Conseil d'utilisation : ceci n'est qu'un blog. Mais sa présentation et sa mise en page sont conçues pour qu'il soit consulté sur un écran de taille raisonnablement grande et non pas sur celui d'un ego-téléphone pendant un trajet dans les transports en commun ou une pause aux chiottes. Le plus important restant évidemment d'écouter de la musique. CONTACT, etc. en écrivant à hazam@riseup.net

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mercredi 16 novembre 2022

Tereglio & The Healthy Boy + Boucan + Casse Gueule + Fleuves Noirs + Schleu @Grrrnd Zero [12/11/2022]

 



Encore une grosse soirée à Grrrnd Zero avec des musiciens et des groupes qui ont déjà publié ou vont publier des disques sur le label Jarane, organisateur de tout ce merdier.
Au programme : un très beau duo composé de Tereglio et de The Healthy Boy, les toujours aussi explosifs Boucan, Casse Gueule parodique et décalé comme là-bas dis, Fleuves Noirs encore plus déroutants et hypnotisants que sur disque et enfin les Schleu complètement déchainés malgré l’heure tardive. Un mélange bien éclectique et une toute petite nuit pour s’en remettre.




































































































































vendredi 23 septembre 2022

Angry Silence : Strange Times Call For Strange Measures

 

Plouf. Plouf. Plouf. Je ferme les yeux, j’avale la dernière taffe de ma cigarette, la fumée se mélange dans ma bouche à un reste de café trop sucré et de gueule de bois. C’est le bon moment pour mon jeu préféré. Je prends un disque au hasard pour le faire tourner sur la platine – en bon monomaniaque tous mes disques sont classés par ordre alphanumérique (la logistique et le magasinage, c’est peut-être un métier mais c’est surtout un travail de merde) pourtant il y a un endroit où je mets tous ceux que j’écoute en ce moment, ceux dont je me dis que j’aimerais les réécouter bientôt, ceux que je n’ai pas encore assez écoutés, ceux que j’aimerais chroniquer mais comme je n’y arrive pas je ne me force pas non plus et d’autres que j’ai un peu oubliés, sans raison apparente – mais j’ai déjà raconté tout ça plein de fois, sûrement trop souvent. J’ai donc ressorti Strange Times Call For Strange Measures, le premier album d’ANGRY SILENCE. Un disque précisément beaucoup écouté à sa sortie au Printemps dernier, genre plusieurs fois de suite, à diverses occasions. Et puis plus rien.







Il était peut-être écrit dans le marc de mon café ou alors c’était inconscient de ma part – mais je n’y crois pas une seule seconde –  qu’Angry Silence devait refaire surface au milieu de mon oisiveté dominicale de travailleur, sous ce soleil presque automnal. Le groupe est entre autres composé d’actuels ou anciens membres de Besoin Dead et de Litovsk, un groupe que j’ai revu il y a peu, toujours aussi épatant en live, avec ses deux chanteurs. Et justement l’un des deux est également chanteur d’Angry Silence, auteur des paroles de Strange Times Call For Strange Measures, très personnelles (« dans ma tête » précise t-il dans un petit texte imprimé sur la pochette intérieure du disque) et qu’il dédie à ses ami·es, sa famille, son père. Plus loin on peut lire aussi cette phrase : « Angry Silence ne veut pas de chroniques de disque dans les magazines financés par des pubs pour des entreprises du CAC 40 mais vous encourage à écrire votre propre fanzine ». Le ton est donné mais ce n’est pas tout. Sur la page bandcamp du groupe on trouve l’explication du pourquoi et surtout du comment* de la pochette (sérigraphiée) conçue par Bonjour Grisaille. Ne jamais faire les choses pour rien.
Il y a surtout la musique d’Angry Silence. J’écris « surtout » parce que c’est toujours ce qui m’a intéressé en premier, la musique, bien que j’ai appris et compris depuis longtemps qu’il y a bien des façons différentes d’en faire et que la musique est forcément porteuse de ces façons. J’ai compris qu’il y a des modes de fonctionnement, des idées, des engagements qui me plaisent et me conviennent et d’autres non (le commerce et le spectaculaire). J’écris « surtout » parce qu’avec Strange Times Call For Strange Measures je me suis retrouvé plongé du cœur et de la tête – sans aucune nostalgie pourtant – dans l’indie rock des années 90, ses guitares subtilement dissonantes, ses rythmiques légères, son retrait mélancolique. Une musique connue sur le bout des doigts mais qui – comme tant d’autres – peut se retrouver ressuscitée et même bonifiée par des groupes de maintenant.
Qu’importe le temps passé, qu’importe les modes, les contre-modes, les pauses, les calculs et les stratégies, il y aura toujours je l’espère des groupes tels que Angry Silence, des groupes dont ni la sincérité ni l’implication ne pourront jamais être remises en cause. Ce n’est peut-être pas grand chose, ce n’est peut-être qu’un disque – bien que l’on ne puisse que comprendre que pour les membres du groupe il s’agit de bien plus que cela – mais c’est plus qu’important. Pour moi en tous les cas ça l’est : se confronter à une musique et des personnes qui ne trichent pas, font leur truc à eux. Des personnes qui ont des choses à dire, des luttes (personnelles et collectives) à mener, des personnes qui partagent.

