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vendredi 30 septembre 2022

Cassels : A Gut Feeling

 

Un regret. Je n’ai pas pu assister au concert de CASSELS. C’était au mois de mai dernier au Sonic, le lendemain de celui de E, et je devais choisir entre les deux, forcément. D’un côté la fidélité à un groupe vu à chacun de ses passages par ici – et que je retournerai voir dès que l’occasion se représentera – et de l’autre la découverte d’un groupe nouveau pour moi. Les divers commentaires et descriptions très élogieuses que j’ai récoltés quelques jours après de la part de personnes de bon goût et qui elles étaient au concert de Cassels m’ont un peu dépité, mais pas trop longtemps heureusement : la prochaine fois je serai là.







Cassels est un duo. Deux Anglais. Et deux frères : Jim Beck à la guitare et au chant, son frère Loz à la batterie et aux backing vocals. Deux musiciens seulement mais un désir de volume et un sens de l’occupation de l’espace comparables à ceux d’une formation rock plus classique, à trois ou à quatre membres. C’est ce que l’on découvre avec Gut Feeling, troisième album du groupe, avec sa pochette toujours marquée de ce drôle de logo cryptique (un C et quoi d’autre ?) cette fois-ci taillé dans du gras-gras de bide ou des tripes, gloups. Ça change de l’herbe toute verte et des tresses de roses du précédent The Perfect Ending, un album plus fade, plus inégal. Je ne sais pas quel genre de barbaque les frères Beck avaient mangé sur ce coup là (et je ne tiens surtout pas à le savoir) mais pour A Gut Feeling ils ont donc vu et surtout fait les choses en grand, étoffant leur son, rajoutant parfois un peu de guitare, quelques rares arrangements synthétiques. La musique du duo est la fois directe et compliquée, noisy et mélodique, ne se conforme pas aux structures habituelles type couplet/refrain/etc. mais c’est bien la première fois que le duo se montre aussi consistant et aussi convaincant.
Ce qui me semble étrange c’est que, musicalement, il n’y a pas tant de différences que cela entre ce troisième LP de Cassels et ceux d’avant. Les compositions alternent entre parties dominées par le « chant » presque toujours narratif, fulgurations soniques (Pete’s Vile Colleague), figures mathématiques, moments apaisés – presque comme des comptines douces-amères desquelles perce malgré tout une tension certaine – et quelques passages pop, principalement lorsque la seconde voix vient se placer discrètement en appui de la première (Beth’s Recurring Dream et surtout Michael’s Daily Commute). N’oublions pas non plus que nous avons affaire à un groupe anglais, d’où ce soucis mélodique récurrent. Mais qui n’empêche pas non plus Cassels de cultiver sa différence.
Your Humble Narrator qui ouvre l’album est une sorte de mode opératoire : « nous allons vous raconter des histoires et encore des histoires, vous pouvez éventuellement fermer les yeux pour nous écouter mais vous pouvez également danser ». Cette longue introduction de plus de huit minutes est d’ailleurs particulièrement groovy et fort irrésistible (mais heureusement je sais danser en fermant les yeux, donc c’est encore meilleur). Your Humble Narrator laisse pourtant la place à des compositions plus courtes, plus sèches, encore plus chargée émotionnellement, avec des textes parlant d’un quotidien grisâtre et cafardeux, mettant en scène nommément des personnages fictifs (?) – « Mr Henderson Was Regarded As Affable And Generous / But Since His Cancer Diagnosis He’d Become Irritable And Cantankerous ». Tout aussi paradoxalement que le reste, Gut Feeling ne respire pas vraiment la joie mais n’a rien de dépriment. Et, au final, le résultat est étrange… mais très attachant. Cassels ne manque vraiment pas de caractère ni sa musique d’originalité. Et si le troisième album du duo est placé sous le signe de la tripaille on ne dira pas non plus que cœur et âme lui font défaut. 

