Il y a cette appellation
un peu étrange et trop savante au premier abord et que l’on emploie à propos d’une
certaine musique improvisée, celle née notamment en Europe et en Angleterre
vers la fin des années 60 et surtout dans les années 70, une musique que l’on a
qualifiée de « non idiomatique » parce que se débarrassant des
oripeaux du free jazz sans adopter ceux du rock ou autres (on est alors à mille
lieux du progressif boursouflé). La musique de CHEVAL
DE FRISE n’a rien d’improvisée – tout au plus peut-on penser qu’elle aurait
pu naître, mais rien n’est moins sûr, de longues séances de répétition libre et
d’improvisation débridée – mais on peut et on doit elle aussi la qualifier de non
idiomatique, tellement elle se raccroche à pas grand chose, à presque rien en
fait.
Pensez donc : nous sommes en 2000 et le premier album sans titre du duo
formé par Thomas Bonvalet (guitare) et Vincent Beysselance (batterie) sort de
nulle part et sur Sonore, label monté par Franck Strofer – lui-même ancien
batteur de Belly Button – et qui question belles découvertes et passages de
relais nous en a déjà fait voir de toutes les couleurs (Ruins, Kourgane,
Alboth, The Saboten, etc.). Cheval de Frise
possède et développe son propre langage. Une musique unique, une guitare
acoustique – et plus rarement électrifiée – dont les circonvolutions et figures
libres bousculent et dérangent l’orthodoxie bien plus que toutes les guitares
noisy du monde, une batterie qui fait corps, un duo explosif et complètement inimitable.
A l’époque on ne parlait pas encore trop de math rock et en réécoutant ce
premier album on n’emploiera toujours pas cette appellation horripilante, même
si les deux Cheval de Frise ont depuis fait des
émules, servant bien malgré eux de modèle et d’inspiration à toute une
cohorte de groupes instrumentaux, besogneux, imitateurs de ce qui ne pouvait
évidemment pas l’être, y compris en utilisant des subterfuges technologiques
(samples, pédales d’effet et autres loopers). D’ailleurs le label américain Sickroom
records – codirigé par Mitch Cheney, guitariste des géniaux Rumah Sakit et sur
le tard des non moins géniaux Sweep The Leg Johnny – l’avait bien pressenti en
rééditant Cheval de Frise également
en CD, dès 2004. En (re)découvrant ce disque aujourd’hui, on ne peut qu’être profondément
frappé·e et séduit·e par son atemporalité, son caractère unique, brut, aventureux
et décisif. Le vertige est total, inconnu et libérateur. L’histoire se
poursuivra avec Fresques Sur Les Parois
Secrètes Du Crânes (RuminanCe, 2003), un second album moins explosif et
plus porté sur l’abstraction et la sculpture des sons, préfigurant en partie ce
que Thomas Bonvalet fera ensuite avec son projet en solitaire, très poétique et
beaucoup plus abstrait, L’Ocelle Mare.
Computer Students vient précisément de
rééditer Cheval de Frise, pour la
première fois en vinyle et même en cassette – non, pas de nouvelle version CD à
l’horizon, de toute façon on peut facilement dénicher des vieux exemplaires du
disque dans ce format sur les sites de revente spéculative spécialisés, type
Disgogues et consorts.... alors à quoi bon ? Cette nouvelle édition a
vraiment de la gueule, il y a deux galettes qui tournent en 45 tours (la
quatrième face est non gravée) et l’enregistrement est bien mis en valeur par un
nouveau mastering. J’adore cet album et, du coup, je l’ai en double, ahem… Et
je ne peux pas également m’empêcher de sourire lorsque je regarde l’« objet »
Cheval de Frise qui comme toutes les autres
références Computer Students mise sur une présentation soignée et originale : oui, je pense toujours que la réification de la musique
n’est pas une chose forcément utile pour la survie de celle-ci mais je perçois en
même temps l’ironie potentielle d’une telle démarche pouvant également –
surtout ? – faire râler les schnarkbulls ambivalents qui collectionnent les disques. Evidemment que j’en suis.