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jeudi 1 septembre 2022

Chafouin : Toufoulcan

 




Il se passe un truc plutôt curieux entre moi et CHAFOUIN. La musique du groupe ressemble à pas grand-chose que je connaisse et apprécie vraiment, du moins ne ressemble pas à quelque chose que j’écouterais spontanément, comme ça, parce que cela ferait partie de moi. Mais c’est pourtant ce qu’il se passe à chaque fois. Tu connais forcément le syndrome de l’humeur musicale qui te fait choisir un disque ou une musique selon le moment, la météo, tes envies, tes non-envies, la gravité de ta gueule de bois, l’état de décomposition plus ou moins avancée de ton tube digestif, le bordel insupportable de tes voisins qui font tourner le barbecue et le cubi de rosé sans discontinuer depuis une semaine – si tu as envie de faire chier le monde un peu, beaucoup, passionnément, si au contraire tu as envie de rien de trop précis, si tu préfères penser à pas grand chose et surtout pas à demain (sans faute), si tu es seul·e ou pas, si tu as la flemme de passer l’aspirateur, si ton chat est venu se coller à toi en ronronnant tendrement ou si tu as un peu peur d’envoyer un message à cette personne importante et qu’elle le prenne mal…
Avec Chafouin rien de tout ça. Je ne saurais décrire ce qu’est exactement le bon moment pour écouter Toufoulcan, un album qui m’embrouille plus que jamais, utilisant et mélangeant des ingrédients qui auraient plutôt tendance à me hérisser le (mauvais) poil : post rock cérébral à la Tortoise circa TNT, jazz rock chansonné, guirlandes clignotantes de synthétiseurs kitschounes, surabondance de mélodies ciselées comme des napperons en crochet, textes (parfois) naïfs en français, chant choral… la liste pourrait être longue parce que je suis un type intolérant avec des principes pseudo-esthétiques très arrêtés, ayatollah du bon goût, adepte de la mauvaise foi si nécessaire – ndlr : la mauvaise foi est-elle toujours une nécessité ? – et de plus en plus snob avec l’âge. Mais non et encore non. Rien ne peut empêcher Toufoulcan d’être un ravissement et une parenthèse d’apaisement et de sérénité, surgissant à chaque fois sans crier gare d’une pile de disques à écouter et allant se coller immédiatement sur la platine. Un peu à la manière des derniers méfaits de Chocolat Billy dont Chafouin pourrait être un lointain cousin par alliance et au troisième degré.
Et en parlant de degré, c’est sûrement ce qui me plait dans cette musique : son côté en apparence compliqué, alambiqué voire progressif (arrrghh !), lyrique et – allons-y gaiement – ampoulé qui pourtant s’efface immédiatement devant l’absence absolue de prétention dont fait preuve le groupe. C’est ce que je ressens toujours. La bienveillance, la générosité et – surtout – la modestie sincère de quatre musiciens qui, alors qu’ils auraient pu faire semblant de mettre les petits plats dans les grands, enfiler des chemises à jabots et enchainer les effets de manches, faire chauffer les pédales d’effet, s’étaler comme des bâtards insensibles et postuler pour le premier prix d’arrogance, nous balancent douze compositions qui mélangent sans aucune honte et avec grande finesse rock, jazz, electro et chanson : Toufoulcan est un disque dénué de tout cynisme, sans arrière-pensées (sauf politiques). Donc tant pis pour le second degré et la mauvaise foi car ici il n’y en a pas. Tout comme il n’y a aucune violence musicale mais beaucoup de poésie, une poésie simple et directe, colorée et dessinée avec soin mais dont les détails n’ont rien d’étouffant – un tableau du douanier Rousseau, de cet art dit « naïf » ai-je même envie de dire mais pour cela il faudrait que je retire ce que j’ai écrit un peu plus haut sur la naïveté. OK, je retire. Et j’écoute.

[Toufoulcan est publié en vinyle et en cassette par Araki, Burning Sound records, Coolax, Do It Youssef !, Epicericords, Ged, Hidden Bay, Jarane, L’Etourneur et Super Apes]


mercredi 6 avril 2022

Secte : self titled



 




SECTE est une très bonne nouvelle. Le duo nous vient de Bruxelles et est composé de deux musiciens déjà remarqués ailleurs : le guitariste Grégory Duby (auparavant dans K-Branding) ainsi que le batteur David Costenaro (ex-Vitas Guerulaitis et sûrement plein d’autres groupes dont je ne me rappelle pas). Mais on arrêtera là avec les références et on ne fera surtout pas de comparaisons puisque histoires et aventures précédentes n’ont que peu à voir avec actualité présente. Sauf, peut-être, que l’on pourrait insister sur quelques constantes – ou plutôt exigences ? – dont ces deux garçons ont fait preuve au fil des années : je parle d’étrangeté, d’insoumission, de liberté, de voyage… Mais on ne trouvera rien d’obscur, de tordu et de pesant ni rien de baroque ou de flamboyant dans la musique de Secte. C’est même tout le contraire.
Commençons donc par faire la seule chose digne d’intérêt lorsqu’on entreprend d’écouter un tel disque : fermons les yeux. Et laissons-nous bercer par les sons clairs et vibratoires de 332, titre qui sert discrètement d’introduction au disque mais également de mode d’emploi. Il n’y aura pas de surenchère. Les mélodies seront empruntées d’ailleurs – comme le suggèrent les titres Syria et Ethiopia placés juste après – mais sans aucune condescendance ni réappropriation folklorique. Il y aura beaucoup d’espaces, d’intervalles, ces petits moments où les dernières notes ne se sont pas tout à fait éteintes et où celles d’après vont, on peut le pressentir, commencer à se faire entendre. Beaucoup de lumière et de chaleur mais une chaleur généreuse, apaisante et protectrice. Aucune colère et aucune agressivité. Très loin de l’océan tumultueux des musiques trépidantes, submergeantes ou même violentes qui nous assaillent constamment et ne laissent que peu de place à l’indolence et la flânerie, Secte a décidé de proposer tout autre chose.
Mais quoi ? Un hit-parade de ritournelles moyen-orientales ? De L’exotisme en trente six tableaux illustrés ? De la musique mystique sans mysticisme ? Non. L’humilité des deux musiciens n’a d’égales que leur discrétion et leur déférence. Et c’est à peine si, de notre côté, on ose les imaginer jouer, l’un d’une guitare sans saturation envahissante ni utilisation intensive de pédales à fracas, l’autre d’une batterie en constante lévitation. Jouer une musique au milieu d’un désert peuplé de rêves en suspens et de songes indécis – ceux-là pourraient n’appartenir qu’à toi parce que dans ton état à moitié conscient/moitié endormi tu essaies toujours de les réinventer, à ta guise malgré tout –, image après image, évocation après évocation, balades et ballades (ce n’est pas la même chose), ne pas déranger les insectes à dos rond qui dorment tranquillement sous le sable brûlant en attendant la tombée de la nuit.
Je ne l’ai pas fait exprès, je m’en aperçois uniquement en l’écrivant mais Secte est précisément un disque de fin de journée et de début de nuit, au milieu d’un immense nulle part peuplé d’invisibles, ce moment où tout n’est pas encore terminé et où la suite n’a pas encore tout à fait commencé (et tels les espaces sonores et musicaux évoqués plus haut). Il s’agit donc d’un disque contemplatif et même romantique : par là je veux dire qu’il n’exprime, même fugitivement, que des états d’âme et privilégie le sentiment à la raison. Il s’emballe parfois, épaissit rarement le trait, s’emmêle d’horizons parallèles western/eastern (Longa D) mais revient toujours à son point de départ-arrivée, développe a minima – discrètement – ses microcapsules, tente de capturer une temporalité suspendue qui ne peut qu’échapper à la logique et éclate doucement telle une bulle de quiétude, une plongée dans les sables émouvants de nos psychés libérées.

