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mardi 29 novembre 2022

Cheval De Frise : self titled

 



Il y a cette appellation un peu étrange et trop savante au premier abord et que l’on emploie à propos d’une certaine musique improvisée, celle née notamment en Europe et en Angleterre vers la fin des années 60 et surtout dans les années 70, une musique que l’on a qualifiée de « non idiomatique » parce que se débarrassant des oripeaux du free jazz sans adopter ceux du rock ou autres (on est alors à mille lieux du progressif boursouflé). La musique de CHEVAL DE FRISE n’a rien d’improvisée – tout au plus peut-on penser qu’elle aurait pu naître, mais rien n’est moins sûr, de longues séances de répétition libre et d’improvisation débridée – mais on peut et on doit elle aussi la qualifier de non idiomatique, tellement elle se raccroche à pas grand chose, à presque rien en fait.
Pensez donc : nous sommes en 2000 et le premier album sans titre du duo formé par Thomas Bonvalet (guitare) et Vincent Beysselance (batterie) sort de nulle part et sur Sonore, label monté par Franck Strofer – lui-même ancien batteur de Belly Button – et qui question belles découvertes et passages de relais nous en a déjà fait voir de toutes les couleurs (Ruins, Kourgane, Alboth, The Saboten, etc.). Cheval de Frise possède et développe son propre langage. Une musique unique, une guitare acoustique – et plus rarement électrifiée – dont les circonvolutions et figures libres bousculent et dérangent l’orthodoxie bien plus que toutes les guitares noisy du monde, une batterie qui fait corps, un duo explosif et complètement inimitable.
A l’époque on ne parlait pas encore trop de math rock et en réécoutant ce premier album on n’emploiera toujours pas cette appellation horripilante, même si les deux Cheval de Frise ont depuis fait des émules, servant bien malgré eux de modèle et d’inspiration à toute une cohorte de groupes instrumentaux, besogneux, imitateurs de ce qui ne pouvait évidemment pas l’être, y compris en utilisant des subterfuges technologiques (samples, pédales d’effet et autres loopers). D’ailleurs le label américain Sickroom records – codirigé par Mitch Cheney, guitariste des géniaux Rumah Sakit et sur le tard des non moins géniaux Sweep The Leg Johnny – l’avait bien pressenti en rééditant Cheval de Frise également en CD, dès 2004. En (re)découvrant ce disque aujourd’hui, on ne peut qu’être profondément frappé·e et séduit·e par son atemporalité, son caractère unique, brut, aventureux et décisif. Le vertige est total, inconnu et libérateur. L’histoire se poursuivra avec Fresques Sur Les Parois Secrètes Du Crânes (RuminanCe, 2003), un second album moins explosif et plus porté sur l’abstraction et la sculpture des sons, préfigurant en partie ce que Thomas Bonvalet fera ensuite avec son projet en solitaire, très poétique et beaucoup plus abstrait, L’Ocelle Mare.
Computer Students vient précisément de rééditer Cheval de Frise, pour la première fois en vinyle et même en cassette – non, pas de nouvelle version CD à l’horizon, de toute façon on peut facilement dénicher des vieux exemplaires du disque dans ce format sur les sites de revente spéculative spécialisés, type Disgogues et consorts.... alors à quoi bon ? Cette nouvelle édition a vraiment de la gueule, il y a deux galettes qui tournent en 45 tours (la quatrième face est non gravée) et l’enregistrement est bien mis en valeur par un nouveau mastering. J’adore cet album et, du coup, je l’ai en double, ahem… Et je ne peux pas également m’empêcher de sourire lorsque je regarde l’« objet » Cheval de Frise qui comme toutes les autres références Computer Students mise sur une présentation soignée et originale : oui, je pense toujours que la réification de la musique n’est pas une chose forcément utile pour la survie de celle-ci mais je perçois en même temps l’ironie potentielle d’une telle démarche pouvant également – surtout ? – faire râler les schnarkbulls ambivalents qui collectionnent les disques. Evidemment que j’en suis.

 

mercredi 2 novembre 2022

Sloy : Plug / Live Electric

 

Il y aurait tellement de façons d’aborder cette double chronique de disque que je ne sais pas par où commencer. Donc je ne vais pas vraiment choisir et simplement suivre l’ordre chronologique de mes souvenirs lointains. Mais pour lire ce qui va suivre il convient de savoir et de garder à l’esprit que je n’ai jamais été non plus un très grand fan de SLOY.







La première fois que j’ai entendu parler de Sloy c’était en 1994 et à Radio Canut où j’animais une émission et nous venions de recevoir Fuse, un mini CD de quatre titres édité par Rosebud records. J’ai passé plusieurs fois You Cry dans mon émission au milieu de tout un tas d’autres choses – depuis quelques années la scène commençait sérieusement à bouillonner, des groupes (trop rarement des musiciennes) tous plus intéressants les uns que les autres surgissaient de tous les recoins de ce pays.
Quelques mois plus tard Shellac est venu donner son premier concert à Lyon (c’était au CCO de Villeurbanne), les Américains n’avaient publié qu’une paire de singles et l’album At Action Park – musicalement ils n’auront peut-être jamais fait aussi bien. Sur scène, Steve Albini, Bob Weston et Todd Trainer portaient tous un t-shirt reprenant le visuel de Fuse. Il était déjà de notoriété publique que Sloy allait enregistrer son premier album avec Albini mais là c’était carrément de l’adoubement, surtout lorsque Weston, au lieu de nous raconter une de ses fameuses blagues volontairement débiles – ce qu’il a quand même fait à d’autres moments – s’est mis à parler de Sloy entre deux morceaux de Shellac. A partir de là les comparaisons sont allées bon train alors que je ne vois que très peu de rapports entre les deux groupes, pas plus que je n’en vois entre Sloy et Jesus Lizard, autre comparaison très hasardeuse mais courante, mis à part le nom des premiers écrit en quatre lettres (four letter word c’est-à-dire « gros mot » en français) comme les titres des albums de Jesus Lizard, toujours en quatre lettres eux aussi.
Plug a donc été enregistré en février 1995 au studio Black Box de Iain Burgess avec Albini aux manettes et Peter Deimel comme technicien. Une fine équipe et un son très typique : rachitique et sec mais en même temps très efficace, qui claque et convenant parfaitement aux compositions de Sloy, raclées jusqu’à l’os, drivées par des lignes de basse aussi grosses qu’élastiques et dominées par un chant hoquetant et une guitare aride. Dans le genre noisy et pop à la fois c’était parfait. Plug a été publié au Printemps 1995 chez Roadrunner et j’ai toujours ma copie comprenant un LP et un 7’. Un bon petit disque, avec quelques compositions qui se détachent réellement du lot – une nouvelle version de You Cry, First Animal en guise d’étendard ou Old Faces. Mon préféré reste Exactly qui est le titre le plus lent du disque et celui qui dégage le plus de tension et même un certain malaise, de la noirceur… La réédition de Plug tout juste publiée par Nineteen Something présente l’intégralité de l’album d’origine, plus pour l’édition CD le EP Fuse et enfin Chocolat Sperm qui figurait en face B du 7’ Pop – une nouvelle version de Chocolat Sperm, vraiment une composition excellente, sera incluse sur Planet Of Tubes, le deuxième album de Sloy publié en 1996.







