Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

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vendredi 23 septembre 2022

Angry Silence : Strange Times Call For Strange Measures

 

Plouf. Plouf. Plouf. Je ferme les yeux, j’avale la dernière taffe de ma cigarette, la fumée se mélange dans ma bouche à un reste de café trop sucré et de gueule de bois. C’est le bon moment pour mon jeu préféré. Je prends un disque au hasard pour le faire tourner sur la platine – en bon monomaniaque tous mes disques sont classés par ordre alphanumérique (la logistique et le magasinage, c’est peut-être un métier mais c’est surtout un travail de merde) pourtant il y a un endroit où je mets tous ceux que j’écoute en ce moment, ceux dont je me dis que j’aimerais les réécouter bientôt, ceux que je n’ai pas encore assez écoutés, ceux que j’aimerais chroniquer mais comme je n’y arrive pas je ne me force pas non plus et d’autres que j’ai un peu oubliés, sans raison apparente – mais j’ai déjà raconté tout ça plein de fois, sûrement trop souvent. J’ai donc ressorti Strange Times Call For Strange Measures, le premier album d’ANGRY SILENCE. Un disque précisément beaucoup écouté à sa sortie au Printemps dernier, genre plusieurs fois de suite, à diverses occasions. Et puis plus rien.







Il était peut-être écrit dans le marc de mon café ou alors c’était inconscient de ma part – mais je n’y crois pas une seule seconde –  qu’Angry Silence devait refaire surface au milieu de mon oisiveté dominicale de travailleur, sous ce soleil presque automnal. Le groupe est entre autres composé d’actuels ou anciens membres de Besoin Dead et de Litovsk, un groupe que j’ai revu il y a peu, toujours aussi épatant en live, avec ses deux chanteurs. Et justement l’un des deux est également chanteur d’Angry Silence, auteur des paroles de Strange Times Call For Strange Measures, très personnelles (« dans ma tête » précise t-il dans un petit texte imprimé sur la pochette intérieure du disque) et qu’il dédie à ses ami·es, sa famille, son père. Plus loin on peut lire aussi cette phrase : « Angry Silence ne veut pas de chroniques de disque dans les magazines financés par des pubs pour des entreprises du CAC 40 mais vous encourage à écrire votre propre fanzine ». Le ton est donné mais ce n’est pas tout. Sur la page bandcamp du groupe on trouve l’explication du pourquoi et surtout du comment* de la pochette (sérigraphiée) conçue par Bonjour Grisaille. Ne jamais faire les choses pour rien.
Il y a surtout la musique d’Angry Silence. J’écris « surtout » parce que c’est toujours ce qui m’a intéressé en premier, la musique, bien que j’ai appris et compris depuis longtemps qu’il y a bien des façons différentes d’en faire et que la musique est forcément porteuse de ces façons. J’ai compris qu’il y a des modes de fonctionnement, des idées, des engagements qui me plaisent et me conviennent et d’autres non (le commerce et le spectaculaire). J’écris « surtout » parce qu’avec Strange Times Call For Strange Measures je me suis retrouvé plongé du cœur et de la tête – sans aucune nostalgie pourtant – dans l’indie rock des années 90, ses guitares subtilement dissonantes, ses rythmiques légères, son retrait mélancolique. Une musique connue sur le bout des doigts mais qui – comme tant d’autres – peut se retrouver ressuscitée et même bonifiée par des groupes de maintenant.
Qu’importe le temps passé, qu’importe les modes, les contre-modes, les pauses, les calculs et les stratégies, il y aura toujours je l’espère des groupes tels que Angry Silence, des groupes dont ni la sincérité ni l’implication ne pourront jamais être remises en cause. Ce n’est peut-être pas grand chose, ce n’est peut-être qu’un disque – bien que l’on ne puisse que comprendre que pour les membres du groupe il s’agit de bien plus que cela – mais c’est plus qu’important. Pour moi en tous les cas ça l’est : se confronter à une musique et des personnes qui ne trichent pas, font leur truc à eux. Des personnes qui ont des choses à dire, des luttes (personnelles et collectives) à mener, des personnes qui partagent.

