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jeudi 19 janvier 2023

Extra Life : Secular Works vol. 2

 


En novembre 2012 Charlie Looker annonçait la séparation d’EXTRA LIFE en expliquant que la créativité du groupe dont il était le leader incontesté se tarissait et qu’il ne pourrait jamais faire mieux que tout ce qu’il avait entrepris jusque là. Les fanatiques d’Extra Life se sont roulés par terre avec un sentiment de détresse insondable et ont pleuré toutes les larmes amères de leurs corps – ses détracteurs se sont contentés de ricaner – mais on ne pouvait que saluer la décision et le courage d’un musicien suffisamment lucide et honnête avec lui-même pour mettre fin à une aventure qu’il avait su mener loin, très loin.
L’affaire semblait définitivement pliée mais était aussi un peu triste, c’est vrai. Suite au split d’Extra Life, Charlie Looker a multiplié les projets (le très poppy-médiéval Seaven Teares en compagnie de la chanteuse Amirtha Kidambi, le pseudo métallique et lourdingue Palsm Zero ou en solo) pourtant aucun des disques qu’il a enregistrés pendant cette période n’a été réellement à la hauteur ni a réussi à faire un peu oublier qu’envers et contre tout, Extra Life manquait vraiment… Et dix années plus tard, le bilan du groupe est toujours aussi éloquent : trois albums studio, quelques EP et surtout des souvenirs mémorables de concerts passionnants si ce n’est incandescents* – n’était-ce finalement pas suffisant pour, malgré tout, continuer d’entretenir la passion ?







Apparemment non : en juillet 2022, Charlie Looker a procclamé la réactivation d’Extra Life et l’ambivalence a immédiatement pointé le bout de son nez, entre la joie de voir réapparaitre un groupe chéri et l’inquiétude de ce que cette remise sur pieds – on n’ose pas parler franchement de reformation bien que cela en soit une – allait pouvoir donner : si la musique de Charlie Looker s’était montrée si décevante ces dix dernières années, si sa créativité était réellement en berne, est ce que relancer son projet fétiche allait y changer quelque chose ? La nouvelle formation d’Extra Life a les mêmes caractéristiques que celle qui avait enregistré Secular Work pendant l’été 2007 (guitare, basse, batterie, violon et voix) mais les musiciens ont changé. Et de la dernière incarnation du groupe, celle de l’album Dream Seeds en 2012, seul le violoniste Caley Monahon-Ward est encore présent, Toby Driver de Kayot Dot s’occupant désormais de la basse et Gil Chevigné de la batterie**. La pochette signée Zev Deans est elle très explicite, entre inspiration moyenâgeuse, brutalité esthétique et poésie sanglante, parfait reflet de ce que peut être la musique d’Extra Life. Une illustration réaffirmant et soulignant surtout, peut-on penser, les intentions de Looker au sujet de Secular Works vol.2, loin des pochettes arty et mystérieusement décalées auxquelles son groupe nous avait habitués dans le passé.
Secular Works était l’album le plus musclé d’Extra Life et l’on s’en souvient encore, rien que pour certaines de ses parties rythmiques que n’auraient pas renié les Swans. Secular Works vol. 2 se veut plus virulent et plus compact mais sonne surtout grandiloquent et nettement moins affiné. La distinction et l’élégance – la noblesse, pourrait-on dire – sont ce qui a toujours préservé le groupe des méfaits du maniérisme. Un talent incroyable pour appuyer les circonvolutions d’une musique paradoxalement aussi haute en couleurs que subtile (y compris le chant si particulier de Charlie Looker, que l’on pourrait résumer à celui d’un Morrissey en crinoline vocalisant sur des Motets composés par Guillaume De Machaut). Hélas, Secular Works vol. 2 ne possède pas grand-chose de ces qualités et ce que l’on retient surtout de ses cinquante minutes c’est trop de théâtralité et une préciosité qui confinent au ridicule. Exactement les critiques que j’entendais au sujet d’Extra Life il y a plus d’une dizaine d’années mais qu’à l’époque je refusais en bloc, vent debout.
Aujourd’hui je ne peux que constater et admettre
le fossé sans cesse grandissant entre l’intention initiale de beauté à l’œuvre sur Secular Works vol. 2 et le résultat obtenu, lyrique mais sans émotions, sans mystère là aussi, dense mais étouffant, sorte de monstre de Frankenstein musical mal rapiécé et réassemblé à partir de recettes qui ne fonctionnent pas, ne fonctionnent plus. C’est regrettable à dire mais Extra Life dans sa version 2022/2023 ne ressemble qu’à une copie pâlichonne bien que souvent testostéronée de lui-même, la personnalité pourtant hors-normes du groupe se perdant dans une surenchère assez grossière et des arrangements qui n’hésitent plus à forcer sur le mauvais goût (il y a quelques rares exceptions tel que le très léger We Are Not The Same).
Je ne sépare jamais l’homme de l’artiste – du musicien – et je ne saurais douter de la sincérité de Charlie Looker. Oui je ne doute pas qu’il a pensé bien faire, qu’il pense avoir eu raison et j’irai même jusqu’à dire qu’il a été dans le vrai en reformant Extra Life, s’il l’a d’abord fait pour lui-même et parce qu’il en avait besoin. Mais je ne crois pas une seule seconde ni ne suis touché par Secular Works vol.2… Extra Life a toujours été un groupe unique, parce qu’inimitable et surtout un groupe un groupe très clivant : il y a les personnes qui adorent, celles qui détestent et rien entre les deux. De ce point de vue là au moins, on ne dira pas que les choses ont beaucoup évolué.