Et puis j’ai enfin vu Sloy en concert, toujours à l’époque de Plug et là aussi au CCO. D’abord très impressionné par l’allant du groupe, cette énergie qu’il tentait à tout prix de faire passer. La bassiste tenait tout le reste du groupe. On ne voyait presque jamais son visage, toujours caché par des cheveux très longs qui semblaient toucher terre parce qu’elle jouait penchée très en avant, tenant son instrument vraiment bas, sauf lorsqu’elle relevait brusquement la tête et le torse, projetant sa chevelure à la verticale en se réappropriant malicieusement le headbanging des métalleux. Elle formait une super rythmique avec le batteur, même si celui-ci avait tendance à trop lever les bras alors que ce n’était pas forcément nécessaire à l’efficacité de son jeu.
Le guitariste/chanteur est celui qui en rajoutait le plus. Et beaucoup trop à mon goût (à un moment du concert il se retrouvait immanquablement à quatre pattes pour mettre la tête dans la grosse caisse) mais cela fonctionnait auprès du public qui voulait du spectacle électrique. Ce jour là j’ai eu l’impression d’avoir fait le tour de la question, même si je suis retourné voir Sloy en concert d’autres fois, ressentant à nouveau la même chose – ce qui, finalement, fait un véritable point commun entre le trio et Shellac qui depuis des années nous ressort les mêmes gimmicks ou presque et fait partie des groupes qu’il ne faut pas voir trop souvent sur scène, au risque de s’en lasser sérieusement. Il y a des groupes, Sloy comme Shellac et tant d’autres, qui se contentent d’être des petits malins.
L’écoute d’Electric Live 95 - 99 publié en même temps que la réédition de Plug par Nineteen Something confirme que, malgré tout, Sloy est plus une formation de concert que de studio. Et ceci vaut pour les trois albums. Sur Electric Live 95 - 99 quatre titres sont issus de Plug, trois de Planet Of Tubes et trois de Electrelite (1998). Ce dernier est à part : alors que les deux premiers sont assez semblables, Electrelite a été enregistré par le groupe et dans son propre studio, qu’il avait lui-même construit. On y découvre une musique bien plus arrangée et dévoilant plus significativement ses influences (on peut citer Talking Heads et Devo dont Sloy avait pourtant déjà repris Jocko Homo que l’on retrouve sur le CD single Idolize, extrait de l’album Planet Of Tubes). On pourra reprocher à Electric Live 95 - 99 son manque de cohérence sonore – dix titres, six sources d’enregistrement différentes, ce qui en fait une sorte de best of en concert de Sloy – mais on ne pourra pas lui reprocher de résumer la musique du groupe de façon presque exhaustive, en tout cas panoramique. Et je ne dis pas cela parce qu’une très bonne version d’Exactly figure sur la face A du disque.
Reste que le cas de Sloy permet de poser cette question : on parle beaucoup désormais de la scène noise française des années 90, comme s’il pouvait s’agir d’un tout. Mais est-ce vraiment le cas ? La seule cohérence que je trouve aux groupes de cette époque – de Davy Jones Locker à Drive Blind en passant par Deity Guns/Bästard ou Prohibition, Hems et bien sûr Heliogabale c’est d’avoir marqué l’avènement de groupes enfin affranchis de la période précédente, mais sans doute nécessaire, marquée elle par l’alterno et la franchouillardise – à l’exception notoire de Garbage Collector et des Thugs, actifs dès le milieu des années 80 et visionnaires entre tous. Sloy n’est pas seul dans ce cas là mais le groupe fait partie de tous ceux auxquels on a enfin pu penser et que l’on a pu aimer sans se dire qu’ils avaient une cocarde tricolore tatouée sur la fesse gauche. Un très net progrès.


dimanche 2 octobre 2022

Come : Peel Sessions

 

Difficile de croire que cette gazette internet s’apprête à causer de l’actualité d’un groupe qui n’existe plus depuis au moins une vingtaine années (séparé en 2001 je crois…), sauf si on excepte une tournée de reformation aux alentours de 2013 et la parution, toujours en 2013, d’un 7’ inédit comprenant deux reprises du Gun Club – un disque que je n’ai jamais écouté.
Nous vivons quand même une époque assez étrange où les maisons de disques – principalement les majors mais aussi quelques labels pseudo indés peu scrupuleux – rééditent à tour de bras leur back catalogue et en profitent pour vendre leurs vinyles de plus en plus chers alors qu’il n’y a pas si longtemps ce format était déclaré mort et enterré par ces mêmes maisons. Tout ça après des années passées à arnaquer le consommateur de musique en lui vendant des CD, aujourd’hui ringards et obsolètes mais plus pour très longtemps, et après avoir porté au pinacle le streaming, nouvelle vache à lait de l’industrie du divertissement musical de masse. Tant qu’il y a des profits, il y a de l’espoir, mais uniquement pour le capitalisme. 








