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lundi 30 janvier 2023

[chronique express] Wailin Storms : The Silver Snake Unfolds

 



The Silver Snake Unfolds (And Swallows The Black Night Whole) est le quatrième album des WAILIN STORMS mais c’est le premier qui ne m’a pas immédiatement emporté avec lui ni ne m’a incité à sauter à pieds joints et sans condition au milieu d’une mare profonde de pensées sombres et tumultueuses. Lassitude de ma part ? Peut-être… le groupe, toujours aussi soudé autour du guitariste et chanteur Justin Storms, n’a jamais disposé non plus d’une marge de manœuvre considérable : son mélange de rock incandescent et de swamp gothique pourrait avoir tendance à se répéter. Et puis, donner un successeur à un album aussi réussi que Rattle (2020) a du se révéler difficile, surtout lorsqu’on a été prisonnier d’un monde aux prises avec une crise sanitaire et économique aux répercussions dont toutes les conséquences humaines n’ont toujours pas été complètement mesurées. The Silver Snake Unfolds n’a pourtant rien de radicalement différent. Noir c’est noir et puis c’est tout. Mais les Wailin Storms se sont employés à accentuer leur côté lyrique, le chant devenant de plus en plus maniéré et démonstratif, la musique multipliant les chevauchées, s’engouffrant dans les brèches toujours plus larges d’une théâtralité puissamment envahissante. Si on préfère le côté davantage punk du groupe – l’album Sick City de 2017 – il y aura de quoi être un peu décontenancé par un enregistrement dont le désir de beauté sulfureuse prend le pas sur tout le reste. Pour ma part, après bien des écoutes et quelques soupirs, j’ai fini par accepter cet exutoire flamboyant et passionné : j’aime toujours les Wailin Storms mais disons que The Silver Snake Unfolds est leur album que j’aime le moins.

mardi 24 novembre 2020

Couch Slut / Take A Chance On Rock 'n' Roll




Auteurs de l’un des meilleurs disques des années 2010 en matière de gros noise-rock qui tâche profondément et qui fait très mal pendant très longtemps – l’incroyable Contempt, pour ne pas le nommer – les new-yorkais de COUCH SLUT sont enfin de retour avec Take A Chance On Rock’n’Roll. Je ne connais pas tous les tenants ni tous les aboutissants de la vie en interne du groupe mais ce troisième album marque également le retour de la guitariste – et éventuellement trompettiste – Amy Mills dans les rangs de Couch Slut. Elle ne jouait pas sur Contempt* qui se détachait du lot par une épaisseur et une densité peu communes de ses compositions, faisant naitre un malaise insidieux et dérangeant chez l’auditeur, d’autant plus que de son côté la chanteuse / hurleuse Megan Osztrosits vociférait comme jamais ses textes d’une violence et d’une crudité sans égales. Pour te donner une idée de l’ambiance générale tu peux également te reporter aux paroles des chansons, très importantes, tout comme aux illustrations des pochettes de disques de Couch Slut.
Arrive donc ce Take A Chance On Rock’n’Roll doté d’une iconographie bien plus neutre que d’habitude – quoi que « neutre » ne soit pas le terme le plus approprié, une violence même pas sous-jacente y est toujours présente mais cette fois-ci elle semble s’accompagner d’une pointe certaine d’humour – et d’un titre d’une fausse banalité qui ne trompera personne : il n’y a apparemment pas la moindre petite trace de rock’n’roll par ici, en tous les cas pas la moindre trace de cette musique patrimoniale de petits mecs blancs et devenue depuis trop longtemps ni dangereuse ni dérangeante. Paradoxalement et a contrario il nous faut
pourtant prendre ce troisième album au pied de la lettre, comme une véritable déclaration d’intention suivie des faits, donc comme un disque de pure énergie, un disque bruyant, sale et méchant, vicieux et intraitable – au moins musicalement parlant : Take A Chance On Rock’n’Roll est aussi vénéneux et redoutable que ce qu’il prétend ironiquement être.
Mais pas seulement. Avec à nouveau deux guitaristes en action ce troisième album de Couch Slut revient à plus de finesse (si je puis dire…) et renoue avec le côté un peu plus nuancé du premier My Life As A Woman. On reste en terrain connu mais les empilements à répétition de guitares sont moins étouffants et surtout moins métallisés, ils laissent parfois passer un peu de lumière blafarde et glauque, quelques traces d’atmosphères désolées et fracassées, ce qui in fine relève le côté malaisant de la musique de Couch Slut. C’est l’habituelle dialectique entre efficacité rageuse et ressenti rampant ou entre agression musicale pure et provocation intense des sens, mais le groupe plane largement au dessus de ce genre de débat / choix et ne s’embarrasse d’aucune hésitation : chaque titre ou presque démarre et se termine par un larsen qui vrille les tympans et nique les cerveaux. Passé ces avertissements sans frais Couch Slut peut se montrer aussi irrésistible et carnassier (le très noise-punk Carousel Of Progress, le fulgurant In A Pig’s Eye) qu’il peut se dévoiler étrange et inquiétant (le narratif et implacable Someplace Cheap, I’m 14 et sa trompette de la mort).