* si tu télécharges (à prix libre) Strange Times Call For Strange Measures sur b*ndc*mp tu pourras également lire ceci mais je ne peux que te conseiller d’acheter ce disque auprès de l’un des nombreux labels qui l’ont publié : Coolax – 6 hent Tanguy Prigent, 22420 Le Vieux-Marché –, Crapoulet, Dans Le Vide,  Emergence records, Epicericords, Les Disques de la Face Cachée, Jarane, Lucane Distro et Red Wig.

 

jeudi 1 septembre 2022

Chafouin : Toufoulcan

 




Il se passe un truc plutôt curieux entre moi et CHAFOUIN. La musique du groupe ressemble à pas grand-chose que je connaisse et apprécie vraiment, du moins ne ressemble pas à quelque chose que j’écouterais spontanément, comme ça, parce que cela ferait partie de moi. Mais c’est pourtant ce qu’il se passe à chaque fois. Tu connais forcément le syndrome de l’humeur musicale qui te fait choisir un disque ou une musique selon le moment, la météo, tes envies, tes non-envies, la gravité de ta gueule de bois, l’état de décomposition plus ou moins avancée de ton tube digestif, le bordel insupportable de tes voisins qui font tourner le barbecue et le cubi de rosé sans discontinuer depuis une semaine – si tu as envie de faire chier le monde un peu, beaucoup, passionnément, si au contraire tu as envie de rien de trop précis, si tu préfères penser à pas grand chose et surtout pas à demain (sans faute), si tu es seul·e ou pas, si tu as la flemme de passer l’aspirateur, si ton chat est venu se coller à toi en ronronnant tendrement ou si tu as un peu peur d’envoyer un message à cette personne importante et qu’elle le prenne mal…
Avec Chafouin rien de tout ça. Je ne saurais décrire ce qu’est exactement le bon moment pour écouter Toufoulcan, un album qui m’embrouille plus que jamais, utilisant et mélangeant des ingrédients qui auraient plutôt tendance à me hérisser le (mauvais) poil : post rock cérébral à la Tortoise circa TNT, jazz rock chansonné, guirlandes clignotantes de synthétiseurs kitschounes, surabondance de mélodies ciselées comme des napperons en crochet, textes (parfois) naïfs en français, chant choral… la liste pourrait être longue parce que je suis un type intolérant avec des principes pseudo-esthétiques très arrêtés, ayatollah du bon goût, adepte de la mauvaise foi si nécessaire – ndlr : la mauvaise foi est-elle toujours une nécessité ? – et de plus en plus snob avec l’âge. Mais non et encore non. Rien ne peut empêcher Toufoulcan d’être un ravissement et une parenthèse d’apaisement et de sérénité, surgissant à chaque fois sans crier gare d’une pile de disques à écouter et allant se coller immédiatement sur la platine. Un peu à la manière des derniers méfaits de Chocolat Billy dont Chafouin pourrait être un lointain cousin par alliance et au troisième degré.
Et en parlant de degré, c’est sûrement ce qui me plait dans cette musique : son côté en apparence compliqué, alambiqué voire progressif (arrrghh !), lyrique et – allons-y gaiement – ampoulé qui pourtant s’efface immédiatement devant l’absence absolue de prétention dont fait preuve le groupe. C’est ce que je ressens toujours. La bienveillance, la générosité et – surtout – la modestie sincère de quatre musiciens qui, alors qu’ils auraient pu faire semblant de mettre les petits plats dans les grands, enfiler des chemises à jabots et enchainer les effets de manches, faire chauffer les pédales d’effet, s’étaler comme des bâtards insensibles et postuler pour le premier prix d’arrogance, nous balancent douze compositions qui mélangent sans aucune honte et avec grande finesse rock, jazz, electro et chanson : Toufoulcan est un disque dénué de tout cynisme, sans arrière-pensées (sauf politiques). Donc tant pis pour le second degré et la mauvaise foi car ici il n’y en a pas. Tout comme il n’y a aucune violence musicale mais beaucoup de poésie, une poésie simple et directe, colorée et dessinée avec soin mais dont les détails n’ont rien d’étouffant – un tableau du douanier Rousseau, de cet art dit « naïf » ai-je même envie de dire mais pour cela il faudrait que je retire ce que j’ai écrit un peu plus haut sur la naïveté. OK, je retire. Et j’écoute.

[Toufoulcan est publié en vinyle et en cassette par Araki, Burning Sound records, Coolax, Do It Youssef !, Epicericords, Ged, Hidden Bay, Jarane, L’Etourneur et Super Apes]


vendredi 5 août 2022

Schleu : Lying In The Wrong Coffin

 