* si tu télécharges (à prix libre) Strange Times Call For Strange Measures sur b*ndc*mp tu pourras également lire ceci mais je ne peux que te conseiller d’acheter ce disque auprès de l’un des nombreux labels qui l’ont publié : Coolax – 6 hent Tanguy Prigent, 22420 Le Vieux-Marché –, Crapoulet, Dans Le Vide,  Emergence records, Epicericords, Les Disques de la Face Cachée, Jarane, Lucane Distro et Red Wig.

 

mercredi 6 avril 2022

Secte : self titled



 




SECTE est une très bonne nouvelle. Le duo nous vient de Bruxelles et est composé de deux musiciens déjà remarqués ailleurs : le guitariste Grégory Duby (auparavant dans K-Branding) ainsi que le batteur David Costenaro (ex-Vitas Guerulaitis et sûrement plein d’autres groupes dont je ne me rappelle pas). Mais on arrêtera là avec les références et on ne fera surtout pas de comparaisons puisque histoires et aventures précédentes n’ont que peu à voir avec actualité présente. Sauf, peut-être, que l’on pourrait insister sur quelques constantes – ou plutôt exigences ? – dont ces deux garçons ont fait preuve au fil des années : je parle d’étrangeté, d’insoumission, de liberté, de voyage… Mais on ne trouvera rien d’obscur, de tordu et de pesant ni rien de baroque ou de flamboyant dans la musique de Secte. C’est même tout le contraire.
Commençons donc par faire la seule chose digne d’intérêt lorsqu’on entreprend d’écouter un tel disque : fermons les yeux. Et laissons-nous bercer par les sons clairs et vibratoires de 332, titre qui sert discrètement d’introduction au disque mais également de mode d’emploi. Il n’y aura pas de surenchère. Les mélodies seront empruntées d’ailleurs – comme le suggèrent les titres Syria et Ethiopia placés juste après – mais sans aucune condescendance ni réappropriation folklorique. Il y aura beaucoup d’espaces, d’intervalles, ces petits moments où les dernières notes ne se sont pas tout à fait éteintes et où celles d’après vont, on peut le pressentir, commencer à se faire entendre. Beaucoup de lumière et de chaleur mais une chaleur généreuse, apaisante et protectrice. Aucune colère et aucune agressivité. Très loin de l’océan tumultueux des musiques trépidantes, submergeantes ou même violentes qui nous assaillent constamment et ne laissent que peu de place à l’indolence et la flânerie, Secte a décidé de proposer tout autre chose.
Mais quoi ? Un hit-parade de ritournelles moyen-orientales ? De L’exotisme en trente six tableaux illustrés ? De la musique mystique sans mysticisme ? Non. L’humilité des deux musiciens n’a d’égales que leur discrétion et leur déférence. Et c’est à peine si, de notre côté, on ose les imaginer jouer, l’un d’une guitare sans saturation envahissante ni utilisation intensive de pédales à fracas, l’autre d’une batterie en constante lévitation. Jouer une musique au milieu d’un désert peuplé de rêves en suspens et de songes indécis – ceux-là pourraient n’appartenir qu’à toi parce que dans ton état à moitié conscient/moitié endormi tu essaies toujours de les réinventer, à ta guise malgré tout –, image après image, évocation après évocation, balades et ballades (ce n’est pas la même chose), ne pas déranger les insectes à dos rond qui dorment tranquillement sous le sable brûlant en attendant la tombée de la nuit.
Je ne l’ai pas fait exprès, je m’en aperçois uniquement en l’écrivant mais Secte est précisément un disque de fin de journée et de début de nuit, au milieu d’un immense nulle part peuplé d’invisibles, ce moment où tout n’est pas encore terminé et où la suite n’a pas encore tout à fait commencé (et tels les espaces sonores et musicaux évoqués plus haut). Il s’agit donc d’un disque contemplatif et même romantique : par là je veux dire qu’il n’exprime, même fugitivement, que des états d’âme et privilégie le sentiment à la raison. Il s’emballe parfois, épaissit rarement le trait, s’emmêle d’horizons parallèles western/eastern (Longa D) mais revient toujours à son point de départ-arrivée, développe a minima – discrètement – ses microcapsules, tente de capturer une temporalité suspendue qui ne peut qu’échapper à la logique et éclate doucement telle une bulle de quiétude, une plongée dans les sables émouvants de nos psychés libérées.