Si Contempt pouvait ressembler à un hurlement sans fin ou à une asphyxie inéluctable – on ne saurait vraiment choisir –, Take A Chance On Rock’n’Roll consacre définitivement le chaos menaçant de Couch Slut comme la manifestation ultime et redoutable d’une rage que rien ne semble pouvoir atténuer et d’une violence qu’il est malgré tout bon d’exprimer et de faire sortir, au risque sinon de se faire complètement bouffer par elle. Ben Greenberg** qui s’y connait en enregistrement et en production de disques sans concession a parfaitement fait son boulot en réussissant à conjuguer le côté oppressant et le côté violemment stratosphérique de la musique de Couch Slut et, cette fois encore, les textes d’une rare noirceur de Megan Osztrosits abordent les mêmes thèmes « habituels », entre traumatismes subis par les femmes, drogues, prostitution, violences conjugales et domestiques. On comprend alors encore mieux pourquoi Couch Slut ne devrait pas être uniquement considéré comme un simple groupe de noise-rock mais bien comme la manifestation d’une colère légitime et la volonté réelle de bousculer les esprits et les pensées. Take A Chance On Rock’n’Roll est donc bien cet album aussi urgent que profondément marquant et, par-dessus tout, lourdement chargé en significations.


[Take A Chance On Rock’n’Roll est publié en vinyle et en CD par Gilead Media]


* alors qu’elle apparait sur un split en compagnie de Microwaves publié par Sleeping Giant Glossolalia en 2017, soit exactement la même année que Contempt – va comprendre…
** d’ailleurs son collègue au sein de Uniform Michael Berdan est crédité au chant sur The Stupid Man mais il est complètement perdu dans le mix…

mercredi 27 mai 2020

Wailin Storms / Rattle


Les deux premiers mini-albums de Wailin StormsBone Colored Moon en 2012 et Shiver en 2014 – témoignent de débuts fortement influencés pas le Gun Club et bien que le groupe soit rapidement passé à autre chose j’ai toujours trouvé et je trouve encore ces deux enregistrements bluesy et roots toujours aussi passionnants. Ils ont été regroupés en 2017 sur une même réédition CD chez Antena Krzyku, tu me diras que c’est toujours mieux que rien bien qu’une ressortie sur un bon vieux vinyle qui craque et qui transpire eût été largement préférable. Un jour, peut-être, va savoir…
Ce qui est intéressant c’est l’élargissement progressif du line-up de Wailin Storms, au départ simple duo pour la mise en boite de Bone Colored Moon avec uniquement Justin Storms (au chant et à la guitare) accompagné du batteur David Daniels ; puis en trio avec le remplacement de David Daniels par Yancy Stabenicio et l’adjonction du bassiste Eric Messina. Depuis le premier album – le très acclamé One Foot In The Flesh Grave en 2015 – la composition du groupe s’est stabilisée autour de Justin Storms avec Todd Warner à la guitare lead et aux chœurs, Steve Stanczyk à la basse et Mark Oates à la batterie. Ce sont les mêmes musiciens qui ont ensuite enregistré Sick City (2017) puis Rattle, paru en mars 2020 : WAILIN STORMS est au fil des années et des albums devenu un véritable groupe et parallèlement sa musique n’a cessé de gagner en cohérence et en cohésion. Avec une deuxième guitare partant régulièrement en vrille et une section rythmique stable, dense et compacte la musique du groupe s’est surtout considérablement étoffée et durcie, Wailin Storms trouvant sa voie et s’y tenant, sorte de noise rock marécageux aux forts relents swamp et même goth. 