[Secte est publié en vinyle par Araki, Attila Tralala, Cheap Satanism, Do It Youssef, Les Clampins D’Abord, Les Disques De La Face Cachée et Whosbrain records]

mercredi 16 mars 2022

Henchman : Pictures On The wall

 

« Punk hardcore noise dans la veine de Black Flag, Jesus Lizard ou Shield Your Eyes »… Voilà des références – trois groupes évidemment plus qu’appréciés par ici – particulièrement prestigieuses, encombrantes et balancées par HENCHMAN dans son message de présentation de Pictures On The Wall. A cette lecture mon sang de vieux grincheux n’a fait qu’un tour puis j’ai préféré en rigoler. Et, même si j’aime bien adore ça, je ne vais pas trop faire le méchant : le trio parisien qui pourtant n’a rien d’une bande de débutants acnéiques et naïfs tout juste sortis de leur cave ou du salon de papa-maman n’avait pas besoin d’utiliser des arguments aussi imprudents pour me convaincre d’écouter son deuxième album. Parce qu’en fait il avait juste frappé à la bonne porte*.







Tu prends donc du chant qui braille comme il faut bien qu’un peu trop systématique et monotone, des riffs tapageurs et accrocheurs, des solos de guitare tout niqués et sans queue ni tête, des grosses lignes de basse et globalement une section rythmique volumineuse qui file droit, tu mélanges le tout dans un shaker hardcore-noise (ah oui : là je suis plutôt d’accord) et tu obtiens un disque vif, vivifiant, réussi et même largement au dessus de la moyenne. Pas super original et pas du tout révolutionnaire – et puis quoi encore ? – Pictures On The Wall joue la carte de l’énergie au carré et de la mélodie en guise de vernis anti-corrosion. C’est assez simple mais tellement efficace. Guillaume (guitare et chant), Vianney (basse) et Laure (batterie) ont pourtant ralenti le rythme depuis Void In Between (2018), épaississant leur côté hardcore, pimentant leur noise-rock bouillonnant, se rapprochant éventuellement du garage noise d’un Tendinite – au moins au niveau du volontarisme électrique – et restant bien installés dans le registre de la ténacité.
Henchman aurait-il muri ? Allons, allons, pas de gros mots s’il vous plait, la musique du groupe reste juvénile et enflammée mais elle a gagné en tenue de route tandis que les compositions sont beaucoup mieux foutues et davantage variées, plus consistantes. Tout en renonçant à certaines facilités d’écriture Henchman gagne encore plus en efficacité et continue de fonctionner à l’instinct, ce qui compte par-dessus tout c’est la justesse de l’effet produit. Les trois musiciens excellent désormais sur les tempos lents (Skinned Alive) ou, plus généralement, lorsqu’ils n’essaient pas d’être plus rapides que leurs ombres et privilégient l’assise et la solidité. Par exemple le splendide Gamma Ray qui ouvre la deuxième face du disque avec sa ligne de basse et son riff à faire headbanguer tous les quinquas noiseux-rétrogrades de ce monde en chute libre mais qui se paie le luxe d’une courte accélération finale du meilleur effet (décidemment, on ne se refait pas).
Comme pour me faire mentir, Henchman a malgré tout placé l’une de ses compositions parmi les plus virulentes et les plus rapides – et aussi l’une des meilleures – à la toute fin de Pictures On The Wall. Dive offre une conclusion parfaite au disque car trop souvent les groupes mettent en guise de voiture-balai les titres qui les comblent le moins, ceux qu’ils jugent les plus faibles ou les plus mous mais ce n’est absolument pas le cas ici. Henchman est finalement un groupe avisé et qui démontre surtout qu’il a du répondant et qu’il n’y a rien à jeter sur son disque.

[Pictures On The Wall est publié en vinyle et avec pochette gatefold par Araki, Crapoulet, Dead Punx records, Emergence records, Entes Anomicos, Itawak records, Jungle Khôl, Skate Pizza, Sonatine Produzioni, SP Discos et Transistor 66… est ce que j’ai oublié quelqu’un ?]

* à ce propos je te rappelle une nouvelle fois qu’Instant Bullshit refuse catégoriquement tout envoi de supports physiques (vinyles, CD ou cassettes) mais que son comité rédactionnel peut être contacté à hazam[arobase]riseup[point]net et que les liens d’écoute ou de téléchargement seront toujours les bienvenus – sans aucune réponse au bout de quelques jours semaines mois c’est que l’affaire est entendue (sic) et qu’il n’y aura aucune chronique de ton disque dans cette gazette internet 

 

vendredi 18 février 2022

Boucan : self titled

 

Jeudi 26 janvier 2017. Ce n’était absolument pas prévu au départ mais ce jour là j’ai atterri aux Capucins, un bar incontournable du bas des pentes de la Croix Rousse à Lyon. Il y avait un concert, j’ai réussi à descendre dans la cave – théoriquement c’était complet de chez complet – et je suis tombé en plein milieu du set de BOUCAN, un tout jeune groupe local dont, je l’ai appris plus tard, c’était la première fois qu’il jouait devant un public. Aussi incroyable que cela puisse sembler, les plus que renommés Zeus! ont ensuite enchainé et comme on pouvait s’y attendre le concert des Italiens a été phénoménal – tu imagines un peu ? Zeus! avec seulement une cinquantaine de personnes entassées dans un endroit aussi minuscule et serrées les unes contre les autres ? Comme souvent lorsque les concerts partent en vrille dans la cave des Capus il s’est produit ce phénomène remarquable : les pierres des murs et du plafond ont commencé à se couvrir de condensation, mélange de transpiration des corps qui s’agitent, de bière qui s’évapore et d’enthousiasme qui déborde.
Mais revenons-en à nos moutons boucs en chaleur : les Boucan ont ceci en commun avec Zeus! qu’il s’agit de deux duos basse/batterie (avec parfois un peu de voix pour les Italiens). Mais dans mon esprit certes un peu embué (sic) les Lyonnais n’ont absolument pas été ridicules, bien au contraire. Sinon, de mémoire, il me semble que ce concert correspond aussi à la dernière fois où j’ai sacrifié à cette merveilleuse tradition Croix-Roussienne consistant à aller pisser sur la porte d’entrée de l’Eglise de Scientologie, toute proche du bar des Capucins – cette soirée était donc vraiment très, très, réussie (note à moi-même : retourner pisser là-bas à la première occasion, cela fait trop longtemps).






