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jeudi 13 mai 2021

Dead Neanderthals : Rat Licker


 


 

En toute logique j’aurais du faire très court pour cette chronique : Rat Licker, le dernier disque en date des très prolifiques DEAD NEANDERTHALS, ne dure que 9 (neuf !) minutes pour un total de 12 (douze !) compositions. C’est ce qui s’appelle être lapidaire. Mais ce qui pourrait passer à tort pour un nouvel exercice de style n’en est pas moins un enregistrement extrêmement digne d’intérêt.
Le duo hollandais formé par le saxophoniste Otto Kokke et le batteur René Aquarius est, on le sait, du genre joueur mais aussi friand en collaborations diverses et variées, ce qui lui a souvent permis de mutiplier les plaisirs mais aussi de brouiller les cartes – citons Prime, enregistré en compagnie du saxophoniste anglais Colin Webster, Crater avec le bassiste français Maxime Petit, Molar Wrench en collaboration avec Sly & The Family Drone, Dietary Restrictions avec le génial guitariste américain Nick Millevoi ou l’album sans titre enregistré sous le nom de Twin Sister avec le bassiste et boss du label God Unknown Jason Stoll (avec une nuance de taille : Kokke y délaisse le saxophone pour jouer du synthétiseur et ce disque est d’ailleurs l’une des meilleures choses à avoir vu le jour au cours de l’année 2020). Mais avec Rat Licker les deux compères se retrouvent seuls face à face, sans personne d’autre, et jouent ouvertement la carte d’un grind-jazz volcanique.
J’ai mis autant de temps pour écrire les deux premiers paragraphes de cette chronique que j’en aurais mis pour écouter Rat Licker quatre ou cinq (six ?) fois d’affilée. Tout y va terriblement vite, tout s’enchaine parfaitement et aucun temps mort ne vient rompre la furie d’un disque monobloc. Bien que l’on puisse isoler un à un tous les titres du disque ils forment en même temps un seul et unique gros pavé dans la gueule, une série d’électrochocs, une succession de violentes décharges de freeture suraigüe au saxophone (parfois jusqu’au larsen) et doublées de martèlements rythmiques. Le tout avec des noms de morceaux très imagés tels que Cop Meat ou Scalp Wound qui rappelleront ceux d’un certain Naked City.
On pourra effectivement trouver que l’ombre du groupe de John Zorn plane sur Rat Licker – on peut aussi penser au premier album éponyme de Ground Zero, l’ancien groupe d’Otomo Yoshihide – mais je trouve la version proposée par les Dead Neanderthals du mélange tornade jazzcore / métallurgie de l’extrême beaucoup plus rigolote, plus désinvolte, plus punk à vrai dire. Zorn composait beaucoup, or on a vraiment l’impression que Otto Kokke et René Aquarius ont préféré jouer et jouer encore sans trop se poser de questions ni élaborer de plan d’action trop défini à l’avance. Si préméditation il y a – et évidemment qu’il y en a – il s’agit uniquement d’une volonté de départ et qui se suffit à elle-même pour donner libre cours au désir des deux musiciens de tout envoyer valser à grands coups de stridences (parfois à l’aide de pédales d’effet) et de blasts déglingués. Le résultat final est très drôle – ludique, si tu préfères – et jamais engoncé ni limité par des intentions trop identifiables. Sauf celle de jouer une musique libertaire et bruyante comme peuvent l’être le free jazz et le hardcore / grind et donc le mélange des deux.



[Rat Licker est publié sous la forme d’un 7’ par presque autant de label que sa durée comporte de minutes : Burning World records, Consouling Sounds, EveryDayHate, Moving Furniture records, God Unknown records, Sentencia records et Utech records]


lundi 28 mai 2018

Neige Morte / TRINNNT








Le groupe qui a enregistré TRINNNT est – je simplifie un peu, beaucoup – la troisième incarnation de NEIGE MORTE. Et sans aucun doute la meilleure à ce jour. Après le départ du premier chanteur attiré par les sirènes impérieuses de la pré-retraite, le guitariste et grand ordonnateur du groupe a décidé de continuer l’aventure et de s’occuper lui-même des voix. Mais pour cela il lui fallait un peu plus d’espace côté guitares et donc de l’aide : celle d’un bassiste nouveau venu, plutôt virtuose et très technique (il joue sur une cinq cordes avec tous ses doigts et je suis à peu près sûr qu’il est fan de Magma et de Meshuggah) pour prendre en charge quelques unes des parties du guitariste et en ajouter de nouvelles bien à lui. Parce que continuer à tout faire tout seul mais avec l’appui d’un octaver et d’un rack bidonné d’effets n’aurait sans doute pas toujours été suffisant ni toujours très efficient. Résultat, avec l’association d’une guitare et d’une basse le son de Neige Morte s’est encore plus texturé mais na pas fondamentalement gonflé – phénomène après tout difficile à envisager  lorsque on a auparavant écouté le déjà incroyable et particulièrement aliéné Bichephale, précédent album du trio – et, en fait, c’est une bonne partie de la musique de Neige Morte qui a changé. Dans toute sa radicalité. 

D’un mélange entre black metal bruitiste et structures à la limite de l’abstraction free, Neige Morte a glissé vers une musique davantage influencée par le Death et l’atmosphérique déviant. Tout en gardant son côté noise et insidieux. Attention : ici tout est toujours tordu, fulgurant voire parfois martelé, on ne peut plus malsain, noir de chez noir, glauque, d’un metal peu commun et donc déstabilisant pour un amateur lambda de métalleries hygiéniques et qui risque de trouver TRINNNT (comme la plupart de ses prédécesseurs) peut-être un peu trop cérébral et conceptuel. Or il n’en est rien. La musique de Neige Morte ne se la raconte pas, ne fait étalage d’aucune gratuité technique et convoque les sens avant tout. Le trio pioche toujours dans le metal extrême du début des années 90 mais il a en quelque sorte juste changé de bord, voire de continent d’adoption, échangeant un peu du souffre (souffle ?) létal de sa musique possédée et haineuse contre du plomb et une lourdeur se cristallisant jusqu’à l’évanescence. 

Avant il fallait faire un peu plus d’effort pour entrer dans la musique de Neige Morte et accepter de suivre le trio dans ses labyrinthes obsessionnels et psychopathes. La douleur était le prix à payer. Désormais le groupe prend moins directement à la gorge, s’empare de l’auditeur par étouffement, l’enferme dans une chape quasiment nébuleuse. L’architecture est moins alambiquée, il y a moins d’angles mais beaucoup plus de zones d’ombre d’où émergent des sons de guitare malades qui n’ont plus grand-chose à voir avec les conventions classiquement exterminatrices du metal (le bien-nommé Niquez Bien Toutes Vos Mères). Et, étrangement, on finit par se sentir inexplicablement bien en écoutant TRINNNT. Les tourbillons métalliques se muent en hypnose cathartique, la toxicité de la jouissance s’alliant avec l’addiction de la possession, la musique prenant les rênes de l’inconscient, jusqu’à l’aboutissement magistral offert par la dernière plage du disque, intitulée Le Lac, sorte de mantra violemment flottant et apocalyptique. Comme une résurrection dans le néant.

[TRINNNT est publié en vinyle par Division Records, Dullest Records et Grains Of Sand ; en CD par Consouling Sounds ; la version numérique est disponible chez Atypeek music]