Il existe un peu deux écoles d’appréciation au sujet de groupe : il y a celles et ceux qui ne jurent que par le côté torturé et fiévreux de One Foot In The Flesh Grave – il est vrai qu’après les deux premiers enregistrements ce tout premier album long format a été un véritable choc – et celles et ceux qui préfèrent le côté plus direct, plus cru, plus punk finalement, de Sick City. Mais est-il réellement nécessaire de choisir ? Aujourd’hui Wailin Storms poursuit sur la même lancée, celle d’un rock rugueux et mystique, crépusculaire et nerveux, sombre et passionné. Si tu apprécies à peu près tout ce qu’il y a entre le Gun Club et 16 Horsepower en passant par These Immortal Souls et consorts, si tu affectionnes le côté surchauffé un peu sudiste (Wailin Storms est originaire de Caroline du Nord), les odeurs de marécages, les histoires passionnelles et les guitares électriques qui égrainent des riffs et des mélodies tenant autant de l’élixir voodoo que du poison mortel il y a fort à parier que Wailin Storm saura combler toutes tes attentes. D’autant plus que Rattle est la parfaite synthèse entre ses deux prédécesseurs, autrement dit avec ce troisième album le groupe de Justin Storms a réussi à conjuguer la passion dévorante de One Foot In The Flesh Grave et le côté plus direct et plus naturel de Sick City.
Le son de Rattle est énorme. Non pas que l’album soit surgonflé et qu’il déborde d’effets de manches inutiles ou d’esbrouffades sans nuances mais au contraire il crépite comme un feu ardent, prend le vent et ploie sous ses effets contraires avant de recommencer à brûler de plus belle. Rattle est un véritable brasier, un théâtre de vies brisées mais qui ne renoncent pas. Ce son il est en grande partie du à J. Robbins (Jawbox, Government Issue, Burning Airlines etc.) que l’on savait déjà producteur et ingénieur du son doué mais là il s’est littéralement surpassé, offrant enfin à Wailin Storms et à Rattle le son qu’il méritait, ample et précis mais jamais baveux bien que noyé de réverbération et de saleté. En particulier le chant très invasif de Justin Storms – un jour un vieil ami m’a avoué qu’il lui faisait un peu penser à celui de Bertrand Cantat (RIP) et je dois avouer qu’il n’a pas tout à fait tort – est parfaitement à sa place, ses gueulantes ultra-théâtralisées ne risquant plus trop d’étouffer tout le reste. Mais malgré tout son éclat et toute sa splendeur Rattle reste un album sombre et tempétueux, étincelant d’une lumière noire à rendre aveugle les golgoths éperdus et les chauves-souris des cavernes. Un album dépressif peut-être bien, colérique également, torturé et tortueux c’est certain, une pièce maitresse assurément.

[Rattle est publié en CD et en vinyle (rouge) par Gilead Media et Antena Krzyku]

mercredi 11 décembre 2019

Buildings / Negative Sound






Le noise-rock c’est la vie. C’est ce que je me tue (sic) à répéter à longueur de chroniques de disque dès que j’aborde le sujet d’un groupe qui en 2019 prétend relever les compteurs et mettre les pendules à l’heure au sujet d’un genre musical qui a servi de bande son à mes toutes jeunes années – j’espère que tu as remarqué qu’en une seule phrase j’ai au moins utilisé deux expressions passe-partout et un très gros poncif existentiel que même un lecteur de Batteur Magazine désapprouverait, la classe non ? Et oui mon nombrilisme forcené me pousse à penser que tout ce qui ne tourne pas autour de moi n’a strictement aucune valeur. Bref, j’écoutais déjà ce genre de musique alors que j’avais largement moins de la moitié de l’âge que j’ai désormais donc je n’ai aucunement l’intention de tempérer mon propos et je vais plutôt continuer d’affirmer que le noise-rock c’est toute mon existence ou tout du moins une grande partie de celle-ci.

