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jeudi 19 janvier 2023

Extra Life : Secular Works vol. 2

 


En novembre 2012 Charlie Looker annonçait la séparation d’EXTRA LIFE en expliquant que la créativité du groupe dont il était le leader incontesté se tarissait et qu’il ne pourrait jamais faire mieux que tout ce qu’il avait entrepris jusque là. Les fanatiques d’Extra Life se sont roulés par terre avec un sentiment de détresse insondable et ont pleuré toutes les larmes amères de leurs corps – ses détracteurs se sont contentés de ricaner – mais on ne pouvait que saluer la décision et le courage d’un musicien suffisamment lucide et honnête avec lui-même pour mettre fin à une aventure qu’il avait su mener loin, très loin.
L’affaire semblait définitivement pliée mais était aussi un peu triste, c’est vrai. Suite au split d’Extra Life, Charlie Looker a multiplié les projets (le très poppy-médiéval Seaven Teares en compagnie de la chanteuse Amirtha Kidambi, le pseudo métallique et lourdingue Palsm Zero ou en solo) pourtant aucun des disques qu’il a enregistrés pendant cette période n’a été réellement à la hauteur ni a réussi à faire un peu oublier qu’envers et contre tout, Extra Life manquait vraiment… Et dix années plus tard, le bilan du groupe est toujours aussi éloquent : trois albums studio, quelques EP et surtout des souvenirs mémorables de concerts passionnants si ce n’est incandescents* – n’était-ce finalement pas suffisant pour, malgré tout, continuer d’entretenir la passion ?







Apparemment non : en juillet 2022, Charlie Looker a procclamé la réactivation d’Extra Life et l’ambivalence a immédiatement pointé le bout de son nez, entre la joie de voir réapparaitre un groupe chéri et l’inquiétude de ce que cette remise sur pieds – on n’ose pas parler franchement de reformation bien que cela en soit une – allait pouvoir donner : si la musique de Charlie Looker s’était montrée si décevante ces dix dernières années, si sa créativité était réellement en berne, est ce que relancer son projet fétiche allait y changer quelque chose ? La nouvelle formation d’Extra Life a les mêmes caractéristiques que celle qui avait enregistré Secular Work pendant l’été 2007 (guitare, basse, batterie, violon et voix) mais les musiciens ont changé. Et de la dernière incarnation du groupe, celle de l’album Dream Seeds en 2012, seul le violoniste Caley Monahon-Ward est encore présent, Toby Driver de Kayot Dot s’occupant désormais de la basse et Gil Chevigné de la batterie**. La pochette signée Zev Deans est elle très explicite, entre inspiration moyenâgeuse, brutalité esthétique et poésie sanglante, parfait reflet de ce que peut être la musique d’Extra Life. Une illustration réaffirmant et soulignant surtout, peut-on penser, les intentions de Looker au sujet de Secular Works vol.2, loin des pochettes arty et mystérieusement décalées auxquelles son groupe nous avait habitués dans le passé.
Secular Works était l’album le plus musclé d’Extra Life et l’on s’en souvient encore, rien que pour certaines de ses parties rythmiques que n’auraient pas renié les Swans. Secular Works vol. 2 se veut plus virulent et plus compact mais sonne surtout grandiloquent et nettement moins affiné. La distinction et l’élégance – la noblesse, pourrait-on dire – sont ce qui a toujours préservé le groupe des méfaits du maniérisme. Un talent incroyable pour appuyer les circonvolutions d’une musique paradoxalement aussi haute en couleurs que subtile (y compris le chant si particulier de Charlie Looker, que l’on pourrait résumer à celui d’un Morrissey en crinoline vocalisant sur des Motets composés par Guillaume De Machaut). Hélas, Secular Works vol. 2 ne possède pas grand-chose de ces qualités et ce que l’on retient surtout de ses cinquante minutes c’est trop de théâtralité et une préciosité qui confinent au ridicule. Exactement les critiques que j’entendais au sujet d’Extra Life il y a plus d’une dizaine d’années mais qu’à l’époque je refusais en bloc, vent debout.
Aujourd’hui je ne peux que constater et admettre
le fossé sans cesse grandissant entre l’intention initiale de beauté à l’œuvre sur Secular Works vol. 2 et le résultat obtenu, lyrique mais sans émotions, sans mystère là aussi, dense mais étouffant, sorte de monstre de Frankenstein musical mal rapiécé et réassemblé à partir de recettes qui ne fonctionnent pas, ne fonctionnent plus. C’est regrettable à dire mais Extra Life dans sa version 2022/2023 ne ressemble qu’à une copie pâlichonne bien que souvent testostéronée de lui-même, la personnalité pourtant hors-normes du groupe se perdant dans une surenchère assez grossière et des arrangements qui n’hésitent plus à forcer sur le mauvais goût (il y a quelques rares exceptions tel que le très léger We Are Not The Same).
Je ne sépare jamais l’homme de l’artiste – du musicien – et je ne saurais douter de la sincérité de Charlie Looker. Oui je ne doute pas qu’il a pensé bien faire, qu’il pense avoir eu raison et j’irai même jusqu’à dire qu’il a été dans le vrai en reformant Extra Life, s’il l’a d’abord fait pour lui-même et parce qu’il en avait besoin. Mais je ne crois pas une seule seconde ni ne suis touché par Secular Works vol.2… Extra Life a toujours été un groupe unique, parce qu’inimitable et surtout un groupe un groupe très clivant : il y a les personnes qui adorent, celles qui détestent et rien entre les deux. De ce point de vue là au moins, on ne dira pas que les choses ont beaucoup évolué.

[Secular Works vol.2 est publié en double vinyle et en CD par Last Things, le propre label de Charlie Looker]

* pour celles et ceux qui veulent voir ou revoir Extra Life en concert, le groupe tourne en Europe en ce mois de janvier
** Nate Wooley à la trompette et Michael Atkinson au cor participent au disque en tant qu’invités