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mercredi 3 février 2021

Thou & Emma Ruth Rundle / The Helm of Sorrow


Je ne sais pas du tout où j’étais allé chercher cette info mais le 12’ réunissant à nouveau THOU et EMMA RUTH RUNDLE n’a pas attendu le mois de mars 2021 pour être dans les bacs – comme quoi il ne faut vraiment pas prendre au pied de la lettre tout ce que tu peux lire ici. Pour être un peu plus exact The Helm Of Sorrow a d’abord été publié en guise de disque bonus avec la version dite « die hard » de l’album May Ours Chambers Be Full. Et il bénéficie donc maintenant d’une parution séparée. Une fois de plus et pour le plus grand bonheur des collectionneurs à haut pouvoir d’achat, le label Sacred Bones aura multiplié les formats et les versions et en même temps prouvé que question marketing et tiroir-caisse il en connait un sacré rayon.
Cela me chiffonne un peu parce que Thou a toujours eu cette réputation – justifiée – de ne pas faire n’importe quoi, de ne pas abuser, d’être engagé politiquement et plutôt investi dans les questions DIY. Je dois pourtant reconnaitre qu’en signant avec un label tel que Sacred Bones il a fait n’importe quoi… Mais n’oublions pas non plus le facteur sanitaire : avec la crise du coronavirus publier toujours plus de disques et les vendre toujours plus cher reste le seul moyen pour les groupes (et leurs labels) de continuer à vivre plus ou moins de leur musique. Monde de merde.




Ceci dit, la seule question que l’on peut maintenant se poser est : si comme moi on a adoré May Our Chambers Be Full, va-t-on également plébisciter son successeur The Helm Of Sorrow ? Oui, assurément. Pourtant il y a quelques nuances à apporter. May Our Chambers Be Full est un vrai album collaboratif. THOU et Emma Ruth Rundle peuvent se partager les mérites d’un disque particulièrement réussi et la chanteuse n’est pas là pour faire de la figuration ni servir de décoration d’intérieur. Changement de méthodologie avec The Helm Of Sorrow sur lequel Emma Ruth Rundle prend beaucoup moins de place. Une fois passée l’introduction un rien pompeuse d’Orphan Limbs c’est bien à du Thou pur et dur auquel nous avons doit, autrement dit un metal viscéral et méchant, poisseux et gras, sombre et nerveux. Et cela continue avec Crone Dance sur lequel Emma Ruth Rundle n’apparait qu’au moment des refrains ou en pointillé, assise sur un strapontin. On remarque surtout que la voix de la chanteuse est un peu sous-mixée, ce qui ne sera pas pour déplaire à toutes celles et tous ceux qui sont réticent.e.s par rapport à ses prouesses de chanteuse et au mélange gros metal / chant de princesse des ténèbres. Avec Recurrence c’est un peu la même, Emma Ruth Rundle continuant de jouer les seconds rôles dans le fond du mix et au moment des refrains. Pour l’instant The Helm Of Sorrow  devrait contenter les quelques déçu.e.s de l’album May Ours Chambers Be Full (il parait qu’il y en a).

Arrive le gros morceau du disque. Hollywood est une reprise des atroces Cranberries. Emma Ruth Rundle et Thou reprenaient déjà régulièrement ce titre en concert, comme en témoignent quelques captations vidéo que l’on peu aisément trouver sur les internets*. Mais je jubilais avant même d’écouter cette version studio, imaginant la chanteuse des Cranberries se retournant dans sa tombe rien qu’à l’évocation d’une telle reprise. C’est là que le fameux – et fumeux – débat « faut-il séparer l’homme / la femme de l’artiste ? » prend tout son sens. Lorsqu’on ouvre sa gueule et que l’on profite de son audience et donc de son pouvoir pour la ramener et faire de la politique la réponse est évidemment NON.
Dans le cas de Dolores O’Riordan, connue pour ses positions anti-avortement, ses critiques contre le féminisme et son catholicisme traditionnaliste et militant (elle a chanté plusieurs fois au concert de Noël du Vatican), avoir une de ses chansons-phare reprise par un groupe de branlos libertaires tels que Thou relève du blasphème et de la profanation. Et cela me fait hurler de rire (imagine un peu les chéris de Fange reprenant Les Lacs Du Connemara ou les teigneux d’Hørdur s’attaquant à du Didier Barbelivien par la face nord). Malheureusement la version que donnent Emma Ruth Rundle et Thou de Hollywood reste convenue – principal avantage malgré tout : on n’a pas à subir le chant insupportable de Dolores O’Riordan – et assez sage, sans que l’on y sente trop de relents de corruption ou de putréfaction. Quelque chose me dit qu’Emma et ses petits copains du moment sont peut-être bien des vrais fans de la musique des Cranberries et qu’ils n’ont pas osé aller trop loin dans le dynamitage. Après tout on peut très bien être un excellent groupe et une excellente musicienne et avoir des goûts de chiottes. Quant à Dolores, elle a disparu depuis longtemps dans le tout-à-l’égout.