Le monde, les autres, l’avenir, la beauté, tout ça : essayons de sauver le monde, juste pour rire et juste avant de vomir. Une conversation nocturne absurde et alcoolisée qui a fini par tourner en rond – quoi faire ? – et qui s’est fatalement terminée dans la pure débilité. Une question comme un défi, au lieu d’aller enfin dormir. Lorsque tu m’as demandé quel super-héros sauveur de l’univers (rires) j’aimerais être et quel super pouvoir/force rouge-bleue-verte-jaune j’aimerais posséder, je n’ai pas hésité.
Tu connais Scanners, le film de Cronenberg ? J’aimerais être comme ça, avoir le pouvoir de faire exploser la tête de mes congénères rien que par la pensée et réduire en bouillie tous les crânes, liquéfier toutes les cervelles des personnes que je déteste et je crois que ça en ferait un paquet. Mais ce n’est qu’une vue de l’esprit, une pauvre Chimère qui en plus ne crache même pas de flammes. Les super pouvoirs cela n’existe pas (à part le pouvoir de nuisance et de destruction du capitalisme triomphant et mondialisé), les super-héros sont en plastique non biodégradable et vendus dans les rayons jouets des hypermarchés, Scanners n’est qu’un film, certes excellent, et moi je me retrouve comme un imbécile avec mes rêves ultimes d’annihilation humaine. Mais j’ai trouvé une solution de rechange : je vais te faire écouter Lying In The Wrong Coffin, le premier album de Schleu.







SCHLEU est un groupe basé à Lyon et formé par des musiciens d’horizons assez différents. Le guitariste a joué ou joue encore dans Torticoli et Tombouctou, le bassiste vient de Garmonbozia et de Süryabonali, le batteur tape ou tapait dans Burne, Plèvre et Neige Morte et la chanteuse était auparavant dans Le Death To Mankind. Tout ça nous donne une guitare roublarde et vicieuse, volontiers stridente et souvent malaisante, une basse élastique et transformiste, une batterie qui pilonne impitoyablement mais non dénuée d’un groove certain et un chant… non, le chant on en parlera un peu plus loin, il le mérite. Lying In The Wrong Coffin présente un mélange d’autant plus fracassant qu’il tient étonnamment bien la route et négocie parfaitement les virages en zig-zag et autre têtes d’épingle. Un gros parpaing de fureur corrosive, d’acidité et de violence. De méchanceté, même. On pense à quelques trucs datant d’une époque depuis longtemps révolue, lorsqu’un label comme Skingraft sortait à la pelle des disques tous plus fous les uns que les autres (le début de Zucchini Kills rappellera immanquablement les grandes heures de Melt-Banana, Arab On Radar est un autre nom qui reviendra souvent à l’esprit). Mais comparaison n’est pas raison – déraison ?
Dans le grand chaudron de Schleu on trouvera donc pêle-mêle de la no-wave, du rock régressif, quelques fuites de jazz, de l’agilité arachnide, du poison violent, des bouts de technicité métallique corrompue… Une grosse salade de bruits mais rien de classiquement noise-rock, d’ailleurs je pense que les membres du groupe s’en défendraient totalement : ils prennent un tel plaisir à nous mener en bateau, multipliant les plans, les idées, entrechoquant leurs envies de bordel et de déflagration, alignant sans aucune pitié crescendos assassins et tabassage de crânes, le tout entrecoupé de moments plus calmes mais qui ne durent jamais (tu voulais un peu de répit ? tu espérais qu’on allait te foutre la paix ? perdu !). Schleu allie fureur incisive et démence généralisée avec un sens de la précision et une efficacité redoutable, Lying In The Wrong Coffin semble avoir principalement été conçu dans l’optique de ne jamais laisser indifférent, quitte à prendre le risque de devenir détestable.
Reste le chant. Et la voix. Hors de question pour cette chanteuse survoltée et un brin allumée de faire de la figuration, de n’être qu’un prétexte pour une musique déjà complètement folle. Le chant ne s’arrête jamais, littéralement, il envahit tout Lying In The Wrong Coffin et domine infatigablement la musique de Schleu. Une déferlante de mots, encore des mots et toujours des mots, éructés, écorchés, crachés, hurlés, feulés, persifflés, miaulés sans relâche. Pas de repos pour les larves. Jusqu’à épuisement (le notre, bien sûr) et sans que l’on ait la possibilité de demander grâce, supplier que le déluge s’arrête enfin. Mais elle ne lâche rien, odieuse, névrotique, sans la moindre trace d’empathie, jouant elle aussi dangereusement avec la détestation, pouvant nous pousser à bout car elle est là pour faire chier : on n’a plus qu’à la fermer, c’est elle la chanteuse et ses textes  déversent inlassablement des histoires de vessie et de pisse, de courgette, de trous, de cicatrices, de plaies, d’aiguilles, de porcs, d’hypocrisie, de connerie.
On sort de là complètement lessivé, sans avoir exactement compris tout ce qui venait de nous arriver. On vient d’en prendre plein la gueule, plein pour notre grade, on le sait et parler d’inconfort serait encore trop positif. Mais on est d’accord.