[Secular Works vol.2 est publié en double vinyle et en CD par Last Things, le propre label de Charlie Looker]

* pour celles et ceux qui veulent voir ou revoir Extra Life en concert, le groupe tourne en Europe en ce mois de janvier
** Nate Wooley à la trompette et Michael Atkinson au cor participent au disque en tant qu’invités

 

 

mercredi 23 novembre 2022

Oxbow & Peter Brötzmann : An Eternal Reminder Of Not Today - Live at Moers

 

En d’autres temps (et au siècle dernier) j’aurais sûrement payé très cher pour assister au concert qui a abouti à l’enregistrement de An Eternal Reminder Of Not Today : la réunion d’OXBOW et du saxophoniste Peter BRÖTZMANN sur une même scène, celle de l’édition 2018 du Moers Festival, en Allemagne. Inutile cependant de rêver, je n’étais même pas au courant et mon désamour pour Oxbow depuis la parution de l’album Thin Black Duke en 2017 m’aurait certainement dissuadé de parcourir les quelques centaines de kilomètres séparant mon home sweat home de Moers. Mais quand même… l’un des meilleurs – et pendant longtemps mon préféré – groupes américains des années 90 qui joue avec l’un des piliers de la scène free et improvisée européenne des années 60, 70, 80, 90, etc. J’avoue que cela aurait pu avoir de la gueule.
Ce sont les internets qui ont craché le morceau quelques semaines à peine après le concert. Il était facile d’en retrouver l’enregistrement vidéo, en bonne qualité puisque repiqué à une chaine TV culturelle franco-allemande bien connue et je l’avais regardé, mi-sceptique et mi-amusé, entre agacement et fascination. La dite vidéo a rapidement été supprimée en raison d’une réclamation de Nico Werner d’Oxbow pour atteinte à la propriété artistique. Tant pis pour les pirates… Cependant la récente publication sur disque du concert (i.e. l’objet de la présente chronique) est une bonne chose, ne serait-ce que pour pouvoir (ré)écouter sereinement cette musique sans avoir à supporter les images d’un public de jazzophiles concentrés et assis.







