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vendredi 13 janvier 2023

Valve : Thermoclines

 



Tout est question de profondeur. Les toutes premières secondes de XXXIII ressemblent à une chute vertigineuse et inévitable, un espace-temps suspendu, un faux silence précurseur et annonciateur des masses sonores monstrueuses qui bientôt vont nous écraser, l’appel du chaos qui va nous emporter. VALVE est un groupe parisien : un chanteur très présent et diversifié – il n’a rien d’un simple beugleur sans imagination –, deux guitares tout aussi inventives et une rythmique de plomb et implacable dont on appréciera également la souplesse, via des lignes de basse distinctes et évoluées. Un groupe à la présence forte, particulièrement efficace en concert et dont Thermoclines est le premier véritable enregistrement long format. Quatre compostions dont la plus courte avoisine les sept minutes et la plus longue flirte avec le quart d’heure.
Autant dire tout de suite que Valve est un groupe qui préfère l’épaisseur, la densité et les contrastes aux bavardages sans fond. Des bifurcations et des changements, Thermoclines ne propose pratiquement que ça, mais sans aucune hésitation ni errance – changements de rythmes, d’atmosphères, de volumes, de hauteur, de textures et de couleurs, toutes les nuances et toutes les densités de noir y passent. Puisant aussi bien dans le sludge, le (post) hardcore que le doom, les cinq musiciens savent tirer parti des matières offertes et des langages déjà connus pour capter l’attention, dans le bon sens du terme : il ne s’agit pas se la raconter mais – tout simplement et on ne peut plus humainement – de raconter. Lorsqu’il y a de la double pédale, ce n’est pas juste pour le plaisir d’en rajouter. Lorsque tout s’accélère au milieu de Schism, ce n’est pas par coquetterie. Lorsque le chanteur s’époumone si violemment que l’on finit nous-mêmes par en avoir mal, ce n’est pas par volonté de montrer ses muscles. Lorsque les guitares alternent modes atmosphériques et blocs de saturation, ce n’est pas pour le décorum du chaud et du froid. Tout dans la musique de Valve a un sens et, surtout, fait sens.
La narration est donc un élément primordial. Chacun des titres, possède un vrai début et une vraie fin – vrai car on y croit immédiatement – avec entre les deux un fil conducteur tortueux mais lisible, Valve ayant, on l’a déjà dit, cette capacité hautement estimable, pour un groupe qui a choisi les difficultés des longues distances et des mouvements massifs, de nous tenir de haleine. Ecouter Thermoclines c’est accepter de nager dans des eaux troubles et sombres, quitter la surface des choses, plonger dans l’obscurité pour y chercher la lumière, trouver ce à quoi on ne s’attendait pas, des réelles surprises – la montée des guitares en mode noise entre les quatrième et cinquième minutes de Kabuki par exemple, un vrai bonheur, parce que fulgurant – et la musique de Valve de s’imposer de la meilleure des façons, syncrétique et viscérale. Une musique qui fait corps avec expertise et personnalité et qui surtout donne envie de faire corps avec elle.

[Thermoclines est publié en vinyle doré, blanc ou transparent, en cassette et même en CD par Itawak records, Moment Of Collapse, Poutrage et Yoyodyne records – l’artwork très psychémétaphorique est signé Ëmgalaï]


mercredi 16 mars 2022

Henchman : Pictures On The wall

 

« Punk hardcore noise dans la veine de Black Flag, Jesus Lizard ou Shield Your Eyes »… Voilà des références – trois groupes évidemment plus qu’appréciés par ici – particulièrement prestigieuses, encombrantes et balancées par HENCHMAN dans son message de présentation de Pictures On The Wall. A cette lecture mon sang de vieux grincheux n’a fait qu’un tour puis j’ai préféré en rigoler. Et, même si j’aime bien adore ça, je ne vais pas trop faire le méchant : le trio parisien qui pourtant n’a rien d’une bande de débutants acnéiques et naïfs tout juste sortis de leur cave ou du salon de papa-maman n’avait pas besoin d’utiliser des arguments aussi imprudents pour me convaincre d’écouter son deuxième album. Parce qu’en fait il avait juste frappé à la bonne porte*.