[A Gut Feeling est publié en vinyle et en CD par God Unknown records]


jeudi 13 mai 2021

Dead Neanderthals : Rat Licker


 


 

En toute logique j’aurais du faire très court pour cette chronique : Rat Licker, le dernier disque en date des très prolifiques DEAD NEANDERTHALS, ne dure que 9 (neuf !) minutes pour un total de 12 (douze !) compositions. C’est ce qui s’appelle être lapidaire. Mais ce qui pourrait passer à tort pour un nouvel exercice de style n’en est pas moins un enregistrement extrêmement digne d’intérêt.
Le duo hollandais formé par le saxophoniste Otto Kokke et le batteur René Aquarius est, on le sait, du genre joueur mais aussi friand en collaborations diverses et variées, ce qui lui a souvent permis de mutiplier les plaisirs mais aussi de brouiller les cartes – citons Prime, enregistré en compagnie du saxophoniste anglais Colin Webster, Crater avec le bassiste français Maxime Petit, Molar Wrench en collaboration avec Sly & The Family Drone, Dietary Restrictions avec le génial guitariste américain Nick Millevoi ou l’album sans titre enregistré sous le nom de Twin Sister avec le bassiste et boss du label God Unknown Jason Stoll (avec une nuance de taille : Kokke y délaisse le saxophone pour jouer du synthétiseur et ce disque est d’ailleurs l’une des meilleures choses à avoir vu le jour au cours de l’année 2020). Mais avec Rat Licker les deux compères se retrouvent seuls face à face, sans personne d’autre, et jouent ouvertement la carte d’un grind-jazz volcanique.
J’ai mis autant de temps pour écrire les deux premiers paragraphes de cette chronique que j’en aurais mis pour écouter Rat Licker quatre ou cinq (six ?) fois d’affilée. Tout y va terriblement vite, tout s’enchaine parfaitement et aucun temps mort ne vient rompre la furie d’un disque monobloc. Bien que l’on puisse isoler un à un tous les titres du disque ils forment en même temps un seul et unique gros pavé dans la gueule, une série d’électrochocs, une succession de violentes décharges de freeture suraigüe au saxophone (parfois jusqu’au larsen) et doublées de martèlements rythmiques. Le tout avec des noms de morceaux très imagés tels que Cop Meat ou Scalp Wound qui rappelleront ceux d’un certain Naked City.
On pourra effectivement trouver que l’ombre du groupe de John Zorn plane sur Rat Licker – on peut aussi penser au premier album éponyme de Ground Zero, l’ancien groupe d’Otomo Yoshihide – mais je trouve la version proposée par les Dead Neanderthals du mélange tornade jazzcore / métallurgie de l’extrême beaucoup plus rigolote, plus désinvolte, plus punk à vrai dire. Zorn composait beaucoup, or on a vraiment l’impression que Otto Kokke et René Aquarius ont préféré jouer et jouer encore sans trop se poser de questions ni élaborer de plan d’action trop défini à l’avance. Si préméditation il y a – et évidemment qu’il y en a – il s’agit uniquement d’une volonté de départ et qui se suffit à elle-même pour donner libre cours au désir des deux musiciens de tout envoyer valser à grands coups de stridences (parfois à l’aide de pédales d’effet) et de blasts déglingués. Le résultat final est très drôle – ludique, si tu préfères – et jamais engoncé ni limité par des intentions trop identifiables. Sauf celle de jouer une musique libertaire et bruyante comme peuvent l’être le free jazz et le hardcore / grind et donc le mélange des deux.



[Rat Licker est publié sous la forme d’un 7’ par presque autant de label que sa durée comporte de minutes : Burning World records, Consouling Sounds, EveryDayHate, Moving Furniture records, God Unknown records, Sentencia records et Utech records]


lundi 14 décembre 2020

Bushpilot / 23

 

