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lundi 30 janvier 2023

[chronique express] Wailin Storms : The Silver Snake Unfolds

 



The Silver Snake Unfolds (And Swallows The Black Night Whole) est le quatrième album des WAILIN STORMS mais c’est le premier qui ne m’a pas immédiatement emporté avec lui ni ne m’a incité à sauter à pieds joints et sans condition au milieu d’une mare profonde de pensées sombres et tumultueuses. Lassitude de ma part ? Peut-être… le groupe, toujours aussi soudé autour du guitariste et chanteur Justin Storms, n’a jamais disposé non plus d’une marge de manœuvre considérable : son mélange de rock incandescent et de swamp gothique pourrait avoir tendance à se répéter. Et puis, donner un successeur à un album aussi réussi que Rattle (2020) a du se révéler difficile, surtout lorsqu’on a été prisonnier d’un monde aux prises avec une crise sanitaire et économique aux répercussions dont toutes les conséquences humaines n’ont toujours pas été complètement mesurées. The Silver Snake Unfolds n’a pourtant rien de radicalement différent. Noir c’est noir et puis c’est tout. Mais les Wailin Storms se sont employés à accentuer leur côté lyrique, le chant devenant de plus en plus maniéré et démonstratif, la musique multipliant les chevauchées, s’engouffrant dans les brèches toujours plus larges d’une théâtralité puissamment envahissante. Si on préfère le côté davantage punk du groupe – l’album Sick City de 2017 – il y aura de quoi être un peu décontenancé par un enregistrement dont le désir de beauté sulfureuse prend le pas sur tout le reste. Pour ma part, après bien des écoutes et quelques soupirs, j’ai fini par accepter cet exutoire flamboyant et passionné : j’aime toujours les Wailin Storms mais disons que The Silver Snake Unfolds est leur album que j’aime le moins.

vendredi 10 juillet 2020

Tuscoma / Discourse




Encore un plan simple et efficace qui a cependant complètement échoué. Enregistré en décembre 2019, mixé et masterisé dans les mois qui ont immédiatement suivi, Discourse était prévu pour une publication en avril 2020, pile-poil pour la nouvelle tournée européenne de TUSCOMA. Je ne vais pas te faire l’affront de te rappeler qu’à ce moment précis la moitié de la planète Terre était enfermée à la maison (pour les plus chanceux, ahem, il y a tellement de pays où cela n’a pas été possible) en espérant échapper au covid, 19ème du nom. La tournée sur le vieux continent a donc été annulée et Discourse qui ne pouvait pas être publié au plus mauvais moment l’a quand même été, vaille que vaille. Je me suis également laissé dire que les deux petits gars de Tuscoma n’ont même pas pu écouter et voir le résultat de tout leur travail et de leur acharnement avant, ouais cela ne facilite pas vraiment les choses quand tu habites à Wellington en Nouvelle Zélande et que ton label se trouve aux antipodes, en Pologne.
Mais je ne doute pas une seule seconde que désormais Kurt Williams (guitare et chant) et Joe Wright (batterie) sont très contents du résultat. En tous les cas, moi je l’aime. Je peux même affirmer qu’avec Discourse le duo a vraiment fait très fort, encore plus fort qu’avec Arkhitecturenominus qui était déjà un album captivant d’intensité et de férocité. Enregistré et produit par un certain Chris Johnson – non, je ne vais pas non plus faire semblant de savoir qui c’est – Discourse lorgne de plus en plus vers le black metal. Lequel est largement représenté sur des titres tels Is The Modern Still Modern ?, Apperture Unknown ou même un peu plus loin sur Nothing Is Forever et sa première partie toute en mid-tempo fougueux. Tuscoma utilise souvent et sans aucune modération des éléments caractéristiques qui ne trompent pas : coups de boutoir à la double pédale, blast beats à la volée, guitare qui tronçonne de l’animalité comme une scie circulaire complètement folle et chant de goret priapique insatisfait sont plus que représentés tout au long d’un album qui pourtant ne renie jamais totalement les origines noise et harcore de Tuscoma
 et si le début du disque laisse présager d’un assujettissement presque total aux forces du mal et de l’occulte, Williams et Wright démontrent ensuite qu’ils sont deux musiciens avec bien plus de caractère que ça et capables de beaucoup plus d’originalité – essaye un peu de te rappeler de tous ces groupes chiants à mourir, Altar Of Plagues en tête, qui il y a quelques années mélangeaient très proprement black et hardcore… et bien Tuscoma est à l’opposé de tout ça, du côté de la crasse et de la vraie noirceur.
L’étalage de violence enténébrée, de colère, de ressentiment et toute cette dureté ne seraient rien si Tuscoma ne faisait donc pas preuve d’une belle habilité pour brouiller les pistes en mélangeant les genres, ou plutôt en ne laissant jamais une composante de sa musique prendre totalement et définitivement l’ascendant sur toutes les autres. Lorsqu’on écoute la pierre angulaire Ever Normal fort judicieusement placé à la toute fin de l’album on ne peut que convenir que la musique du duo fait admirablement le lien entre post hardcore, metal, black et noise sans pour autant en faire de la bouillie pour jeunes hipsters européens. Idem pour le très étonnant et autre sommet du disque The Fundamentalist qui serpente durant presque neuf minutes ainsi que pour Apperture Unknown, encore, avec son passage intermédiaire où apparait plus clairement une ligne de basse jouée par Chris Johnson (je ne sais toujours pas qui il est mais il joue sur tout l’album). Tuscoma imbrique parfaitement tous les éléments de sa musique sans effet de collage artificiel et on oublie, oui on oublie de se dire des trucs inutiles et limitatifs tels que « ah ouais là c’est vraiment un plan black / true du cul » et ce genre d’inepties rassurantes. Car la musique de Tuscoma est surtout angoissante, anxiogène même, complètement inconfortable. Inattendue. Elle ne pose pas, elle ne se pavane pas. Et elle n’a pas besoin d’artifices pour faire mal.