[Lying In The Wrong Coffin est publié en vinyle par Cheap Satanism records, Degelite, L’Etourneur, L’Hygiène Sonore, Jarane, Pied De Biche, Poutch Militaire, Prix Libre record et Rockerill records]



vendredi 18 février 2022

Boucan : self titled

 

Jeudi 26 janvier 2017. Ce n’était absolument pas prévu au départ mais ce jour là j’ai atterri aux Capucins, un bar incontournable du bas des pentes de la Croix Rousse à Lyon. Il y avait un concert, j’ai réussi à descendre dans la cave – théoriquement c’était complet de chez complet – et je suis tombé en plein milieu du set de BOUCAN, un tout jeune groupe local dont, je l’ai appris plus tard, c’était la première fois qu’il jouait devant un public. Aussi incroyable que cela puisse sembler, les plus que renommés Zeus! ont ensuite enchainé et comme on pouvait s’y attendre le concert des Italiens a été phénoménal – tu imagines un peu ? Zeus! avec seulement une cinquantaine de personnes entassées dans un endroit aussi minuscule et serrées les unes contre les autres ? Comme souvent lorsque les concerts partent en vrille dans la cave des Capus il s’est produit ce phénomène remarquable : les pierres des murs et du plafond ont commencé à se couvrir de condensation, mélange de transpiration des corps qui s’agitent, de bière qui s’évapore et d’enthousiasme qui déborde.
Mais revenons-en à nos moutons boucs en chaleur : les Boucan ont ceci en commun avec Zeus! qu’il s’agit de deux duos basse/batterie (avec parfois un peu de voix pour les Italiens). Mais dans mon esprit certes un peu embué (sic) les Lyonnais n’ont absolument pas été ridicules, bien au contraire. Sinon, de mémoire, il me semble que ce concert correspond aussi à la dernière fois où j’ai sacrifié à cette merveilleuse tradition Croix-Roussienne consistant à aller pisser sur la porte d’entrée de l’Eglise de Scientologie, toute proche du bar des Capucins – cette soirée était donc vraiment très, très, réussie (note à moi-même : retourner pisser là-bas à la première occasion, cela fait trop longtemps).






 
Alors maintenant je vais raconter quoi ? Que j’ai revu Boucan trois ou quatre fois en concert ? Que le duo m’a fait systématiquement forte impression ? Et qu’en plus j’avais le sentiment qu’il était en constante progression ? Oui, oui et oui. Seulement voilà, j’ai longtemps pensé sans creuser davantage la question qu’en fait ces deux petits gars ne faisaient que défourailler comme des malades et puis c’est tout. Qu’une musique de la trempe de celle de Boucan était avant tout faite pour être jouée en live, devant un parterre de personnes consentantes s’agitant comme des bazus et écumant de bonheur mais qu’un enregistrement ne rendrait que partiellement justice à toute l’énergie et tout l’allant du groupe. En tant que vieux ronchon râleur et bourré de préjugés, j’ai également quelques difficultés chroniques avec les duos basse/batterie : à deux ou trois exceptions près (tu connais godheadSilo ?), ils ont rarement la cote avec moi.
Boucan est en passe de me faire changer d’avis. Sur le premier album du duo – enregistré à la maison et mixé par le batteur – on retrouve effectivement tout le dynamisme et toute la fougue des concerts. Pourtant les deux musiciens ne font pas que jouer fort et épais : on pourrait basiquement qualifier leur musique instrumentale de mélange de math-rock et de noise-rock (en gros ça tricote et ça fait du bruit) mais un groove aussi imparable que jouissif et aussi explosif que communicatif parsème copieusement tout le disque et le tire maintes fois vers le haut. Entre interventions à la tractopelle et coups de marteau-piqueur la musique de Boucan se révèle bondissante et chaloupée. Pleine de vie, aussi vrombissante que généreuse. De quoi avoir envie de remuer son popotin ou ce que l’on voudra sans aucune retenue.
Mais là où le groupe est vraiment très malin c’est qu’aucune des huit compositions de son disque ne reste cantonnée à un seul et unique registre – bien sûr certains titres possèdent malgré tout une couleur dominante (French Manucure est plutôt très noise). D’autre part, figures et positions acrobatiques varient sans cesse et s’enchainent à un rythme infernal. Très schématiquement, un morceau de Boucan consiste à passer d’un riff qui saigne sur fond de batterie en phase pilonnage à un break tout en ondulation avant de repartir dans une autre direction et ainsi de suite, etc. Tout ça sans artificialité, sans maniérisme, sans prétention, sans esbroufe – pourtant il y a de quoi être épaté ! – mais avec une science de la construction et de la narration qui, oui OK je vais conclure, permet à Boucan de se passer sans problème de toute forme de chant (c’est tout juste si on entend un ou deux hurlements sur le deuxième titre – imprononçable – et sur Marseille) et surtout de toute forme de structures éculées ou prédéterminées à la con. Vitalité, densité, intelligence, imprévisibilité, plaisir d’offrir et joie de recevoir : moi aussi je reste sans voix.

 

[le premier album de Boucan est publié par Araki records, Bigoût Inc., Day Off, Jarane, Mollo Bobby, Muzotte et Vox project]  

 

 

mercredi 21 avril 2021

Chafouin / Lapin : split




Instant Bullshit, le blogzine autocentré toujours en phase avec le monde moderne et à la pointe de l’actualité vous parle d'un split 12’ publié le 29 juin 2020 et au contenu partiellement consanguin. Et complètement hors de ma zone habituelle de confort – comprendre : ce n’est pas du noise-rock, pas du free-jazz libertaire, pas de la musique industrielle primitive, pas de l’improvisation libre, pas de la musique electro minimale, pas du hardcore, pas du garage, pas du punk, pas du post-punk, pas de la musique concrète, pas du hip-hop, pas de la musique classique, pas de la musique post wagnérienne romantique de la fin du 19ème siècle et pas de la création acousmatique non plus. Mais qu’est ce qu’il reste ?