Même si c’est faux. D’abord il n’y a pas que la musique dans la vie. Ensuite il y a plein de musiques, aussi différentes et variées soient-elles, qui éclairent celle-ci – et encore un poncif existentiel, des fois je m’épate complètement. Cependant (et ce en dehors de toute nostalgie régressive, du moins je l’espère) à chaque fois ou presque que je découvre un groupe de noise ou que j’écoute un disque que je ne connaissais pas jusqu’ici je ne peux pas m’empêcher de penser ressentir que c’est cette musique là qui me parle le plus. Une musique qui arrive encore à me surprendre malgré un langage souvent très codé, malgré des riffs et des sons déjà employés auparavant. Pourtant je vois, j’entends, je découvre toujours quelque chose si ce n’est de nouveau du moins de différent. Essaie un peu de parler à un fanatique de hardcore old school, de crust, de d-beat ou même parfois de thrash primitif, il t’expliquera exactement la même chose et t’affirmera qu’entre tel ou tel groupe ou entre deux disques il existe des nuances importantes qui échappent complètement à ta sagacité (parce que c’est vrai que toi tu n’y connais strictement rien alors que lui oui, évidemment).
Toutes ces musiques électriques – la liste ci-dessus n’est pas forcément exhaustive – n’ont vraiment rien à voir entre elles mais possèdent un point commun important** : ce sont des musiques viscérales. C’est-à-dire des musiques instinctives, épidermiques, organiques, des musiques à effet immédiat qui te plaquent directement contre les murs, te décollent le cervelet de la moelle épinière, te tiennent et ne te lâchent pas. Elles ont su garder une partie de l’essence, de la sauvagerie mais aussi de l’approximation brutale de ce bon vieux rock’n’roll à papa tout en explorant des horizons parfois très lointains (parce qu’on n’est plus en 1954). Tu me diras que tout ceci est connu et rabâché depuis au moins le milieu des années 70 et le punk. Je ne saurais dire le contraire. Alors sûrement que chacun possède sa vérité, selon son âge, son parcours musical et sa propre sensibilité. La mienne de vérité, même si elle vient d’être très maladroitement exprimée, est quelque part au milieu de tous ces groupes que j’apprécie tant actuellement : Poutre, Dead Arms, Multicult, Microwaves, Bruxa Maria, Death Pedals, Tile, Faking, Dewaere, The Feral Young, USA Nails, Sofy Major, The Great Sabatini, Rainbow Grave, USA / Mexico, Uzeda, Couch Slut, YC-CY*… ou BUILDINGS.

J’ai énormément de mal à me remettre du nouvel album de ce trio de Minneapolis. Peut être bien parce que le disque d’avant – You’re Not Of Us en 2017 – m’avait laissé sur ma faim avec son mix à mon sens inadéquat car surgonflé et n’arrivant pas à masquer les faiblesses de certaines compostions trop volontaristes sans réussir à réveiller complètement leur côté terre-à-terre. Il existe des groupes de noise-rock plutôt arty et maniérés et des groupes plutôt issus d’un terroir boueux et noueux. Avec le bien nommé Negative Sound les trois Buildings n’ont pas hésité plus longtemps entre les deux camps et ont enregistré un album teigneux dont les énormes A Good Hill To Die On et Certain Women définissent la teneur générale, celle d’un disque noir et colérique. Vicieux et méchant. Gras et lourd. Poisseux et visqueux. En un mot : viscéral. Nous y revoilà donc, encore une fois. Negative Sound possède ce côté impitoyable mais humain des grands disques de noise rock et élève Buildings au dessus de la mêlée de tous les groupes beaucoup trop musculeux pour être totalement honnêtes ou, plus simplement, significatifs.
Negative Sound est à la fois un gros catalogue de rancœurs et leur exutoire. La production et le mix mettent le holà sur la prédominance top medium de la basse qui parallèlement gagne en épaisseur et donc en intérêt – j’adore cet instrument et je considère même qu’il est même le pivot central d’une musique tournant pourtant autour du tranchant des guitares mais à quoi bon le placer en première ligne s’il ne fait qu’enchainer des lignes trop banales ? Tout comme l’ensemble des compositions gagnent en relief question énergie carnivore et corrosion par le gras. Le chant qui est souvent l’un des points faibles de Buildings est moins irritant que d’habitude sans doute parce que sur Negative Sound il se retrouve davantage en adéquation avec une musique colérique et non pas seulement irascible (la nuance entre les deux ? la démonstration et les intentions trop évidentes).
Negative Sound est un album compact et rude. Chargé d’une énergie sombre et presque dépressive. Mais aucune complaisance et aucune attitude revendiquée à l’horizon, pas de bijoux inutiles ni de manucure tapageuse. Buildings a pris du poil de la bête et la bête mord plus férocement que jamais***.