[Discourse est publié sous la forme d’un double LP en vinyle rouge et limité à 250 exemplaires par Antena Krzyku]

mercredi 27 mai 2020

Wailin Storms / Rattle


Les deux premiers mini-albums de Wailin StormsBone Colored Moon en 2012 et Shiver en 2014 – témoignent de débuts fortement influencés pas le Gun Club et bien que le groupe soit rapidement passé à autre chose j’ai toujours trouvé et je trouve encore ces deux enregistrements bluesy et roots toujours aussi passionnants. Ils ont été regroupés en 2017 sur une même réédition CD chez Antena Krzyku, tu me diras que c’est toujours mieux que rien bien qu’une ressortie sur un bon vieux vinyle qui craque et qui transpire eût été largement préférable. Un jour, peut-être, va savoir…
Ce qui est intéressant c’est l’élargissement progressif du line-up de Wailin Storms, au départ simple duo pour la mise en boite de Bone Colored Moon avec uniquement Justin Storms (au chant et à la guitare) accompagné du batteur David Daniels ; puis en trio avec le remplacement de David Daniels par Yancy Stabenicio et l’adjonction du bassiste Eric Messina. Depuis le premier album – le très acclamé One Foot In The Flesh Grave en 2015 – la composition du groupe s’est stabilisée autour de Justin Storms avec Todd Warner à la guitare lead et aux chœurs, Steve Stanczyk à la basse et Mark Oates à la batterie. Ce sont les mêmes musiciens qui ont ensuite enregistré Sick City (2017) puis Rattle, paru en mars 2020 : WAILIN STORMS est au fil des années et des albums devenu un véritable groupe et parallèlement sa musique n’a cessé de gagner en cohérence et en cohésion. Avec une deuxième guitare partant régulièrement en vrille et une section rythmique stable, dense et compacte la musique du groupe s’est surtout considérablement étoffée et durcie, Wailin Storms trouvant sa voie et s’y tenant, sorte de noise rock marécageux aux forts relents swamp et même goth. 