An Eternal Reminder Of Not Today - Live at Moers ne présente aucun inédit mais des nouvelles versions de compositions d’Oxbow, piochant dans presque toute la discographie du groupe, exception faite du génial Let Me Be A Woman de 1995, ce que je ne pourrais que regretter, et de The Narcotic Story (2007), ce que je regrette déjà beaucoup moins : The Valley est tiré du premier album Fuck Fest (1989), Angel et Cat And Mouse sont extraits de King Of Jews (1991), Over de Serenade In Red (1996), Skin de An Evil Heat (2002) et malheureusement Thin Black Duke est représenté par trois titres : A Gentleman’s Gentleman, Host et The Finished Line. Mais je ne devrais pas écrire « malheureusement » parce que ces trois compositions sont celles qui ressortent le mieux du traitement à la moulinette freeturée made in Brötzmann, peut-être parce que les versions initiales de 2017 étaient décevantes. En particulier A Gentleman’s Gentleman est très enlevé (malgré des foutues parties de piano !) et rassure sur le fait que An Eternal Reminder Of Not Today ne sera pas entièrement dédié aux tempos lents ou mediums. Quant à The Finished Line il s’agit du meilleur titre du disque.
Et le reste alors ? Difficile de ne pas ressentir un fort sentiment de frustration. Tout est bien en place, tout est parfaitement joué et souvent même des fois un peu trop (les glissandos de Dan Adams sur le manche de sa basse fretless m’insupportent). An Eternal Reminder Of Not Today est un disque confortable à l’artificialité convenue mais plaisante. Et tout le génie de Peter Brötzmann n’y peut rien. Je ne vais pas repartir sur le même refrain, dire qu’Oxbow c’était mieux avant, que le groupe n’a plus rien de dangereux, de méchant, de malsain et de saignant parce qu’après tout c’est bien ce que la bande à Eugene Robinson et Nico Wenner souhaite faire depuis quelques années : du rock de salon, habillés en costards, dépravés avec soin, et que ce qu’ils font, ils le font bien. Juste que cela ne m’intéresse plus du tout. J’ai toujours pensé qu’il fallait que je me méfie d’un groupe très électrique à partir du moment où il commençait à faire des versions acoustiques de ses compositions, exercice qu’Oxbow a pratiqué dès les années 2000. Et comme je suis particulièrement prétentieux, je ne peux qu’affirmer avoir eu raison. J’espère aussi que la prochaine étape ne sera pas avec orchestre philharmonique et chorale de jouvenceaux prépubères.

[An Eternal Reminder Of Not Today - Live At Moers est publié en double vinyle (il y a une version rouge pour les addicts) et en CD par Trost records, maison dont la succursale Cien Fuegos réédite un par un tous les enregistrements historiques de Peter Brötzmann mais aussi nombre de ceux de ses camarades musiciens et amis, de Han Bennink à Sven-Ake Johansson (etc.), des disques que je ne saurais que trop conseiller]

 


dimanche 7 août 2022

[chronique express] TV Priest : My Other People

 


Au départ la rubrique « Chronique Express » d’Instant Bullshit se proposait de régler le sort à un disque à l’aide de seulement une ou deux phrases plutôt courtes en appuyant volontairement là ou ça fait mal ou – bien au contraire – en exagérant avec toute la mauvaise foi possible ses éventuelles qualités. Comme je suis de nature expansive (haha) dès que je parle de musique et que mes mots ont une fâcheuse tendance à s’étaler et à déborder, ces chroniques lapidaires ont fini par s’allonger dangereusement pour ne plus trop respecter leur cahier des charges initial. Il était donc grand temps de revenir aux fondamentaux :

Deuxième album de TV Priest, My Other People est un album tellement dans l’air du temps post-punk qu’il sent déjà le cadavre.

(voilà, c’est terminé)


dimanche 31 juillet 2022

[chronique express] Jon Spencer & The Hitmakers : Spencer Gets It Lit

 