[Secte est publié en vinyle par Araki, Attila Tralala, Cheap Satanism, Do It Youssef, Les Clampins D’Abord, Les Disques De La Face Cachée et Whosbrain records]

mercredi 2 mars 2022

Rraouhhh! / LR666 : Cardio - En Vrai Ça Va

 

Tu as envie de profiter opportunément de cette énième accalmie sanitaire pour pouvoir à nouveau danser et transpirer toute la nuit ? Te mettre des races et te droguer, transformer ta déchéance individuelle en œuvre d’art éphémère ? Tu veux oublier que le monde entier te ment effrontément et par intérêt, que si tu vas voter aux prochaines élections présidentielles tu n’auras finalement le choix qu’entre fascisme rance et suprémaciste et technocratie libérale, hypocrite et méprisante ? Entre fierté nationaliste et narcissisme républicain ? Tu en as marre que tes prétendus amis te traitent de paranoïaque délirant, de révolté sans idées et de débile archaïque ? D’inadapté social ? De pantin pathétique ? Tu veux oublier que ta vie c’est de la merde mais que tu préférerais en décider par toi-même ? Oublier demain parce que demain n’existe pas ? Ce split est fait pour toi.







D’un côté nous avons donc RRAOUHHH!, un duo franco-belge avec des gros bouts de Mr Marcaille dedans (ce n’était pas la peine de porter un masque pour la photo de la pochette, tout le monde t’avait reconnu) et une chanteuse à la voix aux envoutements acidulés – Sophie de ¡Duflan Duflan!. Le groupe a déjà publié deux albums que l’on ne saurait trop recommander et dont Cardio s’inscrit comme une suite logique : boite-à-rythmes cheap, nappes synthétiques urticantes, interventions régulières d’une guitare ou je ne sais quoi de chelou (?) perturbante, mélopées psychopompes, répétitivité aliénante, déglingue réverbérée, résidus de méthylamphétamine coupée à l’acide, hallucinations finalement très confortables. Cardio est un titre plutôt long (douze minutes) et rabâcheur mais c’est le principe même de la chose : terminer comme cela avait commencé, sans réel début ni fin véritable, le même enivrement/étourdissement jusqu’à l’écœurement, in vomi veritas. Puer d’un bonheur épuisant et courbaturé.







De l’autre côté du disque on découvre LR666, un autre duo dans lequel on retrouve des morceaux de Crabe Marseillais (non, c'est juste une légende urbaine...) et dont si je ne m’abuse En Vrai Ça Va constitue la première véritable publication en dur. Ici la méthode est différente et beaucoup plus punk et minimale dans l’esprit : cinq titres oscillant tous aux alentours des trois minutes et aussi dépouillés que radicaux. Encore de la boite-à-rythmes – sèchement actionnée par Jean Mehdi –, encore des synthétiseurs mais, cette fois, un chant bilieux qui éructe des textes nihilistes et volontairement pesants. La musique est aussi corrosive que les mots sont crus, version complètement désabusée du Fier De Ne Rien Faire des Olivensteins – mauvais en tout et bon à rien, j’ai tout raté pour tout oublier, tout raté pour tout recommencer, etc. – et d’un Suicide définitivement anti romantique (remplace Alan Vega par GG Allin et tu comprendras mieux).
A ce qu’il parait, les deux groupes ont récemment donné quelques concerts ensemble afin de fêter dans la joie et la douleur la parution de leur disque en commun mais je n’ai pas vu de date du côté de mon petit chez-moi… une prochaine fois, peut-être ?

