Le grindcore
est-il soluble dans le mainstream ? Haha, je plaisante bien sûr mais en
découvrant Hiss – quatrième album des
Singapouriens de WORMROT et le premier en six ans – je n’ai pas pu m’empêcher de
penser qu’il y a deux formes différentes, en gros deux façons de faire du
grind. La première est celle, rude, brutale et sombre d’un Blockheads dont l’incontournable
Trip To The Void a récemment été évoqué dans ces pages ou celle d’un Whoresnation, groupe incroyable et
dont on reparlera un de ces jours au sujet de Dearth, son plus que formidable nouvel album. La seconde est sophistiquée,
léchée et à la production plus calibrée, une évolution considérée comme logique
par les musicologues avertis se plaçant d’un point de vue temporel et historique
(le grindcore a commencé à apparaitre au milieu des années 80, gnagnagna…) mais
qui ne m’intéresse pas. Hiss pourrait
bien être le nouveau porte-étendard de ce grind qui n’a plus rien de crust, moulé
en salle de sports et ripoliné en studio, symptomatique de la tentation hi-tech
qui apparemment finit un jour ou l’autre par rattraper toutes les musiques dites
extrêmes pour adolescents en manque de sensations fortes.
Parce qu’il s’agit d’un phénomène récurrent. On se rappellera comment à partir
du début des années 90 Fear Factory avait tenté de digitaliser le death metal,
ouvrant de nouvelles voies mais finissant par s’enfoncer dans une bouillasse
sans nom. The Dillinger Escape Plan n’a pas fait autre chose avec le hardcore
chaotique – il y a tout un monde entre les albums Calculating Infinity et Ire Works –, Refused s’est littéralement compromis en enregistrant The Shape Of Punk To Come, défrichant le
terrain pour toutes les merdes néo-metal à venir et, beaucoup plus récemment,
l’enduis plastifié qui enrobe Glow On
a permis aux hardcoreux de Turnstile d’atteindre les rivages de l’inconsistance
proprette et de l’ennui populaire (note à l’usage des personnes en train
de hurler en lisant ceci : Turnstile est peut-être un très bon groupe en
concert mais j’ai de toutes façons toujours trouvé sa musique solidement
banale). Et pour en revenir au grind, le seul contre exemple de sophistication et
d’évolution réussies qui me vient à l’esprit est celui de Napalm Death. Mais je reste pour le respect de la tradition, seule garantie d’un avenir sereinement confortable.
Hiss est un disque certes foutrement
efficace, un véritable rouleau compresseur qui ne laisse que peu de répit et s’il
est aussi fatiguant et aussi assommant c’est parce qu’il ne s’agit donc pas
d’un disque de grind pur et dur. De nombreux plans de
guitare hardcore émaillent l’album et le chant lui-même se permet de nombreuses
incartades. L’une des plus marquantes arrive dès le deuxième titre où Arif
vocalise en chant clair pendant quelques instants, de trop longues secondes
pendant lesquelles il est légitime d’espérer que tout l’album ne sera pas comme
ça. Heureusement non, bien que le chant clair réapparaisse ça et là mais sur un
mode moins lyrique. Pale Moonlight
pratique le tribalisme facile (néanmoins sans être aussi putassier que celui
d’un Sepultura circa Roots). Sans
oublier du violon alto sur deux ou trois titres, Grieve et le clientéliste Glass
Shards, histoire de… de quoi en fait ? Renouveler le truc coûte
que coûte ? Faire en sorte de ne pas s’emmerder en jouant toujours la même
musique ?
OK : peut-on pour autant reprocher à Wormrot d’avoir voulu s’amuser un peu ? Mon honnêteté
intellectuelle, bien que très relative dès qu’il s’agit de musique, m’incite à
répondre par la négative… Pourtant Hiss est bourré de facilités. Tous ces riffs bas de gamme ou typés
metalcore boutonneux, ces introductions à la démagogie assurée (Sea Of Desease), ces accroche-cœurs et
autres roucoulades, ces breaks complaisamment calculés, cette rage soigneusement
millimétrée, ces plans qui ressemblent à tellement de choses déjà faites et
surtout empruntant tous azimuts – on trouve même une tentative avortée de mettre le black metal à l’honneur sur le passage intermédiaire de Desolate Landscapes. Un vrai catalogue de
l’extrême universaliste et un volontarisme œcuménique qui à la longue finit par
être lassant puis rebutant. Qu’il n’y ait rien de vraiment original ici et que
tout soit emprunté et copié ne serait pas si grave si tout était également bien
assimilé mais ce n’est pas le cas. Le mélange indigeste de Hiss ne fait que mettre en lumière le péché d’orgueil de
gourmandise d’un groupe qui a voulu en faire beaucoup trop, passant d’un
registre à l’autre sans se demander si cela fonctionnait ou pas, y allant à
l’esbroufe et au culot. C’est bien la seule chose que l’on ne pourra pas enlever
à Wormrot : avoir essayé. Moi,
je passe mn tour.
ps : pour que cette chronique soit totalement complète il me faut
également préciser que Hiss est le
dernier enregistrement de Wormrot
avec Arif au chant, celui-ci ayant décidé de lâcher l’affaire pour des raisons strictement
personnelles – le guitariste Rasyied et le batteur Vijesh lui cherchent
actuellement un remplaçant et ça, c’est pas gagné
[Hiss est publié en vinyle bleu, violet, rouge, blanc ou noir et même en CD par Earache records]