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jeudi 19 janvier 2023

Extra Life : Secular Works vol. 2

 


En novembre 2012 Charlie Looker annonçait la séparation d’EXTRA LIFE en expliquant que la créativité du groupe dont il était le leader incontesté se tarissait et qu’il ne pourrait jamais faire mieux que tout ce qu’il avait entrepris jusque là. Les fanatiques d’Extra Life se sont roulés par terre avec un sentiment de détresse insondable et ont pleuré toutes les larmes amères de leurs corps – ses détracteurs se sont contentés de ricaner – mais on ne pouvait que saluer la décision et le courage d’un musicien suffisamment lucide et honnête avec lui-même pour mettre fin à une aventure qu’il avait su mener loin, très loin.
L’affaire semblait définitivement pliée mais était aussi un peu triste, c’est vrai. Suite au split d’Extra Life, Charlie Looker a multiplié les projets (le très poppy-médiéval Seaven Teares en compagnie de la chanteuse Amirtha Kidambi, le pseudo métallique et lourdingue Palsm Zero ou en solo) pourtant aucun des disques qu’il a enregistrés pendant cette période n’a été réellement à la hauteur ni a réussi à faire un peu oublier qu’envers et contre tout, Extra Life manquait vraiment… Et dix années plus tard, le bilan du groupe est toujours aussi éloquent : trois albums studio, quelques EP et surtout des souvenirs mémorables de concerts passionnants si ce n’est incandescents* – n’était-ce finalement pas suffisant pour, malgré tout, continuer d’entretenir la passion ?







Apparemment non : en juillet 2022, Charlie Looker a procclamé la réactivation d’Extra Life et l’ambivalence a immédiatement pointé le bout de son nez, entre la joie de voir réapparaitre un groupe chéri et l’inquiétude de ce que cette remise sur pieds – on n’ose pas parler franchement de reformation bien que cela en soit une – allait pouvoir donner : si la musique de Charlie Looker s’était montrée si décevante ces dix dernières années, si sa créativité était réellement en berne, est ce que relancer son projet fétiche allait y changer quelque chose ? La nouvelle formation d’Extra Life a les mêmes caractéristiques que celle qui avait enregistré Secular Work pendant l’été 2007 (guitare, basse, batterie, violon et voix) mais les musiciens ont changé. Et de la dernière incarnation du groupe, celle de l’album Dream Seeds en 2012, seul le violoniste Caley Monahon-Ward est encore présent, Toby Driver de Kayot Dot s’occupant désormais de la basse et Gil Chevigné de la batterie**. La pochette signée Zev Deans est elle très explicite, entre inspiration moyenâgeuse, brutalité esthétique et poésie sanglante, parfait reflet de ce que peut être la musique d’Extra Life. Une illustration réaffirmant et soulignant surtout, peut-on penser, les intentions de Looker au sujet de Secular Works vol.2, loin des pochettes arty et mystérieusement décalées auxquelles son groupe nous avait habitués dans le passé.
Secular Works était l’album le plus musclé d’Extra Life et l’on s’en souvient encore, rien que pour certaines de ses parties rythmiques que n’auraient pas renié les Swans. Secular Works vol. 2 se veut plus virulent et plus compact mais sonne surtout grandiloquent et nettement moins affiné. La distinction et l’élégance – la noblesse, pourrait-on dire – sont ce qui a toujours préservé le groupe des méfaits du maniérisme. Un talent incroyable pour appuyer les circonvolutions d’une musique paradoxalement aussi haute en couleurs que subtile (y compris le chant si particulier de Charlie Looker, que l’on pourrait résumer à celui d’un Morrissey en crinoline vocalisant sur des Motets composés par Guillaume De Machaut). Hélas, Secular Works vol. 2 ne possède pas grand-chose de ces qualités et ce que l’on retient surtout de ses cinquante minutes c’est trop de théâtralité et une préciosité qui confinent au ridicule. Exactement les critiques que j’entendais au sujet d’Extra Life il y a plus d’une dizaine d’années mais qu’à l’époque je refusais en bloc, vent debout.
Aujourd’hui je ne peux que constater et admettre
le fossé sans cesse grandissant entre l’intention initiale de beauté à l’œuvre sur Secular Works vol. 2 et le résultat obtenu, lyrique mais sans émotions, sans mystère là aussi, dense mais étouffant, sorte de monstre de Frankenstein musical mal rapiécé et réassemblé à partir de recettes qui ne fonctionnent pas, ne fonctionnent plus. C’est regrettable à dire mais Extra Life dans sa version 2022/2023 ne ressemble qu’à une copie pâlichonne bien que souvent testostéronée de lui-même, la personnalité pourtant hors-normes du groupe se perdant dans une surenchère assez grossière et des arrangements qui n’hésitent plus à forcer sur le mauvais goût (il y a quelques rares exceptions tel que le très léger We Are Not The Same).
Je ne sépare jamais l’homme de l’artiste – du musicien – et je ne saurais douter de la sincérité de Charlie Looker. Oui je ne doute pas qu’il a pensé bien faire, qu’il pense avoir eu raison et j’irai même jusqu’à dire qu’il a été dans le vrai en reformant Extra Life, s’il l’a d’abord fait pour lui-même et parce qu’il en avait besoin. Mais je ne crois pas une seule seconde ni ne suis touché par Secular Works vol.2… Extra Life a toujours été un groupe unique, parce qu’inimitable et surtout un groupe un groupe très clivant : il y a les personnes qui adorent, celles qui détestent et rien entre les deux. De ce point de vue là au moins, on ne dira pas que les choses ont beaucoup évolué.

