Intarissable et insaisissable
Weasel Walter. A peine réactive t-il les FLYING
LUTTENBACHERS, son groupe de toujours, aux alentours de l’année 2019 et avec
Tim Dahl, Brandon Seabrook ainsi que Matthew Nelson comme nouveaux partenaires,
qu’il nous balance deux enregistrements colossaux et pourtant très
différents : Shattered Dimension et Imminent Death. Mais cela ne
suffisait pas. Nouveau changement de line-up, arrivée de Katie Battistoni à la
guitare et de Sam Ospovat derrière la batterie, Weasel Walter prenant la deuxième
guitare. Et cela a donné l’album Negative Infinity en 2021, l’un des
trucs les plus monstrueux jamais enregistré par les Luttenbachers. Aux
dernières nouvelles, notre diablotin qui n’est vraiment pas du genre à
s’endormir sur ses lauriers a pris un nouveau virage à 180°, quittant New-York
où il s’était installé depuis plusieurs années et retournant à Chicago, là où
tout avait commencé, la ville de naissance des Flying Luttenbachers. Là il s’est entouré de nouveaux musiciens,
entre autres Alex Prekolup à la basse et Charlie Werber à la batterie, et on attend donc la suite de ses aventures.
Pourtant une dernière surprise New-Yorkaise nous attendait. Enregistré – c’est
suffisamment rare pour être souligné – avec les mêmes musiciens que Negative Infinity, Terror Iridescence est encore une fois un album tout à fait à part
dans la discographie
pléthorique et expansive des Flying
Luttenbachers. Seulement deux titres d’une vingtaine de minutes, Meredith Herold (du nom d’une obscure
actrice des 60’s) et Tom Smith (en
hommage au co-fondateur de To Live And To Shave In L.A., malheureusement
disparu en janvier 2022). Et un mode opératoire inédit pour Weasel Walter et
ses mercenaires du tout est possible : aucune composition préétablie et
imposée par Walter, aucune répétition-marathon pour mémoriser la musique
tordue, alambiquée et labyrinthique du chef mais une séance d’improvisation
étalée sur une journée dans le studio de Colin Marston. Walter en « chef
d’orchestre », indiquant à chacun quand et quoi jouer – cela m’a un peu
rappelé le concept de Cobra imaginé
par Zorn au milieu des années 80 – et, une drôle d’idée : suivre et se
fier à la piste de tracking / click que tous les musiciens entendaient dans
leur casque. Un truc qui ici ressemble moins à un métronome qu’à un goutte-à-goutte
faisant du roller-coaster, comme un instrument de torture.
La suite, c’est Weasel Walter qui la raconte : « Once it [the
recording] came down to the mixing phase, it was apparent that this click track
was actually an integral part of the composition and had to be included in the
final mix, whereas the original idea was to mute it completely ».
Accompagnant tout Meredith Herold,
disparaissant parfois, lorsque la musique fait de brusques embardées, élément
immuable ou solitaire (on le distingue complètement aux alentours
de la neuvième minute), ce click que
l’on n'aurait donc pas du entendre dans le mix final donne une saveur
complètement irréelle aux vingt minutes de conversations fragmentées et
accompagnées de traitements électroniques en direct de Meredith Herold. Vingt minutes flirtant non seulement avec l’idée
d’improvisation libre mais aussi de musique concrète – ce qui n’est absolument
pas un hasard, Weasel Walter est un grand admirateur de Iannis Xenakis.
Egalement chargé en traitements électroniques, tout aussi improvisé, Tom Smith se rapproche déjà plus de
l’esthétique connue des Flying Luttenbachers – bien que, répétons-le, le groupe ne se soit, précisément,
jamais répété.
Plus de freeture, plus de chaos et plus d’explosion. Un maelström qui là aussi
joue sur les allers-et-retours, les attaques, les fractures, les effondrements,
les fulgurances mais de façon beaucoup plus organique, tout en maintenant ce
sentiment d’énergie sans cesse mutante qui ne permet jamais de savoir jusqu’où
– ni comment – Weasel Walter et les Flying
Luttenbachers vont nous emmener. En
relisant les précédentes chroniques consacrées au groupe, je me suis aperçu non
sans rougir que j’avais un jour osé traiter son incontestable leader et cerveau
bouillonnant de génie… Je sais très
bien que ce mot n’est pas à employer ni à prendre à la légère mais à l’écoute
de Terror Iridescence il ne m’en
vient malheureusement pas d’autre. Désolé Walter, mais ce n’est pas encore
cette fois que tu me décevras.
[Terror Iridescence est publié en CD
par ugEXPLODE et en vinyle par God records]