 
Alors maintenant je vais raconter quoi ? Que j’ai revu Boucan trois ou quatre fois en concert ? Que le duo m’a fait systématiquement forte impression ? Et qu’en plus j’avais le sentiment qu’il était en constante progression ? Oui, oui et oui. Seulement voilà, j’ai longtemps pensé sans creuser davantage la question qu’en fait ces deux petits gars ne faisaient que défourailler comme des malades et puis c’est tout. Qu’une musique de la trempe de celle de Boucan était avant tout faite pour être jouée en live, devant un parterre de personnes consentantes s’agitant comme des bazus et écumant de bonheur mais qu’un enregistrement ne rendrait que partiellement justice à toute l’énergie et tout l’allant du groupe. En tant que vieux ronchon râleur et bourré de préjugés, j’ai également quelques difficultés chroniques avec les duos basse/batterie : à deux ou trois exceptions près (tu connais godheadSilo ?), ils ont rarement la cote avec moi.
Boucan est en passe de me faire changer d’avis. Sur le premier album du duo – enregistré à la maison et mixé par le batteur – on retrouve effectivement tout le dynamisme et toute la fougue des concerts. Pourtant les deux musiciens ne font pas que jouer fort et épais : on pourrait basiquement qualifier leur musique instrumentale de mélange de math-rock et de noise-rock (en gros ça tricote et ça fait du bruit) mais un groove aussi imparable que jouissif et aussi explosif que communicatif parsème copieusement tout le disque et le tire maintes fois vers le haut. Entre interventions à la tractopelle et coups de marteau-piqueur la musique de Boucan se révèle bondissante et chaloupée. Pleine de vie, aussi vrombissante que généreuse. De quoi avoir envie de remuer son popotin ou ce que l’on voudra sans aucune retenue.
Mais là où le groupe est vraiment très malin c’est qu’aucune des huit compositions de son disque ne reste cantonnée à un seul et unique registre – bien sûr certains titres possèdent malgré tout une couleur dominante (French Manucure est plutôt très noise). D’autre part, figures et positions acrobatiques varient sans cesse et s’enchainent à un rythme infernal. Très schématiquement, un morceau de Boucan consiste à passer d’un riff qui saigne sur fond de batterie en phase pilonnage à un break tout en ondulation avant de repartir dans une autre direction et ainsi de suite, etc. Tout ça sans artificialité, sans maniérisme, sans prétention, sans esbroufe – pourtant il y a de quoi être épaté ! – mais avec une science de la construction et de la narration qui, oui OK je vais conclure, permet à Boucan de se passer sans problème de toute forme de chant (c’est tout juste si on entend un ou deux hurlements sur le deuxième titre – imprononçable – et sur Marseille) et surtout de toute forme de structures éculées ou prédéterminées à la con. Vitalité, densité, intelligence, imprévisibilité, plaisir d’offrir et joie de recevoir : moi aussi je reste sans voix.

 

[le premier album de Boucan est publié par Araki records, Bigoût Inc., Day Off, Jarane, Mollo Bobby, Muzotte et Vox project]  

 

 

vendredi 4 février 2022

Verdun / Old Iron : split

 


 

Si tu veux tout savoir, je me suis mis à ronchonner (c’est comme une seconde nature chez moi) et à bouder les Montpelliérains de VERDUN lorsque le groupe a publié The Eternal Drift’s Canticles… en 2016. Autant j’avais été fan – et je le suis toujours – du EP The Cosmic Escape Of Admiral Masuka (2011) et autant j’avais aimé le groupe les premières fois que je l’avais vu en concert (un, deux et trois), autant j’ai complètement été largué par la suite : quelques changements de line-up auxquels je ne comprenais rien et, donc, un album auquel je n’ai jamais accroché parce que la musique du groupe me semblait y perdre beaucoup de sa dangerosité initiale ont eu raison de ma bonne volonté. Mais il s’est depuis passé beaucoup de temps et Verdun a publié Astral Sabbath en 2019 et surtout ce split, encore tout chaud brûlant et en compagnie des Américains d’Old Iron, chaque groupe proposant deux titres inédits.
Côté Verdun c’est d’entrée la grosse régalade avec Narconaut et ses presque huit minutes et une intro tellement planante et céleste que l’on frise le doom goth façon My Dying Bride des tout débuts… Mais cela ne va pas durer, les anges finissent toujours par passer, le ciel par s’assombrir et place aux riffs saignants et aux rythmiques pachydermiques : le doom vitriolé et teigneux – principalement le fait du chant, toujours aussi particulier – mais étrangement mélodique du groupe est de retour et ce de la plus belle des façons. La suite est encore plus étonnante puisque Verdun s’attaque carrément à une reprise du Dawn of the Angry de Morbid Angel (un titre de l’album Domination des death-métalleux). C’est complètement osé parce que les styles musicaux propres à chacun sont à la base complètement différent mais surtout parce que… Morbid Angel c’est très loin d’être n’importe quoi non plus en matière de groupe cultissime ! Bref, sur la version des Montpelliérains le rythme a été ralenti (évidemment…), il y a Said de Mudweiser (groupe dans lequel on trouve également Jay de Verdun) qui est venu jouer de la guitare et Benjamin de Fange qui lui a ajouté un peu d’électronique bruitiste. Le pari pouvait sembler osé mais cette reprise fonctionne parfaitement et surtout colle idéalement à Verdun qui a bien su se l’approprier, il n’y a rien à y redire. Me voilà réconcilié, non ?

On retourne le disque. OLD IRON est un trio de Seattle dont j’ignorais totalement l’existence – deux albums et demi à son actif pour l’instant – et dont la musique est très proche de celle des Français, en plus hardcore peut-être. Les ingrédients de base sont donc peu ou prou les mêmes mais aucune crainte de redite et de lassitude. On peut même s’amuser à faire le petit jeu des comparaisons (les riffs d’Old Iron sont plus touffus) mais on remarquera surtout qu’après le très dynamique Planetesimal, les Américains se lancent dans un tortueux et très sombre Strix qui a son tour fini par résonner de quelques accents sépulcraux, rejoignant ainsi les premiers instants du Narconaut de Verdun. Ce serait fait exprès qu’il n’en serait pas autrement… En tous les cas, hasard ou non, cette idée me plait particulièrement et voilà surtout qui valide définitivement un disque très réussi et plus que recommandable, brutal mais nuancé.

[ce split est publié par Araki, Cold Dark Matter records, Coups De Couteau, Gabu records, Saka Čost et Seaside Suicide records – la pochette du disque est gatefold, le vinyle existe en version splatter et en version avec effet fumée et l’artwork est signé Jesse Roberts, également guitariste et chanteur d’Old Iron]

 

mercredi 17 novembre 2021

L'Effondras : Anabasis

 