A peine le temps de digérer à peu près correctement Already ! – j’ai bien inspecté ce qu’il y avait dans ma pelote de régurgitation de vieux hiboux-râleur : il ne restait vraiment plus rien de comestible – et d’en assimiler toutes les nombreuses richesses que BUSHPILOT est déjà de retour avec un deuxième album, intitulé 23.  Tout comme Already ! ce « nouvel » album est en fait constitué de vieilles bandes, enregistrées entre les années 1994 et 1995. Cette fois le line-up du groupe intègre définitivement Richard Formby au poste de bassiste et de producteur, lequel s’est également occupé de toute la partie post-production / dépoussiérage / remise à niveau des bandes initiales aux côtés de Ross Holloway (chant) et de Adrian Gans (guitare).
Je dois dire que je trouve tout ceci fort intrigant. Crashé en plein vol Bushpilot s’est officiellement reformé* – du moins si j’en crois les informations très parcellaires qui arrivent jusqu’à nous – et plus que jamais la musique du groupe donne ce sentiment d’avoir été enregistrée seulement hier, qu’il ne s’est pas écoulé vingt-trois années entre la fin de l’enregistrement de 23 en 1985 et l’exhumation quasi miraculeuse de celui-ci en 2018… autrement dit tout semble couler de source, naturellement, avec une pure logique dont seuls les musiciens impliqués dans Bushpilot doivent posséder tous les tenants et tous les aboutissants. Il y a quelque chose de fondamentalement magique dans toute cette histoire et cette magie est lumineuse, elle nous éclaire de son pouvoir et de sa connaissance. C’est de la musique.




Stylistiquement parlant 23 est beaucoup plus ramassé et moins étendu que Already ! Le côté post-punk asséché de Bushpilot y est beaucoup moins mis en avant voire devient quasiment inexistant, y compris sur les titres les plus courts de l’album, comme ce I Have The Egg qui démarre l’album et se retrouve brutalement coupé au bout de 2’33. Le temps malgré tout d’écouter Ross Holloway répéter nerveusement quelques paroles sibyllines, le temps pour le groupe de largement évoquer Can, plus présent que jamais dans la musique de Bushpilot et dont l’ombre tutélaire va planer sur quasiment tout l’album.
23 est donc encore plus expérimental, on croirait volontiers qu’il est le fruit de longues séances d’improvisation – on imagine cinq musiciens enfermés dans une même pièce et la bande qui n’arrête pas de tourner tant qu’ils ont encore quelque chose à jouer, des idées à développer – mais rien n’est moins sûr et en fait je n’en parierais rien. La délicatesse et la finesse des parties de guitare sur Andy Warhol’s Dream est là pour en témoigner et Bushpilot possède ce talent vraiment trop rare dans le domaine des musiques dites exigeantes et expé de savoir en à peine quelques secondes poser une atmosphère, définir une couleur, dégager une chaleur colorée et de pouvoir s’y tenir et de les déployer, de les magnifier sans se regarder jouer ni perdre en route quoi que ce soit de sa magie (oui, je parle toujours de cette magie là, celle qui fait une si belle lumière). La face B du disque est elle occupée par une plage unique, une longue composition de plus de 19 minutes qui a donné son nom à l’album. Bushpilot s’y montre encore plus aventureux, se lançant à corps perdu dans les eaux miroitantes d’un kraut rock plus atmosphérique que jamais, finement cadencé, parfois évaporescent, au groove apaisant mais décidé, provoquant l’élévation, s’imposant par la force d’une beauté musicale peu commune, les répétitions de motifs engendrant d’autres motifs, tel un jeu d’échos à la surface d’un lac de montagnes millénaire.
Je ne comprendrai jamais pourquoi ce groupe n’a jamais pu publier ses enregistrements à l’époque où ils ont été enregistrés et je ne comprendrai jamais pourquoi Bushpilot s’est séparé aussi tôt. Peut-être que les cinq musiciens jouaient une musique beaucoup trop atemporelle et mystique pour le milieu des années 90, profondément ancrées dans toute autre chose. Mais désormais 23 est là, autour de nous et en nous. Maintenant tout le monde peut savoir.