Il existe un peu deux écoles d’appréciation au sujet de groupe : il y a celles et ceux qui ne jurent que par le côté torturé et fiévreux de One Foot In The Flesh Grave – il est vrai qu’après les deux premiers enregistrements ce tout premier album long format a été un véritable choc – et celles et ceux qui préfèrent le côté plus direct, plus cru, plus punk finalement, de Sick City. Mais est-il réellement nécessaire de choisir ? Aujourd’hui Wailin Storms poursuit sur la même lancée, celle d’un rock rugueux et mystique, crépusculaire et nerveux, sombre et passionné. Si tu apprécies à peu près tout ce qu’il y a entre le Gun Club et 16 Horsepower en passant par These Immortal Souls et consorts, si tu affectionnes le côté surchauffé un peu sudiste (Wailin Storms est originaire de Caroline du Nord), les odeurs de marécages, les histoires passionnelles et les guitares électriques qui égrainent des riffs et des mélodies tenant autant de l’élixir voodoo que du poison mortel il y a fort à parier que Wailin Storm saura combler toutes tes attentes. D’autant plus que Rattle est la parfaite synthèse entre ses deux prédécesseurs, autrement dit avec ce troisième album le groupe de Justin Storms a réussi à conjuguer la passion dévorante de One Foot In The Flesh Grave et le côté plus direct et plus naturel de Sick City.
Le son de Rattle est énorme. Non pas que l’album soit surgonflé et qu’il déborde d’effets de manches inutiles ou d’esbrouffades sans nuances mais au contraire il crépite comme un feu ardent, prend le vent et ploie sous ses effets contraires avant de recommencer à brûler de plus belle. Rattle est un véritable brasier, un théâtre de vies brisées mais qui ne renoncent pas. Ce son il est en grande partie du à J. Robbins (Jawbox, Government Issue, Burning Airlines etc.) que l’on savait déjà producteur et ingénieur du son doué mais là il s’est littéralement surpassé, offrant enfin à Wailin Storms et à Rattle le son qu’il méritait, ample et précis mais jamais baveux bien que noyé de réverbération et de saleté. En particulier le chant très invasif de Justin Storms – un jour un vieil ami m’a avoué qu’il lui faisait un peu penser à celui de Bertrand Cantat (RIP) et je dois avouer qu’il n’a pas tout à fait tort – est parfaitement à sa place, ses gueulantes ultra-théâtralisées ne risquant plus trop d’étouffer tout le reste. Mais malgré tout son éclat et toute sa splendeur Rattle reste un album sombre et tempétueux, étincelant d’une lumière noire à rendre aveugle les golgoths éperdus et les chauves-souris des cavernes. Un album dépressif peut-être bien, colérique également, torturé et tortueux c’est certain, une pièce maitresse assurément.

[Rattle est publié en CD et en vinyle (rouge) par Gilead Media et Antena Krzyku]

lundi 18 mai 2020

The Glad Husbands / Safe Places


Ce monde est définitivement merveilleux et cette vie est plus que jamais pleine de surprises. Et puis, c’est vrai, je suis tellement content d’être moi. Non, je plaisante bien sûr. Sauf pour les surprises : des fois il y en a des bonnes qui débarquent sans prévenir et c’est le cas de Safe Places (un titre vaguement prémonitoire) de THE GLAD HUSBANDS, un groupe dont on n’avait pas eu de nouvelles depuis beaucoup trop longtemps. Pourtant certains se rappelleront peut-être non sans une petite pointe d’émotion de ce trio italien originaire de Bene Vagienna* qui en 2012  nous avait déjà vigoureusement secoué le cocotier grâce à God Bless The Stormy Weather, un premier album tout chaud bouillant de noise-rock énervé comme un taureau chicagoan et tendu comme une fin de mois difficile.
2012… cela semble si loin : qu’a-t-il bien pu se passer entretemps ? A part un changement de batteur – le « nouveau » s’appelle Stefano Ghigliano et il développe un jeu absolument terrible – je n’en sais rien. Mais ce que je sais, du moins ce que je pense pouvoir affirmer, c’est que si l’appellation d’origine contrôlée noise rock a encore un sens en ce bas monde ravagé par la stupidité progressive, l’ignorance des valeurs sûres et l’inanité des colporteurs de noise tropicale c’est grâce à des groupes comme The Glad Husbands, des groupes venus de nulle part et qui ne la ramènent pas alors qu’ils seraient carrément en droit de le faire.