[Negative Sound est publié en vinyle noir ou bleu splatter (ahem) par Antena Krzyku pour l’Europe et Gilead Media pour l’Amérique du Nord]

*encore une liste non exhaustive… tous ces groupes ou presque sont chroniqués quelque part sur cette gazette internet
** en dehors du fait que je les écoute toutes, bien sûr
** ça aussi tu as du le remarquer : une fois de plus il n’y a que le dernier paragraphe de cette chronique qui parle réellement du disque dont elle est pourtant censée traiter, j’espère que tu as bien perdu ton temps à lire un texte de 580 mots et 5820 caractères espaces compris

jeudi 30 août 2018

Thou / The House Primordial


Demain vendredi 31 aout paraitra officiellement le cinquième album de THOU. J’écris « officiellement » parce que l’intégralité de Magus traine déjà depuis plusieurs semaines dans les labyrinthes d’internet et qu’il n’y a pas besoin d’avoir son diplôme en piratage informatique pour réussir à mettre la main dessus. Si je faisais ouvertement l’apologie du vol numérique et du téléchargement illégal je me ferais assurément taper sur les doigts (aïe !) mais il y a tout de même deux ou trois choses qu’il me semble nécessaire de rappeler : le piratage ne tue pas la musique, il tue uniquement le business musical, celui des majors (et de certains labels déguisés en labels indépendants) pour qui un musicien n’est qu’un produit et le fan une vache à lait ; les voleurs ce sont les (grosses) maisons de disques, pas les kids qui préfèrent en toute logique acheter des bombecs ou tout autre drogue plutôt que des mp3 qualitativement limités ; les petits labels et les groupes indépendants/DIY ont plus de dignité et plus de respect pour la musique et, même si leurs productions sont elles aussi piratées, continuent et réussissent à faire vivre ce en quoi ils croient plus que tout, tout simplement en appliquant un modèle économique viable pour tous.
Ainsi il n’est pas rare que ces mêmes labels et groupes donnent eux-mêmes leur musique gratuitement parce ce que non seulement il s’agit du meilleur moyen pour la diffuser et qu’en plus, tout compte fait, ils atteignent des personnes qui achèteront encore et toujours des disques. Thou est de ces groupes là puisque il propose via sa page bandcamp l’intégralité de ses trois EPs pré-Magus en téléchargement libre : pour cela il suffit de cliquer sur « acheter l’album numérique » et de renseigner un prix égal à 0 (oui : zéro). Les autres disques de Thou, sauf ceux en collaboration avec The Body, sont également en libre accès : internet peut encore être cet espace de liberté et confiance réciproque. 




The House Primordial est le premier des trois EPs publiés par Thou avant le nouvel album du groupe. Si je n’en parle qu’en dernier, après Inconsolable et Rhea Sylvia, c’est uniquement parce que The House Primordial est stylistiquement le plus proche de la musique de Thou. Mais les compositions de The House Primordial sont elles aussi bonnes et indispensables que les principaux enregistrements du groupe ? Moi je dis oui.
Enfin presque. Déjà certaines compositions n’en sont pas, servant d’introduction à celles qui suivent juste après (par exemple au début du disque Wisdom annonce Premonition) ou servant de lien entre deux autres. En fait la moitié des titres de The House Primordial sont des instrumentaux plus ou moins bruitistes, plus ou moins atmosphériques, paysages de larsens de guitares, magmas sonores d’où on s’attend à voir émerger la bête immonde. Les « vraies » compositions étant plutôt courtes pour du Thou – c’est-à-dire entre trois et quatre minutes pour la plupart – The House Primordial aurait pu ressembler à une simple collection de vignettes apocalyptiques : Diaphonous Shift est tellement noyé sous un déluge de saturation liant chant, guitares et batterie en un gros bordel terroriste et innommable qu’il en devient tout aussi latent que The Sword Without A Hilt qui lui sert de rampe d’accès vers le néant ; de son côté Psychic Dominance se termine beaucoup trop tôt et de façon tellement abrupte qu’il fait naitre beaucoup de frustration, d’autant plus que dans les faits il s’agit là de l’un des meilleurs passages de The House Primordial ; idem pour Malignant Horror ainsi que pour Occulting Light qui est pourtant le seul titre du EP à frôler les six minutes.
The House Primordial peut être écouté d’une seule traite, en considérant qu’il ne s’agit que d’un seul et même morceau divisé en sous-parties : Malignant Horror n’est jamais qu’une version poussée dans ses derniers retranchements de Premonition. Autrement dit The House Primordial possède son propre cheminement, possède (peut-être, seul le groupe pourrait réellement nous l’affirmer) un sens et en tous les cas il révèle une logique certaine, celle de la noirceur insondable. C’est ce qui fait sa force car Thou y insuffle un esprit encore plus sombre et torturé qu’à l’accoutumée, The House Primordial pouvant en outre être considéré comme l’un des enregistrements les plus lents, les plus lourds, les plus poisseux, les plus boueux, les plus malsains et les plus désespérés du groupe.

[The House Primordial est publié en vinyle par Raw Sugar et en CD par Gilead Media]