Heureusement, au milieu de tout ce gaspillage de plastique et parmi les rééditions déjà mille fois rentabilisées par les producteurs, on trouve des disques qui possèdent un réel caractère d’archives et revêtent donc un réel intérêt artistique et même affectif. Les Peel Sessions de COME en font partie. Come était, rappelons-le, le groupe de la grande Thalia Zedek et de l’incomparable Chris Brokaw – sans oublier la section rythmique au départ composée de Sean O’Brian à la basse et Arthur Johnson à la batterie. Résultat : quatre albums ou mini album entre 1990 et 1998, plus une grosse poignée de singles et de EP. Et surtout, rien à jeter. Come fait partie de ces groupes culte et adorés par une faction de fans indécrottables.
L’édition par Fire records pour la première fois en vinyle des Peel Sessions enregistrées par Come en 1992 et 1993 est donc du pain béni. La première face propose un enregistrement datant d’avril 1992 avec quatre titres qui allaient figurer quelques mois plus tard sur le tout premier et déjà formidable LP Eleven:Eleven* – Dead Molly, Bell, William et enfin Off To One Side. La seconde face comporte deux titres de mon album préféré de Come, Don’t Ask, Don’t Tell** avec Wrong Side et surtout Mercury Falls, chef d’œuvre s’il en est. Sont également exhumés Sharon Vs Karen (un titre un peu rare que l’on connaissait déjà en version live) et City Of Fun, une reprise des Only Ones, chantée par Chris Brokaw, s’il vous plait. Enfin, cerise sur le gâteau, Clockface est un enregistrement en concert (1991) d’un titre complètement inédit à ce jour. Un cadeau malgré le son un peu aléatoire de l’enregistrement : même si composé de musicien·nes déjà expérimenté·es, Come était alors un groupe encore relativement récent et sa musique fait preuve d’une maitrise et d’une maturité assez hallucinantes. Tout Come est déjà contenu dans ces quelques cinq minutes tendues et sombres. Un vrai miracle en provenance du passé.

Mais ce n’est pas tout. Tu connais mon aversion et mes bougonnages au sujet des groupes qui se reforment vingt ou même parfois trente années après leur séparation et vendent de la nostalgie à un public de vieux et de vieilles qui veulent absolument les revoir ou à des plus jeunes qui ne les ont jamais vus, comme si cela démangeait les gens d’accrocher tel groupe ou tel·le musicien·ne à leur petit tableau de chasse perso, comme si cela flattait leur ego de consommateurs de biens culturels. Dans les deux cas je trouve cela absurde : soit tu as déjà vu ce groupe et donc pourquoi ne pas rester sur tes souvenirs ? soit tu ne l’as jamais vu parce que tu n’étais pas né·e ou juste trop jeune à l’époque et je me demande à quoi cela peut bien servir – n’y a-t-il pas suffisamment de bons groupes de maintenant à découvrir et à soutenir ? Et je trouve cela encore pire lorsqu’il ne reste presque plus de membres (et des fois qu’un seul) issus du line-up original. La volonté artistique et le plaisir de partager sa musique sont-ils toujours plus forts que les impératifs économiques ? Souvent, j’en doute.
C’est là où je veux en venir : Come a annoncé une tournée européenne pour l’automne 2022. Un vrai cas de conscience pour moi. Je crois que le groupe de Thalia Zedek et Chris Brokaw n’a joué qu’une seule fois par ici, en 1998 au Pezner, au lendemain d’un concert retentissant d’Oxbow et que sa venue était donc passée un peu trop inaperçue. Que faire ? Il n’y a que trois dates françaises sur cette tournée 2022 : Rennes, Paris et – pour une fois – Lyon, au Sonic le 4 octobre avec les locaux et excellents T-Shirt en première partie… Alors je vais faire une exception et surtout faire une croix sur mes principes de gardien du temple et aller voir et entendre ce groupe qui n’a plus rien à prouver depuis longtemps, que j’adore et qui représente tellement pour moi. Ça m’apprendra.

* réédité en 2013 par Matador records
** réédité lui en 2021 par Fire records




jeudi 19 mai 2022

Big'n : DTS 25

 



On n’en finira donc jamais avec BIG’N ? Apparemment, non. Le label Computer Students (ou CmptrStdnts™ pour les intimes) poursuit son travail d’inhumation/résurrection/restauration du plus méconnu des groupes de noise-rock des années 90, école de Chicago. A l’époque, cette bande de furieux était passée plutôt inaperçue : publier deux LP chez skin Graft – Gasoline Boost pour les versions européennes – ainsi qu’une flopée de singles et de splits y compris avec des groupes nettement plus connus et adulés n’aura pas suffi (Shellac et US Maple figurent dans la liste, de même, certes sur un EP posthume, que les futurs stars d’Oxes). Pourquoi ? Big’n est resté incompris, trop souvent cantonné au rang de ramassis de bourrins pas finauds, jouant une musique toujours pareille et doté d’un chanteur particulièrement horripilant… Il est vrai que les vociférations de William Akins peuvent facilement être apparentées aux cris d’un porc adolescent en train de se faire castrer à la cisaille électrique par un employé d’abattoir scrupuleusement sadique.
Pourtant les disques de Big’n méritent que l’on y revienne et même que l’on s’y attarde. Tout comme il faut être un sacré bon acteur pour réussir à dignement interpréter un crétin dans un film de Max Pécas ou un esprit supérieur dans un film d’Alain Resnais scénarisé par Robe-Grillet, il faut avoir une vision claire, affutée et intelligente de sa musique pour réussir à la rendre aussi vicieuse et impure que l’ont fait les quatre Big’n. Et la rendre aussi monolithique ou, disons, homogène, le groupe donnant tout son sens à ce genre d’expression pénible du type « jouer comme un seul homme » qu’il est l’un des rares à pouvoir pleinement revendiquer. Une composition signée William Akins, Todd Johnson, Mike Chartrand et Brian Wnukowski c’est toujours l’assurance de ce prendre un gros pavé de crasse musicale bien séchée et bien aiguisée au travers de la gueule. OK, le noise-rock méthode Big’n sent le poil transpirant et la testostérone de redneck viriliste mais, comme tous les plaisirs désormais un peu coupables, c’est exactement pour ces raisons là qu’on l’aime.
Pour rester dans l’allégorie cinématographique « DTS » ne renvoie pas au Digital Theatre Sound, ce mixage 5.1 dégueulasse devenu la norme du cinéma grand public contemporain mais à Discipline Through Sound*, deuxième album de Big’n publié en 1996 et qui a donc fêté son vingtième-cinquième anniversaire en 2021 (l’année où aurait du être publié DTS 25 si le monde des humains n’avait pas brutalement appuyé sur la pédale d’accélérateur en direction de l’apocalypse définitive. Tu comprends maintenant ce titre ? A ce disque j’ai toujours préféré son prédécesseur, le monstrueux Cutthroat (1994), beaucoup plus sale et méchant à mon goût mais cette réédition me ferait presque changer d’avis. D’abord parce qu’elle permet de réécouter consciencieusement et religieusement et donc de redécouvrir Discipline Through Sound désormais rehaussé par une remasterisation signée Carl Saff qui a fait du bon boulot. Ensuite parce qu’un deuxième 12’ propose dix suppléments parmi lesquels les titres du split avec Oxes mentionné plus haut, des titres parus uniquement sur des compilations et un inédit dont on ne sait pas trop d’où il sort.
Mais le plus beau et le meilleur ce sont les cinq plages qui occupent la face C de DTS 25 : Moonshine, Dry, Lucky 57, White Russian et Dying Breed, tous en version démo. C’est à dire des versions enregistrées par un certain Dave Zuchowski (il a travaillé avec nombre de musiciens de la très riche scène free jazz et impro de Chicago). Mon anglais aussi parcellaire que maladroit m’a permis de comprendre, en lisant l’abondante documentation du livret de douze pages qui accompagne DTS 25, que ces versions là auraient du constituer l’album final. Finalement Big’n a réengistré sous la houlette de Steve Albini, l’homme qui a fait autant de bien au noise-rock en définissant ses contours sonores et esthétiques qu’il a fini par lui faire du mal en donnant naissance à des stéréotypes, ouvrant la voie aux redites et autres imitations ridicules (exactement le même phénomène qui s’est produit avec Kurt Ballou et le hardcore).
Je préfère nettement les versions « démo » de Discipline Through Sound à celles qui figurent sur l’album que tout le monde a écouté pendant vingt-cinq années. Elles ont plus de hargne, plus de contours, plus de violence… elles sont parfaites. Je n’en dirai pas plus. La musique parle pour elle-même. Une fois de plus avec cette réédition Computer Students nous a concocté un objet somptueux et luxueux mais ce n’est qu’un objet. Le livret quant à lui est des plus passionnants avec des textes signés Akins, Albini, Jeff Helland (des géniaux Hoaries) ou Wnukowski ainsi que des photos parfois désopilantes comme celle de Big’n posant en compagnie des membres de Kiss (mais est ce que ce sont les vrais Kiss ? mystère…).