Jon Spencer est quelqu’un de très énervant mais cela fait aussi partie de son charme : résister à ses minauderies de rocker autocentré est presque impossible pour une personne normalement constituée. Malheureusement Spencer Gets It Lit – enregistré sous le nom de JON SPENCER & THE HITMAKERS – ne laisse entendre que du déjà connu, du sans surprise et rien de réellement excitant. On regarde un peu sa montre et le compteur à yeah-yeah-yeah, on se surprend à décrypter et comparer avec ce que le beau Jon a déjà fait auparavant, tout au long de sa très prolifique carrière. Des fois cela fonctionne très bien, comme sur la triplette introductive Junk Man / Get It Right Now / Death Ray, Primary Baby ou Strike 3 mais souvent ça le fait un peu moins voire pas du tout (The Worst Facts, le poussif Worm Town, le très attendu Bruise ou My Hit Parade, une resucée mollassonne du Blues Explosion). Coté points positifs, on notera que le vieux compère Bob Bert a définitivement été intégré dans le groupe en tant que percussionniste additionnel tandis que les synthétiseurs de Sam Coomes sont davantage mis en avant que sur l’album Spencer Sings The Hits, rendant le son de ce nouvel LP nettement plus intéressant. Mais globalement Spencer Gets It Lit a trop souvent du mal à décoller, se traine sur une bonne moitié et la seule solution pour tenter de lutter contre l’apathie grandissante consiste alors à monter le volume et à décapsuler une 666ème bière tiède. C’est ma tournée : est-ce que quelqu’un à soif ?

 

lundi 25 juillet 2022

Epaule Tattoo + Tombouctou + Deaf Kids @Grrrnd Zero [21/07/2022]

 




TOMBOUCTOU à nouveau réuni, à nouveau en concert, sur la scène de Grrrnd Zero ! Cela faisait quand même plus de deux ans que le groupe n’avait pas donné signe de vie et, pour corser un peu plus les choses, il n’a joué que des titres de son futur deuxième album… Je n’ai pas assez de mots pour décrire toutes les impressions et émotions qui m’ont traversé alors faisons simple : c’était vraiment bien de revoir les trois Tombouctou en aussi bonne forme, motivé·es comme jamais, réellement soudé·es. Et puis ce nouveau disque s’annonce tout simplement énorme. Voilà, c’est dit.
Epaule Tattoo dont ce n’était que la deuxième apparition a vaillamment démarré la soirée, quant à Deaf Kids je ne cacherai pas ma déception. Malgré un début intrigant et quelques bons passages le trio brésilien a trop souvent vacillé, se retrouvant à la peine et pouvant même perdre le fil de sa propre musique – après plus de deux mois passés en Europe et presque une soixantaine de concerts sans doute était-il temps de songer à lever le pied sur la tisane transcendantale*. 






























































































* toutes les photos en qualité moins pourrie par ici, si jamais


lundi 18 juillet 2022

Wormrot : Hiss

 

Le grindcore est-il soluble dans le mainstream ? Haha, je plaisante bien sûr mais en découvrant Hiss – quatrième album des Singapouriens de WORMROT et le premier en six ans – je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’il y a deux formes différentes, en gros deux façons de faire du grind. La première est celle, rude, brutale et sombre d’un Blockheads dont l’incontournable Trip To The Void a récemment été évoqué dans ces pages ou celle d’un Whoresnation, groupe incroyable et dont on reparlera un de ces jours au sujet de Dearth, son plus que formidable nouvel album. La seconde est sophistiquée, léchée et à la production plus calibrée, une évolution considérée comme logique par les musicologues avertis se plaçant d’un point de vue temporel et historique (le grindcore a commencé à apparaitre au milieu des années 80, gnagnagna…) mais qui ne m’intéresse pas. Hiss pourrait bien être le nouveau porte-étendard de ce grind qui n’a plus rien de crust, moulé en salle de sports et ripoliné en studio, symptomatique de la tentation hi-tech qui apparemment finit un jour ou l’autre par rattraper toutes les musiques dites extrêmes pour adolescents en manque de sensations fortes.
Parce qu’il s’agit d’un phénomène récurrent. On se rappellera comment à partir du début des années 90 Fear Factory avait tenté de digitaliser le death metal, ouvrant de nouvelles voies mais finissant par s’enfoncer dans une bouillasse sans nom. The Dillinger Escape Plan n’a pas fait autre chose avec le hardcore chaotique – il y a tout un monde entre les albums Calculating Infinity et Ire Works –, Refused s’est littéralement compromis en enregistrant The Shape Of Punk To Come, défrichant le terrain pour toutes les merdes néo-metal à venir et, beaucoup plus récemment, l’enduis plastifié qui enrobe Glow On a permis aux hardcoreux de Turnstile d’atteindre les rivages de l’inconsistance proprette et de l’ennui populaire (note à l’usage des personnes en train de hurler en lisant ceci : Turnstile est peut-être un très bon groupe en concert mais j’ai de toutes façons toujours trouvé sa musique solidement banale). Et pour en revenir au grind, le seul contre exemple de sophistication et d’évolution réussies qui me vient à l’esprit est celui de Napalm Death. Mais je reste pour le respect de la tradition, seule garantie d’un avenir sereinement confortable.