[Cardio / En Vrai Ça Va est publié en vinyle par 666 La Chasse, Coolax records (le label monté par Pascal après Et Mon Cul C’est Du Tofu ? et avec lequel on ne peut communiquer que par voie postale et transmission de pensée, comme au siècle dernier), Les Disques De La Face Cachée, Rockerill records et Urgence disk]







lundi 22 novembre 2021

Tardis : Never Grow Up


Je pense parfois que ce pays manque singulièrement de dignes – j’ai bien écrit dignes – représentants de l’indie rock, ce genre musical tellement populaire chez les trente-quarante-cinquantenaires éternellement adolescents mais dont la réelle définition reste obscure et incertaine. Un truc un peu fourre-tout, faussement mou ou pas vraiment énervé (c’est selon), un peu arty, un peu punk (mal coiffé si tu préfères), toujours mélodique bien que souvent délicieusement tordu, des fois sucré-acidulé et peut-être légèrement grungy sur les bords (encore plus mal coiffé, mais différemment que chez les punks). Oui, bon, OK, je caricature un peu, carrément beaucoup en fait, mais la nonchalance assumée et la branlitude experte en matière de musique (tout en sachant plutôt ce que l’on est en train de faire) sont deux choses difficiles à définir correctement – on se poserait moins de questions avec un groupe de black metal complotiste ou de goregrind zoophile, ça c’est sûr.
Et puis voilà que le nom de TARDIS apparait sur les écrans des radars balayant les vortex spatio-temporels de l’univers connu. Un groupe dont on nous dit que les quatre membres, une fille et trois garçons, se partagent entre la France, la Belgique et le Luxembourg mais que pour plus de facilité et par pure paresse – donc – on géolocalisera à Nancy, à quelques dizaines de kilomètre de Metz, la ville où est basée son label actuel, Les Disques de la Face Cachée. Il n’en a pas toujours été ainsi : Never Grow Up est le deuxième LP de Tardis mais le premier, intitulé Machines Are Talking Behind Your Back et datant de 2017, était lui sorti de façon complètement autoproduite, c’est à dire sans l’aide d’aucun label, et il porte la référence Tardis001. Un bel exemple de DIY.






Il m’est impossible de parler de Never Grow Up sans évoquer ce premier essai. D’abord j’ai découvert les deux en même temps et une bonne partie des innombrables qualités de la musique de Tardis sont déjà présentes sur Machines Are Talking Behind Your Back. Le point essentiel étant que pour un premier album celui-ci était d’une maturité incroyable – oui cette affirmation sonne paradoxalement s’agissant d’une telle musique, volontairement juvénile – et contenait nombre de chansons imparables et foutrement réussies. Tardis s’imposait comme une usine à tubes, maniant aussi bien la chaleur pop que l’électricité alternative, le tout avec un sens affûté de la composition et donnant une musique finalement pas si régressive que ça.
Quatre années ont passé : Tardis tourne désormais à plein régime et les promesses faites sur Machines Are Talking Behind Your Back sont plus que tenues avec Never Grow Up. C’est là que l’on s’aperçoit que finalement le groupe ne saurait être trop facilement catalogué et que son indie rock définitivement 90’s possède encore plus de cordes à son arc qu’on pouvait le penser au départ (ce qui n’est pas peu dire). Un peu de gras délicatement saturé, des mélodies qui coulent de source, une énergie jamais gaspillée, ce qu’il faut de bizarreries séduisantes (quelques zigouigouis électroniques et autres instruments additionnels), un chant masculin un peu nasillard mais non dénué d’une emphase certaine donc souvent interpelant et un chant féminin qui tombe toujours juste et au bon moment.
Never Grow Up c’est tout cela et encore plus, beaucoup plus en fait qu’une tentative d’intrusion acnéique dans le continuum temporel, bien que le nom du groupe tende à nous faire croire le contraire – Tardis serait l’acronyme de « Time And Relative Dimension In Space », du nom d’une machine à remonter dans le temps utilisée par Doctor Who dans la série britannique des années 60 du même nom. Indices quelque peu trompeurs, la pochette de l’album rappellera, surtout par jeu, celle du Dirty de Sonic Youth tandis que l’alternance couplet calme / refrain agité de Ragle Gumm et surtout French Movies Are Cinematic Guano évoquera les vieux Pixies (ou Nirvana, on le sait bien). Et j’ai évidemment fait exprès de ne citer que des groupes américains. Pourtant avec Never Grow Up Tardis s’affranchit de la dimension indie US de sa musique grâce à toujours plus de sophistication dans ses arrangements (At The Arcade, le superbe Isolation Tank), une production léchée à mille lieues du lo-fi indé et un niveau d’écriture encore plus sublimé qu’auparavant (la pop y prend toujours plus de place, comme sur Video Nasties et New Gods, New Stigmata – et au passage, jette un coup d’œil sur les textes du groupe, d’une rare acuité).
Dit autrement, ce que ces jeunes gens perdent en américanismes, ils le gagnent en se rapprochant singulièrement de la musique anglaise, encore celle des années 90 – britpop mon amour – mais celle également du début des années 70, grâce à ce lyrisme élégant hérité du glam flamboyant. Que du bonheur, si tu veux tout savoir : Never Grow Up est un disque idéal pour se tenir bien au chaud avec ses doudous fétiches et, personnellement, refuser de grandir ne m’a jamais posé aucun problème.