Tu prends donc du chant qui braille comme il faut bien qu’un peu trop systématique et monotone, des riffs tapageurs et accrocheurs, des solos de guitare tout niqués et sans queue ni tête, des grosses lignes de basse et globalement une section rythmique volumineuse qui file droit, tu mélanges le tout dans un shaker hardcore-noise (ah oui : là je suis plutôt d’accord) et tu obtiens un disque vif, vivifiant, réussi et même largement au dessus de la moyenne. Pas super original et pas du tout révolutionnaire – et puis quoi encore ? – Pictures On The Wall joue la carte de l’énergie au carré et de la mélodie en guise de vernis anti-corrosion. C’est assez simple mais tellement efficace. Guillaume (guitare et chant), Vianney (basse) et Laure (batterie) ont pourtant ralenti le rythme depuis Void In Between (2018), épaississant leur côté hardcore, pimentant leur noise-rock bouillonnant, se rapprochant éventuellement du garage noise d’un Tendinite – au moins au niveau du volontarisme électrique – et restant bien installés dans le registre de la ténacité.
Henchman aurait-il muri ? Allons, allons, pas de gros mots s’il vous plait, la musique du groupe reste juvénile et enflammée mais elle a gagné en tenue de route tandis que les compositions sont beaucoup mieux foutues et davantage variées, plus consistantes. Tout en renonçant à certaines facilités d’écriture Henchman gagne encore plus en efficacité et continue de fonctionner à l’instinct, ce qui compte par-dessus tout c’est la justesse de l’effet produit. Les trois musiciens excellent désormais sur les tempos lents (Skinned Alive) ou, plus généralement, lorsqu’ils n’essaient pas d’être plus rapides que leurs ombres et privilégient l’assise et la solidité. Par exemple le splendide Gamma Ray qui ouvre la deuxième face du disque avec sa ligne de basse et son riff à faire headbanguer tous les quinquas noiseux-rétrogrades de ce monde en chute libre mais qui se paie le luxe d’une courte accélération finale du meilleur effet (décidemment, on ne se refait pas).
Comme pour me faire mentir, Henchman a malgré tout placé l’une de ses compositions parmi les plus virulentes et les plus rapides – et aussi l’une des meilleures – à la toute fin de Pictures On The Wall. Dive offre une conclusion parfaite au disque car trop souvent les groupes mettent en guise de voiture-balai les titres qui les comblent le moins, ceux qu’ils jugent les plus faibles ou les plus mous mais ce n’est absolument pas le cas ici. Henchman est finalement un groupe avisé et qui démontre surtout qu’il a du répondant et qu’il n’y a rien à jeter sur son disque.

[Pictures On The Wall est publié en vinyle et avec pochette gatefold par Araki, Crapoulet, Dead Punx records, Emergence records, Entes Anomicos, Itawak records, Jungle Khôl, Skate Pizza, Sonatine Produzioni, SP Discos et Transistor 66… est ce que j’ai oublié quelqu’un ?]

* à ce propos je te rappelle une nouvelle fois qu’Instant Bullshit refuse catégoriquement tout envoi de supports physiques (vinyles, CD ou cassettes) mais que son comité rédactionnel peut être contacté à hazam[arobase]riseup[point]net et que les liens d’écoute ou de téléchargement seront toujours les bienvenus – sans aucune réponse au bout de quelques jours semaines mois c’est que l’affaire est entendue (sic) et qu’il n’y aura aucune chronique de ton disque dans cette gazette internet 