Hiss est un disque certes foutrement efficace, un véritable rouleau compresseur qui ne laisse que peu de répit et s’il est aussi fatiguant et aussi assommant c’est parce qu’il ne s’agit donc pas d’un disque de grind pur et dur. De nombreux plans de guitare hardcore émaillent l’album et le chant lui-même se permet de nombreuses incartades. L’une des plus marquantes arrive dès le deuxième titre où Arif vocalise en chant clair pendant quelques instants, de trop longues secondes pendant lesquelles il est légitime d’espérer que tout l’album ne sera pas comme ça. Heureusement non, bien que le chant clair réapparaisse ça et là mais sur un mode moins lyrique. Pale Moonlight pratique le tribalisme facile (néanmoins sans être aussi putassier que celui d’un Sepultura circa Roots). Sans oublier du violon alto sur deux ou trois titres, Grieve et le clientéliste Glass Shards, histoire de… de quoi en fait ? Renouveler le truc coûte que coûte ? Faire en sorte de ne pas s’emmerder en jouant toujours la même musique ?
OK : peut-on pour autant reprocher à Wormrot d’avoir voulu s’amuser un peu ? Mon honnêteté intellectuelle, bien que très relative dès qu’il s’agit de musique, m’incite à répondre par la négative… Pourtant Hiss est bourré de facilités. Tous ces riffs bas de gamme ou typés metalcore boutonneux, ces introductions à la démagogie assurée (Sea Of Desease), ces accroche-cœurs et autres roucoulades, ces breaks complaisamment calculés, cette rage soigneusement millimétrée, ces plans qui ressemblent à tellement de choses déjà faites et surtout empruntant tous azimuts – on trouve même une tentative avortée de mettre le black metal à l’honneur sur le passage intermédiaire de Desolate Landscapes. Un vrai catalogue de l’extrême universaliste et un volontarisme œcuménique qui à la longue finit par être lassant puis rebutant. Qu’il n’y ait rien de vraiment original ici et que tout soit emprunté et copié ne serait pas si grave si tout était également bien assimilé mais ce n’est pas le cas. Le mélange indigeste de Hiss ne fait que mettre en lumière le péché d’orgueil de gourmandise d’un groupe qui a voulu en faire beaucoup trop, passant d’un registre à l’autre sans se demander si cela fonctionnait ou pas, y allant à l’esbroufe et au culot. C’est bien la seule chose que l’on ne pourra pas enlever à Wormrot : avoir essayé. Moi, je passe mn tour.

ps : pour que cette chronique soit totalement complète il me faut également préciser que Hiss est le dernier enregistrement de Wormrot avec Arif au chant, celui-ci ayant décidé de lâcher l’affaire pour des raisons strictement personnelles – le guitariste Rasyied et le batteur Vijesh lui cherchent actuellement un remplaçant et ça, c’est pas gagné

[Hiss est publié en vinyle bleu, violet, rouge, blanc ou noir et même en CD par Earache records]

 

vendredi 15 juillet 2022

Plosivs vs Swami John Reis



2022 sera-t-elle l’année John Reis ? Tout porte à le croire puisque l’ex Drive Like Jehu/Rocket From The Crypt/Hot Snakes/etc (?) a déjà publié pas moins de deux enregistrements, évidemment sur son propre label Swami records : le premier album de Plosivs au mois de février puis Ride The Wild Night en avril sous le nom de Swami John Reis