Premier élément de réponse avec CHAFOUIN. Un groupe officiellement basé à Brest et dans lequel on retrouve Aurel de Marylin Rambo, de Presque Maudit et du label Epicericords (au départ il s’agit de son projet solo). Autant prévenir tout de suite que la musique de Chafouin n’a pas grand-chose à voir avec celles des deux groupes précités. Ici on serait plutôt du côté d’un electro-rock – quel oxymore ! – parfumé de relents progressifs et d’un peu de chant angélique de communiants. De quoi en théorie me filer des cauchemars pour une année entière et pourtant j’ai été assez surpris en découvrant les cinq titres proposés par le groupe. Et puis Grande Descente, sorte de mix entre Grotus et le générique de The Persuaders ! a grandement facilité les choses avec son ambiance très visuelle. Une voie royale pour Désolé De Vous Le Dire rondement amené et surtout chanté. Du coup je regrette un peu de ne pas trop pouvoir comprendre les paroles (qui ne sont pas non plus imprimées sur la pochette). Le reste conserve ce même sens du mouvement narratif même si je suis moins sensible au côté neo-prog – quand les années 70 bavaient encore dans les années 80 – de Simone Weber, un côté vite compensé par la réapparition des voix sur Fin Du Monde et le retour du cinéma avec Steve Glace (au passage : j’y entends quelques réminiscences de certains compositeurs minimalistes new-yorkais… non ? en tous les cas chez Chafouin on est aussi expert en calembours musicaux).

On retourne la galette et on quitte la Bretagne avec LAPIN, encore un groupe multi-formes, officiellement originaire d’Alès et, si j’ai bien tout compris, toujours avec le même Aurel (l’ubiquité alliée à l’hyperactivité). Lapin c’est de la batterie, des synthétiseurs, un orgue, des voix et des effets sonores pour une musique pas si éloignée que cela de celle de Chafouin mais développant un caractère encore plus cinématographique, doucement mystérieux – les belles sonorités de l’orgue y sont pour beaucoup – et un caractère atmosphérique, aérien et évanescent oserais-je. Les trois longs titres de Lapin sont ceux qui m’ont vraiment fait apprécier ce disque et qui m’ont également incité à persister au sujet de Chafouin. Cela me rappelle ma grand-mère paternelle, curieux résultat de la rencontre dans les champs de blé de la Beauce au début du 20ème siècle entre un ouvrier agricole allemand et une jeune andalouse fuyant tous deux la misère de leurs pays d’origine : lorsque elle voyait que je n’étais pas de bonne humeur la vieille dame me pinçait toujours la joue d’un air rigolard en me disant « oh mais tu es bien chafouin aujourd’hui ! » et invariablement je me mettais à rire avec elle.



[l’illustration de la pochette est signée du très talentueux Bill Noir et ce disque a vu le jour grâce à Araki records, Burning Sound, Clou records, Donnez Moi Du Feu, Epicericords, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Gnougn records, Jarane, Rita Distro et Tandori records… certains de ces labels annoncent le disque épuisé mais d’autres en ont encore des copies, comme Epicericords qui en ce moment brade littéralement tout son catalogue à prix libre (même ses vinyles) et là tu te dis que lorsque un label en arrive à de telles extrémités c’est que c’est vraiment la merde]

 

 

lundi 12 avril 2021

radiant. / self titled

 

radiant. Ecrit tout en lettres minuscules, avec un T et un point à la fin et à ne pas confondre avec leurs homonymes autrichiens de Radian. Il n’y a pas trop de risque non plus : le groupe – parisien – qui nous occupe ici est plus un adepte et un adorateur du noise-rock qu’autre chose. Avec des participant.e.s dont on a déjà entendu parler : Aurélie à la guitare (et un peu à la voix), Simona à la basse et au chant ainsi que Jérémy à la batterie. Le premier a joué dans Schoolbusdriver, Decicobra et Madeincanada. La seconde officiait dans Testa Rossa. Quant au troisième je ne sais pas d’où il venait mais il est déjà reparti, radiant. semblant être atteint de cette maladie infectieuse qui touche tellement de groupes : l’instabilité chronique du préposé à la batterie. Mais aux dernières nouvelles le trio serait à nouveau au grand complet avec l’arrivée de Léo. Et c’est tant mieux !







radiant. fait donc partie de ces jeunes groupes de (presque) vieux qui jouent une musique fortement inspirée par ce qui se faisait au siècle dernier. Je ne vais pas m’en plaindre. Encore tout récemment un camarade de longue date, me parlant de sa jeunesse, de ses découvertes musicales d’alors, du tournant et du début des années 90, me disait la chose suivante : on écoute la musique de son âge mais on a aussi l’âge de la musique que l’on écoute, pourtant ce qui est amusant c’est que plus on vieillit et plus on écoute des musiques « vieilles » (i.e. datant d’avant son adolescence et d’avant ses années de jeune adulte) ou de musiques « jeunes » (de maintenant) parce que les barrières temporelles finissent par se rétrécir et même des fois carrément s’estomper – mais il est également vrai que l’on en revient toujours à sa musique à soi, celle qui précisément nous a fait aimer la musique en général, et celle qui a fait ce que nous sommes maintenant. J’ai trouvé ça beau comme une tournée de demis de bière bien fraîche engloutis en compagnie d’ami.e.s à la terrasse d’un bar ou comme un pit de hardcoreux écumant et s’ébrouant furieusement pendant un concert dans une cave de squat, alors je n’ai pas pu m’empêcher de lui piquer ces mots là.