[Never Grow Up est publié en vinyle de couleur blanche nacrée (super beau) par Les Disques de la Face Cachée – quant à Machines Are Talking Behind Your Back, bien qu’édité à seulement 100 exemplaires, il semble qu’il est toujours disponible auprès du groupe ou de quelques distros et revendeurs consciencieux]

 

vendredi 19 novembre 2021

Garbage Collector : 1988

 

La première fois que j’ai entendu parler de GARBAGE COLLECTOR c’était grâce à une compilation CD éditée par un fanzine parisien devenu périodique (et vendu en kiosque avec isbn et tout ça). Entre 1988 et 1990 Out Of Nowhere comblait en partie mes désirs de musiques nouvelles, ici plutôt orientées cold, indus et expé mais pas seulement, tout comme l’a fait un peu plus tard Hello Happy Taxpayer de Bordeaux puis surtout le fanzine Sonik – la bible made in France du noise-rock et affiliés, entièrement rédigée par la personne qui désormais et depuis plus de quinze années maintenant sévit sur le webzine Perte Et Fracas. C’est grâce à Out Of Nowhere que j’ai découvert les Beatnigs, Rapeman, Slab! ou Gore, que j’ai appris plein de choses sur les Swans, Wiseblood et les Young Gods en lisant un interview de Roli Mosimann, etc… Bon, j’arrête tout de suite là avec mes souvenirs d’ancien combattant.
Sur cette compilation Out Of Nowhere sortie en 1990 – sous-titrée « one hour of music, 16 pages of wank » – et au milieu de Sprung Aus Den Wolken, Dazibao, The Grief, Borghesia, Treponem Pal ou Nox on trouvait également le titre This Is My Life de Garbage Collector qui ressortira en 1993 sur un EP posthume (?) via le label Permis De Construire. Je connaissais l’existence d'un premier album publié par ce même label quelques années auparavant mais je ne me suis jamais vraiment intéressé à ce groupe de Longwy, sûrement par bêtise crasse, peut-être par paresse, et aussi parce qu’en 1990/1991 la place dans mon cœur était prise par les incroyables Davy Jones Locker de Thionville, que les Deity Guns faisaient désormais parler d’eux et que les Thugs n’avaient pas encore mis trop d’eau dans leur vin.