* le lien renvoie à la version de Discipline Through Sound publiée par Skin Graft et Gasoline Boost – la version Computer Students est dispo ici



lundi 13 décembre 2021

Helmet : Live And Rare

 




Un live d’HELMET ? Oui… tout est possible à notre époque moribonde : déterrer des sessions studio que l’on croyait perdues à jamais (la récente histoire d’Unsane et d’Improvised Munitions) ou rendre disponibles des concerts jusqu’ici inédits qui feront surtout plaisir aux fans mais n’en convertiront pas nécessairement de nouveaux. Live And Rare n’est qu’un gros pavé nostalgique dans la mare mais ne prétend pas non plus être autre chose. Pour s’en convaincre il suffit de lire les notes rédigées par le boss Page Hamilton qui sont assez touchantes et presque drôles ce qui, lorsqu’on connait un peu le bonhomme, n’est pas peu dire.
La face A a été enregistrée en 1989 au CBGB à New-York – où Helmet venait en voisin pour y fourbir ses premières armes et forger son identité à force de concerts – et tourne surtout autour de compositions que l’on retrouvera plus tard sur le premier album. On y découvre un groupe encore un peu vert, assez hardcore mais déjà intraitable et froid, qui se cherche parfois mais très volontariste. C’est la partie de Live And Rare que je préfère. La seconde face reprend un concert australien de 1993 et correspond au monstrueux album Meantime (avec en prime une reprise des Melvins). Le son de l’enregistrement, encore meilleur bien que moins contrasté, permet de se faire une idée de la machine que pouvaient constituer les quatre Helmet à cette époque (personnellement je ne les ai vus en concert que pour l’album Betty, en 1994) et, évidemment, plus on écoute fort et meilleur c’est. Au delà, il est largement permis de penser qu’Hamilton s’est d’abord fait plaisir en publiant ces bandes. Il aurait eu tort de s’en priver bien que je te défie de pouvoir trouver cette galette à moins de 25 €uros, époque de merde encore et toujours.


vendredi 19 novembre 2021

Garbage Collector : 1988

 

La première fois que j’ai entendu parler de GARBAGE COLLECTOR c’était grâce à une compilation CD éditée par un fanzine parisien devenu périodique (et vendu en kiosque avec isbn et tout ça). Entre 1988 et 1990 Out Of Nowhere comblait en partie mes désirs de musiques nouvelles, ici plutôt orientées cold, indus et expé mais pas seulement, tout comme l’a fait un peu plus tard Hello Happy Taxpayer de Bordeaux puis surtout le fanzine Sonik – la bible made in France du noise-rock et affiliés, entièrement rédigée par la personne qui désormais et depuis plus de quinze années maintenant sévit sur le webzine Perte Et Fracas. C’est grâce à Out Of Nowhere que j’ai découvert les Beatnigs, Rapeman, Slab! ou Gore, que j’ai appris plein de choses sur les Swans, Wiseblood et les Young Gods en lisant un interview de Roli Mosimann, etc… Bon, j’arrête tout de suite là avec mes souvenirs d’ancien combattant.
Sur cette compilation Out Of Nowhere sortie en 1990 – sous-titrée « one hour of music, 16 pages of wank » – et au milieu de Sprung Aus Den Wolken, Dazibao, The Grief, Borghesia, Treponem Pal ou Nox on trouvait également le titre This Is My Life de Garbage Collector qui ressortira en 1993 sur un EP posthume (?) via le label Permis De Construire. Je connaissais l’existence d'un premier album publié par ce même label quelques années auparavant mais je ne me suis jamais vraiment intéressé à ce groupe de Longwy, sûrement par bêtise crasse, peut-être par paresse, et aussi parce qu’en 1990/1991 la place dans mon cœur était prise par les incroyables Davy Jones Locker de Thionville, que les Deity Guns faisaient désormais parler d’eux et que les Thugs n’avaient pas encore mis trop d’eau dans leur vin.