Ce que j’aime dans la musique de radiant. c’est sa lenteur. Ou plus exactement sa langueur. Une sorte de fausse / vraie lascivité (j’hésite…) qui masque le caractère sourd et plombé d’un noise-rock finalement plutôt atmosphérique, partagé entre flottements et coups de boutoir. Une musique très charnelle voire érogène, ce que confirme la plupart des paroles des chansons.
Tout est une question de temps et de ce que l’on en fait : radiant. semble bien l’avoir compris, nous abandonnant au milieu de compositions collantes et urbaines – que le groupe ait choisi une photo de train (de banlieue ?) pour illustrer la pochette de son disque est d’ailleurs une excellente idée. Du coup la frontalité n’est pas ce que l’on retiendra le plus d’un disque qui paradoxalement ne manque ni d’énergie ni d’explosions soniques (la longue partie de guitare occupant plus de la moitié et toute la fin de Forever) et qui flirte éventuellement avec un shoegaze se métamorphosant peu à peu en lourdeur onirique (Martha). Sur le dytique / dialogue à deux [u] et [i] on pense carrément à Slint roulant des pelles à Chokebore tandis que Rims donne le coup de grâce avec son final dissonant.

Il n’y a que l’instrumental VIII qui se démarque vraiment de tout le reste du disque avec une allure rectiligne au dessus de la moyenne générale et une forme plus classiquement itinérante, un peu comme un voyage répétitif dans l’espace. Ce qui, en conclusion, nous donne un excellent premier disque et surtout plein d’espoir pour la suite…



[ce mini album sans titre de radiant. est publié en vinyle blanc par Jarane, seul et unique label à avoir accepté d’investir et de perdre de l’argent dans cette folle aventure – mais dis-moi Camille, comment est-ce que tu fais ?]

 

 

lundi 15 février 2021

Toru / self titled


  


 

Une pochette reprenant le détail d’un croquis de Léonard de Vinci (je l’ai lu dans les notes au verso). Et un nom faisant, effectivement, référence à un très gros roman de Yukio Mishima (je me suis renseigné auprès de l’un des musiciens du groupe). Toru est le prénom de l’un des protagonistes de La Mer de Fertilité, tétralogie testamentaire que l’auteur japonais considérait comme son grand-œuvre. Toru Yasunaga apparait dans le dernier tome intitulé L’Ange En Décomposition et est – peut-être – la dernière incarnation d’un seul et même personnage au milieu d’un récit multiple autour du Japon, depuis l’ère Meiji jusqu’à l’après-guerre et la reconstruction sous emprise américaine. Et c’est également un récit, finalement, évoquant l’irréalité du monde tel que nous le concevons et le percevons. Je n’ai jamais relu La Mer De Fertilité achevé par Mishima la veille de son coup d’éclat militariste et de son seppuku mais j’en garde le souvenir d’une lecture intense et fascinée malgré la difficulté de l’œuvre et des longueurs inhérentes aux démonstrations philosophiques et métaphysique de l’auteur (dans mes souvenirs de jeune homme de vingt et quelques années, des dizaines et des dizaines de pages sur les phénomènes de réincarnation et de métempsychose).
TORU c’est donc aussi un trio basé à Nice. Avec Nicolas Brisset à la batterie (mon informateur, c’est lui). Un musicien que l’on a déjà croisé puisqu’il joue, du moins lorsqu’il arrive à parcourir les quelques centaines de kilomètres qui le séparent de Reims et de ses deux petits camarades, avec Isaac, un autre trio dont on a abondamment parlé. Dans Toru les deux guitares sont elles tenues par Heloïse Francesconi et Arthur Arsenne qui par ailleurs officient au sein de HHH, groupe entièrement dédié à la musique synthétique analogique et modulaire (là aussi je me suis renseigné).