Il convient pourtant de remonter un peu le temps et de replacer les choses dans leur contexte : comme son nom l’indique cet unique album de Garbage Collector a été publié en 1988… et je ne saurais exagérer en affirmant que le groupe était alors terriblement en avance sur son temps, sans doute beaucoup trop pour un gamin de mon âge qui n’y connaissait vraiment rien en matière de no-wave et autres foutraqueries noise à base de guitares dissonantes et de rythmiques tribales. Alors tu penses bien, rétrospectivement, qu’en 1988 Garbage Collector ne pouvait que me passer au dessus de la tête : je venais juste l’année précédente de découvrir Sonic Youth avec l’album Sister (très bon et très beau disque mais pas non plus le plus expérimental des new-yorkais) et je commençais à peine à me libérer de mes automatismes musicaux hérités du heavy metal, du punk, du thrash et du rock alternatif.
En écoutant la récente réédition vinyle de 1988, je mesure enfin toute l’importance de Garbage Collector, un groupe aussi essentiel que bizarre, du moins pour l’époque… j’irai même allègrement jusqu’à le qualifier de novateur. L’album est bruyant et tendu au possible – mis en boite par le désormais légendaire François Dietz au studio du Centre Culturel André Malraux à Vandœuvre-Lès-Nancy (là même où se déroulait le festival du même nom) – mais surtout il n’a pas tant vieilli. On peut affirmer que la musique de 1988 est facilement datable et assurément elle l’est – tout comme, dans un tout autre genre et des années auparavant, les deux albums de Marquis De Sade le sont – mais elle est tellement représentative et à la hauteur d’un esprit musical qui depuis a fait florès que cela en donne le tournis. Les Garbage Collector n’avaient alors rien à envier à leurs homologues américains, que ce soit Live Skull, les déjà nommés Sonic Youth et même Pain Teens. Que des jeunes gens de Longwy aient eu l’idée d’une telle musique alors que les années 80 touchaient à peine à leur fin et que l’ambiance musicale dans les cours de lycée et même les facs se partageait entre variété new-wave et alterno franchouillard restera toujours pour moi comme un petit miracle et un vrai mystère.
Spécialisé dans la réédition d’enregistrements hexagonaux essentiels mais devenus difficilement trouvables – de Dashiell Hedayat à Ich Bin en passant par Fall Of Saigon ou The Dreams – et succursale des Disques de la Face Cachée, Replica records a été plus que bien inspiré de déterrer 1988… Et ce n’est que justice d’avoir rendu à Garbage Collector la place que le groupe aurait toujours du occuper, enfin.



vendredi 9 juillet 2021

Mr Marcaille : No Snare No Headache



Nan mais Arnaud qu’est ce que tu es beau ! Lorsque j’écoute ton nouveau disque et qu’en même temps je contemple sa (magnifique) pochette, je me prends d’un élan de tendresse quasiment incontrôlable pour toi. Je regarde tes yeux clairs à l’éclat débordant de générosité et je t’imagine sur une scène de concert, uniquement vêtu d’un slip poisseux, le torse velu et transpirant, la casquette de travers, dégoulinant, rotant un trop-plein de bière, éructant tes chansons métalliques dégueulasses propulsées à la double pédale et au violoncelle criard dans un grand jaillissement de postillons purificateurs. J’ai envie de te serrer dans mes bras et je t’aime. Enfin, j’aime No Snare No Headache. Et je découvre qu’il ne s’agit que de ton second LP, le premier datant de 2013… Mais, dis-moi, qu’est ce que tu as foutu pendant tout ce temps ?
J’en vois certaines et certains qui rigolent derrière leur ordinateur ou leur téléphone. Qui pensent que Mr MARCAILLE n’est au mieux qu’un freak et un amuseur public (certes extrêmement doué). Un truc que l’on programme en début de soirée d’un concert de grind ou de thrashcore pour faire monter la sauce et chauffer les esprits pendant l’apéro ou que l’on relègue en dernier, au petit jour, une fois que tout le monde est complètement bourré et défoncé. Je ne suis pas meilleur que les autres : je n’ai pas écouté très souvent Kill ! Kill !Kill !, un peu trop certain de savoir ce que j’allais y trouver et toujours bloqué sur les concerts mémorables du monsieur – voir descriptif ci-dessus – et dont je pensais qu’ils seraient toujours suffisants pour me contenter pleinement. J’ai, par pure paresse, eu tendance à considérer que Mr Marcaille n’était qu’une grosse blague… mais en fait pas du tout. Enfin presque.