[Secular Works vol.2 est publié en double vinyle et en CD par Last Things, le propre label de Charlie Looker]

* pour celles et ceux qui veulent voir ou revoir Extra Life en concert, le groupe tourne en Europe en ce mois de janvier
** Nate Wooley à la trompette et Michael Atkinson au cor participent au disque en tant qu’invités

 

 

lundi 26 décembre 2022

City Of Caterpillar : Mystic Sisters

 

Voilà un disque qu’en temps normal j’aurais allégrement boudé ou dont je me serais copieusement moqué : les CITY OF CATERPILLAR qui se reforment et qui publient, vingt années après leur tout premier, un deuxième album. Grosse incrédulité mélangeant confusément nausée spatio-temporelle, ironie du c’était mieux avant et agacement suprême. Pourquoi pas, tant qu’on y est, une énième reformation d’Unsane avec une nouvelle section rythmique pour reprendre les premiers enregistrements du groupe, période 1989/1991 avec originellement Charlie Ondras à la batterie (mort en 1991) et Pete Shore à la basse (démissionnaire en 1994) ? Ah, Chris Spencer a déjà eu cette brillante idée. Ou alors, que dire d’une reformation d’Unwound vingt ans après leur dernier concert et alors que le bassiste Vern Rumsey, qui a semble-t-il toujours été opposé au projet, est mort en 2020 ? Apparemment, c’est déjà prévu.
Les exemples de résurrection se multiplient et tant que cela ne concernait que des groupes ou musiciens de variétés, de hard rock, de britpop ou de zouk je m’en foutais complètement. Mais la course à la reformation est également devenue un sport légal et apprécié chez les punks et les noiseux, dans les milieux indépendants et même D.I.Y. Et le public qui accourt avec d’un côté les plus jeunes qui veulent malgré tout savoir et les plus vieux qui souhaitent se rafraichir la mémoire et peut-être rajeunir (les cons). Donc, d’ordinaire, je fuis. Bien que je dois reconnaitre que certaines récentes reformations ont porté leurs fruits : Distorted Pony a enchanté les foules lors de sa tournée européenne de 2018, Cherubs a publié un excellent mini album en 2021 et, en 2022, le concert de Come auquel j’ai pu assister était presque merveilleux (et bien meilleur que celui de 1998).







Dans le Panthéon des groupes post hardcore émophile City Of Caterpillar tient une place à part. Trois années d’existence seulement, quelques singles (dont un split avec les géniaux Pg.99 qui auraient eu l’idée de remettre ça, eux aussi) et un unique album, en 2002, sur Level Plane, l’un des labels les plus actifs et les plus en vue entre la fin du précédent millénaire et le début de celui-ci en matière de screamo, emo, musiques affiliées et encore plus si affinités. Il me fallait absolument réécouter City Of Caterpillar, ce que je n’avais pas fait depuis une bonne douzaine d’années. Et le fait est que ce premier album, s’il est daté stylistiquement et formellement, a quand même plutôt bien vieilli. Il a les défauts comme les qualités de son âge et reste le digne représentant d’une époque révolue.
Après un 12’ publié en 2017 avec le même line-up qu’en 2002 – ça c’est déjà un petit exploit – et comprenant deux nouveaux titres plutôt convaincants (en tous les cas absolument pas déshonorants), City Of Caterpillar a donc remis ça avec Mystic Sisters*. Sept compositions sophistiquées ce qu’il faut, toujours dans la même veine entre gris-clair et gris-foncé, entre hardcore intello mais pas trop et emo pour le dire. L’impression d’écouter un disque qui aurait très bien pu être composé et enregistré dans la foulée de City Of Caterpillar est extrêmement troublante. Avec toujours des passages atmosphériques (post rock ?) alternés avec des salves hardcore malgré tout très contenues (et moins sujettes aux braillardises).
On se dit que le groupe n’a pas plus vieilli que sa musique, que si on aimait avant, on aimera après, sauf si on a radicalement changé de goûts musicaux. Et que peut-être que cette musique là était dès le départ faite pour rester inamovible. Conservatrice et traditionnaliste malgré ses accès de questionnement existentiel. Pas trop dérangeante et donc éternellement adolescente, tendance petits révoltés middle class épargnés par la vie. Le cœur en bandoulière, la larme a l’œil, des hirondelles à fleurs tatouées sur les clavicules. Des vieux posters sur le mur d’une chambre. Un sentiment assez similaire à celui que l’on ressent lorsque on revoit pour la première fois un film que l’on avait adoré et qui nous avait tellement « appris » sur le monde et l’existence, alors qu’il n’était souvent que boursoufflage littéraire et maniérisme visuel prétentieux (exemple : Der Himmel über Berlin de Wim Wenders, 1987). Quoi d’autre ? Rien, en fait. Je ne peux tout simplement pas médire et détester ce disque bien que, fondamentalement, il serve à rien d’autre que remuer la machine à nostalgie et – plus important et signifiant – permettre aux membres de City Of Caterpillar de se faire plaisir.

* publié chez Relapse records

dimanche 2 octobre 2022

Come : Peel Sessions

 

Difficile de croire que cette gazette internet s’apprête à causer de l’actualité d’un groupe qui n’existe plus depuis au moins une vingtaine années (séparé en 2001 je crois…), sauf si on excepte une tournée de reformation aux alentours de 2013 et la parution, toujours en 2013, d’un 7’ inédit comprenant deux reprises du Gun Club – un disque que je n’ai jamais écouté.
Nous vivons quand même une époque assez étrange où les maisons de disques – principalement les majors mais aussi quelques labels pseudo indés peu scrupuleux – rééditent à tour de bras leur back catalogue et en profitent pour vendre leurs vinyles de plus en plus chers alors qu’il n’y a pas si longtemps ce format était déclaré mort et enterré par ces mêmes maisons. Tout ça après des années passées à arnaquer le consommateur de musique en lui vendant des CD, aujourd’hui ringards et obsolètes mais plus pour très longtemps, et après avoir porté au pinacle le streaming, nouvelle vache à lait de l’industrie du divertissement musical de masse. Tant qu’il y a des profits, il y a de l’espoir, mais uniquement pour le capitalisme. 