Cependant, dans sa courte présentation, The Glad Husbands préfère se définir plutôt comme un power trio de post hardcore et parler de « rational music played with punk attitude ». Je ne vais pas contredire ces trois garçons et en fait je crois que je vois exactement où ils veulent en venir : la musique du groupe est massive, acérée et complexe donc, oui, elle possède quelque chose de hardcore. Mais c’est un quelque chose qui tient plutôt du hardcore moderne, celui qui n’hésite pas à dresser des pics millimétrés et à envoyer des salves brûlantes tout en gardant à l’esprit la nécessité d’atteindre son but (ça, c’est pour le côté « rational music »). Et enfin The Glad Husbands reste avant tout un concentré d’énergie folle, une boule de feu, une répétition d’explosions toutes plus virulentes les une que les autres – et ça c’est donc pour le « punk attitude ». Ces gars savent pertinemment ce qu’ils font… et à chaque fois que j’écoute la longue introduction de Where Do Flies Go When They Die ? ou le bien nommé Like Animals qui clôt magistralement Safe Places mon poil se hérisse et je choppe invariablement la chair de poule, comme un vrai gosse toujours aussi impressionnable.
Toute proportion gardée The Glad Husbands lorgne souvent du côté d’un Dazzling Killmen mais sans le côté obsessionnel et torturé (voire malsain) des américains. Car à la différence des tueurs étincelants, les maris heureux ne sont pas réfractaires à un peu de fanfreluches et leur coquetterie naturelle se manifeste par un recours récurrent aux mélodies qui accrochent le fond du cœur et du slip. Dans ces moment là le chant s’adoucit, les guitares au son tellement sec et aux riffs tellement tranchants soulignent plus qu’elles ne pilonnent tandis que la batterie reste toujours à l’affut, prête à relancer la machine l’instant d’après. Efficacité : je n’aime toujours pas ce (très) gros mot mais c’est ici le résultat obtenu et tout l’intérêt des nombreuses coupures mélodiques que le groupe inclut ça et là dans sa musique, donnant un tout autre relief et une toute autre signification à sa violence hardcore noise. Bien que des fois The Glad Husbands joue dangereusement avec le feu, comme lorsque la voix se retrouve trafiquée par quelques effets proches de l’acidulé (Midas). Mais le groupe retombe systématiquement sur ses pattes ou plutôt il rebondit aussitôt, sortant à nouveau ses griffes et repartant de plus belle. Et puis on s’habitue très vite à ces quelques décorations en stuc pour finalement toutes les trouver de bon goût : si ça ce n’est pas de la magie, je ne sais pas ce que c’est. Un vrai bon disque et une belle réussite, en tous les cas.

[Safe Places est publié en vinyle et en CD par Antena Krzyku,  Entes Anomicos, Longrail records, Scatti Vorticosi, Tadca records, Vollmer Industries et Whosbrain qui avait déjà sorti God Bless The Stormy Weather en 2012… la version numérique de Safe Places est elle disponible via Atypeek Music]

* et voilà mon vieux démon géographique qui me reprend soudainement : Bene Vagienna est une petite ville du Piémont, entre Turin et Gênes, pour faire vite

mercredi 11 décembre 2019

Buildings / Negative Sound






Le noise-rock c’est la vie. C’est ce que je me tue (sic) à répéter à longueur de chroniques de disque dès que j’aborde le sujet d’un groupe qui en 2019 prétend relever les compteurs et mettre les pendules à l’heure au sujet d’un genre musical qui a servi de bande son à mes toutes jeunes années – j’espère que tu as remarqué qu’en une seule phrase j’ai au moins utilisé deux expressions passe-partout et un très gros poncif existentiel que même un lecteur de Batteur Magazine désapprouverait, la classe non ? Et oui mon nombrilisme forcené me pousse à penser que tout ce qui ne tourne pas autour de moi n’a strictement aucune valeur. Bref, j’écoutais déjà ce genre de musique alors que j’avais largement moins de la moitié de l’âge que j’ai désormais donc je n’ai aucunement l’intention de tempérer mon propos et je vais plutôt continuer d’affirmer que le noise-rock c’est toute mon existence ou tout du moins une grande partie de celle-ci.

