J’aime imaginer
que l’idée de Skinwalker est née dans
l’esprit des gens de BRUXA MARIA et de MoE
après leur participation en 2019 à un split 7’ édité par le label God Unknown. Une trop belle histoire, capable de
contenter mon esprit très fleur bleue et très idéaliste dès qu’il s’agit de
musique et plus particulièrement de groupes que j’adore. The Maddening, deuxième album de Bruxa Maria, avait en effet remporté tous les suffrages par ici et rien que la lecture du nom du groupe de la
guitariste et chanteuse Gill Dread au générique de Skinwalker aura suffi pour que je m’emballe à nouveau (et encore
plus que d’habitude).
Mais je me dois également de spécifier que j’ai un peu plus de mal avec MoE dont le travail généralement appréciable
et la musique exigeante peuvent me laisser assez froid. Aucune offense et rien
de grave non plus, hein, j’admets que cette appréciation est purement
subjective. J’aime beaucoup le groupe norvégien en live – même lorsqu’ils ne
sont que deux, sans batteur – et certains de leurs disques sont époustouflants (Examination Of The Eye Of A Horse, par
exemple) alors que d’autres me rendent davantage perplexe (The Crone, également publié en cette année 2022). Ceci étant posé, je précise
qu’à la différence du 7’ mentionné plus haut, Skinwalker n’est pas un split mais un album collaboratif. Autrement
dit, Bruxa Maria et MoE y jouent ensemble, donnant ainsi naissance
à un projet complètement inédit.
Toutes les musiciennes et tous les musiciens de chaque formation jouent un rôle sur Skinwalker – je me contenterai
de citer l’électronicien/perturbateur de Bruxa
Maria Robbie Judkins, très présent voire essentiel sur nombre de
passages du disque. On note également la présence du saxophoniste Devin Brahja Waldman, en guest de luxe
pour un seul titre. Mais rapidement on cesse de se demander qui fait exactement quoi
et même si j’ai une petite idée de la chose, je n’ai pas envie de choisir entre
Dave Cochrane et Guro Skumsnes Moe pour savoir qui joue la ligne de basse
lourdissime et inquiétante qui balise Shapenshift
Skylight parce que, finalement, je m’en fous carrément : ce que nous
propose avant tout Bruxa Maria & MoE
avec cet album, c’est quatre titres très longs d’une musique
bouillonnante et magmatique, une musique nouvelle qui n’a que peu voire pas de
rapport avec celles que jouent les deux groupes séparément. L’esperluette devient plus que jamais de rigueur.
Les quatre titres de Skinwalker sont
présentés comme une suite, parties numérotées de 1 à 4 définissant un seul et
même ensemble, une seule histoire dans laquelle l’auditeur plonge allégrement, se
fait littéralement ensevelir, itinéraire malgré tout, où il se fait malmener,
où la musique prend vie différemment, presque indépendamment. On aura
d’ailleurs rarement écouté un disque commun aussi homogène et aussi abouti que
celui-ci. Dans le registre des musiques électriques, bien sûr. Qu’il ait été
façonné en peu de temps relève du phénomène, même au regard de tous les talents
mis en présence. On se doute bien que certaines parties sont le résultat
d’improvisations pures tandis que la bande continuait de tourner – The Wolf, The Owl, The Ritual, atmosphérique
et inquiétant, avec son irrésistible crescendo – ou de montages et mixages après coup de plusieurs séquences – Weawers Of Evil, bruitiste et hallucinatoire. Mais il n’y a aucune longueur,
aucune facilité et le résultat déborde de cohérence et de densité.
Cas à part, la quatrième et dernière partie The Spirit Is Out est une histoire dans
l’histoire, un récit à elle toute seule. Et le climax du disque. Il y a d’abord
le saxophone de Devin Brahja Waldman qui enrobe une intro éclaircie et apaisée,
jusqu’à ce que démarrent les martèlements de la batterie, qu’une voix
apparaisse rapidement et se mette à réellement chanter, pour la première fois,
à crier des mots incantatoires tandis que le saxophone dérape, devient de plus
en plus free, que les guitares se font de plus en plus métalliques et que Bruxa Maria & MoE nous offre un final chaotique et apocalyptique de
toute beauté. Magnifiquement étourdissant et dangereusement hypnotique, The Spirit Is Out est un joyau impérial,
le résultat unique de l’association symbiotique de deux groupes qui étaient
faits pour se rencontrer et jouer ensemble, la conclusion attendue et
l’aboutissement incroyable d’un disque totalement brillant, un disque marquant
définitivement les esprits et que je me retiens à peine de qualifier de chef
d’œuvre. Et tellement inestimable.
[Skinwalker est publié en CD
uniquement par Conrad Sound, le label
monté par les membres de MoE pour documenter
toute leur musique]