Commençons par PLOSIVS. Un super-groupe puisque outre John Reis à la guitare et au chant secondaire on y retrouve Rob Crow (Pinback) à la guitare et au chant, Jordan Clark (Mrs Magician) à la basse et aux chœurs et enfin Atom Willard (Against Me, Social Distorsion, Danko Jones, Offspring, arghh !) à la batterie. Sur le papier, il y a du pedigree ultralarge et de l’étalage de médailles du mérite. Et sans surprise Plosivs est un disque gavé de tubes fluorescents et uber-entrainants qui explorent le coté emo-festif du punk made in Californie, pas celui que je préfère non plus. On aime ou on n’aime pas, personnellement vu le niveau des compositions j’aurais presque pu aimer un tel mélange d’énergie et de mélodies.
Là où le bas blesse c’est du côté de la prod, tellement sans bavure, lisse et propre que l’on pourrait se voir dedans. Comme une incitation auto-narcissique – pléonasme – qui te pousse à chanter les paroles et mimer les riffs de guitare torse nu devant ta glace de salle de bains, en pleine crise d’admiration de toi-même, l’été sera beau et chaud, tout comme toi bel adolescent. Le plus difficile à supporter est le chant dont le lyrisme sucré a consciencieusement été boosté par des effets abominables, lissage des cordes vocales à la Calorette thermo-électrique à en faire pâlir de jalousie les prosélytes de l’auto-tune. J’ai fait un test : j’ai écouté ce disque à mon travail et pour la première fois en dix ans d’incompréhension mutuelle mes infréquentables collègues fans de Brityoncé et de Jean-Jacques Sardou sont venus me voir le sourire aux lèvres pour me demander ce que j’écoutais… Plosivs ou l’art de gâcher ce qui aurait pu être un bon petit disque sans prétention si ce n’est celle de s’amuser.




A l’inverse Ride The Wild Night de SWAMI JOHN REIS a tout du disque tranquillement pépère et qui s’assume en tant que tel. Evidemment on y entend plus que tout la superbe voix légèrement rocailleuse et magnifiquement patinée de John Reis – alors qu’il chante à peine sur l’album de Plosivs –, une voix au service de compositions très abouties qui sentent bon le vieux boogie blues rock’n’roll, celui qui donne envie de taper du pied en buvant une pinte de bière tiède (mais pas de l’IPA). L’effet télétransportateur est immédiat et voilà que tu te retrouves non pas à moitié à poil dans ta salle de bains de 3 mètres carrés chiottes compris mais au beau milieu d’un bar qui pue la transpiration, les chaussettes trouées, la vieille clope, le vomi séché et l’électricité.
Si on excepte Modern Surf Classics sorti en 2015 en collaboration avec les géniaux Blind Shake, Ride The Wild Night n’est que le tout premier album solo de Swami John Reis et il regorge littéralement de (futurs) standards qui n’ont donc pas peur de leurs origines bouseuses – Days Of Auld Lang Syne avec son piano baltringue de l’Ouest et rehaussé par quelques effets synthétiques en provenance directe d’une série TV des années 60 sur la 666ème invasion extra-terrestre de Los Angeles. Du synthétiseur il y en a à nouveau sur le plus énervé I Hate My Neighbors In The Yellow House qui à son tour mélange un peu tout (les chœurs font doo-wop-doo-wop-wop) pour un rendu finalement inimitable et très personnel. Vape In The Dark Alone de son côté atteint un niveau d’excellence rock qui laisse entrevoir ce qu’aurait pu donner Plosivs s’il avait été produit autrement et si Reis s’était occupé du chant principal (j’aime remuer le couteau dans la plaie). Je signale enfin que Swami John Reis a enregistré presque tous les instruments sur Ride The Wild Night (sauf les parties de batterie et les nombreux chœurs) et je tiens également à revenir sur ce piano assez discret mais qui finalement pourrait bien être le fil conducteur d’un disque confortablement âgé et délicieusement passéiste. 