Heureusement, au milieu de tout ce gaspillage de plastique et parmi les rééditions déjà mille fois rentabilisées par les producteurs, on trouve des disques qui possèdent un réel caractère d’archives et revêtent donc un réel intérêt artistique et même affectif. Les Peel Sessions de COME en font partie. Come était, rappelons-le, le groupe de la grande Thalia Zedek et de l’incomparable Chris Brokaw – sans oublier la section rythmique au départ composée de Sean O’Brian à la basse et Arthur Johnson à la batterie. Résultat : quatre albums ou mini album entre 1990 et 1998, plus une grosse poignée de singles et de EP. Et surtout, rien à jeter. Come fait partie de ces groupes culte et adorés par une faction de fans indécrottables.
L’édition par Fire records pour la première fois en vinyle des Peel Sessions enregistrées par Come en 1992 et 1993 est donc du pain béni. La première face propose un enregistrement datant d’avril 1992 avec quatre titres qui allaient figurer quelques mois plus tard sur le tout premier et déjà formidable LP Eleven:Eleven* – Dead Molly, Bell, William et enfin Off To One Side. La seconde face comporte deux titres de mon album préféré de Come, Don’t Ask, Don’t Tell** avec Wrong Side et surtout Mercury Falls, chef d’œuvre s’il en est. Sont également exhumés Sharon Vs Karen (un titre un peu rare que l’on connaissait déjà en version live) et City Of Fun, une reprise des Only Ones, chantée par Chris Brokaw, s’il vous plait. Enfin, cerise sur le gâteau, Clockface est un enregistrement en concert (1991) d’un titre complètement inédit à ce jour. Un cadeau malgré le son un peu aléatoire de l’enregistrement : même si composé de musicien·nes déjà expérimenté·es, Come était alors un groupe encore relativement récent et sa musique fait preuve d’une maitrise et d’une maturité assez hallucinantes. Tout Come est déjà contenu dans ces quelques cinq minutes tendues et sombres. Un vrai miracle en provenance du passé.

Mais ce n’est pas tout. Tu connais mon aversion et mes bougonnages au sujet des groupes qui se reforment vingt ou même parfois trente années après leur séparation et vendent de la nostalgie à un public de vieux et de vieilles qui veulent absolument les revoir ou à des plus jeunes qui ne les ont jamais vus, comme si cela démangeait les gens d’accrocher tel groupe ou tel·le musicien·ne à leur petit tableau de chasse perso, comme si cela flattait leur ego de consommateurs de biens culturels. Dans les deux cas je trouve cela absurde : soit tu as déjà vu ce groupe et donc pourquoi ne pas rester sur tes souvenirs ? soit tu ne l’as jamais vu parce que tu n’étais pas né·e ou juste trop jeune à l’époque et je me demande à quoi cela peut bien servir – n’y a-t-il pas suffisamment de bons groupes de maintenant à découvrir et à soutenir ? Et je trouve cela encore pire lorsqu’il ne reste presque plus de membres (et des fois qu’un seul) issus du line-up original. La volonté artistique et le plaisir de partager sa musique sont-ils toujours plus forts que les impératifs économiques ? Souvent, j’en doute.
C’est là où je veux en venir : Come a annoncé une tournée européenne pour l’automne 2022. Un vrai cas de conscience pour moi. Je crois que le groupe de Thalia Zedek et Chris Brokaw n’a joué qu’une seule fois par ici, en 1998 au Pezner, au lendemain d’un concert retentissant d’Oxbow et que sa venue était donc passée un peu trop inaperçue. Que faire ? Il n’y a que trois dates françaises sur cette tournée 2022 : Rennes, Paris et – pour une fois – Lyon, au Sonic le 4 octobre avec les locaux et excellents T-Shirt en première partie… Alors je vais faire une exception et surtout faire une croix sur mes principes de gardien du temple et aller voir et entendre ce groupe qui n’a plus rien à prouver depuis longtemps, que j’adore et qui représente tellement pour moi. Ça m’apprendra.

* réédité en 2013 par Matador records
** réédité lui en 2021 par Fire records




jeudi 19 mai 2022

Big'n : DTS 25

 



On n’en finira donc jamais avec BIG’N ? Apparemment, non. Le label Computer Students (ou CmptrStdnts™ pour les intimes) poursuit son travail d’inhumation/résurrection/restauration du plus méconnu des groupes de noise-rock des années 90, école de Chicago. A l’époque, cette bande de furieux était passée plutôt inaperçue : publier deux LP chez skin Graft – Gasoline Boost pour les versions européennes – ainsi qu’une flopée de singles et de splits y compris avec des groupes nettement plus connus et adulés n’aura pas suffi (Shellac et US Maple figurent dans la liste, de même, certes sur un EP posthume, que les futurs stars d’Oxes). Pourquoi ? Big’n est resté incompris, trop souvent cantonné au rang de ramassis de bourrins pas finauds, jouant une musique toujours pareille et doté d’un chanteur particulièrement horripilant… Il est vrai que les vociférations de William Akins peuvent facilement être apparentées aux cris d’un porc adolescent en train de se faire castrer à la cisaille électrique par un employé d’abattoir scrupuleusement sadique.
Pourtant les disques de Big’n méritent que l’on y revienne et même que l’on s’y attarde. Tout comme il faut être un sacré bon acteur pour réussir à dignement interpréter un crétin dans un film de Max Pécas ou un esprit supérieur dans un film d’Alain Resnais scénarisé par Robe-Grillet, il faut avoir une vision claire, affutée et intelligente de sa musique pour réussir à la rendre aussi vicieuse et impure que l’ont fait les quatre Big’n. Et la rendre aussi monolithique ou, disons, homogène, le groupe donnant tout son sens à ce genre d’expression pénible du type « jouer comme un seul homme » qu’il est l’un des rares à pouvoir pleinement revendiquer. Une composition signée William Akins, Todd Johnson, Mike Chartrand et Brian Wnukowski c’est toujours l’assurance de ce prendre un gros pavé de crasse musicale bien séchée et bien aiguisée au travers de la gueule. OK, le noise-rock méthode Big’n sent le poil transpirant et la testostérone de redneck viriliste mais, comme tous les plaisirs désormais un peu coupables, c’est exactement pour ces raisons là qu’on l’aime.
Pour rester dans l’allégorie cinématographique « DTS » ne renvoie pas au Digital Theatre Sound, ce mixage 5.1 dégueulasse devenu la norme du cinéma grand public contemporain mais à Discipline Through Sound*, deuxième album de Big’n publié en 1996 et qui a donc fêté son vingtième-cinquième anniversaire en 2021 (l’année où aurait du être publié DTS 25 si le monde des humains n’avait pas brutalement appuyé sur la pédale d’accélérateur en direction de l’apocalypse définitive. Tu comprends maintenant ce titre ? A ce disque j’ai toujours préféré son prédécesseur, le monstrueux Cutthroat (1994), beaucoup plus sale et méchant à mon goût mais cette réédition me ferait presque changer d’avis. D’abord parce qu’elle permet de réécouter consciencieusement et religieusement et donc de redécouvrir Discipline Through Sound désormais rehaussé par une remasterisation signée Carl Saff qui a fait du bon boulot. Ensuite parce qu’un deuxième 12’ propose dix suppléments parmi lesquels les titres du split avec Oxes mentionné plus haut, des titres parus uniquement sur des compilations et un inédit dont on ne sait pas trop d’où il sort.
Mais le plus beau et le meilleur ce sont les cinq plages qui occupent la face C de DTS 25 : Moonshine, Dry, Lucky 57, White Russian et Dying Breed, tous en version démo. C’est à dire des versions enregistrées par un certain Dave Zuchowski (il a travaillé avec nombre de musiciens de la très riche scène free jazz et impro de Chicago). Mon anglais aussi parcellaire que maladroit m’a permis de comprendre, en lisant l’abondante documentation du livret de douze pages qui accompagne DTS 25, que ces versions là auraient du constituer l’album final. Finalement Big’n a réengistré sous la houlette de Steve Albini, l’homme qui a fait autant de bien au noise-rock en définissant ses contours sonores et esthétiques qu’il a fini par lui faire du mal en donnant naissance à des stéréotypes, ouvrant la voie aux redites et autres imitations ridicules (exactement le même phénomène qui s’est produit avec Kurt Ballou et le hardcore).
Je préfère nettement les versions « démo » de Discipline Through Sound à celles qui figurent sur l’album que tout le monde a écouté pendant vingt-cinq années. Elles ont plus de hargne, plus de contours, plus de violence… elles sont parfaites. Je n’en dirai pas plus. La musique parle pour elle-même. Une fois de plus avec cette réédition Computer Students nous a concocté un objet somptueux et luxueux mais ce n’est qu’un objet. Le livret quant à lui est des plus passionnants avec des textes signés Akins, Albini, Jeff Helland (des géniaux Hoaries) ou Wnukowski ainsi que des photos parfois désopilantes comme celle de Big’n posant en compagnie des membres de Kiss (mais est ce que ce sont les vrais Kiss ? mystère…).