Même si c’est faux. D’abord il n’y a pas que la musique dans la vie. Ensuite il y a plein de musiques, aussi différentes et variées soient-elles, qui éclairent celle-ci – et encore un poncif existentiel, des fois je m’épate complètement. Cependant (et ce en dehors de toute nostalgie régressive, du moins je l’espère) à chaque fois ou presque que je découvre un groupe de noise ou que j’écoute un disque que je ne connaissais pas jusqu’ici je ne peux pas m’empêcher de penser ressentir que c’est cette musique là qui me parle le plus. Une musique qui arrive encore à me surprendre malgré un langage souvent très codé, malgré des riffs et des sons déjà employés auparavant. Pourtant je vois, j’entends, je découvre toujours quelque chose si ce n’est de nouveau du moins de différent. Essaie un peu de parler à un fanatique de hardcore old school, de crust, de d-beat ou même parfois de thrash primitif, il t’expliquera exactement la même chose et t’affirmera qu’entre tel ou tel groupe ou entre deux disques il existe des nuances importantes qui échappent complètement à ta sagacité (parce que c’est vrai que toi tu n’y connais strictement rien alors que lui oui, évidemment).
Toutes ces musiques électriques – la liste ci-dessus n’est pas forcément exhaustive – n’ont vraiment rien à voir entre elles mais possèdent un point commun important** : ce sont des musiques viscérales. C’est-à-dire des musiques instinctives, épidermiques, organiques, des musiques à effet immédiat qui te plaquent directement contre les murs, te décollent le cervelet de la moelle épinière, te tiennent et ne te lâchent pas. Elles ont su garder une partie de l’essence, de la sauvagerie mais aussi de l’approximation brutale de ce bon vieux rock’n’roll à papa tout en explorant des horizons parfois très lointains (parce qu’on n’est plus en 1954). Tu me diras que tout ceci est connu et rabâché depuis au moins le milieu des années 70 et le punk. Je ne saurais dire le contraire. Alors sûrement que chacun possède sa vérité, selon son âge, son parcours musical et sa propre sensibilité. La mienne de vérité, même si elle vient d’être très maladroitement exprimée, est quelque part au milieu de tous ces groupes que j’apprécie tant actuellement : Poutre, Dead Arms, Multicult, Microwaves, Bruxa Maria, Death Pedals, Tile, Faking, Dewaere, The Feral Young, USA Nails, Sofy Major, The Great Sabatini, Rainbow Grave, USA / Mexico, Uzeda, Couch Slut, YC-CY*… ou BUILDINGS.

J’ai énormément de mal à me remettre du nouvel album de ce trio de Minneapolis. Peut être bien parce que le disque d’avant – You’re Not Of Us en 2017 – m’avait laissé sur ma faim avec son mix à mon sens inadéquat car surgonflé et n’arrivant pas à masquer les faiblesses de certaines compostions trop volontaristes sans réussir à réveiller complètement leur côté terre-à-terre. Il existe des groupes de noise-rock plutôt arty et maniérés et des groupes plutôt issus d’un terroir boueux et noueux. Avec le bien nommé Negative Sound les trois Buildings n’ont pas hésité plus longtemps entre les deux camps et ont enregistré un album teigneux dont les énormes A Good Hill To Die On et Certain Women définissent la teneur générale, celle d’un disque noir et colérique. Vicieux et méchant. Gras et lourd. Poisseux et visqueux. En un mot : viscéral. Nous y revoilà donc, encore une fois. Negative Sound possède ce côté impitoyable mais humain des grands disques de noise rock et élève Buildings au dessus de la mêlée de tous les groupes beaucoup trop musculeux pour être totalement honnêtes ou, plus simplement, significatifs.
Negative Sound est à la fois un gros catalogue de rancœurs et leur exutoire. La production et le mix mettent le holà sur la prédominance top medium de la basse qui parallèlement gagne en épaisseur et donc en intérêt – j’adore cet instrument et je considère même qu’il est même le pivot central d’une musique tournant pourtant autour du tranchant des guitares mais à quoi bon le placer en première ligne s’il ne fait qu’enchainer des lignes trop banales ? Tout comme l’ensemble des compositions gagnent en relief question énergie carnivore et corrosion par le gras. Le chant qui est souvent l’un des points faibles de Buildings est moins irritant que d’habitude sans doute parce que sur Negative Sound il se retrouve davantage en adéquation avec une musique colérique et non pas seulement irascible (la nuance entre les deux ? la démonstration et les intentions trop évidentes).
Negative Sound est un album compact et rude. Chargé d’une énergie sombre et presque dépressive. Mais aucune complaisance et aucune attitude revendiquée à l’horizon, pas de bijoux inutiles ni de manucure tapageuse. Buildings a pris du poil de la bête et la bête mord plus férocement que jamais***.