 

mercredi 29 septembre 2021

Milkilo : Abandon


La présentation d’Abandon est d’une méticulosité affinée et d’une rigueur redoutable qui me laissent sans voix mais surtout béat d’admiration. Tout dans le soin apporté au graphisme et au contenu de la pochette et de l’insert impressionne, même le vieux ronchon psychorigide et maniaque que je suis. Chaque intervenant·e et chaque personne impliqué·e dans le deuxième (troisième ?) album de MILKILO est dument mentionné·e ou remercié·e selon un ordre étudié, avec une police de caractères précise, un souci permanent d’homogénéité et un (chouette) esprit d’unicité et de partage. Tout y est. Sans oublier les belles photos – signées Marina Uzelac – porteuses d’un flou très poétique et de mouvements lumineux. Et si tu es du genre bordélique et que tu ranges tes vinyles n’importe comment sur ton étagère (ou pire, malheureux hérétique, si tu les laisses trainer n’importe où) le nom du groupe et le nom du disque ont été imprimés sur les trois tranches fermées de la pochette. C’est imparable.







Milkilo est un duo instrumental basse/batterie de Saint Etienne. Sa musique est très monolithique et imagée, très construite et architecturée, variée et haletante comme une course-poursuite. Du foisonnement, beaucoup d’idées qui fusent et de choses/impressions/sensations à faire passer mais pas n’importe comment. On peut lire dans l’insert que la composition et la conception d’Abandon auront pris plus d’une année au duo, s’étalant entre 2019 et 2020. Et cela se sent : là aussi rien ne semble avoir été laissé au hasard, chaque élément est à sa place, chaque rebondissement musical est comme scénarisé, chaque intervention, chaque apparition d’une sonorité nouvelle s’intègre dans l’ensemble, soit en soulignant le mouvement général, soit en faisant contrepoint et marquant le début d’une nouvelle phase. Difficile de faire plus cinématographique que la musique de Milkilo mais cependant celle-ci n’a que peu – voire pas du tout – de points communs avec le post rock et à peine plus avec le post hardcore. Bien que le groupe utilise quelques éléments ascensionnels propres à ces musiques là et bien que le mastering du disque ait été confié à Magnus Lindberg de Cult Of Luna.
Les neufs titres d’Abandon sont relativement courts pour de la musique instrumentale (entre quatre et cinq minutes, Qirmzi descend même aux alentours de deux) et ne perdent donc pas de temps, comme toute bonne composition de rock qui se respecte et qui respecte ses auditeurs. Il est clair que les deux musiciens préfèrent les déchainements électriques aux développements progressifs et chez Milkilo on tient avant tout aux notions d’impact et d’emprise, malgré toute la sophistication et toute l’attention apportées – ces deux là jouent un peu comme des brutes de technique : le bassiste taquine même de la cinq-cordes. Le vocabulaire employé est très large, alliant lourdeur, épaisseur, moments épiques, turbulences, fulgurances, faux-plats, aérations/dégazages ou chausse-trappes, tout en ne s’interdisant pas quelques fantaisies bien trouvées (les résonances black metal de Matze). La seule constante d’Abandon – hormis son caractère hautement énergétique – c’est sa puissance mélodique. Jamais Milkilo ne tombe sciemment dans le bruit pur ou le chaos facile à l’usage des sourds et l’explosivité de sa musique révèle une abondance de trajectoires hautes en couleurs et en variations de volumes et de formes qui toutes convergent en un point que seuls les deux musiciens semblent connaitre… Mais à aucun moment non plus je me suis senti manipulé à l’écoute du disque et, bien au contraire, j’ai suivi la seule voie qui s’ouvrait devant moi : celle de l’abandon dans la musique (oui).

[Abandon est publié en vinyle (le mien est bleu/vert transparent mais il existe plusieurs versions, toutes à tirage limité et numéroté) et en CD (couleur cédé) par Araki records, Bad Health records, Itawak records et Vox Project – respecter l’ordre alphabétique c’est important]


vendredi 2 octobre 2020

Satan / Toutes Ces Horreurs

 