* le lien renvoie à la version de Discipline Through Sound publiée par Skin Graft et Gasoline Boost – la version Computer Students est dispo ici



mardi 2 novembre 2021

Elastic Heads : self titled

 




Retour en 2018. Charles Rowell – moitié du noyau dur de Crocodiles mais avant ça membre de The Plot To Blow Up The Eiffel Tower et de Some Girls – a trainé quelques mois à Lyon… je ne sais pas ce qu’un tel bonhomme originaire de San Diego en Californie pouvait bien foutre par ici mais je sais qu’un vrai musicien, où qu’il se trouve, restera toujours un musicien et Rowell, peut-être pour tromper l’ennui, peut-être parce qu’il a eu une poussée conséquente d’inspiration (je ne sais pas non plus) a alors composé une grosse poignée de chansons. Pour mettre en forme celles-ci, les arranger, les enregistrer et les interpréter devant un public averti lors d’un seul et unique concert, il s’est accoquiné avec trois autres musiciens, tous locaux et issus – entre beaucoup d’autres choses – de The Horsebites : Flo à la guitare lead, Antoine à la basse et l’incontournable Lester à la batterie… le groupe s’est appelé ELASTIC HEADS.
Une existence éphémère et plutôt confidentielle, un enregistrement perdu au beau milieu d’un disque dur pourrissant : il n’en a pas fallu beaucoup plus pour éveiller la curiosité et l’intérêt de Julien du label lyonnais Echo Canyon. Quelques années passées à macérer sur un support numérique n’arrangent pas forcément les choses mais après restauration des prises originales effectuées au Magnétique Audio (le studio monté par JP Marsal, ex 202project) puis un mixage et un mastering en bonne et due forme par Bruno Germain (à qui l’on doit tellement d’enregistrements de groupes du coin) l’unique album d’Elastic Heads est enfin devenu une réalité et surtout est désormais disponible en vinyle.
Et quel disque ! Difficile d’en croire ses oreilles tellement les huit compositions présentes ici – sept dont un instrumental sont signées Charles Rowell, la huitième, non moins excellente, a été écrite par Antoine – possèdent ce caractère d’immédiateté propres aux grands enregistrements. Je n’exagère pas : tout de suite il se dégage du disque quelque chose d’incroyable. Le songwriting est de haut vol, l’interprétation vive et enthousiaste, le son garage mais lumineux et, surtout, l’urgence ne fait jamais défaut à un disque qui manie la mélodie sans jamais appuyer sur les mauvais boutons et qui tutoie régulièrement les sommets.
Essayons de faire plaisir aux entomologistes un rien chipoteurs et classons, mais ce ne sera pas définitif, Elastic Heads quelque part entre la limpidité punk des tout premiers essais des Misfits (ceux qui ont tardivement été édités sur l’album Static Age) mais surtout les Wipers et les Hot Snakes, pour le côté enlevé, trépignant et toujours d’une très grande classe.  Mais le groupe fait particulièrement des merveilles lorsqu’il aborde le virage du mid-tempo : Pass Over restera le tube incontournable du disque avec ses faux airs nonchalants, sa ligne de chant parfaite, ses guitares ciselées et sa partie finale irrésistible et entêtante. L’histoire pourrait définitivement s’arrêter là mais il se murmure désormais que le groupe va reprendre un peu du service et effectuer quelques dates – le 23 novembre à Paris, le 24 à Lyon, le 25 à Besançon et le 26 à Montbéliard – pour ainsi honorer un disque qui mérite plus que tout de l’être. Ne me dites pas que je rêve encore…

[Elastic Heads est publié en vinyle rouge transparent et à 200 exemplaires seulement par Echo Canyon : une fois de plus avec ce label l’artwork et la présentation sont impeccables – l’illustration de la pochette est signée Jonatan Florez avec, me semble-t-il, quelques bouts de Magritte dedans]

 

mercredi 13 janvier 2021

Live Skull / Dangerous Visions

 