Si tu as pris l’habitude de lire Instant Bullshit non pas à l’aide d’un téléphone riquiqui et ridiculement cher mais sur ordinateur – ce que je te conseille plus que vivement : premièrement tu te feras moins mal aux yeux et, deuxièmement, si jamais tu es au travail derrière un bureau, au moins cela te permettra de t’occuper avec autre chose que ce que tu es censé faire pour ton patron et en échange d’une bouchée de pain mensuelle – bref, si tu est présentement devant ton écran et que tu consultes la version web de cette gazette tu as sûrement remarqué, placée tout en haut, cette devise formidable (je l’avoue, et c’est moi qui l’ai trouvée tout seul) qui dit « in blog we trust, too old to die young ». Mais à bien y réfléchir j’aurais aussi pu choisir celle-ci : « il n’est jamais trop tard pour prendre son temps ».
Derrière la boutade se cache à peine une réalité qui conviendrait parfaitement à L’EFFONDRAS, un trio instrumental originaire de Bourg-en-Bresse. Savoir poser et mettre en place les éléments de sa musique comme il le faut et créer paysages mouvants et atmosphères subtilement changeantes, un peu comme lorsque tu regardes un beau ciel nuageux éclairé par les rayons d’un soleil s’approchant lentement de la ligne d’horizon. Tu contemples quelque chose qui semble inamovible, tu te perds dans cette contemplation et dans ce qu’elle déclenche en toi jusqu’à ce que tout disparaisse, que le ciel d’il y a quelques minutes à peine se soit transformé en un autre ciel, balayé par les vents, obscurci par la nuit qui tombe, masqué par les silhouettes des arbres qui s’allongent, peut-être à nouveau éclairé par la lune qui commence à apparaitre, révélé par des sons que jusqu’ici tu n’entendais pas, ceux des animaux qui ne sortent de leurs tanières et refuges que le soir venu, le courant de la rivière qui se met à raisonner étrangement dans la vallée encaissée, le pas d’une vie humaine pressée de rentrer chez elle parce que trop souvent la vie humaine a peur de ce qui bouge et remue sans lui demander son avis. En peinture cela donnerait un tableau de Joseph Mallord William Turner, cet immense génie.
Le mouvement est un élément primordial de la musique de L’Effondras et il l’est d’autant plus qu’il est subtilement et délicatement dosé. Tout en décrivant des atmosphères intouchables, parfois des bourrasques doucement changeantes, des tempêtes sourdes, des blocs de couleurs et de lumières qui s’entrechoquent, des montagnes qui se rapprochent du ciel, des cieux qui n’en finissent jamais. Pas de grosses ruptures spatio-temporelles ni de montées supersoniques comme chez les maitres incontestés du post-rock Godspeed You! Black Emperor ou leurs imitateurs (Explosions In The Sky, Mono, etc.) mais des coups de pinceaux et de couteaux à peinture qui forment, déforment, malaxent et sculptent une partition musicale qui touche au plus profond, refusant toute dualité binaire et tout manichéisme musical, une expérience de vie. Et il ne tient qu’à toi de te plonger dedans.
Un peu plus techniquement et toujours à propos de ces foutues temporalités, Anabasis est le troisième album de L’Effondras et le premier après quatre années de silence. C’est aussi le premier enregistrement du trio avec Raoul Vignal à la seconde guitare (baryton), un garçon qui d’habitude fait ses trucs à lui tout seul dans son coin. Pour la première fois également me semble-t-il il y a un peu de voix sur l’un des titres (Norea), un genre de spoken words que l’on remarque d’abord à peine mais qui pourtant sont bien là, encore une autre forme de mouvement. Anabasis a officiellement été publié en mai 2021 et en vinyle uniquement par 98 Décibels, Araki records, Kerviniou recordz et Medication Time. Mais la release party n’a eu lieu que le 1er octobre dernier, au Sonic à Lyon (non, je n’y étais pas).

mercredi 29 septembre 2021

Milkilo : Abandon


La présentation d’Abandon est d’une méticulosité affinée et d’une rigueur redoutable qui me laissent sans voix mais surtout béat d’admiration. Tout dans le soin apporté au graphisme et au contenu de la pochette et de l’insert impressionne, même le vieux ronchon psychorigide et maniaque que je suis. Chaque intervenant·e et chaque personne impliqué·e dans le deuxième (troisième ?) album de MILKILO est dument mentionné·e ou remercié·e selon un ordre étudié, avec une police de caractères précise, un souci permanent d’homogénéité et un (chouette) esprit d’unicité et de partage. Tout y est. Sans oublier les belles photos – signées Marina Uzelac – porteuses d’un flou très poétique et de mouvements lumineux. Et si tu es du genre bordélique et que tu ranges tes vinyles n’importe comment sur ton étagère (ou pire, malheureux hérétique, si tu les laisses trainer n’importe où) le nom du groupe et le nom du disque ont été imprimés sur les trois tranches fermées de la pochette. C’est imparable.







Milkilo est un duo instrumental basse/batterie de Saint Etienne. Sa musique est très monolithique et imagée, très construite et architecturée, variée et haletante comme une course-poursuite. Du foisonnement, beaucoup d’idées qui fusent et de choses/impressions/sensations à faire passer mais pas n’importe comment. On peut lire dans l’insert que la composition et la conception d’Abandon auront pris plus d’une année au duo, s’étalant entre 2019 et 2020. Et cela se sent : là aussi rien ne semble avoir été laissé au hasard, chaque élément est à sa place, chaque rebondissement musical est comme scénarisé, chaque intervention, chaque apparition d’une sonorité nouvelle s’intègre dans l’ensemble, soit en soulignant le mouvement général, soit en faisant contrepoint et marquant le début d’une nouvelle phase. Difficile de faire plus cinématographique que la musique de Milkilo mais cependant celle-ci n’a que peu – voire pas du tout – de points communs avec le post rock et à peine plus avec le post hardcore. Bien que le groupe utilise quelques éléments ascensionnels propres à ces musiques là et bien que le mastering du disque ait été confié à Magnus Lindberg de Cult Of Luna.
Les neufs titres d’Abandon sont relativement courts pour de la musique instrumentale (entre quatre et cinq minutes, Qirmzi descend même aux alentours de deux) et ne perdent donc pas de temps, comme toute bonne composition de rock qui se respecte et qui respecte ses auditeurs. Il est clair que les deux musiciens préfèrent les déchainements électriques aux développements progressifs et chez Milkilo on tient avant tout aux notions d’impact et d’emprise, malgré toute la sophistication et toute l’attention apportées – ces deux là jouent un peu comme des brutes de technique : le bassiste taquine même de la cinq-cordes. Le vocabulaire employé est très large, alliant lourdeur, épaisseur, moments épiques, turbulences, fulgurances, faux-plats, aérations/dégazages ou chausse-trappes, tout en ne s’interdisant pas quelques fantaisies bien trouvées (les résonances black metal de Matze). La seule constante d’Abandon – hormis son caractère hautement énergétique – c’est sa puissance mélodique. Jamais Milkilo ne tombe sciemment dans le bruit pur ou le chaos facile à l’usage des sourds et l’explosivité de sa musique révèle une abondance de trajectoires hautes en couleurs et en variations de volumes et de formes qui toutes convergent en un point que seuls les deux musiciens semblent connaitre… Mais à aucun moment non plus je me suis senti manipulé à l’écoute du disque et, bien au contraire, j’ai suivi la seule voie qui s’ouvrait devant moi : celle de l’abandon dans la musique (oui).

[Abandon est publié en vinyle (le mien est bleu/vert transparent mais il existe plusieurs versions, toutes à tirage limité et numéroté) et en CD (couleur cédé) par Araki records, Bad Health records, Itawak records et Vox Project – respecter l’ordre alphabétique c’est important]


jeudi 17 juin 2021

Black Ink Stain : Incidents







I See You Dead... le premier extrait d’Incidents positionné aux avant-postes des internets dès le mois d’avril dernier n’avait trompé personne sur les intentions de BLACK INK STAIN, jeune trio clermontois très respectueux des tables de la Loi. Et les premières écoutes de l'album m’ont tout de suite convaincu que j’allais beaucoup aimer ce disque. Cela a été imparable. Avec en prime une enseigne géante de néons électriques clignotant furieusement dans ma tête, me rappelant comme si j’en avais encore besoin cette règle absolue du noise-rock réactionnaire et conservateur – qualité / savoir-faire / tradition – et que je me répète à chaque fois comme un mantra maléfique dès qu’un disque de la trempe de celui-ci tombe entre mes oreilles. Encore du bousin explosif, encore un truc à la fois lourd, gras et puissant, brûlant et froid, un amas de tripailles qui s’adresse d’abord et principalement aux fanatiques et admirateurs d’Unsane, l’incontournable modèle du genre. 

Il y a des choses qui rassureront toujours le dépressif à temps partiel que je suis, qui atténueront toujours mes peurs et calmeront mes névroses et la musique fait partie de ces choses là. Dans Incidents on trouve des riffs qui torpillent, parfois très insidieusement, des lignes de basse qui terrassent, du chant de braillard qui te crache à la gueule, des compositions pesantes et puissantes, du gros son concocté par l’éternel David Weber au studio des Forces Motrices à Genève, un penchant avoué pour la musique urbaine folklorique US du début des années 90 et pour la perpétuation des traditions charcutières. Et, plus que tout le reste, il y a cette possibilité offerte sur un plateau de s’isoler, solidement entouré par un mur du son dévastateur qui fait le vide absolu tout autour (et là du coup on a un peu moins peur, en tous les cas cela fonctionne très bien avec moi).