[Negative Sound est publié en vinyle noir ou bleu splatter (ahem) par Antena Krzyku pour l’Europe et Gilead Media pour l’Amérique du Nord]

*encore une liste non exhaustive… tous ces groupes ou presque sont chroniqués quelque part sur cette gazette internet
** en dehors du fait que je les écoute toutes, bien sûr
** ça aussi tu as du le remarquer : une fois de plus il n’y a que le dernier paragraphe de cette chronique qui parle réellement du disque dont elle est pourtant censée traiter, j’espère que tu as bien perdu ton temps à lire un texte de 580 mots et 5820 caractères espaces compris

vendredi 15 mars 2019

Comme à la radio : Antena krzyku / Tuscoma / Pigeon





Antena Krzyku a déjà été évoqué ici à propos du tout récent Total Dump de Sofy Major, un album chaudement recommandé par cette gazette internet mais qui ne doit pas être l’arbre cachant la forêt : le label (et mailorder) polonais existe depuis 1994 et a démarré en éditant les versions cassette des albums de MoMeansNo ou de Victims Family – plus quelques autres références des labels Alternative Tentacles et Wrong records.
Je ne connais absolument aucun des groupes (beaucoup de polonais évidemment) qu’Antena Krzyku a publié entretemps pourtant depuis quelques années et la parution d’Agaiin de It It Anita le label s’est à nouveau fortement internationalisé avec Hollywoodfun Downstairs de Nouvelle Zélande, les français d’Alabaster, les américains de Buildings et de Wailin Storms ou en rééditant Instant Winner, le deuxième et mythique album de Distorted Pony… Un jour j’irai fouiller du côté de tous les autres groupes obscurs et que je ne connais pas mais en attendant parlons plutôt de deux disques inratables édités par Antena Krzyku au cours de l’année 2018. 



TUSCOMA n’est pas une formation sortie de nulle part, petit résumé des épisodes précédents : lorsque Hollywoodfun Downstairs a définitivement perdu son bassiste – le groupe venait pourtant de publier le monstrueux Tetris enregistré à trois – les deux survivants ont quand même décidé de continuer sous un nouveau nom. Tuscoma c’est donc Kurt Williams à la guitare et au chant ainsi que Joe Wright à la batterie et c’est sous ce nom que le duo a publié Arkhitecturenominus, un disque dans la droite lignée de Tetris.






Car il n’y a aucun doute à avoir : si on a aimé Hollywoodfun Downstairs on aimera Tuscoma, un groupe qui réussit à allier la vigueur ravageuse de ce bon vieux noise-rock réactionnaire à la densité abrasive du black metal. Dans ses moments les plus intenses Tuscoma ressemble un peu à Today Is The Day période AmRep essayant de faire des reprises de Mayhem ou de je ne sais quel autre troupeau de primitifs consanguins : les riffs s’empilent sur fond de blast beats et le chant (?) évoque le plus souvent les cris désespérants d’un porcinet broyé par une machine-outil dans une vidéo militante dénonçant l’abatage industriel des animaux et les usines de transformation de viande morte en étrons alimentaires. C’est dégueulasse y compris sur les passages plus calmes et ça pue vraiment mais (à la différence des shitburgers) c’est ça qui est bon avec Tuscoma, cette façon de se sentir acculé par un mur du son et de violence hystérique, surtout que le duo révèle un caractère et une endurance encore plus impitoyables que feu Hollywoodfun Downstairs et je me demande comment Tuscoma arrive à être encore plus lourd et plus massif sans bassiste. Vive l’animalité. 