 

No Snare No Headache ne comporte qu’un seul (petit) mensonge : celui de son titre. Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de caisse claire sur un enregistrement qu’on ne va pas se choper un mal de crâne à force de l’écouter en boucle. Par contre il n’y aucun risque de grosse prise de tête avec un disque qui respire autant l’intelligence du grand n’importe quoi à bordel. Et l’amour de la musique, aussi : quelque part entre le hardcore et surtout le thrash et avec quelques incursions réussies dans le doom. Le tout, donc, à l’aide de deux caisses médiums (?) actionnées par un double pédalier, d’un violoncelle au son particulièrement distordu et d’un chant vociférateur de golem chiasseux. Du metal mais du metal bien oxydé et bien sale, sans aucune trace de rutilance chromée.
Moi qui ai beaucoup écouté ce genre de trucs (le thrash de Slayer et consorts) depuis ma tendre adolescence et qui en écoute encore, je suis ébloui par No Snare No Headache, un disque qui – n’ayons pas peur des mots – confine au génie et le fait mine de rien, sous des airs de blagues cradingues et de réjouissances métallurgiques. Comment ne pas triquer à l’écoute du très explicite Fuck Off And Die ? Comment ne pas invoquer les forces du mal sur Pro Satan ? Ne pas triper sur Infine ? Ne pas avoir envie de décapsuler une 666ème bière sur Beer Time ? Ne pas la recracher aussitôt sur Mon Amour ? Ne pas brailler en yaourt sur Naatas ou headbanguer de bonheur en écoutant Wall Of Death ? Beaucoup mieux enregistré que Kill ! Kill ! Kill ! dont le côté lo-fi faisait aussi beaucoup pour le charme, No Snare No Headache surprend même par son degré de sophistication, toutes proportions gardées évidemment, et d’achèvement. Moi je vous le dit : Mr Marcaille est peut-être un fouteur de merde notoire, un rigolo du goulot et un exhibitionniste sans peur et sans reproche mais c’est aussi et surtout un esthète jubilatoire. Donc finalement je l’aime, oui.

[No Snare No Headache est publié en vinyle par Aradje, Les Disques De La Face Cachée et Urgence Disk]

 

 

jeudi 10 janvier 2019

Bras Mort / Give Her This, she Takes That


Au printemps 2017 le label parisien Music Fear Satan publiait un split single doté de la pochette la plus drôle du moment avec d’un côté Jessica93 et de l’autre Bras Mort. Les deux titres de ce 7’ restent encore inédits à ce jour : en face A Jessica93 – qui alors peaufinait Guilty Species, son troisième album publié un peu plus tard dans la même année – s’essayait aux paroles en français avec un Artiste Inconnu des plus convaincants (j’allais ajouter : comme d’habitude) ; puis en face B on pouvait découvrir un groupe originaire du Grand Est. Et là cétait le choc, la simple présence de Bras Mort transformant ce split de prime abord plutôt charmant et sympathique en joyau obscur : le titre proposé par le groupe s’intitule World Demise et ce n’est pas une reprise d’Obituary mais un truc lent et visqueux, serpentement malsain et noirâtre lorgnant du côté d’un post punk étouffant et insalubre, crade et froid.
On retrouve dans Bras Mort quatre musiciens qui auparavant ont joué dans énormément de (très) bons groupes, certains plus ou moins affiliés à La Grande Triple Alliance Internationale de l’Est… Allez hop une petite énumération par ordre alphabétique, parce que j’aime ça : 14:13, 1400 Points De Suture, A.H. Kraken, Austrasian Goat, Death To Pigs, Dust Breeders, Funk Police, Le Chômage, Malaïse, Meny Hellkin, Noir Boy Georges, Plasbobeton, Scorpion Violente, Shall Not Kill, Strong As Ten, The Dreams, etc. Évidemment il y en a un parmi ces quatre là qui triche un peu et qui à lui tout seul a joué dans la moitié des groupes mentionnés ci-dessus mais il faut malgré tout avouer que cette liste donne le vertige. En tous les cas moi elle m’excite. 




