En novembre 2012 Charlie Looker
annonçait la séparation d’EXTRA LIFE en expliquant que la créativité du
groupe dont il était le leader incontesté se tarissait et qu’il ne pourrait jamais
faire mieux que tout ce qu’il avait entrepris jusque là. Les fanatiques d’Extra
Life se sont roulés par terre avec un sentiment de détresse insondable et ont
pleuré toutes les larmes amères de leurs corps – ses détracteurs se sont
contentés de ricaner – mais on ne pouvait que saluer la décision et le courage
d’un musicien suffisamment lucide et honnête avec lui-même pour mettre fin à une
aventure qu’il avait su mener loin, très loin.
L’affaire semblait définitivement pliée mais était aussi un peu triste, c’est
vrai. Suite au split d’Extra Life, Charlie Looker a multiplié les
projets (le très poppy-médiéval Seaven Teares en compagnie
de la chanteuse Amirtha Kidambi, le pseudo métallique et lourdingue Palsm Zero ou en solo) pourtant
aucun des disques qu’il a enregistrés pendant cette période n’a été réellement à
la hauteur ni a réussi à faire un peu oublier qu’envers et contre tout, Extra
Life manquait vraiment… Et dix années plus tard, le bilan du groupe est
toujours aussi éloquent : trois albums studio, quelques EP et surtout des
souvenirs mémorables de concerts passionnants si ce n’est incandescents* – n’était-ce
finalement pas suffisant pour, malgré tout, continuer d’entretenir la
passion ?
Apparemment non : en juillet 2022, Charlie Looker a procclamé la
réactivation d’Extra Life
et l’ambivalence a immédiatement pointé le bout de son nez, entre la joie de
voir réapparaitre un groupe chéri et l’inquiétude de ce que cette remise sur
pieds – on n’ose pas parler franchement de reformation bien que cela en
soit une – allait pouvoir donner : si la musique de Charlie Looker s’était
montrée si décevante ces dix dernières années, si sa créativité était réellement
en berne, est ce que relancer son projet fétiche allait y changer quelque
chose ? La nouvelle formation d’Extra Life a les mêmes
caractéristiques que celle qui avait enregistré Secular Work pendant
l’été 2007 (guitare, basse, batterie, violon et voix) mais les musiciens ont
changé. Et de la dernière incarnation du groupe, celle de l’album Dream
Seeds en 2012, seul le violoniste Caley Monahon-Ward est encore présent,
Toby Driver de Kayot Dot s’occupant désormais de la basse et Gil Chevigné de la
batterie**. La pochette signée Zev Deans
est elle très explicite, entre inspiration moyenâgeuse, brutalité esthétique et
poésie sanglante, parfait reflet de ce que peut être la musique d’Extra Life.
Une illustration réaffirmant et soulignant surtout, peut-on penser, les
intentions de Looker au sujet de Secular Works vol.2, loin des pochettes
arty et mystérieusement décalées auxquelles son groupe nous avait habitués dans
le passé.
Secular Works était l’album le plus musclé d’Extra Life et l’on
s’en souvient encore, rien que pour certaines de ses parties rythmiques que
n’auraient pas renié les Swans. Secular Works vol. 2 se veut plus
virulent et plus compact mais sonne surtout grandiloquent et nettement moins
affiné. La distinction et l’élégance – la noblesse, pourrait-on dire – sont ce
qui a toujours préservé le groupe des méfaits du maniérisme. Un
talent incroyable pour appuyer les circonvolutions d’une musique paradoxalement
aussi haute en couleurs que subtile (y compris le chant si particulier de
Charlie Looker, que l’on pourrait résumer à celui d’un Morrissey en crinoline
vocalisant sur des Motets composés par Guillaume De Machaut). Hélas, Secular
Works vol. 2 ne possède pas grand-chose de ces qualités et ce que l’on
retient surtout de ses cinquante minutes c’est trop de théâtralité et une
préciosité qui confinent au ridicule. Exactement les critiques que j’entendais
au sujet d’Extra Life il y a plus
d’une dizaine d’années mais qu’à l’époque je refusais en bloc, vent debout.
Aujourd’hui je ne peux que constater et admettre le fossé sans cesse
grandissant entre l’intention initiale de beauté à l’œuvre sur Secular Works
vol. 2 et le résultat obtenu, lyrique mais sans émotions, sans mystère là
aussi, dense mais étouffant, sorte de monstre de Frankenstein musical mal rapiécé
et réassemblé à partir de recettes qui ne fonctionnent pas, ne fonctionnent
plus. C’est regrettable à dire mais Extra Life dans sa version 2022/2023
ne ressemble qu’à une copie pâlichonne bien que souvent testostéronée de
lui-même, la personnalité pourtant hors-normes du groupe se perdant dans une surenchère
assez grossière et des arrangements qui n’hésitent plus à forcer sur le mauvais
goût (il y a quelques rares exceptions tel que le très léger We Are Not The Same).
Je ne sépare jamais l’homme de l’artiste – du musicien – et je ne saurais
douter de la sincérité de Charlie Looker. Oui je ne doute pas qu’il a pensé
bien faire, qu’il pense avoir eu raison et j’irai même jusqu’à dire
qu’il a été dans le vrai en reformant Extra Life, s’il l’a d’abord fait
pour lui-même et parce qu’il en avait besoin. Mais je ne crois pas une seule
seconde ni ne suis touché par Secular Works vol.2… Extra Life a
toujours été un groupe unique, parce qu’inimitable et surtout un groupe un
groupe très clivant : il y a les personnes qui adorent, celles qui détestent et
rien entre les deux. De ce point de vue là au moins, on ne dira pas que les
choses ont beaucoup évolué.
[Secular Works vol.2 est publié en double vinyle et en CD par Last Things, le
propre label de Charlie Looker]
* pour celles et ceux
qui veulent voir ou revoir Extra Life en concert, le groupe tourne en Europe en ce mois de janvier
** Nate Wooley à la trompette et Michael Atkinson au cor participent au disque
en tant qu’invités