De la basse il y en a énormément dans la musique de PIGEON même si ce sont malgré tout les guitares qui prédominent sur le premier album du groupe. Pigeon vient de Berlin et n’avait jusqu’ici publié qu’une paire de cassettes et un split. Ce court album sans titre est une coproduction entre Antena Krzyku, Black Verb records et Dunkel Ziffer records et impressionne déjà par son côté abrasif, concis mais abouti.





Ce Pigeon là est définitivement un plat de choix sur un menu destiné aux fins gourmets. Les ingrédients sont souvent surprenants et difficiles, à commencer par les guitares qui flirtent quasiment constamment avec les dissonances, mais la recette est de celles que je préfère, les berlinois mélangeant le côté bruitiste arty new-yorkais si cher à mon cœur d’intellectuel frustré avec une forte influence post punk (essentiellement sur la deuxième face du disque, la première étant plus noise) grâce à une rythmique très précise et dynamique – les lignes de basse, reparlons-en, sont d’une rondeur et d’une proéminence qui font toute la différence.
Quelques courts titres sans grand intérêt et (disons-le) bruitistes sont là pour ajouter un peu plus de confusion au milieu de compositions qui au fur et à mesure que l’on avance dans l’écoute de l’album lorgnent de plus en plus vers une clarté blafarde et une froideur explosive : Pigeon rappelle de temps à autre le côté bidouilleur du A Place Too Bury Strangers des débuts. Quant au chant il est limité et n’est pas l’élément le plus important dans la musique de Pigeon ; il se fait rare et lapidaire mais tombe toujours juste avec parfois un petit grain de voix à cheval entre 80’s et 90’s tendance post punk tralala (Nizza ou Tiny). Cette économie du chant s’explique peut-être parce que chez les berlinois le chanteur est également le batteur, une configuration peu ordinaire mais qui, on l’aura compris, n’est pas la seule caractéristique ni la seule originalité d’un groupe que désormais il va falloir suivre assidument. La chasse au Pigeon est ouverte.

vendredi 1 mars 2019

Sofy Major / Total Dump


Je pensais prendre un peu plus mon temps, après tout les beaux jours arrivent à la vitesse d’un cheval au galop faisant une course folle avec le dérèglement climatique (devinez qui va gagner ?) et cela me donne plutôt envie de faire un footing de descendre un pack de bières entre amis ou de pratiquer le cannabis thérapeutique les doigts de pieds en éventail. Mais non : il y a des retours aux affaires qui font plus plaisir que d’autres et celui de SOFY MAJOR est de ceux là, donc autant parler tout de suite et maintenant du nouveau disque du trio clermontois qui vient de paraitre sur le label polonais Antena krzyku (qui abrite également Pigeon, Wailin Storms, Tuscoma, Alabaster ou Buzz Rodeo, que du beau monde). Total Dump est le quatrième album de Sofy Major et il sort plus de trois années après un Waste qui à mon goût commençait à trop sentir le ronronnement des amplis surchauffés et la coulée en pente douce. Un changement de guitariste, quelques bonnes grosses gueules de bois et presque autant de trous noirs plus tard, Total Dump vient remettre les choses en ordre.