Il convient pourtant de remonter un peu le temps et de replacer les choses dans leur contexte : comme son nom l’indique cet unique album de Garbage Collector a été publié en 1988… et je ne saurais exagérer en affirmant que le groupe était alors terriblement en avance sur son temps, sans doute beaucoup trop pour un gamin de mon âge qui n’y connaissait vraiment rien en matière de no-wave et autres foutraqueries noise à base de guitares dissonantes et de rythmiques tribales. Alors tu penses bien, rétrospectivement, qu’en 1988 Garbage Collector ne pouvait que me passer au dessus de la tête : je venais juste l’année précédente de découvrir Sonic Youth avec l’album Sister (très bon et très beau disque mais pas non plus le plus expérimental des new-yorkais) et je commençais à peine à me libérer de mes automatismes musicaux hérités du heavy metal, du punk, du thrash et du rock alternatif.
En écoutant la récente réédition vinyle de 1988, je mesure enfin toute l’importance de Garbage Collector, un groupe aussi essentiel que bizarre, du moins pour l’époque… j’irai même allègrement jusqu’à le qualifier de novateur. L’album est bruyant et tendu au possible – mis en boite par le désormais légendaire François Dietz au studio du Centre Culturel André Malraux à Vandœuvre-Lès-Nancy (là même où se déroulait le festival du même nom) – mais surtout il n’a pas tant vieilli. On peut affirmer que la musique de 1988 est facilement datable et assurément elle l’est – tout comme, dans un tout autre genre et des années auparavant, les deux albums de Marquis De Sade le sont – mais elle est tellement représentative et à la hauteur d’un esprit musical qui depuis a fait florès que cela en donne le tournis. Les Garbage Collector n’avaient alors rien à envier à leurs homologues américains, que ce soit Live Skull, les déjà nommés Sonic Youth et même Pain Teens. Que des jeunes gens de Longwy aient eu l’idée d’une telle musique alors que les années 80 touchaient à peine à leur fin et que l’ambiance musicale dans les cours de lycée et même les facs se partageait entre variété new-wave et alterno franchouillard restera toujours pour moi comme un petit miracle et un vrai mystère.
Spécialisé dans la réédition d’enregistrements hexagonaux essentiels mais devenus difficilement trouvables – de Dashiell Hedayat à Ich Bin en passant par Fall Of Saigon ou The Dreams – et succursale des Disques de la Face Cachée, Replica records a été plus que bien inspiré de déterrer 1988… Et ce n’est que justice d’avoir rendu à Garbage Collector la place que le groupe aurait toujours du occuper, enfin.



samedi 6 novembre 2021

[chronique express] Screamers : Demo Hollywood 1977

  


 

Tout le monde a sûrement déjà entendu parler des SCREAMERS, tout le monde connait le visuel associé au groupe, au moins aussi iconique que le crane des Misfits et reproduit sur la pochette de Demo Hollywood 1977 (la tronche du chanteur Tomata Du Plenty, David Xavier Harrigan de son vrai nom) et nombreux sont celles et ceux qui au cours des quarante dernières années se sont procuré, souvent à prix d’or, un bootleg de mauvaise qualité des rares enregistrements live de musiciens qui n’auront strictement rien publié de leur vivant. Le statut de formation culte si promptement décerné à n’importe qui prend ici tout son sens : non seulement les Screamers se comportaient comme personne mais surtout ils étaient tellement en avance sur leur temps qu’écouter leur musique donne toujours le vertige aujourd’hui. Il faut dire que jouer du « punk » avec un line-up comprenant un Fender Rhodes, un ARP Odyssey, de la batterie et du chant et ce dès 1975 c’était du encore jamais entendu… Pas de guitare, pas de basse et surtout pas de rock’n’roll : les Screamers ont à l’époque été qualifiés de techno punk, sont peut-être les inventeurs du synth punk et Demo Hollywood 1977, première parution plus que posthume mais officielle, est enfin là pour nous démontrer comment un groupe unique en son genre a changé la musique à tout jamais. 

 

 

mardi 2 novembre 2021

Elastic Heads : self titled

 




Retour en 2018. Charles Rowell – moitié du noyau dur de Crocodiles mais avant ça membre de The Plot To Blow Up The Eiffel Tower et de Some Girls – a trainé quelques mois à Lyon… je ne sais pas ce qu’un tel bonhomme originaire de San Diego en Californie pouvait bien foutre par ici mais je sais qu’un vrai musicien, où qu’il se trouve, restera toujours un musicien et Rowell, peut-être pour tromper l’ennui, peut-être parce qu’il a eu une poussée conséquente d’inspiration (je ne sais pas non plus) a alors composé une grosse poignée de chansons. Pour mettre en forme celles-ci, les arranger, les enregistrer et les interpréter devant un public averti lors d’un seul et unique concert, il s’est accoquiné avec trois autres musiciens, tous locaux et issus – entre beaucoup d’autres choses – de The Horsebites : Flo à la guitare lead, Antoine à la basse et l’incontournable Lester à la batterie… le groupe s’est appelé ELASTIC HEADS.
Une existence éphémère et plutôt confidentielle, un enregistrement perdu au beau milieu d’un disque dur pourrissant : il n’en a pas fallu beaucoup plus pour éveiller la curiosité et l’intérêt de Julien du label lyonnais Echo Canyon. Quelques années passées à macérer sur un support numérique n’arrangent pas forcément les choses mais après restauration des prises originales effectuées au Magnétique Audio (le studio monté par JP Marsal, ex 202project) puis un mixage et un mastering en bonne et due forme par Bruno Germain (à qui l’on doit tellement d’enregistrements de groupes du coin) l’unique album d’Elastic Heads est enfin devenu une réalité et surtout est désormais disponible en vinyle.
Et quel disque ! Difficile d’en croire ses oreilles tellement les huit compositions présentes ici – sept dont un instrumental sont signées Charles Rowell, la huitième, non moins excellente, a été écrite par Antoine – possèdent ce caractère d’immédiateté propres aux grands enregistrements. Je n’exagère pas : tout de suite il se dégage du disque quelque chose d’incroyable. Le songwriting est de haut vol, l’interprétation vive et enthousiaste, le son garage mais lumineux et, surtout, l’urgence ne fait jamais défaut à un disque qui manie la mélodie sans jamais appuyer sur les mauvais boutons et qui tutoie régulièrement les sommets.
Essayons de faire plaisir aux entomologistes un rien chipoteurs et classons, mais ce ne sera pas définitif, Elastic Heads quelque part entre la limpidité punk des tout premiers essais des Misfits (ceux qui ont tardivement été édités sur l’album Static Age) mais surtout les Wipers et les Hot Snakes, pour le côté enlevé, trépignant et toujours d’une très grande classe.  Mais le groupe fait particulièrement des merveilles lorsqu’il aborde le virage du mid-tempo : Pass Over restera le tube incontournable du disque avec ses faux airs nonchalants, sa ligne de chant parfaite, ses guitares ciselées et sa partie finale irrésistible et entêtante. L’histoire pourrait définitivement s’arrêter là mais il se murmure désormais que le groupe va reprendre un peu du service et effectuer quelques dates – le 23 novembre à Paris, le 24 à Lyon, le 25 à Besançon et le 26 à Montbéliard – pour ainsi honorer un disque qui mérite plus que tout de l’être. Ne me dites pas que je rêve encore…

