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mardi 29 novembre 2022

Cheval De Frise : self titled

 



Il y a cette appellation un peu étrange et trop savante au premier abord et que l’on emploie à propos d’une certaine musique improvisée, celle née notamment en Europe et en Angleterre vers la fin des années 60 et surtout dans les années 70, une musique que l’on a qualifiée de « non idiomatique » parce que se débarrassant des oripeaux du free jazz sans adopter ceux du rock ou autres (on est alors à mille lieux du progressif boursouflé). La musique de CHEVAL DE FRISE n’a rien d’improvisée – tout au plus peut-on penser qu’elle aurait pu naître, mais rien n’est moins sûr, de longues séances de répétition libre et d’improvisation débridée – mais on peut et on doit elle aussi la qualifier de non idiomatique, tellement elle se raccroche à pas grand chose, à presque rien en fait.
Pensez donc : nous sommes en 2000 et le premier album sans titre du duo formé par Thomas Bonvalet (guitare) et Vincent Beysselance (batterie) sort de nulle part et sur Sonore, label monté par Franck Strofer – lui-même ancien batteur de Belly Button – et qui question belles découvertes et passages de relais nous en a déjà fait voir de toutes les couleurs (Ruins, Kourgane, Alboth, The Saboten, etc.). Cheval de Frise possède et développe son propre langage. Une musique unique, une guitare acoustique – et plus rarement électrifiée – dont les circonvolutions et figures libres bousculent et dérangent l’orthodoxie bien plus que toutes les guitares noisy du monde, une batterie qui fait corps, un duo explosif et complètement inimitable.
A l’époque on ne parlait pas encore trop de math rock et en réécoutant ce premier album on n’emploiera toujours pas cette appellation horripilante, même si les deux Cheval de Frise ont depuis fait des émules, servant bien malgré eux de modèle et d’inspiration à toute une cohorte de groupes instrumentaux, besogneux, imitateurs de ce qui ne pouvait évidemment pas l’être, y compris en utilisant des subterfuges technologiques (samples, pédales d’effet et autres loopers). D’ailleurs le label américain Sickroom records – codirigé par Mitch Cheney, guitariste des géniaux Rumah Sakit et sur le tard des non moins géniaux Sweep The Leg Johnny – l’avait bien pressenti en rééditant Cheval de Frise également en CD, dès 2004. En (re)découvrant ce disque aujourd’hui, on ne peut qu’être profondément frappé·e et séduit·e par son atemporalité, son caractère unique, brut, aventureux et décisif. Le vertige est total, inconnu et libérateur. L’histoire se poursuivra avec Fresques Sur Les Parois Secrètes Du Crânes (RuminanCe, 2003), un second album moins explosif et plus porté sur l’abstraction et la sculpture des sons, préfigurant en partie ce que Thomas Bonvalet fera ensuite avec son projet en solitaire, très poétique et beaucoup plus abstrait, L’Ocelle Mare.
Computer Students vient précisément de rééditer Cheval de Frise, pour la première fois en vinyle et même en cassette – non, pas de nouvelle version CD à l’horizon, de toute façon on peut facilement dénicher des vieux exemplaires du disque dans ce format sur les sites de revente spéculative spécialisés, type Disgogues et consorts.... alors à quoi bon ? Cette nouvelle édition a vraiment de la gueule, il y a deux galettes qui tournent en 45 tours (la quatrième face est non gravée) et l’enregistrement est bien mis en valeur par un nouveau mastering. J’adore cet album et, du coup, je l’ai en double, ahem… Et je ne peux pas également m’empêcher de sourire lorsque je regarde l’« objet » Cheval de Frise qui comme toutes les autres références Computer Students mise sur une présentation soignée et originale : oui, je pense toujours que la réification de la musique n’est pas une chose forcément utile pour la survie de celle-ci mais je perçois en même temps l’ironie potentielle d’une telle démarche pouvant également – surtout ? – faire râler les schnarkbulls ambivalents qui collectionnent les disques. Evidemment que j’en suis.