Il y a cependant de bonnes chances pour que toutes celles et tous ceux qui ont jusqu’ici boudé Sofy Major continuent à faire de même : pour Total Dump le groupe a certainement voulu jouer la sécurité en faisant une nouvelle fois appel à la même équipe technique que pour l’album précédent, sessions d’enregistrement au studio Black Box*, Dave Curran d’Unsane et de Pigs à l’enregistrement et au mixage et Carl Saff au mastering – par contre Andrew Schneider qui avait mixé Waste en 2015 mais également enregistré Idolize en 2012 dans des conditions complètement rocambolesques pour ne pas dire totalement folles** n’est plus de la partie. Pourquoi parler de tout cela ? Parce qu’il y a un son Sofy Major et que celui-ci est immédiatement reconnaissable dès les premières secondes du disque, dès cette entrée en matière (l’éponyme Total Dump) qui – après un bref et hilarant extrait de discours d’un ancien président de la république française démontrant que parler langliche n’est vraiment pas donné à tout le monde – rappelle pourquoi Sofy Major tient toujours le haut du pavé : le son est massif et limpide, mettant parfaitement en valeur une composition qui joue en même temps les cartes de la lenteur implacable, de la lourdeur et celle de la mélodie.
D’ailleurs Total Dump est bourré de compositions mid tempos et c’est dans ce registre là que Sofy Major excelle le plus, bien que le groupe ne s’interdise pas quelques courses-poursuites (Strike, Tumor-o-rama, la première partie de Panamarama et surtout Giant Crush Crash). Les qualités principales d’un titre de Sofy Major résident presque toujours dans la combinaison déjà décrite un peu plus haut : en alliant la lourdeur et la puissance d’un Unsane avec un fort attrait mélodique saupoudré de stoner gominé le trio détient presque la recette miracle. Mais contrairement à ce qui s’était passé pour Waste voilà une recette qui ressemble à tout sauf à une méthode trop appliquée, parlons donc plutôt d’identité. Et cette identité c’est aussi celle d’un chant de mercenaires que rien ne semble pouvoir effrayer, d’autant plus que depuis que le groupe a changé de guitariste Sofy Major ne possède pas un mais deux véritables chanteurs (OK : l’un s’occupe de brailler dans le micro plus souvent que l’autre). Soit le bassiste et le guitariste*** alternent fougueusement soit ils se mettent à l’unisson, deux pratiques qui se répètent inlassablement tout au long de Total Dump sans que l’on ait cependant le sentiment que Sofy Major en abuse. Voilà une façon de faire qu’il conviendrait de définir par sa nature très efficace et pour une fois je ne rechignerai pas trop à employer un gros mot pareil (efficace...), de toute façon le résultat obtenu est toujours à la hauteur et du meilleur effet.
Mais ce n’est pas tout. Tout en continuant de briller grâce à sa science aiguë de l’étalage de gros riffs qui tachent, la guitare distille savamment poison et venin sous la forme d’interventions (suites d’arpèges ou solos intrusifs) pour contrebalancer le côté monolithique de la musique du groupe. La section rythmique – qui a toujours été l’un des gros points forts chez Sofy Major – peut alors continuer à faire son sale boulot d’écrasement, la guitare est là pour lancer ses salves brulantes de noise-rock et électriser toujours plus l’atmosphère. Total Dump ne comporte aucune faille ni aucune faiblesse et pourtant je ne saurais non plus blâmer son côté bloc de granit inattaquable, le niveau général élevé des compositions et l’entente évidente entre les trois musiciens faisant le reste, conférant au disque son côté « force vive ». Me voilà donc réconcilié, même si je n’étais pas non plus réellement fâché, avec un groupe qui vient de publier son meilleur album à ce jour : Total Dump est aussi puissant que brillant, aussi accrocheur qu’irrésistible. Une vraie torpille.

[Total Dump est publié en vinyle par Deadlight Entertainment et Antena Krzyku (Europe) mais également Corpse Of Flower pour l’Amérique du Nord]

* célèbre studio fondé aux débuts des années 90 du côté d’Angers par le regretté Iain Burgess
** en octobre 2012 l’ouragan Sandy avait complètement détruit le studio de Schneider à Brooklyn ainsi que tout le matériel de Sofy Major, ce qui n’avait pas empêché le groupe de mettre son disque en boite puis d’enchainer avec une tournée américaine de trois semaines
*** lequel est chanteur dans Alabaster et, pour la petite histoire, il a également tenu la batterie aux débuts de Sofy Major, par exemple on peut l’entendre sur un split 10’ partagé avec les lyonnais de One Second Riot (2007…)