[Elastic Heads est publié en vinyle rouge transparent et à 200 exemplaires seulement par Echo Canyon : une fois de plus avec ce label l’artwork et la présentation sont impeccables – l’illustration de la pochette est signée Jonatan Florez avec, me semble-t-il, quelques bouts de Magritte dedans]

 

lundi 4 octobre 2021

[chronique express] Lords Of Altamont : Tune In Turn On Electrify (et Midnight To 666)




 

Les Lords Of Altamont sont de retour avec Tune In Turn On Electrify, un septième album sur le label italien Heavy Psych Sounds et toujours fidèle au garage rock teinté de psychédélisme et de heavy punk de leurs débuts. On notera cependant un peu moins de mordant et un peu plus d’embonpoint au niveau des compositions mais c’est sûrement l’âge qui veut ça – après tout, je me mets dans le même panier puisque je dois admettre que désormais je ne peux vraiment plus passer une soirée de débauche sans mettre au moins deux ou trois jours pour m’en remettre complètement, ahem.
Seulement, quasiment au même moment, le génial Midnight To 666 de ces mêmes Lords Of Altamont a été réédité (toujours par Heavy Psych Sounds) et là il n’y a pas photo. Ce disque de 2011 reste l’un de mes préférés du groupe américain et il possède incontestablement tout ce qui fait un peu défaut à Tune In Turn On Electrify : des tubes à gogo, de l’électricité qui suinte vraiment de partout, un allant rock’n’roll indéfectible et une bonne petite couche supplémentaire de cracra... Mais il faut savoir insister et après plusieurs réécoutes Tune In Turn On Electrify finit lui aussi par s’imposer et dévoiler quelques trésors garage bien sentis (surtout sur sa face B). Pas de gueule de bois de trois jours, donc, même après vingt années de bons et loyaux services.


mercredi 22 septembre 2021

[chronique express] Love 666 : Armed Resistance

 


 

Encore une parution du label Improved Sequence qui remet les pendules à l’heure. LOVE 666 était un groupe américain mal compris voire mal aimé mais qui faisait absolument tout pour l’être. On retiendra une petite poignée d’albums publiés au milieu des années 90 chez AmRep et faisant figure d’ovnis parmi un catalogue qui pourtant comptait nombre de groupes déjà bien tarés : éloignée des canons noise-rock de l’époque, la musique de Love 666 était un improbable mélange de rythmiques à la binarité toute militaire, de samples plus ou moins indus, de riffs de guitare d’un simplisme rock’n roll à la fois glacé et psychédélique et de vocaux sous anxiolytiques. Mais surtout le groupe aimait multiplier les provocations et était expert dans un humour douteux dont il était bien difficile de savoir s’il s’agissait de lard ou de cochon. Enregistré en 2014 Armed Resistance serait donc l’album perdu, ultime et sous acide de Love 666, à ranger aux côtés des géniaux American Revolution (1995) et Please Kill Yourself So I Can Rock (1996). Un disque que le groupe présentait ainsi : « America is operating as the enemy of it’s own citizens and foreign publics. America now exists in a black zone of no time, past the expiration of the people’s consent. Political power grows out of the barrel of a gun ». Les vieux démons.


samedi 4 septembre 2021

Comme à la radio : Shora (et Merzbow)

 


 

 

Remonter le temps et remettre les pendules à l’heure : c’est exactement ce que nous propose le label montpelliérain Head records en rééditant deux disques de SHORA. Tu es né après 2001 ? Tu n’as encore jamais entendu parler de ce groupe ? Pour toi le hardcore chaotique et métallisé originaire de Suisse se résume uniquement à Nostromo ou Knut ? Tu penses aussi qu’en la matière les maitres sont plutôt Américains et s’appellent Converge, Botch ou même Dillinger Escape Plan ? Et bien tant pis pour toi.

 

 

Aujourd’hui on peut encore mesurer l’ampleur d’un disque tel que Shaping The Random, à l’origine publié en 2000 et uniquement en CD. Plus un mini-album qu’autre chose (sept titres et 16 minutes au total) ce premier enregistrement de SHORA – si on excepte un 7’ publié en 1999 – a littéralement bouleversé et redéfini les codes d’un genre encore relativement nouveau. Il y a un avant et un après Shaping The Random : Shora a déconstruit le hardcore moderne et le metalcore pour les réamalgamer sous une nouvelle forme, toujours plus chaotique, déstructurée et apocalyptique, au point de flirter constamment avec l’anxiété et le bruitisme.

 

 

Buitisme ? Vous avez dit bruitisme ? L’année d’après en 2001 le groupe suisse était de retour avec Switching Rhetorics, un deuxième disque cette fois-ci sous la forme d’un split 12’ en compagnie de MERZBOW. A l’époque le projet de Masami Akita tutoyait encore les sommets du harsh noise et partager un disque avec Shora n’avait alors rien d’incongru. Chacun des deux protagonistes représente une facette de l’extrémisme musical avec d’un côté les manipulations sonores en boucle du Japonais furieux et de l’autre le mix toujours aussi chaotique des Suisses... pour une musique en tout point similaire à celle de Shaping The Random – ce qui constitue peut-être la seule limite de Switching Rhetorics (mais Shora pouvait-il vraiment aller encore plus loin ?). Le plus remarquable est que ni la violence musicale de Merzbow ni celle de Shora, pourtant intrinsèquement très différentes, ne prend le dessus sur l’autre : Switching Rhetorics doit être écouté d’un bloc, dans la gueule évidemment.

Ces deux rééditions en vinyle – transparent et monoface pour Shaping The Random, noir pour Switching Rhetorics – sont absolument superbes. Les pochettes ont été complètement repensées par Nicola Todeschini (guitariste de Shora et actuel Hex) tandis que les enregistrements initiaux ont été remasterisés par Serge Morratel, déjà à l’œuvre à la technique et au mixage vingt ans auparavant. Deux disques aussi historiques qu'indispensables.