Tout bien sûr n’est pas parfait sur Incidents, la deuxième face du disque se traine un petit peu plus en longueur et on se surprend à penser que le riff-leitmotiv de deux notes et demi et très basique de Frozen Stance doit forcément faire un carnage en concert mais qu’à écouter tranquillement à la maison ce n’est pas forcément la meilleure idée du monde. Mais rassurons-nous, sur ce premier album il y a nettement plus de moments vraiment appréciables et fulgurants que de passages réellement ennuyeux. Et les trois Black Ink Stain nous ménagent même quelques surprises, telle que Sans Façon, un titre instrumental avec une technique imparable d’hameçonnage, nous forçant à constamment rester en attente d’une ligne de chant qui donc ne viendra pas… on suit par contre avec délice la basse vrombissante et la guitare qui en profite elle pour se montrer un peu plus aventureuse que sur les autres compositions d’Incidents. Le chant clair au début de Pont Des Goules vient également pondérer un enregistrement qui sans cela pourrait sembler un peu trop monolithique (rien de tel qu’un verre d’eau de vie pour dissoudre les graisses). Parce que même si on aime avoir mal il est toujours bon de souffler un peu. Jusqu’à la prochaine fois. Alors à bientôt j’espère, dans une cave humide ou un hangar pourave, pour (re)découvrir ce disque incandescent en live, dans la vraie vie.


[Incidents est publié en vinyle transparent (avec quelques jolis traces de splashs étoilés noirs et blancs dedans) par Araki, Day Off et P.O.G.O. records – très actif et vénérable label franco-belge, au moins 150 référence au compteur depuis le temps, quand même]


 

lundi 7 juin 2021

Carver : White Trash



Au départ CARVER est un duo Nantais formé par David Escouvois, batteur impeccable et mignon comme tout pour Mr Protector puis Franky Goes To Pointe-à-Pitre, et par Thomas Beaudelin, auparavant chanteur et saxophoniste au sein des affreux mais regrettés Café Flesh, plus récemment biniouteur de freeture avec Trombe et poète / bidouilleur / chanteur obsédé par Tom Waits et Arthur Rimbaud sous le nom de Tom Bodlin. Dans Carver il s’occupe du chant, du saxophone mais également et surtout de la guitare, des fois tout ça en même temps, les joies de l’overdub.
J’étais complètement passé à côté de Bouncing In The Yards, premier enregistrement du groupe publié uniquement en numérique vers la fin de l’année 2019… un enregistrement qu’honnêtement je trouve trop vert et souvent maladroit mais, au delà de la joie de retrouver la voix de Thomas dans un registre davantage braillé / postillonné, il me faut également admettre que ce premier essai dégage un truc intrigant et inhabituel. Bouncing In The Yards a été bouclé en seulement deux jours avec l’aide au son de Pierre-Antoine Parois (batteur de Room 204, Papier Tigre, Spelterini, oui on est toujours à Nantes) et celles et ceux qui avaient découvert le groupe à ce moment là avaient au moins pu se dire que quelque chose d’intéressant se tramait, quelque chose de prometteur pour la suite.





La suite s’appelle White Trash, quatre titres gravés sur un disque en vrai et en dur et là encore mis en boite par Pierre-Antoine. Le principal gros chambardement c’est l’arrivée en renfort du bassiste Nicolas Monge. Une arrivée importante et qui change beaucoup de choses, participant à l’épaississement et à la dynamisation du désormais trio. L’autre fait marquant est plutôt de l’ordre de la confirmation, celle du caractère assez unique de la musique de Carver. Ce que l’on pouvait tout juste pressentir sur Bouncing In The Yards éclate de façon bien plus flagrante et surtout singulière sur White Trash.
Friand de culture américaine – le nom de groupe est un hommage au romancier et nouvelliste Raymond Carver, quant au titre du disque, inutile de te faire une explication de texte – Carver n’est pas vraiment un groupe de noise-rock. Du moins pas un groupe de noise-rock très classique, dans les deux sens courants donnés au genre : les trois musiciens ne marchent ni sur les platebandes tirées au cordeau de l’école de Chicago ni sur les arpions poisseux d’Amrep (quoique… le son et la ligne de basse de Priests sont tout à fait dans cette dernière lignée, mais vite contredits par la guitare).
Il faut aller chercher un peu plus loin pour trouver quelques indices sur la nature idiomatique d’une musique très énergique et au caractère imprévisible. Je pense à ces rythmes tout bizarres, casse-gueules, ensoleillés pourrait-on dire (il y a même une composition qui s’intitule Calypso, encore l’école nantaise), à ces riffs de guitare qui ligotent sans appuyer inutilement et s’abstiennent de découper du lard et d’étaler du gras plus que nécessaire (Everyone Knew), à ce chant qui part très souvent dans l’égosillement, à ces surlignages au saxophone qui ne s’égosille pas moins (Priests) mais sait aussi se faire plus discret (The Girl Next Door). Les quatre compositions de White Trash auxquelles les ayatollahs du couplet / refrain ne comprendront rien accrochent sans faillir, intriguent et donnent du fil à retordre sans rebuter, électrisent et séduisent, tout simplement : Carver est un drôle d’animal, aussi inspiré qu’inspirant, et surtout le trio s’impose déjà comme une figure atypique dans le paysage musical actuel.



[White Trash est publié en vinyle par Araki – Simon, arrête de me vouvoyer s’il te plait –, Day Off, Kerviniou recordz et Pied De Biche]

 

  

samedi 15 mai 2021

[chronique express] Melee : self titled




 

J’avais juré que l’on ne m’y reprendrait plus et que plus jamais aucun groupe de math-rock ne trouverait grâce à mes yeux ni se retrouverait chroniqué sur Instant Bullshit mais ça c’était avant de recevoir le CD éponyme de MELEE (en guise de « cadeau » et subrepticement glissé au milieu de disques que j’avais commandés et donc payés auprès du label alors que – attention radotage – je refuse tout envoi promotionnel sous forme d’exemplaires physiques, fin de la parenthèse). Je vais donc brièvement parler de ce duo italien non pas parce que je me sens redevable de quoi que ce soit (et puis quoi encore ?) mais parce que Guido et Mario n’ont rien à envier à tous leurs prédécesseurs et écrasent largement toute la concurrence actuelle avec leur recette basse / batterie explosive et survitaminée. Les compositions sont suffisamment courtes pour que l’on n’ait pas le temps de regarder sa montre et surtout elles dégueulent littéralement d’idées, entre énergie débordante et hautement communicative et générosité à tous les étages. J’imagine parfaitement le magnifique carnage que ferait Melee en concert dans une cave de bar blindée par un public essayant désespérément de grimper aux murs.



lundi 26 avril 2021

Nose In The Nose : Raw

 

Le retour dans l’actualité – qu’est ce que j’aime ce concept... – de NOSE IN THE NOSE, ça c’est une vraie surprise ! Enfin, non, pas tout à fait quand même : on avait pu se douter de quelque chose en jetant un coup d’œil même distrait à l’affiche de la quatrième édition du festival NNY (qui s’est déroulée en décembre 2019 à Saint Etienne, on sait malheureusement pourquoi il n’y en aura pas eu en 2020) avec le nom du trio écrit en toutes lettres au milieu d’une palanquée de groupes des plus recommandables tels que Coilguns, Pneu, It It Anita, Membrane, bref que des agités dans leurs genres à eux… Des beaux concerts auxquels j’aurais aimé pouvoir assister mais voilà, je n’y étais pas et je n’ai pu que me pincer la couenne pour réussir à croire pour de vrai à la décryogénisation annoncée de Nose In The Nose.