Heureusement il n’aura fallu qu’une année d’attente pour pouvoir écouter le tout premier album de BRAS MORT. Give Her This, she Takes That a été publié par Les Disques De La Face Cachée, au départ un magasin de vinyles de Metz et dont les tauliers devaient trouver qu’il n’y aura jamais assez de disques édités et diffusés en ce bas monde – ce en quoi je suis parfaitement d’accord. Question détails techniques, il suffira de savoir que Give Her This, she Takes That a été enregistré en deux jours à peine et que cela devait bien être suffisant pour capturer tout l’esprit malfaisant d’une musique plus reptilienne et plus sombre que jamais mais beaucoup moins sujette aux effondrements 80’s que pouvait le laissait présager World Demise.
Pour Give Her This, she Takes That BRAS MORT semble avoir empilé et laisser fermenter toute la cradeur et toute la violence sourde dont le groupe est capable. Les choses sérieuses débutent dès le vénéneux True Love (dont le nom en « love » a comme par magie échappé à l’inspiration et à la sagacité ironique des Swans) qui évoque les Brainbombs, Drunk With Guns ou Flipper et pour une entrée en matière il s’agit surtout d’une entrée par la grande porte. Bras Mort n’est cependant pas un groupe de copieurs stériles et avec Lovekills (encore un titre digne de Michael Gira) accélère le rythme et s’adonne aux joies d’un post punk désossé et répétitif, le plan final sombrant dans l’hypnose d’un kraut nauséeux. Sorry est plus léger, du moins en apparence : passé son côté sautillard cette bourrasque affûtée monte en pression, jouant la contradiction entre guitares répétitives et ligne de chant mélodique tandis que la basse unifie le tout en ondulant dans la plus pure tradition stoogienne. En toute fin de face A Skull fait figure de hit single classé tout en haut du Top 50 de la roublardise : She Said Destroy nous dit-on (Michael Gira cédant provisoirement la place à Douglas Pierce) mais en fait on découvre là un nouvel aspect de la musique de Bras Mort, un côté nonchalant et irrésistiblement dansant en forme d’apothéose ralentie et couronnée par un solo de guitare psyché-noise qui vrille les oreilles, rappelant certains exploits opiacés et soniques de Spacemen 3 ou de Loop.
La deuxième face est tout aussi variée, surprenante et envoutante que la première. Is Your Body Politic ? n’est pas totalement inoubliable mais reste très acceptable (si je puis dire) et dès Molemen (dont une version primitive avait été enregistrée pour la première démo du groupe en 2016), l’opposition je te séduis d’un côté tandis que je te poignarde de l’autre reprend du service, Bras Mort maitrisant plus que jamais l’entêtement enfiévré et poussant le vice de l’épaississement au moment du refrain. Le groupe maitrise parfaitement l’alternance entre psalmodie punk et ascension dans le néant et tout est là, dans cet esprit de lenteur incendiaire imperturbable, méchant et menaçant comme un vieux couteau de cuisine rouillé. Et puis vient Through The Wood, pour le coup la composition du disque qui musicalement se rapproche le plus d’une sorte de tribalisme 80’s corrodé à l’acidité no wave. Treize minutes de roulements, treize minutes d’un chant à la morsure plaintive, treize minutes de refus sardonique et d’amour corrompu et déglingué, treize minutes de guitares brûlantes et vrillantes puis un locked groove douloureux pour rester pétrifié dans le coma.
En résonnance avec son artwork magnifique – et un rien buñuelien – Give Her This, she Takes That est sublimement viral et source de souffrance… un peu comme l’amour, non ? Je ne sais pas si cet album aura un jour une suite tellement il est chargé d’absolu négatif et je ne sais pas non plus si j’aurai un jour la chance d’assister à un concert de Bras Mort ; mais par contre il est certain que Give Her This, she Takes That est l’un de mes disques préférés de l’année 2018. Malgré tout.