Je n’avais pas été très tendre avec Saturday Night Massacre, premier album publié par Live Skull depuis sa reformation en 2016 avec le seul Mark C. aux commandes. Mais ma déception était à la hauteur de toute l’estime et de toute l’affection que j’ai pour ce groupe. Et elle l’est encore : le miracle n’a pas eu lieu en réécoutant Saturday Night Massacre quelques mois plus tard, un album qui aujourd’hui me semble toujours aussi indigne de ce qu’a été Live Skull et de ce qu’est encore son héritage musical. Un disque que je préfère oublier.
Et voilà que débaroule déjà un nouvel enregistrement du groupe de Mark C. Il faut battre le fer tant qu’il est encore chaud comme dirait l’autre mais dans le cas de Live Skull on devrait plutôt parler de vieux machin rouillé. Je sais, tout ceci n’est pas très gentil ni très charitable pour Mark C. et ses petits camarades actuels. Dangerous Visions a lui aussi été publié par Bronson recordings et est doté d’une pochette au style très similaire. Logiquement je n’attendais pas grand-chose d’un disque pour lequel j’ai du me motiver pour oser et surtout réussir à l’écouter… Dangerous Visions est en fait un album en deux parties : la première consiste en des enregistrements récents de Live Skull et la seconde regroupe des vieilles bandes de l’époque Thalia Zedek. Première surprise. 




Bien que démarrant avec le tiédasse In A Perfect World la première partie du disque n’est pas sans intérêt. On retrouve un peu de ces synthétiseurs lénifiants sur ce premier titre, ceux-là même qui avaient mis à mal Saturday Night Massacre en le pourrissant de l’intérieur. Le chant semi-précieux de Mark C. est toujours aussi faiblard. Et pourtant… et pourtant il se passe malgré tout quelque chose sur In A Perfect World qui dégage une sorte de mélancolie amère (le genre de truc qui à moi me parle toujours un peu). Arrive alors l’excellent Debbie’s Headache avec son riff tournoyant, un titre enregistré pour la première fois par Live Skull en 1987 et pour l’album Dusted. On est alors bien obligé d’admettre que le Live Skull de 2020 sera bien meilleur que ce que l’on pensait, même si présentement il triche un peu en allant fouiller dans son lointain et glorieux passé.
En regardant le line-up du groupe on s’aperçoit de la présence d’un second guitariste du nom de Dave Hollinghurst et effectivement les guitares semblent reprendre un peu de la place qui avait toujours été la leur dans la musique du groupe. Du coup on pardonnera la mollesse dubisante de Day One Of The Experiment et le rhume caribéen de Dispatches. Et on se balancera doucement au son de Twin Towers dont les atmosphères sombres donnent définitivement une tonalité poignante et mélancolique à la première moitié de Dangerous Visions. Je suis prêt à m’excuser tout de suite auprès de Mark C. qui semble enfin avoir retrouvé un peu de ses marques.

On retourne le disque pour découvrir cette fois des enregistrements de 1987 et de 1989. Ce qui signifie donc que l’immense Thalia Zedek est au chant. Je ne devrais pas avoir à en rajouter si ce n’est que Safe From Me, Someone Else’s Sweat, Adema et Amputease ont été mis en boite pour John Peel et la BBC / Radio 1 le 14 mars 1989 et que c’est un pur bonheur. Comme d’habitude il suffit que Zedek pointe le bout de son nez quelque part sur un disque pour que la lumière jaillisse – c’était déjà le cas pour Saturday Night Massacre sur lequel elle faisait une ou deux apparitions remarquées – mais il y a autre chose et cette autre chose c’est tout simplement Live Skull, un groupe avec des guitares alors inventives et des compositions qui se tenaient comme il faut.
La deuxième face de Dangerous Visions se termine avec Tri-Power, un presque inédit studio de 1989 et de bonne facture avec Mark C. au chant, un titre initialement publié sur une compilation comprenant également Debbie Harry, New Order ou Rollins Band. Puis c’est au tour de Live Again qui à l’origine figurait en supplément sur l’édition CD de l’album Dusted et malheureusement on comprend pourquoi ce titre avait en 1987 été relégué au rang de bonus track. Ce qui n’empêche par Dangerous Visions d’être un disque plus que recommandable, bien qu’il s’agisse en grande majorité d’un disque de recyclage. Sans rancune, Mark…


lundi 14 décembre 2020

Bushpilot / 23

 

A peine le temps de digérer à peu près correctement Already ! – j’ai bien inspecté ce qu’il y avait dans ma pelote de régurgitation de vieux hiboux-râleur : il ne restait vraiment plus rien de comestible – et d’en assimiler toutes les nombreuses richesses que BUSHPILOT est déjà de retour avec un deuxième album, intitulé 23.  Tout comme Already ! ce « nouvel » album est en fait constitué de vieilles bandes, enregistrées entre les années 1994 et 1995. Cette fois le line-up du groupe intègre définitivement Richard Formby au poste de bassiste et de producteur, lequel s’est également occupé de toute la partie post-production / dépoussiérage / remise à niveau des bandes initiales aux côtés de Ross Holloway (chant) et de Adrian Gans (guitare).
Je dois dire que je trouve tout ceci fort intrigant. Crashé en plein vol Bushpilot s’est officiellement reformé* – du moins si j’en crois les informations très parcellaires qui arrivent jusqu’à nous – et plus que jamais la musique du groupe donne ce sentiment d’avoir été enregistrée seulement hier, qu’il ne s’est pas écoulé vingt-trois années entre la fin de l’enregistrement de 23 en 1985 et l’exhumation quasi miraculeuse de celui-ci en 2018… autrement dit tout semble couler de source, naturellement, avec une pure logique dont seuls les musiciens impliqués dans Bushpilot doivent posséder tous les tenants et tous les aboutissants. Il y a quelque chose de fondamentalement magique dans toute cette histoire et cette magie est lumineuse, elle nous éclaire de son pouvoir et de sa connaissance. C’est de la musique.