[23 est publié uniquement en vinyle bleu transparent – et il est très beau – par God Unknown records ; la pochette est agrémentée d’un obi et complétée par un épais livret, faisant de 23 l’un des objets les plus élaborés et les plus raffinés de cette année 2020 complètement barbare]

 

* je serais vraiment curieux de voir le groupe en concert, si jamais un jour le monde arrive à sortir indemne de la crise sanitaire, économique et sociale actuelle

 

 

vendredi 4 décembre 2020

Klämp / Hate You


 

KLÄMP TE HAIT. Au moins les choses sont claires dès le départ. Et elles le sont encore plus dès les premières secondes de Hate You, court instrumental inaugural sur lequel le trio est rejoint par Wayne Adams à la bidouille électronique (lequel a également procédé à l’enregistrement de l’album au Bear Bites Horse studio, évidemment). Un vrai gros barrouf mi-théâtralisé mi-industriel qui fait place nette et donne la bave aux lèvres : au bout d’à peine deux minutes on attend déjà la suite avec impatience… et la suite va être encore meilleure avec le phénoménal Arise enchainé directement et qui ressemble à un gros monstre écumant d’acide et dégoulinant de saturation avec en prime l’apparition de Colin Webster* et de son saxophone en mode freeture de l’extrême. Un mur du son infranchissable risquant à tout moment la cacophonie mais réussissant à faire naitre une incroyablement sensation d’envoutement. Ou comment rendre le bruit hypnotique. Là tout de suite, j’aurais bien envie de ranger Klämp dans ma boite à groupes de noise-rock seulement voilà, la bête est particulièrement teigneuse et je sens bien qu’elle ne se laissera pas faire aussi facilement. Donc, non. Et tant mieux, tu me diras.

 


Mais reprenons. Klämp est composé de Greg Wynne à la guitare et au chant (Manatees), de Jason Stöll* à la basse (il joue ou a joué dans Sex Swing, dans Twin Sister en compagnie des deux Dead Neanderthals et dans Mugstar et c’est le boss de God Unknown records) ainsi que de Lee Vincent à la batterie. Une triplette de musiciens qui en ont vu beaucoup d’autres et qui n’ont pas pour habitude de se laisser enfermer. Les deux seules constantes véritables de Hate You sont un chant particulièrement vindicatif et abrasif – et blindé d’effets – et, donc, une tension incroyablement accrue et palpable à tous les niveaux – dans le rouge les niveaux, cela va s’en dire – avec comme corollaire une rage grondante et grandissante qui fédère beaucoup de choses. Mais que des choses dont cette gazette internet est particulièrement friande : noise, psyché, post punk machin, metal (si si… écoute un peu le final grassement électrique de An Orb) et que sais-je encore. Je veux bien admettre que j’ai déjà utilisé cet argument multi-style dans le passé, que je l’utilise même assez souvent ces derniers temps mais je n’y peux rien : sans doute y a-t-il dans l’air pollué un poison violent qui pousse tous les groupes intransigeants du moment à aller encore plus loin, bien au delà des références musicales et des influences, pour donner à chaque fois quelque chose d’aussi passionnant que de pertinent, quelque chose d’unique et de rafraichissant. « Rafraichissant » ? Non rien à voir avec une bonne bière mais disons qu’écouter un groupe tel que Klämp fait réellement du bien.

Et fort logiquement je ne sais rien du tout de ce qui m’attend alors que je retourne le disque pour en écouter la deuxième face. Je tombe nez à nez avec un Big Bad Heart robotique, déglingué et chargé de sonorités électroniques – sûrement encore un coup de Wayne Adams, vraiment en forme sur ce coup là – tandis qu’une voix trafiquée répète toujours le même truc, inlassablement. Même si on ne comprend que confusément ces quelques mots on se les prend directement dans la tête, comme un bon vieux crachat de bile corrosive. Puis débaroule TJ, une composition lente, épaisse, malsaine et très répétitive qui tutoie les maitres du genre, quelque part entre Drunks With Guns et Brainbombs, avec toujours cette voix qui racle dans les tréfonds. La tension et la rage montent encore d’un cran. Mais elles n’iront pas plus loin. Dernière plage du disque No Nerves est de loin la composition la plus humainement acceptable de Hate You, avec son refrain parsemé de lala lala pour chanter en chœur avec quelques compagnons d’infortune. Et puis il y a ce développement à tendance progressive, au bout d’un moment. Oui j’ai écrit « à tendance » parce que ce n’est pas très franc non plus, rien de démonstratif ni de péniblement chiant là dedans… et puis tu dois commencer à me connaitre maintenant : dès que j’entends le mot prog je sors mon hachoir à viande électrique. Alors forcément.
Au final Hate You ne dure que vingt huit minutes mais c’est largement suffisant tant l’auditeur en prend pour son grade. Voilà bien un disque qui n’usurpe pas son nom, tout simplement parce qu’il s’en donne les moyens. Et une fois de plus je suis proprement estomaqué par la vitalité et la diversité de la scène musicale expérimentale et DIY / indé qui sévit depuis quelques années maintenant autour de maisons de disques telles que Riot Season, God Unknown records, Box records, Hominid Sounds ou Rocket recordings (que des labels britanniques, tu l’auras bien remarqué)…

