. Et en particulier, au grunge de Seattle. Mais pas le grunge de Green River, de Tad ou de Mudhoney – oui je sais : le grunge ça n’existe pas et cela n’a jamais existé ! – mais celui plus standardisé et marketé d’Alice In Chains. Je ne devrais pas utiliser un tel mot, « standardisé », mais je suis tellement peu amateur d’Alice In Chain (ni de Soundgarden ou de Pearl Jam) et tellement peu client des prouesses vocales de feu son chanteur Lane Staley (mort en 2002 façon speedball baby) que je n’arriverai pas à qualifier autrement un groupe et une musique qui pour moi s’apparentent plus à de l’hameçonnage cynique pour adolescents en crise et victimes du marketing des major companies du disque et de l’entertainment – dernier précision : Lane Staley est également une victime du business musical, jusque dans sa mort tragique.

Le plus étonnant avec Rhea Sylvia c’est que Thou arrive à me convaincre, ce qui n’était pas gagné d’avance. Globalement le disque doit beaucoup plus à un metal cradingue, lourd et visqueux (Unfortunate Times) qu’à un produit musical lyophilisé et le groupe – contrairement à la façon dont il a procédé sur le EP Inconsolable – n’entretient pas l’ambigüité en préférant dégager une nouvelle forme de vérité. Quelques unes des chansons proposées ici figurent en fait au répertoire du projet solo de Matthew Thudium, guitariste de Thou, un projet qui porte précisément le nom de… Rhea Sylvia. Le groupe n’est donc pas allé chercher très loin pour trouver son inspiration et ses idées mais y a tellement insufflé de lui-même que Rhea Sylvia sonne comme du Thou romantique et affectif. Fort heureusement c’est la voix écorchée du  chanteur principal Bryan Funck qui domine (et non pas celle de Thudium, beaucoup trop diaphane, pas assez « lyrique », finalement) ; les guitares, au delà  de leur abrasivité naturelle, développent elles ce côté moelleux métallurgiste golgothien et transforment la moindre morsure et le moindre grésillement électrique en caresses mortelles (le riff d’introduction de Restless River).
Étrange au premier abord, le résultat aurait pu friser le ridicule mais n’est pas assez apprêté pour y arriver et avec Rhea Sylvia Thou est allé bien plus loin que le simple caprice d’un groupe qui voulait avant tout se faire plaisir. En d’autres termes Rhea Sylvia peut-être considéré comme un véritable enregistrement de Thou. Il y a quelques passages qui s’étalent un peu sur le baveux (Deepest Sun est tellement trop caricatural dans le genre…) mais Thou arrive à s’en sortir et à concilier ce qu’il est – un groupe de barbares sensibles qui se cachent derrière une bonne grosse dose de sludge anarchiste – et ce qu’il a été – une bande de gosses biberonnés à MTV, aux donuts trempés au fluff et à l’ennui acnéique. Et c’est tant mieux.

[Rhea Sylvia est disponible en vinyle uniquement via le label américain Deathwish]

vendredi 17 août 2018

Thou / Inconsolable


Ces mecs sont des malades. Et en plus ils sont complètement mégalos. Mais ça on pouvait carrément s’en douter, oui, puisque THOU passe son temps à publier des singles et EPs à tire-larigot, à multiplier les collaborations – avec The Body, comme par hasard – et a fait ces derniers temps l’objet de tellement de rééditions que l’on a l’impression que le groupe de Baton Rouge (Lousiane) est le plus génialement prolifique du monde. Mais dans les faits il s’avère que le dernier véritable album studio de Thou date déjà de 2014 : Heathen est considéré par beaucoup comme le chef-d’œuvre du groupe (personnellement je lui préfère très nettement le bien-nommé Summit). 
Engendrant un culte quasiment aveugle et inconditionnel pour fanatiques virant à l'obsessionnel, Thou a satisfait son petit monde en annonçant enfin la parution de son nouvel album pour le 31 aout prochain ; il s’appellera Magus et sortira, fort malheureusement, sur le label Sacred Bones. Mais auparavant le groupe aura pris soin de faire monter la pression en publiant pas moins de trois EPs ou mini-albums, sur trois labels différents. De quoi en avoir des sueurs froides : Thou ne risque t-il pas de se diluer dans l’acide de la médiocrité et de la facilité ? Sans compter la présence numérique passablement insistante du groupe et les messages loufoques ou pseudo mystiques qu’il poste ça et là dans le monde virtuel, pour mon plus grand bonheur. Difficile de faire confiance à un groupe qui s’amuse autant avec l’opacité tout en faisant semblant de « communiquer ». Mais c’est aussi pour cela qu’on l’aime.




Inconsolable est l’un des trois EPs pre-Magus, c’est même le deuxième de la série et il est sorti chez Community records affublé d'un artwork qui change complètement de ce à quoi Thou nous a habitué jusqu’ici et surtout accompagné de cet avertissement : « a collection of bleak acoustic and quieter songs ». Voilà donc Thou qui se lance dans l’acoustique, ce qui constitue l’un des « exercices » (souvent de la part de musiciens qui n’ont plus rien à dire) que je déteste le plus, à égalité avec les réinterprétations pseudo symphoniques ou les remix technoïdes.
Autant dire tout de suite que je n’aime guère Inconsolable. Trop de guitares sèches et trop d’invitées à la voix qui chantent comme Jarboe imitant tour à tour Nana Mouskouri ou Nico sous assistance respiratoire (Fallow State). Mais Inconsolable demeure un disque captivant vers lequel je ne peux pas m’empêcher de revenir et de réécouter. Peut-être parce qu’il est bien plus proche de l’« esprit » Thou qu’il ne semble l’être au départ. Il faut enlever les enluminures et les apparats de la folk – ce n’est pas parce que le genre est théoriquement dépouillé voire minimal qu’il n’en possède pas – pour voir apparaitre toute la grandeur déliquescente d’un groupe qui plonge tête baissée dans l’évanescence (l’état gazeux, pas le groupe) et un entre-deux, comme dans l’œil d’un cyclone, moment de contemplation ralentie et poétique avant… Oui : avant quoi ? Et bien, avant rien du tout et surtout pas la tempête électrique et la furie de la boue, Thou prenant bien soin de rester constamment dans un état de lévitation fœtale et, effectivement, morne
 Et puis il y a des chansons que l’on peut apprécier, telles que l’introductif The Unspeakable Oath et Fallow State (malgré le chant, donc) mais dès que Thou tombe dans la préciosité baba-goth digne d’un Swan acoustique ou d’un Skin, feu le side project de Michael Gira et Jarboe, la magie retombe automatiquement et ça fait mal (les insupportables Come Home You Are Missed ou Behind The Mask, Another Mask). Toute l’ambiguïté ressentie au sujet d’Inconsolable et de la démarche de Thou peut être résumée par The Hammer et ses arrangements mégalos, The Scourge Pit et son refrain à la Barbara Streisand ainsi que Find The Cost Of Freedom (et un solo d’Eric Clapton). Ces trois chansons sont autant facteurs de doutes et de divisions internes personnelles que de séduction et, donc, d’attrait, faisant d’Inconsolable un objet aussi trouble que non définitif. Le mystère Thou reste entier.