Stylistiquement parlant 23 est beaucoup plus ramassé et moins étendu que Already ! Le côté post-punk asséché de Bushpilot y est beaucoup moins mis en avant voire devient quasiment inexistant, y compris sur les titres les plus courts de l’album, comme ce I Have The Egg qui démarre l’album et se retrouve brutalement coupé au bout de 2’33. Le temps malgré tout d’écouter Ross Holloway répéter nerveusement quelques paroles sibyllines, le temps pour le groupe de largement évoquer Can, plus présent que jamais dans la musique de Bushpilot et dont l’ombre tutélaire va planer sur quasiment tout l’album.
23 est donc encore plus expérimental, on croirait volontiers qu’il est le fruit de longues séances d’improvisation – on imagine cinq musiciens enfermés dans une même pièce et la bande qui n’arrête pas de tourner tant qu’ils ont encore quelque chose à jouer, des idées à développer – mais rien n’est moins sûr et en fait je n’en parierais rien. La délicatesse et la finesse des parties de guitare sur Andy Warhol’s Dream est là pour en témoigner et Bushpilot possède ce talent vraiment trop rare dans le domaine des musiques dites exigeantes et expé de savoir en à peine quelques secondes poser une atmosphère, définir une couleur, dégager une chaleur colorée et de pouvoir s’y tenir et de les déployer, de les magnifier sans se regarder jouer ni perdre en route quoi que ce soit de sa magie (oui, je parle toujours de cette magie là, celle qui fait une si belle lumière). La face B du disque est elle occupée par une plage unique, une longue composition de plus de 19 minutes qui a donné son nom à l’album. Bushpilot s’y montre encore plus aventureux, se lançant à corps perdu dans les eaux miroitantes d’un kraut rock plus atmosphérique que jamais, finement cadencé, parfois évaporescent, au groove apaisant mais décidé, provoquant l’élévation, s’imposant par la force d’une beauté musicale peu commune, les répétitions de motifs engendrant d’autres motifs, tel un jeu d’échos à la surface d’un lac de montagnes millénaire.
Je ne comprendrai jamais pourquoi ce groupe n’a jamais pu publier ses enregistrements à l’époque où ils ont été enregistrés et je ne comprendrai jamais pourquoi Bushpilot s’est séparé aussi tôt. Peut-être que les cinq musiciens jouaient une musique beaucoup trop atemporelle et mystique pour le milieu des années 90, profondément ancrées dans toute autre chose. Mais désormais 23 est là, autour de nous et en nous. Maintenant tout le monde peut savoir.



[23 est publié uniquement en vinyle bleu transparent – et il est très beau – par God Unknown records ; la pochette est agrémentée d’un obi et complétée par un épais livret, faisant de 23 l’un des objets les plus élaborés et les plus raffinés de cette année 2020 complètement barbare]

 

* je serais vraiment curieux de voir le groupe en concert, si jamais un jour le monde arrive à sortir indemne de la crise sanitaire, économique et sociale actuelle

 

 

lundi 7 décembre 2020

Mr Bungle / The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo

 

C’est déjà hier. Jamais je n’écoute les disques de Mr BUNGLE, même si un exemplaire CD de Disco Volante et peut-être même du premier album sans titre de cette bande de zozos californiens trainent quelque part chez moi en attendant d’être revendus sur un site spécialisé à l’intention des acharnés de musique sur support physique obsolète. Dans mon petit panthéon personnel des groupes détestés Mr Bungle occupe cependant une place à part : il s’agit du projet de Mike Patton que j’exècre le moins. Voilà, ça c’est dit. Mais reprenons depuis le début, ou presque, avec les vraies démos de monsieur Bousille, j’en ai compté quatre, enregistrées entre 1986 et 1989, publiées sous la forme de cassettes aujourd’hui revendues à prix d’or sur le site mentionné plus haut par des types qui s’y connaissent sacrément en business. Tu penses bien que j’en ai jamais eu rien à foutre de ces démos que par ailleurs on trouve très facilement dans les abimes des internets, en P2P.
Pourtant si j’avais eu la curiosité d’écouter la première version de The Raging Wrath Of The Easter Bunny, celle de 1986, j’aurais découvert que Mr Bungle était à l’origine un groupe de thrash… de thrash déjà un peu déviant – il y a quelque touches fantaisistes comme du kazoo, de la trompette, etc. – mais de thrash quand même. Il faut dire aussi que c’était l’époque qui voulait ça : Metallica n’était pas encore une sombre merde orchestrée par un groupe de névrosés toxicos, Nuclear Assault tenait le haut du pavé avec son formidable premier album (Game Over) aux côtés d’Exodus et du génial Bounded By Blood et Slayer publiait avec Reign In Blood l’album de metal le plus brutal de tous les temps, du moins à ce moment là… Bref on est en 1986, je suis en classe de première, j’ai de l’acné mais pas trop, j’hésite encore entre une carrière de metalhead laborieux et un avenir radieux de punk bourgeois, je me branle souvent dans mon lit parce que la meuf avec laquelle je sors ne veut pas coucher avec moi – rétrospectivement je ne peux que lui donner raison – et Mike Patton (chant), Trey Spruance (guitare) et Trevor Dunn (basse) à l’époque accompagnés de Jed Watts (batterie) jouent la musique du moment : du thrash metal.

Le son de cette première cassette est vraiment tout pourri mais n’empêche pas de déceler quelques plans absurdes et décalés qui feront quelques années plus tard la renommée de Mr Bungle, comme le final d’Hypocrites reprenant Peter Gunn. Et tous ces (très) jeunes musiciens possédaient un sacré niveau, je pense notamment à Trey Spruance déjà très à l’aise avec tous ses doigts. Mais il est intéressant de mettre The Raging Wrath Of The Easter Bunny en parallèle avec Goddammit I Love America ! publié en 1988 : ce n’est déjà plus le même groupe et le thrash fantasy a cédé la place à une sorte de fusion funky vaguement métallisée totalement indigeste. Beurk.

 


 