 
 

vendredi 13 août 2021

The Flying Luttenbachers : Destructo Noise Explosion ! - Live at WNUR 2-6-92

 

Avant de parler une prochaine fois du tout nouvel album des FLYING LUTTENBACHERS – le grandiose et plus que formidable Negative Infinity – quelques mots sur le premier enregistrement connu du groupe de Weasel Walter. Edité une première fois en cassette par ugEXPLODE en 1992, réédité en CD par ce même label en 1996 et, enfin, publié en vinyle au début de l’année 2021 par le label italien Improved Sequence (spécialiste dans l’exhumation de vieux machins totalement improbables), Destructo Noise Explosion ! Live at WNUR 2-6-92 est l’album le plus free jazz des Flying Luttenbachers. A l’époque le groupe consistait en un trio composé de Weasel Walter à la batterie, de Chad Organ au saxophone ténor et du grand Hal Russell au saxophone et à la trompette. Malheureusement celui-ci mourra d’une crise cardiaque quelques mois après l’enregistrement de Destructo Noise Explosion !. Il sera remplacé par Ken Vandermark* pour les deux albums suivants du groupe, avant que les Flying Luttenbachers ne se mettent à explorer d’autres horizons musicaux et se passent provisoirement de tout saxophoniste ou autre souffleur.







Destructo Noise Explosion ! - Live at WNUR 2-6-92
est clairement placé sous le haut patronage d’Albert Ayler dont le trio reprend ici rien de moins que Witches And Devils et Ghosts – Walter et Russell se partagent les autres compositions. Découvrir ces enregistrements est vraiment amusant et la photo du groupe nous montre un Weasel Walter tout choupi et tout souriant et dans lequel on a un peu de mal à identifier le diablotin suractif, ricanant et rageux qu’il deviendra bientôt. Il n’empêche que l’on reconnait déjà son jeu très caractéristique avec notamment des martèlements incessants et quasi épileptique de grosse caisse. Je le soupçonne également d’être à l’origine du rôt que l’on entend au moment de l’introduction de Throwing Bricks, une composition de Walter justement, et dont Russell profite pour glisser quelques mots, adouber respectueusement et vanter les mérites du déjà « très prolifique » et jeune batteur. On peut penser qu’à l’époque les deux musiciens se partageaient plus ou moins tacitement le leadership du groupe : après tout le vrai nom de Hal Russell n’était-il pas Harold Luttenbacher ?
Plus qu’un simple document historique, Destructo Noise Explosion ! permet de comprendre d’où viennent les Flying Luttenbachers, peut expliquer le glissement progressif du groupe vers plus d’électricité et de guitares – les albums suivants, Constructive Destruction et surtout le génial Destroy All Music, tout deux enregistrés avec le bassiste et tromboniste Jeb Bishop (futur Vandermark 5) et le trop souvent sous-estimé guitariste Dylan Posa (Cheer-Accident, Brise Glace…). Weasel Walter restera le seul membre permanent et le seul maitre à bord des Flying Luttenbachers, allant même en 2007 jusqu’à enregistrer tout seul toutes les parties de l’album Incarceration By Abstraction parce qu’aucun des musiciens avec qui il voulait jouer n’était alors disponible. Bref, dans Destructo Noise Explosion on retrouve déjà en germes toute la folie du groupe, celle qui l’amènera à enregistrer des disques placés sous le signe du chaos, à proclamer « death metal is free jazz », à repousser ses propres limites parce que se moquant éperdument des prétendues frontières stylistiques. Pour Weasel Walter il n’y a que deux types de musique : celle qu’il aime et qu’il joue et celle qu’il déteste et qui donc n’existe pas.


* oui on parle bien du même Ken Vandermark, il remplacera également Hal Russell au sein du NRG Ensemble dont ce dernier était pourtant le leader, une formation incluant également Kent Kessler et Mars Williams qui joueront plus tard dans la première mouture du Vandermark 5… il n’empêche que la disparition de Hal Russell a été à juste titre considérée comme une perte immense pour la scène free de Chicago et même mondiale

 

dimanche 6 juin 2021

[chronique express] Kong : Snake Magnet




Je crois que je n’avais pas réécouté ce disque depuis des années et je me demande bien comment j’ai pu m’en passer aussi longtemps. Avec un seul LP et une petite poignée de titres éparpillés sur presque autant de formats courts, KONG est rien de moins que l’un des tout meilleurs groupes anglais de noise-rock de ces quinze dernières années. Initialement paru en 2008, Snake Magnet marque donc les débuts et l’apogée du trio de Manchester et de sa musique alambiquée et parfois progoïde mais palpitante parce que toujours imprévisible, jamais démonstrative et surtout tendue, viscérale et dangereuse. Une musique qui te donne des sueurs froides tellement elle peut se révéler escarpée et qui te refile en même temps la chair de poule parce qu’elle t’emmène vraiment très loin. Rarement égalé et d’une originalité décapante Snake Magnet a donc enfin été édité pour la première fois en vinyle – rose marbré ou doré – dans une belle pochette gatefold (mais sans DVD bonus) par le label palois A Tant Rêver Du Roi qui réalise là une de ces excellentes opérations dont il en a le secret. Immanquable !

 

lundi 10 mai 2021

Redskins : Rarities

 

Je vais te raconter comment j’ai découvert les REDSKINS… Parce que maintenant cela me fait beaucoup rire. Je me dis aussi que l’on peut être vraiment naïf lorsqu’on est un gamin. Gamin, je ne l’étais pourtant plus vraiment, juste un ado dans la moyenne des ados un peu paumés. Un garçon qui découvrait tous les jours des nouvelles musiques, des nouveaux groupes, en discutant avec d’autres dans la cour du lycée ou en feuilletant quelques journaux spécialisés et les rares fanzines qui parvenaient jusqu’à moi (principalement Rock Hardi). Même la télévision pouvait se révéler prescriptrice. Sans oublier la radio, puisque la bande FM avait été libérée – ou plutôt : en grande partie lâchée aux investisseurs – et que l’on pouvait enfin y découvrir de nouvelles choses, incroyables pour les oreilles.
J’étais donc lycéen et j’avais atterri chez mon père à l’âge de quinze ans, un peu malgré moi, j’allais y rester à peine trois ans. Trois années où la musique a pris encore plus d’importance. A l’époque – on est à un peu plus de la moitié des années 80 – mon père habitait à Villefranche, au nord de Lyon, une ville où il n’y avait rien à faire, sauf se bourrer la gueule jusqu’à en gerber dans le parc municipal, fumer du mauvais shit et trainer dans un bar sympa route de Thizy (le Houba-Houba) et fréquenté par quelques punks, des vieux rockers et des jeunes innocents comme moi. Il y avait Radio Calade aussi, avec des émissions parfois très bordéliques (K2R, co-animée par une personne qui maintenant bosse pour le label Jarring Effects) et d’autres complètement incroyables (Les Plaisirs Inconnus, aucun doute à avoir sur la teneur générale de sa programmation, c’est comme ça par exemple que j’ai découvert Siglo XX).