[Hate You est publié en vinyle par God Unknown records]


* dois-je vraiment rappeler que Colin Webster et Jason Stöll jouent ensemble au sein des magiques Sex Swing ?


vendredi 30 octobre 2020

Bushpilot / Already !


On nous a tellement fait le coup du groupe inconnu / maudit / séparé trop tôt / suicidaire (rayer les mentions inutiles) que j’ai tendance à ne plus du tout y croire lorsque une nouvelle sensation ressurgit d’un passé fantôme mais supposément glorieux. Même lorsque le label qui balance le truc s’appelle God Unknown records, maison sérieuse et digne de confiance s’il en est. Le groupe en question nous vient tout droit de Leeds, s’appelle BUSHPILOT – parfois orthographié Bush Pilot – et je ne sais pas du tout pourquoi il s’est séparé après un unique 7’ publié en 1994 ni pourquoi il n’avait pas terminé l’enregistrement de son tout premier album. Un disque qui a été complété bien des années après. Sur ce « premier » LP le line-up est composé de Ross Holloway au chant, des guitaristes Adrian Gans et Daren Pickles, du bassiste (puis batteur) Karl Berlin ainsi que du batteur Phil Leigh qui a semble-t-il quitté le groupe peu de temps après. Pour les ajouts et la post-production de 2018 Bushpilot s’est enrichi du bidouilleur, producteur multicarte et multi-instrumentiste Richard Formby.

 


 

Plutôt ironiquement – mais il s’agit d’une douce ironie, de celles qui donnent envie de sourire d’un air entendu et gentiment ravi – intitulé Already ! ce premier album sauvé des eaux a été publié en mars 2020, soit exactement au moment où la moitié des trois quarts de la vieille Europe se confinait face à l’épidémie de covid. Côté timing on aurait pu rêver beaucoup mieux, surtout que ma nature naturellement suspicieuse à l’égard des miracles musicaux et autres morts-vivants mystérieusement ressuscités de l’underground m’a donc gentiment poussé à bouder ce disque pendant quelques longs mois. Il aura fallu que Bushpilot annonce déjà la parution d’un deuxième LP – il arrive ces jours-ci et il s’intitule 23 – pour que je m’intéresse au cas de ce groupe et d’un premier album démomifié. Evidemment j’ai eu tort : Already ! n’est pas un chef-d’œuvre qui révolutionnera notre petit monde en déliquescence mais il s’agit d’un sacré bon disque. Il aurait été vraiment dommage que Bushpilot ne ressorte pas de sa torpeur et que cet album ne voit jamais le jour.
En ouverture de la face A 1993 place la barre très haut, mélangeant accents à la Can avec la frénésie d’un Gang Of 4. Kraut rock et post punk sont ainsi les deux ingrédients principaux d’un disque qui laisse également beaucoup de place au funk (Big Quaalude Thunder Nothing) et aux explosions psychédéliques. Encore un disque qui tambouille nerveusement et imparablement autant d’influences possibles et imaginables en matière de musiques traviolées, barrées voire borderline pour aboutir à un résultat confondant de réussite : j’ai beau chercher je ne trouve aucun temps mort à Already ! et à ses huit compositions exacerbées de tension et de groove électrique. Coté chant on pense souvent à Malcom Mooney – le premier chanteur de Can – mais également, pourquoi pas, à Eric Paul (Arab On Radar, The Chinese Stars, etc) lorsque Ross Hollaway s’embarque dans un registre plus hystériquement aigu et pernicieusement diabolique (toujours Big Quaalude Thunder Nothing, haut la main meilleur titre de l’album). Le plus admirable dans tout ça c’est la confusion temporelle qui nait de l’écoute de Already ! : voilà un disque enregistré il y a longtemps par un groupe du siècle dernier tout en faisant référence à des musiques dont l’acte de naissance est encore plus ancien mais dont le résultat demeure malgré tout intemporel. Sûrement encore un autre effet pervers du confinement.