vendredi 29 avril 2022

Buñuel : Killers Like Us







Troisième album de BUÑUEL, formation regroupant Eugene Robinson d’Oxbow et des musiciens italiens : Xabier Iriondo à la guitare, Andrea Lombardini à la basse et Franz Valente à la batterie. Le groupe annonce aussi que Killers Like Us vient clore un cycle et qu’il s’agirait de son dernier disque…
Honnêtement, je ne sais pas comment ni par où commencer cette chronique. Il n’y a pas si longtemps de ça – à peine quelques années – la pochette et le titre de Killers Like Us m’auraient tout de suite attiré avec leur appel à la violence masculine et conquérante. Difficile de ne pas voir dans ce flingue (un Colt qui appartiendrait à Eugene Robinson lui-même) comme un énième symbole phallique. Maintenant cela me laisse au mieux indifférent et au pire cela m’irrite. Il est peut-être très loin le temps où Robinson se retrouvait pratiquement à poil pendant les concerts d’Oxbow, plongeait la main dans son caleçon, en sortait son sexe, l’exhibait devant le public, le tordait dans tous les sens en poussant des hurlements expiatoires, théâtralisant outrancièrement les démons qui le tourmentaient mais, aujourd’hui, quand je regarde la pochette de Killers Like Us, je ne vois pas autre chose qu’une bite de rocker, une de plus.
Je n’aime plus autant Oxbow. Et je n’écoute plus que très rarement ces quelques disques qui, de 1991 à 2002, de King OF Jews à An Evil Heat, m’ont si longtemps accompagné. Je ne me réjouis même pas de l’annonce d’un nouvel album du groupe pour 2022, un disque dont j’espère uniquement qu’il sera – musicalement – un peu plus passionnant et moins lymphatique que son prédécesseur de 2017, Thin Black Duke. Mais Buñuel est là, comme pour me rappeler qu’avant j’aimais la musique et les différents projets d’Eugene Robinson, que j’appréciais – et apprécie sans doute toujours un peu – cette violence qui pourtant me dérange car trop toxique. Tu l’auras compris : je suis partagé entre écouter un groupe / side-project à la démesure des hurlements et des gémissements de Robinson (ce qu’Oxbow n’est plus) et les questionnements que cela entraine forcément chez moi. L’ambivalence fait aussi partie du truc. Bien que, tant qu’à faire et malgré tous les dangers que cela semble impliquer, la fragilité de l’autodestruction me séduira toujours davantage. Mais Eugène Robinson n’a rien d’un romantique suicidaire, c’est un combattant, un chef de gang dont les musiciens de Buñuel sont le bras armé.
Autre réticence : les deux précédents albums du groupe ne m’avaient pas laissé de souvenirs impérissables. Des disques acceptables mais tellement caricaturaux. Pour Killers Like Us Buñuel est passé à la vitesse supérieure bien que certains éléments peuvent encore irriter – le son de guitare de Xabier Iriondo manque de gras et ressemble parfois trop au gémissement mécanique émis par un four à micro-ondes découpé à la tronçonneuse, ça fait du bruit mais proprement, avec de grandes gerbes d’éclats digitaux. Le point fort de Buñuel reste sa section rythmique bien que la batterie pêche parfois par excès de zèle, aussi on préfèrera nettement les quelques compositions lentes qui parsèment le disque, nettement meilleures (When We Talk). On oubliera aussi quelques longueurs et facilités (For The Cops) et on oubliera surtout Crack Shot sur lequel jaillit le chant de Kasia Meow – j’ai lu quelque part qu’elle est la compagne actuelle de Robinson mais je n’ai pas pu vérifier cette information –, un chant clair et lumineux au service d’une mélodie d’une niaiserie absolue, faisant soudainement ressembler la musique de Buñuel à du vulgaire neo-metal, typé 2000. Une véritable horreur.
Pourtant Killers Like Us est plutôt un bon disque. Ce n’est pas le chef d’œuvre que l’on m’avait tellement vanté mais, dans le sillage de l’époustouflant Hornets qui ouvre l’album, il comporte suffisamment de moments forts, tendus voire magnifiques pour faire oublier tout le reste, tous ces petits trucs qui font tiquer. The Devil is in the details nous dit Eugene Robinson dans l’éprouvant Even The Jungle… Effectivement, le Diable a peut-être quelque chose à voir dans le charme incomplet d’un album vigoureux mais bancal, charpenté mais stéroïdé, virulent mais pas tout à fait assez sale pour être définitivement convaincant.