Mais tout n’était pas totalement perdu. Lyon était juste à quelques dizaines de kilomètres, à portée en prenant le train, le car ou en stop (malgré l’appréhension de tomber sur un connard). Et par chance la ligne de cars régulière qui reliait Villefranche et Lyon partait d’à côté de chez mon père et atterrissait en plein cœur de la ville, vers la gare Saint Paul. Rien de plus facile que de faire craquer les cours sans penser aux conséquences, de prendre le car – cela coutait encore presque rien – et de passer l’après-midi à Lyon, sans but particulier sauf avoir le plaisir d’être loin de chez moi, loin des contraintes et de faire quelque chose de vaguement interdit. Parfois il y avait un concert qui me faisait de l’œil mais la plupart du temps je ne pouvais pas y aller, à moins de profiter d’une absence paternelle ou de mentir en disant que j’allais dormir chez quelqu’un (l’excuse classique) et de rentrer en stop ou d’attendre que la nuit passe et que l’heure du premier car du matin arrive. Mais il avait aussi les magasins de disques. Et les longues et nécessaires économies sur l’argent que m’envoyait ma mère pour mon anniversaire, la monnaie carottée sur l’argent des courses ou le billet de dix francs piqué dans le sac de ma belle-mère. Pour un seul résultat : avoir de quoi acheter un disque, parfois deux.
Heureux hasard, pas très loin du terminus du car il y avait un magasin minuscule dont parlaient parfois les punks du Houba-Houba. Attaque Sonore se trouvait rue du Docteur Augros, une petite rue reliant le quai de Bondy en bordure de Saône à la place Saint-Paul, juste à côté du café de la Graine. Un tout petit local rempli de disques. C’est là que j’ai acheté le seul et unique album des Redskins, Neither Washington, Nor Moscow, tout un programme correspondant bien à mes aspirations politiques alors naissantes. J’avais découvert le nom de ce groupe anglais en scrutant la pochette d’un disque des Bérurier Noir. Etudier les artworks et les notes des pochettes était un autre moyen de trouver des informations de première importance. Au verso du maxi Joyeux Merdier on voit les deux Bérus et en particulier François sautant en l’air et portant un t-shirt sur lequel est écrit « Redskins ». Et là je m’étais dit : Wouah ! ce groupe ne peut être que bien ! Ce que m’avait confirmé une vague connaissance. Lorsque j’ai trouvé Neither Washington, Nor Moscow chez Attaque Sonore je l’ai immédiatement embarqué, alors que j’avais prévu d’acheter tout autre chose. J’étais trop heureux de ma découverte.
Je n’avais encore jamais écouté une seule note de la musique des Redskins. Je pensais qu’il s’agissait, musicalement, d’un groupe très punk, pourquoi pas proche de Crass que j’écoutais beaucoup à ce moment-là et que j’adorais. Découvrir Neither Washington, Nor Moscow a donc été une vraie surprise : je m’attendais à tout sauf au mélange soul / punk du groupe. Ni à tous ces cuivres. Mais je suis immédiatement tombé amoureux de ce disque, de son côté chaleureux et franc redéfinissant la colère punk et les luttes d’opinions des Redskins (certains étaient même membre du Labor Party).

Publié début 2021, Rarities vient miraculeusement compléter la discographie du groupe seulement composée d’un unique album, d’un live posthume et d’un indispensable 12’ consacré lui à des Peel Sessions également très recommandables. Rarities regroupe nombre de titres à l’origine publié sur des formats courts. Il y a peu d’inédits en tant que tel – quelques introuvables quand même, comme cette reprise de Six Tons (Coal Not Dole) de Merle Travis – mais toutes les versions des titres que l’on connait déjà sont ici différentes et la plupart du temps bien meilleures (celle de Keep On Keeping On est incroyable). Avec le temps la grosse production de Neither Washington, Nor Moscow peut sembler datée – ce son de batterie lourdaud, tellement années 80… – ce qui n’est pas le cas de celle de Rarities, beaucoup plus brute, encore plus énergique et remplie d’un sentiment de vérité. Ce même ressenti que j’avais éprouvé il y a plus de trente-cinq années en découvrant la musique des Redskins… Je suis du genre idéaliste, tu sais.

 

 

mercredi 5 mai 2021

[chronique express] Knoxville Girls : In A Ripped Dress

 


 

Publié en mars dernier par Bang! records, label espagnol bien connu pour déterrer les enregistrements introuvables de vieilles gloires oubliées et autres groupes cultes, In A Ripped Dress est présenté comme l’album perdu des trop éphémères KNOXVILLE GIRLS. Faut il rappeler que derrière ce nom sentant bon le terroir on retrouvait rien de moins que Kid Congo Powers, Jerry Teel, Bob Bert ou Jack Martin, soit des musiciens ayant pour certains joué dans les Cramps, le Gun Club, les Bad Seeds, The Honeymoon Killers, Chrome Cranks, Five Dollar Priest, Pussy Galore et même Sonic Youth ? On pourra toujours préférer les deux autres albums des Knoxville Girls et notamment le plus propret In A Paper Suit (In The Red, 2001) avec lequel In A Ripped Dress – qui pourtant, si j’ai bien tout compris, a été enregistré bien avant – partage 90% de titres en commun mais les versions proposées ici possèdent quelque chose d’artisanal, de tourbé et de crasseux et en même temps de mélancolique qui change tout. Si tu aimes les musiques de cowboys lunaires et autres déambulations en zone sinistrée, In A Ripped Dress sera le disque parfait pour réchauffer tes soirées country-club en solitaire (la gnôle à 70° n’est malheureusement pas fournie avec le disque).