 


 

Nous sommes maintenant en 2021 et voilà que débarque Raw, premier enregistrement publié de Nose In The Nose depuis 2012 et un seul véritable album : le bien-nommé Crash, un disque revigorant et personnel – réécoute un peu Bob Of The Bridge et Ukulélé juste pour voir – qui quelques années plus tard tient toujours aussi bien la route et au sujet duquel je n’ai pas changé d’avis. Raw n’est lui qu’un EP de quatre titres (et 12 minutes de musique) mais il traduit de la plus belle façon qui soit l’envie et la volonté d’un groupe auquel on ne reprochera finalement pas de prendre un peu trop son temps – et d’ailleurs ce n’est pas la première fois qu’il nous fait le coup, puisque six années séparaient déjà son tout premier CD de Crash
Mais rien ne semble avoir changé du côté de Nose In The Nose : seuls les poils de barbe ont blanchi avec le temps tandis que les cheveux ont beaucoup poussé (alors que d’habitude c’est l’inverse) et côté musique les stéphanois confirment qu’ils sont toujours adeptes d’un noise-rock déterminé et mélodique agrémenté de quelques effluves de cambouis et d’huile de vidange. Une grosse giclée de garage-rock’n’roll qui ajoute un côté très humain à la musique du groupe tout en renforçant l’énergie débordante et communicative d’un enregistrement parfaitement capté par Jean-Pierre Marsal dans son studio Magnétique Audio.
Tickets, judicieusement placé à la fin de Raw, représente bien la face éclairée de Nose In The Nose – la lumière reste malgré tout assez faible, on n’est pas non plus chez les hipsters. C’est la seule note positive, en dehors du fait que Nose In The Nose soit toujours en activité, que je trouverai à un disque qui me semble par ailleurs plus sombre et plus grave que tout ce que le trio avait enregistré précédemment. Ce que l’on retiendra donc de Raw c’est aussi et surtout le fracas et la frontalité (la ritournelle finalement presque nauséeuse d’Ego Trip et surtout les déchirements de Rebuild, très noise-rock viscéral comme je l’aime). A Day Like Another se situe lui entre les deux pôles musicaux du groupe : commençant par des accents encore une fois plutôt rock’n’roll – surtout dans le chant – la musique semble rejoindre progressivement la thématique peu optimiste du titre pour finir au milieu d’éclats noise et avec une partie de guitare qui vrille les tympans. A bientôt j’espère.



[Raw est un vinyle monoface transparent de couleur verte publié par Araki et Vox Project – l’artwork est signé par l’ami Yetiz dont c’est la première pochette de disque, bravo mon garçon]

 

 

mercredi 21 avril 2021

Chafouin / Lapin : split




Instant Bullshit, le blogzine autocentré toujours en phase avec le monde moderne et à la pointe de l’actualité vous parle d'un split 12’ publié le 29 juin 2020 et au contenu partiellement consanguin. Et complètement hors de ma zone habituelle de confort – comprendre : ce n’est pas du noise-rock, pas du free-jazz libertaire, pas de la musique industrielle primitive, pas de l’improvisation libre, pas de la musique electro minimale, pas du hardcore, pas du garage, pas du punk, pas du post-punk, pas de la musique concrète, pas du hip-hop, pas de la musique classique, pas de la musique post wagnérienne romantique de la fin du 19ème siècle et pas de la création acousmatique non plus. Mais qu’est ce qu’il reste ?

Premier élément de réponse avec CHAFOUIN. Un groupe officiellement basé à Brest et dans lequel on retrouve Aurel de Marylin Rambo, de Presque Maudit et du label Epicericords (au départ il s’agit de son projet solo). Autant prévenir tout de suite que la musique de Chafouin n’a pas grand-chose à voir avec celles des deux groupes précités. Ici on serait plutôt du côté d’un electro-rock – quel oxymore ! – parfumé de relents progressifs et d’un peu de chant angélique de communiants. De quoi en théorie me filer des cauchemars pour une année entière et pourtant j’ai été assez surpris en découvrant les cinq titres proposés par le groupe. Et puis Grande Descente, sorte de mix entre Grotus et le générique de The Persuaders ! a grandement facilité les choses avec son ambiance très visuelle. Une voie royale pour Désolé De Vous Le Dire rondement amené et surtout chanté. Du coup je regrette un peu de ne pas trop pouvoir comprendre les paroles (qui ne sont pas non plus imprimées sur la pochette). Le reste conserve ce même sens du mouvement narratif même si je suis moins sensible au côté neo-prog – quand les années 70 bavaient encore dans les années 80 – de Simone Weber, un côté vite compensé par la réapparition des voix sur Fin Du Monde et le retour du cinéma avec Steve Glace (au passage : j’y entends quelques réminiscences de certains compositeurs minimalistes new-yorkais… non ? en tous les cas chez Chafouin on est aussi expert en calembours musicaux).

On retourne la galette et on quitte la Bretagne avec LAPIN, encore un groupe multi-formes, officiellement originaire d’Alès et, si j’ai bien tout compris, toujours avec le même Aurel (l’ubiquité alliée à l’hyperactivité). Lapin c’est de la batterie, des synthétiseurs, un orgue, des voix et des effets sonores pour une musique pas si éloignée que cela de celle de Chafouin mais développant un caractère encore plus cinématographique, doucement mystérieux – les belles sonorités de l’orgue y sont pour beaucoup – et un caractère atmosphérique, aérien et évanescent oserais-je. Les trois longs titres de Lapin sont ceux qui m’ont vraiment fait apprécier ce disque et qui m’ont également incité à persister au sujet de Chafouin. Cela me rappelle ma grand-mère paternelle, curieux résultat de la rencontre dans les champs de blé de la Beauce au début du 20ème siècle entre un ouvrier agricole allemand et une jeune andalouse fuyant tous deux la misère de leurs pays d’origine : lorsque elle voyait que je n’étais pas de bonne humeur la vieille dame me pinçait toujours la joue d’un air rigolard en me disant « oh mais tu es bien chafouin aujourd’hui ! » et invariablement je me mettais à rire avec elle.



[l’illustration de la pochette est signée du très talentueux Bill Noir et ce disque a vu le jour grâce à Araki records, Burning Sound, Clou records, Donnez Moi Du Feu, Epicericords, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Gnougn records, Jarane, Rita Distro et Tandori records… certains de ces labels annoncent le disque épuisé mais d’autres en ont encore des copies, comme Epicericords qui en ce moment brade littéralement tout son catalogue à prix libre (même ses vinyles) et là tu te dis que lorsque un label en arrive à de telles extrémités c’est que c’est vraiment la merde]

 

 

vendredi 16 avril 2021

Tendinite : Neither / Nor


 

Neither / Nor est un disque que j’apprécie tout particulièrement. Parce ce qu’à sa manière il se révèle entier et sans concession. Honnête et généreux. Synthétisant une certaine idée du rock, dans le sens le plus simple et le plus basique du terme. A propos du premier album de TENDINITE on pourrait parler de garage, de rock’n’roll, de noise-rock, de punk et sûrement de plein d’autres choses encore mais la musique du groupe échappe facilement au supplice de la catégorisation et de l’étiquetage paresseux. Donc voilà : arriver à prendre ça et là, uniquement en suivant ses envies et sûrement ses propres goûts personnels, différents éléments pour les ramener ensemble et les faire converger en une seule musique, sa musique à soi, cela n’a pas de prix à mes yeux. Pas la peine de faire des efforts inconsidérés pour se démarquer mais, au contraire, laisser parler son cœur. Et laisser faire la magie de l’électricité.