[Killers Like Us est publié en CD et en vinyle par La Tempesta International et Profound Lore]

 

jeudi 21 avril 2022

Gnod : Hexen Valley

 

[Pour une fois le comité rédactionnel d’Instant Bullshit est particulièrement divisé au sujet d’Hexen Valley*, le nouvel album de GNOD. Les débats ont été âpres et sans pitié aussi trouverez-vous ci-dessous, chères lectrices et chers lecteurs, deux courtes chroniques reflétant nos discussions et résumant nos positions antagonistes : la première est ouvertement négative tandis que la seconde est plus ouverte et bienveillante. Faites votre choix.]


Hexen Valley marque une sorte de tournant dans la déjà très longue discographie de GNOD. Lorsqu’on est aussi productif et aussi actif que le collectif anglais il semble logique que l’on publie des disques plus ou moins bons. Des enregistrements incontournables et d’autres plus dispensables mais dans lesquels – par complaisance, fidélité, aveuglement, etc. ou par réelle conviction – on trouvera malgré tout quelque chose à sauver. Un titre, parfois deux, qui éclipseront tout le reste, en bien. Hexen Valley ne fait même pas partie de cette deuxième catégorie. Les deux premières compositions du disque (Bad Apple et le trop long et pas assez hypnotique Spotlight) semblent au départ bien faiblardes mais ce n’est rien comparé à la suite du disque qui souvent échoue tristement à susciter l’enthousiasme. Ce n’est pas qu’Hexen Valley soit un mauvais disque, non, il s’agit d’un disque trop souvent sans relief, une pâle imitation, une version aseptisée et assagie du Gnod que l’on aime pourtant tellement. Le moins acceptable est, croyons-nous, le chant dont la banalité consternante – mais, apparemment, volontaire – culmine sur Antidepressants et surtout un Waves Of Fear dont on n’aurait jamais cru les Anglais capables, même pour rire. Les meilleurs titres sont Still Runin’ et surtout Skies Are Red mais ce n’est pas suffisant pour sauver cet album de la platitude et de la fadeur.







GNOD n’est quand même pas n’importe quel groupe. Et pour l’immédiateté et l’adhésion sans condition tu repasseras camarade, il n’y a pas de disques du collectif anglais qui ne nécessite pas quelques efforts pour être apprécier à sa juste valeur. Sous ses dehors plus acceptables – pop oserions-nous même affirmer – Hexen Valley n’en reste pas moins un disque exigeant et à la hauteur d’une discographie pourtant déjà bien remplie. Il ne faut absolument pas perdre de vue, lorsqu’on écoute cet énième album de Gnod, que pour la première fois depuis ses débuts, le groupe a encore plus ouvertement que d’habitude joué la carte d’une ironie mordante et sans concession, celle d’un post-punk aux accents prolétariens et révoltés dont les Anglais n’ont jamais été aussi proches. Ainsi les lignes de chant sont intelligibles et peuvent même être reprises en chœur comme sur le désopilant Waves Of Fear qui plonge définitivement Hexen Valley dans un bain de second degré salvateur. On admettra que Spotlight est peut-être un peu longuet avec ses quasi quinze minutes instrumentales répétitives mais l’effet hypnotique de la musique de Gnod est pourtant bel et bien là, une science de l’envoutement que l’on retrouve plus loin sur un excellent Antidepressants chanté à plusieurs voix et titillé par une note unique joué au piano, un peu à la I Wanna Be Your Dog (et si ça ce n’est pas de l’ironie, qu’est ce que c’est ?). Comme d’habitude avec Gnod Hexen Valley est un album disparate pour ne pas dire éclaté mais qui a des choses à nous dire, pour peu que l’on se donne la peine de l’écouter avec attention et ouverture d’esprit.

*
Hexen Valley est publié en vinyle et en CD par Rocket recordings