 

[Already ! est publié uniquement en vinyle transparent par God Unknown records – le coupon mp3 joint au disque permet également de télécharger le 7’ 21st Century Breakdown / Lost Girls et honnêtement je le trouve en deçà de l’album]

 

 

mercredi 25 septembre 2019

Rainbow Grave / No You







Il y a des disques qui vous tombent dessus un peu hasard alors que vous ne vous y attendiez pas vraiment et qui vous font très (très) mal. Et même que l’on en redemande immédiatement. Vas-y fais moi souffrir. No You de RAINBOW GRAVE est de ceux là. Bon… le hasard n’est pas le seul responsable dans toute cette histoire. Tout d’abord No You a été publié par God Unknown records, label britannique responsable de single series à se rouler par terre* ; ensuite Rainbow Grave est un groupe originaire de Birmingham / Angleterre et comprend dans ses rangs un certain John Pickering mais également Nicholas James Bullen. Le premier était bassiste puis le chanteur de Doom, mythique groupe anglais de d-beat/hardcore crust/etc. Le second a été le tout premier bassiste et tout premier chanteur de Napalm Death – c’est lui que l’on peut entendre sur la première face de Scum enregistrée en aout 1986** aux côtés de Mick Harris et de Justin Broadrick, futur Godflesh – mais il a également participé à l’aventure Scorn aux côtés de ce même Mich Harris jusqu’en 1994 et le génial album Ellipsis. Je me suis parfois demandé ce que Nicholas Bullen avait fait bien pu foutre depuis ces premiers hauts (mé)faits ***, le bonhomme trainant cette réputation d’avoir souvent été le mec un peu trop incontrôlable voire instable et que l’on sacrifiait trop facilement pour continuer à aller de l’avant sans lui.

J’ai au moins une réponse en ce qui concerne les années 2018 et 2019**** : Bullen joue de la guitare et chante dans Rainbow Grave. John Pickering tient l’autre guitare. Le line-up du groupe est complété par Nathan Warner à la basse et James Commander à la batterie. Auxquels il convient d’ajouter Benjamin Thomas dont le saxophone apparait sur deux titres de No You. Je ne sais vraiment pas ce qui a poussé ces quatre là à appeler leur groupe Rainbow Grave… un nom sans aucune connotation ni référence, du moins à ma connaissance. Ce qui est certain c’est que la musique de Rainbow Grave n’a strictement rien à voir avec les premiers groupes de Bullen et de Pickering : pas de d-beat, pas de crust et pas de grind avec blast beats effrénés à l’horizon mais au contraire une musique aussi lourde – heavy – que possible, plutôt lente, ultra saturée par la distorsion et la crasse, une musique sale et violente, vicieuse et viscérale, sans concession et impitoyable. Haineuse, presque, ou qui en tous les cas transpire la misanthropie.
Je pense à tous ces groupes complètement fous, désaxés, autodestructeurs et malsains qui ont émaillé l’histoire des musiques électriques déviantes, à commencer par Drunk With Guns pour le côté répétitif, Flipper pour la défonce musicale et même Brainbombs, surtout lorsque le saxophone apparait sur le désormais incontournable Year Zero et le psychotique Assassin Of Hope. Sans oublier Head Of David – certes nettement moins malsain et taré que tous les groupes qui viennent d’être cités – pour les lignes de basse complètement incroyables qui sont en grande partie responsables du caractère pachydermique et oppressant de la musique de Rainbow Grave. Un peu comme les Stooges période Fun House ralentissant au maximum et alourdissant à l’extrême la moindre de leurs idées de composition. Tout suinte la lourdeur et même plus que la lourdeur : No You transpire l’animosité, l’hostilité et la répulsion contre un monde qui nous le rend bien. No You est le disque fielleux et rageux de l’année, peut être même bien le disque de l’année tout court. Ce qui pour un truc aussi volontairement sauvage et nihiliste ressemble à un vrai paradoxe. J’aime les paradoxes.  