Avançons maintenant de quelques années et passons au troisième millénaire. Nous sommes en juin 2020 et Mr Bungle balance sur b*ndc*mp un nouveau titre, une reprise de USA d’Exploited. Il n’en fallait pas plus pour affoler les foules. Mais le plus étonnant est le line-up qui a enregistré ce titre : Scott Ian (Anthrax, S.O.D.) et Dave Lombardo (Slayer) ont rejoint le groupe, respectivement à la guitare rythmique et à la batterie. Des vieux briscards du thrash des 80’s. J’aime tellement la version originale de ce morceau – j’aime tout l’album Troops Of Tomorrow d’Exploited – que je ne ferai aucun commentaire désobligeant sur l’interprétation qu’en donne Mr Bungle. L’important était de bien prendre note que le groupe s’était reformé et qu’un album allait suivre.
Cet album a été publié fin octobre 2020 et il s’intitule The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo. Il consiste en un réenregistrement de la première démo de Mr Bungle à laquelle ont été rajoutés une poignée de titres supplémentaires dont une reprise de Corrosion Of Conformity (Loss For Words, le titre d’ouverture de Animosity) et une autre de S.O.D. (Speak English Or Die, ici remodelé en Habla Español O Muere). Le son de l’enregistrement est monstrueux, le groupe est aux taquets et surtout The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo est beaucoup plus thrash que sa version initiale, flirtant constamment avec le crossover d’un… S.O.D. Difficile souvent de ne pas penser aux Stormtroopers Of Death en écoutant un disque qui résume l’un des plus fabuleux paradoxes de notre époque : celui de faire du faux neuf avec du vrai vieux.
On retrouve quelques manières typiques de Mr Bungle
(les coups de sifflet sur Bungle Grind, la reprise de La Cucaracha) et tout le disque, malgré le gros son au scalpel des guitares (Scott Ian est l’un des meilleurs guitaristes rythmiques du genre), malgré la rapidité d’exécution et les solos de guitare complètement hallucinants de Trey Spruance, dégage un côté cartoon propre aux simagrées habituelles des groupes de monsieur Patton qui ici se montre pourtant relativement sobre. Allons-y même carrément : The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo est aussi sexy qu’une partouze de zombies proctologues et aussi festif qu’un yorkshire enfermé dans un four à micro-ondes réglé sur sa puissance maximum et explosant en de jolis geysers de chairs sanguinolentes. Cela me dépasse quand même un peu, cette vision du thrash en mode joyeux et purement divertissant. Mais c’est un fait : The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo c’est de la musique de vieux jouée par des vieux et pour des vieux, tout le monde attendant avec sourire et légèreté une mort certaine. Masturbation.

 

[The Raging Wrath Of The Easter Bunny Demo est publié en double vinyle, en CD, en cassette, le tout avec tellement de variantes que cela me donne mal à la tête, par  Ipecac recordings]  

 

vendredi 30 octobre 2020

Bushpilot / Already !


On nous a tellement fait le coup du groupe inconnu / maudit / séparé trop tôt / suicidaire (rayer les mentions inutiles) que j’ai tendance à ne plus du tout y croire lorsque une nouvelle sensation ressurgit d’un passé fantôme mais supposément glorieux. Même lorsque le label qui balance le truc s’appelle God Unknown records, maison sérieuse et digne de confiance s’il en est. Le groupe en question nous vient tout droit de Leeds, s’appelle BUSHPILOT – parfois orthographié Bush Pilot – et je ne sais pas du tout pourquoi il s’est séparé après un unique 7’ publié en 1994 ni pourquoi il n’avait pas terminé l’enregistrement de son tout premier album. Un disque qui a été complété bien des années après. Sur ce « premier » LP le line-up est composé de Ross Holloway au chant, des guitaristes Adrian Gans et Daren Pickles, du bassiste (puis batteur) Karl Berlin ainsi que du batteur Phil Leigh qui a semble-t-il quitté le groupe peu de temps après. Pour les ajouts et la post-production de 2018 Bushpilot s’est enrichi du bidouilleur, producteur multicarte et multi-instrumentiste Richard Formby.

 


 

Plutôt ironiquement – mais il s’agit d’une douce ironie, de celles qui donnent envie de sourire d’un air entendu et gentiment ravi – intitulé Already ! ce premier album sauvé des eaux a été publié en mars 2020, soit exactement au moment où la moitié des trois quarts de la vieille Europe se confinait face à l’épidémie de covid. Côté timing on aurait pu rêver beaucoup mieux, surtout que ma nature naturellement suspicieuse à l’égard des miracles musicaux et autres morts-vivants mystérieusement ressuscités de l’underground m’a donc gentiment poussé à bouder ce disque pendant quelques longs mois. Il aura fallu que Bushpilot annonce déjà la parution d’un deuxième LP – il arrive ces jours-ci et il s’intitule 23 – pour que je m’intéresse au cas de ce groupe et d’un premier album démomifié. Evidemment j’ai eu tort : Already ! n’est pas un chef-d’œuvre qui révolutionnera notre petit monde en déliquescence mais il s’agit d’un sacré bon disque. Il aurait été vraiment dommage que Bushpilot ne ressorte pas de sa torpeur et que cet album ne voit jamais le jour.
En ouverture de la face A 1993 place la barre très haut, mélangeant accents à la Can avec la frénésie d’un Gang Of 4. Kraut rock et post punk sont ainsi les deux ingrédients principaux d’un disque qui laisse également beaucoup de place au funk (Big Quaalude Thunder Nothing) et aux explosions psychédéliques. Encore un disque qui tambouille nerveusement et imparablement autant d’influences possibles et imaginables en matière de musiques traviolées, barrées voire borderline pour aboutir à un résultat confondant de réussite : j’ai beau chercher je ne trouve aucun temps mort à Already ! et à ses huit compositions exacerbées de tension et de groove électrique. Coté chant on pense souvent à Malcom Mooney – le premier chanteur de Can – mais également, pourquoi pas, à Eric Paul (Arab On Radar, The Chinese Stars, etc) lorsque Ross Hollaway s’embarque dans un registre plus hystériquement aigu et pernicieusement diabolique (toujours Big Quaalude Thunder Nothing, haut la main meilleur titre de l’album). Le plus admirable dans tout ça c’est la confusion temporelle qui nait de l’écoute de Already ! : voilà un disque enregistré il y a longtemps par un groupe du siècle dernier tout en faisant référence à des musiques dont l’acte de naissance est encore plus ancien mais dont le résultat demeure malgré tout intemporel. Sûrement encore un autre effet pervers du confinement.