SATAN est un groupe qui ne fait rien comme les autres. Ce qui en soit peut être considéré comme un véritable petit exploit non seulement parce que nous sommes en 2020, que le monde musical est devenu complètement consanguin depuis quelques années, chacun copiant le voisin de l’autre, mais surtout parce que Satan est, pour le dire très vite, un groupe de black metal. Mais un groupe de black qui joue son propre truc, à la punk – Satan parle de « possessed punk » – autrement dit le groupe fait une musique très personnelle et exacerbée alors qu’elle tire ses racines dans des genres particulièrement définis, codés et identifiables, la plaie de notre monde post-moderne qui aime tellement contempler son reflet.
Mais je devrais plutôt employer le passé, le groupe ayant annoncé qu’il arrêtait ses activités suite aux départs du bassiste Michael Simon et du guitariste Hugo Muin, ce qui fait quand même beaucoup mais démontre, s’il en était encore besoin, que ces quatre garçons ne faisaient pas semblant et surtout le faisaient ensemble. Toutes Ces Horreurs est donc une sorte d’album testamentaire. Et l’ultime concert de Satan auquel je devais assister aurait du avoir lieu au mois de mars dernier, quelques jours à peine après le début du premier confinement… Tant pis et je ne suis pas triste : j’ai vu de très grands concerts du groupe, des moments très forts – je me rappelle entre autres de celui donné à L’Oblik, défunt squat lyonnais. 

 


 

Toutes Ces Horreurs, voilà un titre d’album qui ne laisse guère place au doute. Et du doute il n’y a pas non plus lorsqu’on découvre le très étonnant Confiture Pour Cochons, sorte de poème pas si extravagant que cela, agrémenté par les couinements du saxophone de Ben Sim soulignant un texte de Léo Vittoz que l’on peut prendre comme une déambulation poétique et surréaliste mais qui constitue une véritable déclaration esthétique et politique : tout ce qui nous semble si joli et si propre est en fait tellement laid et tellement sale et nous, nous sommes encore plus laids et encore plus sales. A l’opposé et dernière plage du disque, Lève-Toi Et Rampe fait le ménage : ce titre atmosphérique et mystérieux enregistré en compagnie de deux membres de Picore – Frédéric Juge, batteur de Satan, a joué dans ce groupe dont je ne sais pas s’il existe encore – pourrait casser l’ambiance mais il résonne assez lourdement, en fait je me demande toujours s’il n’a pas été inclus à la fin du disque comme pour signifier un coup d’arrêt, comme si le groupe avait décidé depuis longtemps qu’il allait tout stopper.
Entre ces deux extrêmes – la déclaration d’intention de Confiture Pour Cochons et le final en queue de poison* de Lève-Toi Et RampeSatan poursuit sur la lancée de son précédent album, le magnifique, amer et corrosif Un Deuil Indien, délaissant encore un peu plus son côté punk/crust, accentuant toujours davantage son côté black mais sans jamais se renier (les chœurs très oï de Zone D’Inconfort). Le groupe joue toujours aussi vite, avec une technique d’autant plus ahurissante qu’on parvient sans peine à l’oublier, les riffs sont toujours aussi destructeurs, le chaos fait toujours figure de grand leitmotiv (des fois au sens propre, comme sur L’Ennemi Déclaré) et la musique de Satan garde sa rage intacte (Le Sang Des Bêtes, très impressionnant) y compris lorsque le groupe joue les prolongations sur le morceau-titre, ce qui lui va très bien et démontre qu’il avait encore plus d’un tour dans son sac. Je ne pourrai pas oublier 
Satan ni oublier son entièreté et cette volonté exceptionnelle bien éloignée de celle d’une musique violente et viscérale uniquement pour le plaisir de l’être, cette rage qui signifiait réellement quelque chose, cette aigreur qu’il fallait impérativement faire sortir, ces compositions qui mine de rien ont tenté de donner aux musiques extrêmes rabâchées de nouvelles significations. Je vais continuer à aimer Satan. Très fort.

 

[Toutes Ces Horreurs est publié en vinyle par Amertume, Croux records, Deaf Death Husky records, Itawak, Jungle Khôl, Lilith records et Throatruiner records]

 

* non ceci n’est pas une coquille