 



Tendinite
est un trio formé du côté de Reims en 2016 et ayant déjà publié un 10’ en 2018 et un 7’ en 2019. Un groupe de copains qui répètent inlassablement dans leur cave. Le genre de représentation pas si fantaisiste que cela et qui me vient tout de suite à l’esprit. C’est encore mon imagination qui parle mais il s’agit pourtant bien de ce que j’entends principalement dans Neither / Nor : trois garçons qui jouent de la musique par plaisir et qui sortent des disques pour la beauté du geste, celui du partage, et sans prétention aucune. Tendinite c’est donc une guitare, une basse, une batterie, du chant et surtout une énergie incroyable. Rien que l’inaugural Never Satisfied devrait convaincre les plus réticents tenants de l’orthodoxie grincheuse avec son introduction dantesque et son allure fringante et décidée.
La force de conviction est donc le premier argument imparable de Neither / Nor, un disque qui ne faiblit jamais, quels que soient la teneur et le rythme empruntés par ses dix compositions. Lentes ou rapides, punk ou plus psyché, elles possèdent toutes ce sens de l’entortillement, celui qui te donne envie de te balancer en rythme ou (pour les plus timides comme moi) de dodeliner de la tête. Le résultat est très contagieux parce que Tendinite sait composer une mélodie, sait lui faire prendre corps et sait comment la propulser bravement en l’air.
Mine de rien, Tendinite est un groupe qui n’a pas peur. La longueur du disque – et donc des compositions, majoritairement autour des quatre minutes – ne cesse de m’étonner : le trio ne s’impose jamais l’impératif de concision souvent de mise dans les musiques garage / punk / whatever mais il n’a rien non plus de bavard. Tout est bien construit, à sa juste place et la musique file allègrement, sans ostentation ni superflu. Par exemple le guitariste n’hésite pas à nous gratifier de nombreux solos, bien menés : tu connais ma réticence avec ce genre d’exercice (malgré mon passé adolescent de métalleux acnéique) mais dans le cas de Tendinite je ne trouve rien à dire à de tels agissements, bien au contraire. Le plus réjouissant étant que la guitare part en solo sans guitare rythmique derrière en appui, ce qui permet au passage de bien apprécier la basse à peine planquée en embuscade. Plus qu’un choix esthétique (et peut-être aussi un choix « économique »), cela démontre le caractère parfaitement assumé de la démarche du groupe. Un minimum d’overdubs et pas de fioritures. Encore et toujours de l’honnêteté, et de la vérité. Bravo.



[Neither / Nor est publié en vinyle noir – la plus belle des couleurs pour un vinyle – par Araki , Fuck A Duck, Hell Vice I Vicious et Poutrage records ; big up à l’artwork du disque et qui est l’œuvre de Val L’Enclume]


mercredi 17 mars 2021

Echoplain / Polaroid Malibu

 

Attention : marqueurs spatio-temporels de toute première importance. Lorsqu’on intitule son premier album Polaroid Malibu – en l’occurrence le nom d’un gadget photographique très en vogue dans les années 70, toujours en cours chez les hipsters du 21ème siècle et ici associé au nom d’une boisson alcoolisée tellement 80’s et idéale pour chopper une bonne gueule de bois doublée d’une crise de foie persistante – c’est soit que l’on est un jeune con prétentieux postmoderne qui veut faire genre soit un vieux schnock qui n’a plus peur de rien.
Avec ECHOPLAIN la réponse est toute trouvée : il s’agit d’un trio parisien composé d’anciens Sons Of Frida, le guitariste et chanteur Emmanuel Bœuf et le bassiste Clément Matheron. Des vétérans, si je puis dire, auxquels se rajoute le batteur Stéphane Vion qui lui joue dans Vélocross (groupe dans lequel on retrouve également Geoffrey Jégat, encore un ex Sons Of Frida et actuel Tabatha Crash). Ce monde est décidemment bien petit mais, je te rassure tout de suite, il sera toujours assez grand pour accueillir des groupes de la trempe d’Echoplain.







Je ne vais donc pas cacher mon enthousiasme débordant face à la musique de trois garçons pour qui porter des chemises à carreaux ne relèverait ni d’une attitude anachronique ni d’une posture revivaliste, qui ont tellement bien fait le tour de leurs goûts musicaux qu’ils continuent malgré tout de découvrir de nouvelles choses et qui – je l’imagine – jouent à titre très personnel la musique qui leur tient le plus à cœur. C’est ce que l’on entend en premier en découvrant les dix compositions virevoltantes et survoltées de Polaraid Malibu : toute l’unité et toute la cohérence dont font preuve ces trois là, au service absolu d’un rock tendu, sec, nerveux, emporté, électrique et souvent bruyant. Le côté indéfectible de la musique.
Tu remarqueras que je n’ai pas écrit directement « noise rock » bien que je n’en pense pas moins. Mais le noise-rock, c’est un peu comme le post punk : je ne sais pas vraiment ce que c’est mais j’en écoute tous les jours. Ici on ne peut qu’être scotché par la solidité, l’aplomb et la lucidité démontrés par la musique d’Echoplain sans pour autant avoir à déplorer un quelconque manque de fiabilité sur la longueur ou une propension irraisonnable pour le bruit gratuit et sans fondement. Loin des images floues (certes parfois pleines de charme) d’un polaroid et loin de la saturation écœurante de la boisson alcoolisée susnommée, le noise-rock du trio est un bijou d’équilibre, de netteté, de dosage et une mécanique si finement réglée que l’on ne s’en aperçoit même pas. Comme lorsqu’on parle de la mise en scène d’un film et que l’on affirme qu’elle est d’autant plus réussie qu’elle ne se voit pas à l’écran (ou plutôt : tu es tellement captivé par ce que tu regardes que tu ne te préoccupes plus trop de tout le reste).
Le mot finesse prend ici un sens encore plus aigu, parce que cette finesse est au service d’une musique que n’importe qui pourrait – uniquement par défaut ou par désinvolture, je ne sais pas – qualifier de bruyante. 
Mais ce serait omettre que si la musique d’Echoplain n’était que fracassante on finirait forcément par s’emmerder. Et ne pas comprendre que si elle l’est autant c’est bien parce que les trois Echoplain sont des orfèvres en la matière. A grands coups de saturation bien dosée et de dissonances bien placées (école Sonic Youth période Sister / Daydream Nation). A l’aide d’une rythmique à la volumétrie implacable et imaginative. Avec un coté mélodique indéniable, souvent mis en avant dans le chant, parfois parlé, parfois crié, toujours avec ce même sens du dosage et de l’à-propos. Un à-propos qui ne masque rien de la noirceur exprimée au travers d’une musique qui n’est pas là non plus pour nous séduire à tout prix. Et qui, en suivant toujours le même principe, y arrive donc parfaitement. La boucle est bouclée en quelque sorte. Mais le sujet est loin d’être clôt. Parce qu’il est littéralement impossible de se lasser d’Echoplain et de Polaroid Malibu.