 

[Already ! est publié uniquement en vinyle transparent par God Unknown records – le coupon mp3 joint au disque permet également de télécharger le 7’ 21st Century Breakdown / Lost Girls et honnêtement je le trouve en deçà de l’album]

 

 

samedi 13 juin 2020

Comme à la radio : Nod Off





Il arrive que des fois tu reçoives des bonnes nouvelles sans t’y attendre du tout et ce jour là la bonne nouvelle a pris la forme d’un mail, plutôt laconique mais extrêmement poli :

Salut,
Juste un petit mot pour t’annoncer que le EP #2 de Nod Off est disponible.
Pas de sortie vinyle prévue... Mais tu peux le télécharger gratuitement sur notre bandcamp :
https://nodoff.bandcamp.com/
Bonne écoute et bonne continuation.
Fred

Et sans mentir la première chose que j’ai faite en ce dimanche qui avait pourtant particulièrement mal commencé (le 17 mai, si tu veux tout savoir) est d’aller écouter séance tenante ce nouvel EP de Nod Off, complètement pris par surprise et piqué par la curiosité puisque pas moins de sept années s’étaient écoulées depuis le premier :





Il n’y a pas eu énormément de changements du côté de Nod Off depuis tout ce temps : le groupe est toujours composé de Gaëlle (voix) et de Fred (instruments et voix)**, normal me direz-vous puisque ces deux là sont chéri-chérie dans la vie. Les compositions sont à nouveau numérotées (là ça va de 12 à 15) et même l’esthétique de la pochette de cet EP #2 renvoie directement à celle du EP #1. Et puis la musique du duo se reconnait entre mille, délicatement bricolée bien que très composée et surtout enregistrée à la maison avec cette fois ci l’aide experte et le mastering d’un célèbre ingénieur du son lyonnais au chômage technique.

On retrouve la complémentarité des chants avec la voix féminine adroitement nonchalante mais pas seulement (comme sur Song #15 où Gaëlle finit par s’en payer une bonne tranche) et qui alterne avec la voix masculine, plus rocailleuse. Le vieux coup du chaud et du froid mais pourquoi s’en priver lorsque cela fonctionne aussi bien ? Plus que tout le niveau des compositions a monté d’un cran, Nod Off alignant pas moins de quatre tubes en quatre titres – et oui ! – entre accroches irrésistibles, précision mélodique, insistance rythmique, dissonances bien placées (ce pseudo solo sur Song #13 me ravit à chaque fois), éléments poétiques et petits détails qui font toute la différence (un peu de synthétiseur par là, du luth – ou du saz ? – par ici).

Pour un disque enregistré entre le salon, la cuisine et le garage d’une maison de banlieue lyonnaise il y a vraiment de quoi être épaté. Et pour longtemps… La mauvaise nouvelle étant – évidemment – que cet EP #2 restera surement à l’état d’ectoplasme digital parmi tous les fichiers sonores qui pourrissent déjà doucement mais surement dans les méandres d’internet. En espérant malgré tout un EP #3 pour l’année 2027 ou 2028, grand maximum. Bisous.

* le EP #1 avait lui bénéficié d’une sortie physique – avec un taux de rentabilité largement négatif – sous la forme d’un joli 45 tours et à l’époque chroniqué par ici
** ancien guitariste des Bananas At The Audience, la dernière fois qu’il a été aperçu vivant dans un lieu public c’était du côté de Nîmes pour un concert du Ricardo Tubs Trio, encore un groupe pas spécialement pressé dans la vie

lundi 9 mars 2020

Comme à la radio : Live Skull


Les reformations m’ennuient. Et encore, je reste poli. Mis à part quelques rares exceptions tous ces groupes d’un autre temps qui tentent de revenir parce que la roue a tourné et que la musique qu’ils jouaient il y a quelques (dizaine d’) années a enfin regagné les faveurs d’une poignée de hipsters et de gamins qui découvrent le monde trop souvent ne génèrent qu’ennui, embarras et pitié (OK : découvrir le monde, on est tous passés par là).




Le cas de Live Skull est édifiant. Ces new-yorkais contemporains de Sonic Youth et des Swans, défricheurs d’un rock arty, bruyant, mélancolique mais toujours mélodique qui a influencé et influence encore tellement de groupes et de musiciens aujourd’hui sont de parfaits inconnus pour le commun des mortels. Mais Live Skull est aussi un groupe acclamé, vénéré et – disons-le – mythique pour nombre de leurs pairs et quelques acharnés.es.
En rééditant en 2013 et 2014 les premiers enregistrements de Live Skull le label Desire records ne s’y était pas trompé, tentant de remettre à la lumière un groupe fondateur et important (on attend toujours la suite de ces rééditions, celles des albums Dusted et Positraction, avec Thalia Zedek au chant). Autant se précipiter sur tous les disques publiés par Live Skull entre 1984 et 1988 et oublier tout de suite Saturday Night Holocaust, album publié lui en 2019 par Bronson recordings, suite à la reformation du groupe en  2016.






Une reformation qui n’en est pas vraiment une. Sur Saturday Night Holocaust il ne subsiste du groupe que le guitariste/chanteur Mark C., accompagné de Rich Hutchins, le dernier batteur de Live Skull, entre 1987 et 1989. Tom Paine, l’autre chanteur/guitariste et alter-ego de Mark C., est aux abonnés absents et c’est complètement désespérant. Un certain Kent Heine tient désormais la basse. Et puis quelques anciens membres font une ou deux apparitions : l’ex bassiste Marnie Greenholz au chant sur un titre, Thalia Zedek au chant également, sur deux autres. Tandis que Mark C. s’occupe de tout le reste, y compris de ces foutus synthétiseurs qui viennent tout gâcher – rectificatif : ils gâchent le peu qu’il y aurait eu à sauver en faisant preuve d’un peu de générosité ou d’aveuglement.

Placé en tout début de face A le morceau-titre ainsi que Nova Police (avec la toujours merveilleuse Thalia Zedek) arrivent un temps à créer l’illusion et donnent de l’espoir mais rapidement Saturday Night Holocaust s’enlise dans une écriture bâclée et des compositions mal arrangées (toujours ces synthétiseurs !) qui font d’autant plus regretter la présence d’un seul guitariste. Ce disque est pire qu’un mauvais album, c’est un naufrage. Je peux comprendre que Mark C. ait eu envie – et peut-être même besoin – de reformer Live Skull mais en agissant ainsi il ternit irrémédiablement l’image et l’aura de son groupe. Tant qu’à faire il eut mieux valu que Saturday Night Holocaust soit publié sous un autre nom.

Donc, au risque de me répéter, de Live Skull mieux vaut écouter et réécouter encore le premier mini album éponyme (1984), le formidable Bringing Home The Bait (1985), le non moins formidable Cloud One (1986), mais également le trop sous-estimé Dusted de 1987 (face A par ici et face B par là) ainsi que, et même si je l’aime moins, le petit dernier, Positraction (1988).