[No You a été initialement publié en vinyle de couleur indéterminée et franchement dégueulasse***** par God Unknown records ; le repressage, toujours sur le même label, est en vinyle noir]

* parmi tous les groupes au programme de ces single series citons Gnod, MoE, Sly & The Family Drone, White Hills, Part Chimp, Kuro, Bruxa Maria, Action Beat, The Blind Shake, Dead Neanderthals, Casual Nun, Mainliner, Agathe Max, Acid Mothers Temple, Silent Front, Henry Blacker, Hey Colossus… n’en jetez plus ! God Unknown records en est déjà à sa quatrième série de splits et ce ne sont presque que des incontournables !
** la seconde face de Scum a elle été enregistrée en mai 1987 par le line-up Lee Dorian/Bill Steer/Shaine Embury/Mick Harris
*** et le site internet de Nicholas Bullen nous apprend que depuis cette très lointaine époque il a fait des tonnes de trucs dans les domaines de la musique ou de la vidéo
**** en 2018 Rainbow Grave a publié le single Sex Threat b/w You Are Nowhere dont les deux titres ne figurent pas sur No You, à bon entendeur…
***** officiellement la couleur c’est « pink marble » moi j’appellerai plutôt ça « gasoil », ce mélange imbuvable obtenu avec du pastis, du sirop de grenadine et du sirop de menthe

mercredi 28 août 2019

Comme à la radio : Mésange






C’est tout à fait par hasard et suite à une belle rencontre que j’ai pour la première fois entendu parler de MÉSANGE. Pourtant le groupe fondé par Agathe Max et Luke Mawdsley ne date pas vraiment d’hier et a même déjà publié deux albums entre lesquels mon petit épiderme affectif n’arrive pas toujours à choisir. 





Heliotrope date de 2017 et me semble être l’album le plus classique et le plus balisé de Mésange. Mais il n’en est pas moins beau. Seulement les climats et atmosphères qu’il distille sont encore un peu trop colorés par le post rock romantique et brumeux hérité d’un Godspeed You! Black Emperor. Quelques rares percussions rappellent à l’occasion que Mésange pourrait être un groupe de rock instrumental et mélancolique… Mais pas que, comme le duo arrivera à le démontrer par la suite.






Gypsy Moth (2018) a beau être plus court que son prédécesseur, il est plus dense, plus palpitant et plus ambient. Notamment la guitare a tendance à s’y épaissir, les sonorités deviennent plus fantomatiques (le génial Stars est tout simplement une ode sucrée à l’étrangeté) et il devient de plus en plus difficile de ranger Mésange dans la catégorie fourre-tout des groupes de post-rock bien que sa musique ait en même temps fortement gagné en pouvoir cinématographique. Je sens même comme une certaine exubérance derrière toute cette lenteur en clair-obscur définitivement débarrassée de tout faux empèsement : le groupe crée son propre cérémonial, entre volutes magiques et étrangetés narratives. Parmi toutes les surprises que nous réserve Gypsy Moth il y a Foe sur lequel on peut entendre la voix d’Agathe Max. Quant aux emblématiques The Return et Smile, voilà deux compositions teintées de relents doom et sombres du meilleur effet.

Alors vivement un troisième album et, pourquoi pas, une série de concerts de ce côté ci de la planète (merci !).

[Heliotrope et Gypsy Moth sont publiés en vinyle par God Unknown records