Heureusement pour nous et à la différence de La Mer De Fertilité la musique de Toru n’a jamais rien de fastidieux. Le premier album du groupe possède une immédiateté absolument remarquable. Comme si les trois musiciens jouaient là, devant nous, naturellement et librement, en direct. En fermant les yeux on imagine très bien Nicolas raclant la tranche de ses cymbales ou frappant la peau de ses fûts avec ses baguettes ; on pense à Arthur frottant les cordes de son instrument avec un tournevis en guise de plectre tout en les triturant de son autre main ; on se représente parfaitement Heloïse manipulant les effets de sa guitare pour sculpter des sons toujours plus étranges. La musique de Toru jaillit, dès le départ torrentielle et tribale mais pas exclusivement, ouvrant en grand une porte vers tous les possibles, refusant de rester dans un seul et unique registre, désignant d’entrée l’épicentre de ses secousses telluriques puis s’éloignant de ce point de départ grondant, tournant autour, l’oubliant, y revenant, passant par dessus, essayant de l’effacer puis de le retrouver, etc. Tout est question de processus et de narration autour d’idées foisonnantes et pour se faire les trois Toru multiplient autant qu’ils le peuvent les langages, les techniques, les volumes, les durées, les intensités.
Bien que systématiquement instrumentale – exception faite d’un 1, 2, 3, 4 ! tout ce qu’il y a de plus rock’n’roll en introduction de Trotteur Orlov et renvoyant, mais peut-être n’est-ce là qu’un pur hasard, à The Map des Deity Guns – la musique du groupe ne reste pas dans un seul registre et mélange noise, post, proto, free, truc et machin avec un sens de la temporalité qui laisse béat d’admiration. Entre autres, le rythme régulier de la batterie sur la deuxième partie de Diligence se rapproche curieusement du battement rassurant et inflexible d’une vieille horloge de campagne, une de celles dont le mécanisme est entrainé par la force de poids qu’il faut sans cesse remonter, tandis que les deux guitares jouent délicatement mais assurément au chat et à la souris.
L’album est d’une densité rare et sa durée relativement courte pour un enregistrement de musique instrumentale (37 minutes) n’enlève rien au sentiment d’achèvement et de dépaysement que l’on peut ressentir à son écoute. Mais en parlant d’achèvement je ne veux pas dire que Toru prétend faire le tour de la question : bien au contraire le groupe reste perpétuellement en état de recherche ; tout comme par dépaysement je n’entends que l’invitation à être emmener toujours plus loin. Jamais un locked groove placé en fin de disque ne m’aura semblé plus pertinent.

 

[le premier album sans titre de Toru est publié en CD et en vinyle par Araki records, Jarane, Pied De Biche et Poutrage records]

 

mercredi 19 août 2020

Panico Panico / Depression Quest

  

 

« Panico Panico est un club de musiciens anonymes formé en 2016 à la suite de multiples échecs sociaux, économiques et professionnels. Visant clairement un but lucratif, les quatre membres formant ce collectif cherchent à révolutionner le monde grâce à leur musique et se lancent à corps perdus dans la création d’une onde bipolaire, psychotique et alarmiste ». Moi quand je lis des trucs comme ça j’hésite entre la fuite (la lâcheté est l’un de mes plus graves défauts) et le rire (l’ironie malveillante en est un autre). Mais il faut savoir lire entre les lignes et dès lors il est facile de comprendre que PANICO PANICO (dont on excusera tout de suite ce nom tiré d’une chanson démagogique de Peter Kernel) essaye de se la jouer finaude tout en se donnant des airs de ne pas trop y toucher. Et cela va plutôt bien à ces quatre jeunes parisiens qui avec Depression Quest présentent un premier album de très bonne tenue, entre indie rock à tiroirs et noisy pop une chouille progressive.
Bon, OK, le terme de « prog » n’est peut-être pas le plus approprié mais je n’en ai pas trouvé d’autres qui puisse réellement décrire le côté alambiqué, torsadé, enluminuré et en escaliers des compositions parfois très longues d’un groupe qui aime les positions difficiles, les chemins tortueux et les pièces montées. Je n’aurai finalement que quelques réticences à exprimer au sujet de la toute dernière d’entre elles, le morceau-titre qui s’étale sur presque huit minutes et quarante deux secondes – à peu près, hein, je n’ai pas chronométré mais c’est grosso-modo le temps qu’en général je mets avant de commencer à avoir sérieusement envie de bailler – et avec lequelle Panico Panico prend le plus de risque, quitte à se prendre en même temps les pieds dans le tapis, ce qui finalement n’arrivera pas. Du coup je mets quand même Depression Quest * dans le même sac que les cinq autres compositions du disque, mais c’est un sac un peu spécial, croisement d’un sac d’aspirateur avec un sac à malice.

Je ne veux pas être trop réducteur non plus. Les musiciens de Panico Panico aiment se compliquer la tâche en enfilant beaucoup de notes parfois dans le sens contraire des aiguilles du vent mais ils s’en sortent toujours très bien et ce parce qu’en même temps leur musique possède un côté effectivement dépressif. On pourrait parler d’un mélange entre 31 Knots et Slint ou entre June Of 44 et le Battles des premiers EPs, bref un mélange plutôt improbable mais très parlant – à la différence de beaucoup de leurs contemporains tricoteurs de maille, démonstrateurs en constructions meringuées et embobineurs de fils électriques les Panico Panico ont de la personnalité et ont trouvé deux ou trois moyens de nous le faire comprendre. C’est quand même plutôt rare à notre époque où la volonté de référentiel écrase tout sur son passage quand ce n’est pas carrément l’opportunisme et la démagogie qui servent de carburant à des musiques sans âme ni perspectives.
Depression Quest est donc faussement ironique, un peu comme les craquements de vinyle qui débutent Primitive vs Positive – ben oui tu es bien en train d’écouter un disque** mais non tu ne t’es pas fait rouler sur la qualité du pressage. Panico Panico semble aimer jouer la carte du second degré mais c’est pour mieux montrer tout ce qu’il veut cacher (oui, j’ai vraiment osé écrire ça). Quant au chant, il est multiple mais plutôt homogène. Mes petites oreilles ont compté deux voix principales plus apparemment une troisième sporadiquement en appui. Les lignes de chant présentent certaines ambitions, peuvent changer de registre soudainement, du parlé au cri en passant par quelque chose de plus mélodique voire de sucré (les chœurs de Madtrap) et suivent des trajectoires pas toujours très rectilignes.
Il parait que les dépressifs sont capables de monter tout un argumentaire très élaboré afin de pouvoir prouver aux autres qu’au contraire ils vont très bien... les deux grandes qualités que l’on retiendra de Depression Quest sont, malgré énormément de complexité, une grande cohérence mi autarcique mi ouverte ainsi qu’une identité clairement et finement affirmée. Enfin un groupe de (faux) intellos qui ne fait pas chier son monde pour de vrai.