 

 

[Polaraid Malibu est publié en vinyle par Araki, Pied De Biche et Zéro Egal Petit Intérieur – l’artwork est signé Sasha Andrès, chanteuse d’Heliogabale et d’A Shape, un groupe dont Emmanuel Bœuf, homme aux mille projets, a également été membre]

 

vendredi 12 mars 2021

Tabatha Crash / Twist


 




Avec un nom de groupe en forme de référence de vieux aux années 90 et de blague potache (c’est presque aussi réussi que Charogne Stone ou que Clit Eastwood), TABATHA CRASH ne pouvait qu’attirer mon attention de vieux bougon renfrogné et cloitré à la maison entre deux piles de disques ou de bouquins et attendant des jours meilleurs. Tu rajoutes une photo de pochette avec un bobtail bien baveux et visiblement prêt à tout pour une partie de léchouilles endiablées et le tour est presque joué. Mais en fait, ce qu’il faut surtout retenir c’est que Tabatha Crash est né des cendres des excellents Sons Of Frida – dont le Tortuga est resté dans toutes les mémoires – puisque on y retrouve le guitariste / chanteur / trompettiste Benoit Malevergne ainsi que le batteur Thierry Cottrel. Quant à la basse elle est tenue par Geoffrey Jégat qui me semble t-il jouait lui aussi aux tout débuts de ces mêmes Sons Of Frida… Une suite logique, en quelque sorte, et un line-up en théorie typiquement noise-rock.
Twist
est le deuxième enregistrement publié par le groupe. Il conviendrait de parler de mini album puisque celui-ci ne contient que six titres pour tout de même vingt-cinq minutes de coït ininterrompu. Je vais commencer par avouer que je n’avais écouté son prédécesseur sans titre que d’une oreille assez lointaine et distraite et que maintenant je m’en mords un peu les doigts. Tant pis, je rattraperai mon retard avec ce Twist bien mené, bien tourné, bien ourlé et doté d’une qualité sonore bien meilleure parce qu’offrant plus de clarté et de lisibilité, bref d’efficacité – au passage signalons que l’enregistrement et le mixage sont le fait de Manu Laffeach (il a bossé avec Shub, Poutre, Marylin Rambo, Ultracoït et tant d’autres) tandis que le mastering est l’œuvre du wizzzzard Cyril Meysson (Magrava, Satan, etc.).
Difficile cependant de limiter les trois musiciens de Tabatha Crash au seul registre du noise-rock à papa et maman. Toujours au rayon années 90 et musiques de vieux et de vieilles, le trio semble aussi très largement puiser son inspiration dans le post hardcore. Mais le vrai post hardcore, canal historique, pas celui des saloperies progressives vouées au culte lunaire ou au dieu solaire mais celui des groupes du label Dischord et qui donnera l’emo avant que cela ne dégénère en musique pleurnicharde, complaisante et peignée au gel à fixation forte. L’énergie est constamment présente mais il s’agit donc d’une énergie toujours finement enclenchée – si tu veux de la bourrinade à la queue-leu-leu va plutôt voir ailleurs –, apportant son lot important de subtilités et d’attraits mélodiques.
Les six compositions de Twist pourraient avoir l’air de rien – je veux dire par là qu’elles ne rentrent pas frontalement dans le lard pour tout dévaster et repartir sans laisser plus d’impressions que celles de la gratuité et de la facilité – mais elles sont plutôt du genre à s’immiscer avec assurance, à se faire une place au chaud et à rester bien dans la tête. Fast End est caractéristique de cette façon de faire, pleine de conviction et de détermination mais aussi de souplesse et de séduction. D’allant et d’intelligence. Au rayon des positions intenables et extravagantes Tabatha Crash ne remportera peut-être pas le premier prix d’excellence – la décence m’interdit absolument de traduire « twist » dans un tel contexte – mais le trio gagne celui de l’agilité et de la persuasion.



[Twist est publié en vinyle par Araki et Zéro Egal Petit Intérieu



 

vendredi 19 février 2021

Radical Kitten / Silence Is Violence


 


RADICAL KITTEN annonce d’emblée la couleur. Et c’est ça qui est bien. Même si sans doute cela ne convaincra personne de plus que toutes celles et tous ceux qui alléché.e.s par un si beau programme et l’affirmation claire et nette d’opinions aussi peu conventionnellement politiques ont déjà écouté ce disque ou l’écouteront demain (« politique » c’est juste le mot qu’on aime employer quand on prétend en faire, ce qui ici n’est pas le cas). Avoir pour nom Radical Kitten, appeler son premier album Silence Is Violence et débuter celui-ci par un morceau s’intitulant Wrong ! – dont les paroles répètent très clairement I Don’t Give A Shit – ne laisse guère de place au doute. Et le groupe de rajouter pour tous les mous et toutes les molles du bulbe céphalo-rachidien : nous sommes un groupe « Rrrriot post-punk meow, queer and feminist ». Je crois que je n’ai pas besoin de traduire.
Avec Radical Kitten tout est donc dans l’affirmation virulente et la revendication – l’important c’est déjà d’ouvrir sa gueule. Et de faire. Pas de chichi ni d’équivoque, ce sera ça ou rien. Et ça, c’est donc un trio mixte qui adule les chats et surtout revendique fièrement ses idées. Mais non sans un certain humour, parfois grinçant et très drôle (cf la pochette du disque). De quoi se faire haïr des fafs de tout poil et se faire mépriser par la petite bourgeoisie bienpensante et installée, surtout celle qui se revendiquant progressiste et ouverte à tout ne comprendra rien à un tel déferlement de violence et de « vulgarité ». Allons !
Allons ! Pourquoi autant de colère et de radicalité ? Ne peut-on pas tout arranger dans le respect de ce qui existe déjà ? Ces beaux préceptes qui posent les fondements de notre chouette société capitaliste, patriarcale, sexiste (etc.), cette société dont la moindre des qualités n’est pas celle de savoir constamment s’amender et s’améliorer ? (rires dans la salle)
Et bien justement : NON. Des groupes tels que Radical Kitten sont nécessaires car ils s’opposent aux discours généralistes et discriminants et refusent de rentrer dans le moule d’un débat dont le fonctionnement et les principes mêmes empêchent tout espoir d’avancées parce qu’intrinsèquement assujettis au modèle dominant. Il y a un moment ou il faut choisir et arrêter de parler à celles et ceux qui nous enjoignent d’être raisonnables (i.e. avoir une attitude démocratiquement soumise) pour leur cracher feuler à la gueule. Et c’est exactement ce que fait Radical Kitten.

Mais les messages et les idées que veulent faire passer Iso (guitare et chant), Marin (basse et chant) et Marion (batterie) ne le seraient pas aussi efficacement si la musique du groupe n’était pas aussi réussie. Une sorte de post punk chaloupé au vitriol et à l’émeri. Une basse très présente alliée à une batterie trépidante qui tissent un lit de clous et de bris de verre pour une guitare bien foutraque et un chant mixte – majoritairement féminin, le garçon se retrouvant souvent cantonné au rôle de contrepoint et de faire-valoir –, rageur et, en même temps, ultra accrocheur. Pour simplifier à outrance : Radical Kitten c’est un peu la rencontre de Melt Banana avec Crass pour un résultat se rapprochant de vieux machins tels que Dawson / Archbishop Kebab / Badgewearer / early The Ex ou, beaucoup plus près de nous, du premier album – et uniquement celui-là – d’un Trash Kit. Tu vois le genre ? Ça crie, ça grince, ça consume, ça pulse, ça groove et ça donne envie de danser frénétiquement sur les ruines d’un monde dont on ne veut plus.



[Silence Is Violence est publié en vinyle par Araki records,
Attila Tralala, Domination Queer records, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Gurdulu, La Loutre Par Les Cornes, Retratando Voces, Stonehenge records et Uppercat records]