 

[Depression Quest est publié en vinyle par Jarane, décidément un très chouette label]

  

* c’est rigolo parce que cette sixième composition du disque n’a pas été mise en ligne sur b*ndc*mp – je me demande bien pourquoi
** et pour ne vraiment pas en douter on se tape en plus un locked groove hystérico-débile à la fin de la première face

 

mardi 30 juin 2020

La Chasse / Sidera


On avait laissé ou, plus exactement, les deux filles de LA CHASSE nous avaient laissés au beau milieu d’une forêt millénaire, abandonnés dans le noir, parmi loups et autres bêtes féroces, gibier d’une entité obscure et affamée. Noir Plus Noir Que Le Noir était (est) un album brut et abrupt, d’un minimalisme lourd et oppressant, tribal, incantatoire, fiévreux, sombre, collant, puant la décomposition, caverneux… Un disque entre doom et post punk, tirant de l’un sa lourdeur et son épaisseur sonore, empruntant à l’autre un lyrisme noir et sacrilège.
Sur son deuxième album Sidera le duo renoue avec une bonne partie de ces éléments tout en les agençant différemment, en fait non, disons plutôt : avec plus d’efficacité. En choisissant d’en mettre certains davantage en avant et en en atténuant quelques autres. Sidera se veut moins punk – je veux dire : dans la forme mais pas dans l’esprit – et plus mystique, cosmique peut-être, La Chasse gardant sa part de ténèbres mais l’éclairant d’une lumière autre. Effleurant la beauté, tournant tout autour mais sans vouloir l’enfermer, sans doute parce que la beauté appartient à personne et que tout au plus c’est nous qui lui appartenons, dans la fascination qu’elle exerce sur nous. Mais La Chasse ne joue pas non plus sur ce registre là, séducteur à bon marché. Plus que jamais la musique de duo envoute tout comme elle peut se montrer très inconfortable, désormais moins partie de vénerie sauvage chez la comtesse Zaroff que sacrifice rituel.

 


Réenregistré pour l’occasion – puisque ce titre figure déjà sur une cassette partagée avec AvaleLes Bergères de l’Apocalypse ouvre Sidera avec majesté. Comparer les deux versions nous apprendra qu’entretemps et que depuis ses premiers enregistrements le duo a souhaité apporter plus de maitrise à ses textures sonores, à sa musique. Enregistré par Seb Normal et masterisé par Julien Louvet, une fine équipe déjà à l’œuvre sur Noir Plus Noir Que Le Noir, Sidera impressionne d’emblée par l’ampleur et le rendu d’un son à la chaleur animale mais racée. Nous voilà donc prévenus : nous ne sommes pas confrontés à n’importe quelle bête. La noblesse et l’élégance ne sont cependant pas les objectifs premiers de La Chasse, certes non et c’est tant mieux. Encore une fois aucune volonté de plaire juste pour simplement plaire mais celle de faire encore mieux, plus fort, avec toujours plus de singularité et d’indépendance.
Sidera
est placé sous le signe des sortilèges. L’illustration de la pochette est très belle et révèle sans le dévoiler totalement tout le fourmillement du disque. S’agit-il de la représentation d’une divinité païenne ? Est-ce un monolithe à la signification oubliée ? Un outil pouvant servir d’objet sacré lors d’un rituel ? Un talisman ? Un bijou taillé dans une pierre de lapis lazuli ? La couleur et la texture minérale de cette forme interpelle également : on dirait presque un bout de ciel, entre nuages et galaxies étoilées. On ne sait pas grand chose et surtout on ne saura jamais rien. Mais il n’y a rien de mieux qu’un tel artwork accompagnant un enregistrement avec autant de justesse ; tout comme il n’y a rien de mieux que d’écouter un disque tout en regardant sa pochette et en se disant, mais oui ! c’est ça ! Cette lumière qui vient d’ailleurs.
Et la musique de La Chasse de nous emmener elle aussi, toujours plus ciselée mais toujours aussi lourde. Une sorte de doom incantatoire sur fond de lignes de force vrombissantes dessinées par une basse parfois tellement grésillante et nappée qu’elle se transforme en moulin à textures ; une musique au tribalisme ensorcelé et accompagnée de rythmes païens. Sans oublier le chant dont je me demande si sur quelques unes des huit compositions de Sidera il ne serait pas principalement à base d’onomatopées, comme des formules magiques dont seule La Chasse connaitrait les secrets et la réelle signification. Les hurlements se mêlent aux mélopées, la violence à la beauté, la chaleur à la froideur et la canopée de l’immense forêt rejoint l’horizon sidéral. Magie.

[Sidera est publié en vinyle par 213 records, Cheap Satanism, Donnez Moi Du Feu, Et Mon Cul C'est Du Tofu ?, Jarane, Mammouth records et Poutrage records]