[The Helm Of Sorrow est publié en vinyle et en CD par Sacred Bones]

 

* par exemple, ou bien ici (avec une qualité sonore bien meilleure)

 

 

mercredi 16 décembre 2020

[chronique express] Thou & Emma Ruth Rundle / May Our Chambers Be Full

 



Histoires d’a priori et de préjugés d’un vieux ronchon à lunettes, épisode 524 : je n’avais pas du tout envie d’écouter ce disque, je m’en méfiais comme de la peste bubonique et des dérives sécuritaires de nos vieilles démocraties à bout de souffle. J’avais en fait beaucoup trop peur qu’il ne soit qu’un projet de circonstance savamment orchestré par une maison de disques un peu trop envahissante mais c’était bien mal connaitre et sous-estimer le meilleur groupe de metal du monde.
Réunissant donc Emma Ruth Rundle et THOU May Our Chambers Be Full est une très belle réussite avec ses huit compositions où chacune des deux parties sert l’autre le mieux possible, c’est-à-dire admirablement. Tout simplement un chef d’œuvre de doom sludge spectral et brumeux. Ce disque est déjà épuisé, c’est dire si son succès est mérité, mais il sera réédité par le label qui entretemps a annoncé la suite des aventures de nos tourtereaux de l’extrême avec la parution d’un EP quatre titres intitulé The Helm of Sorrow, pour mars 2021, c’est-à-dire pile-poil après la fin du troisième confinement. Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule.

 

 

mercredi 4 novembre 2020

VA / What Is This That Stands Before Me ?

 

Et bien… comment le dire ? Je suis un imbécile. Un imbécile qui dès qu’il aperçoit dans les parages un disque compilant des reprises d’un groupe qu’il aime plutôt bien par quelques autres groupes que parfois il aime beaucoup se dit que le disque en question est peut-être bien fait pour lui. Il y a quelques semaines j’ai parlé de Really Bad Music For Really Bad People, une compilation mi-figue mi-raisin consacrée aux Cramps... Et voilà que débarque What Is This That Stands Before Me ?, un double vinyle publié chez les new-yorkais de Sacred Bones records, consacré à BLACK SABBATH et comprenant des reprises par des groupes issus du label. Il faut dire aussi que l’occasion était trop belle : les deux premiers albums de la bande à Ozzy Osbourne et Tommy Iommi ont été publiés en 1970, respectivement le 13 février pour le premier éponyme et le 22 septembre pour le second, le génial et l’insurpassable Paranoid (huit titres, six tubes). Ces deux disques ont donc fêté leurs cinquante printemps cette année et comme notre époque est très friande d’hommages nostalgiques et autres commémorations passéistes – c’est sûrement la fin du monde humain approchant à grands pas qui fait ça – il semblait logique qu’un label aussi arty que Sacred Bones en fasse quelque chose.
Tout d’abord il convient de préciser que What Is This That Stands Before Me ? n’est pas un double album mais un double 12’ c’est-à-dire que les deux galettes tournent en 45 tours et que la durée totale de cette compilation est de 50 minutes. Les neuf titres qui la composent auraient bien pu tenir sur un simple LP mais il est vrai qu’un double vinyle ça fait beaucoup plus classe et que surtout cela se vend beaucoup plus cher. Surtout que quelques unes des reprises proposées ici sont des plus dispensables… comme on va le voir What Is This That Stands Before Me ? aurait largement pu prendre la forme d’un unique 12’ avec seulement trois ou quatre titres. C’est dire si cette compilation est un énième trompe-l’œil à l’usage des crédules et des naïfs. 

 


 

What Is This That Stands Before Me ? démarre pourtant très bien avec The Soft Moon et une version bien darkos post punk de Black Sabbath, le célébrissime titre d’ouverture du premier album des Sab Four. Tout y est, depuis la cloche qui résonne lugubrement au début jusqu’à l’ambiance indus frigidaire bien martelée. Je ne suis pas du tout fan du groupe de Luis Vasquez mais je dois avouer que sur ce coup là The Soft Moon n’est pas loin de casser la baraque. Молчат Дома / Molchat Doma est un groupe biélorusse apparemment tout récemment signé par Sacred Bones, un groupe que l’on pourrait qualifier de synth-pop ultra kitsch et sur lequel il n’y a pas trop lieu de s’étendre : il reprend Heaven And Hell, soit un titre de la période Ronnie James Dio de Black Sabbath et cela ne me fait ni chaud ni froid. Par contre et comme on pouvait s’y attendre Thou – grand groupe devant l’éternel – déchire tout avec une superbe version de Supernaut agrémentée d’un passage bossa-nova apocalyptique. Difficile alors pour Marissa Nadler de passer après. Sa reprise de Solitude (de l’album Master Of Reality en 1971) semblait pourtant bien pouvoir lui convenir mais je m’ennuie un peu… Tout comme avec N.I.B. repris par Hilary Woods, encore plus éthéré et moins inspiré. OK : je n’ai pas de cœur. Et c’est déjà la fin du premier disque.
Le massacre continue avec Zola Jesus qui a jeté son dévolu sur Changes, le slow ultra niais qui orne de paillettes dorées le Vol. 4 de Black Sabbath (1972). Je comprends alors un peu trop tard que
What Is This That Stands Before Me ? préfère se cantonner majoritairement dans les compositions les plus molles du groupe anglais. Et ça continue avec l’ « incontournable » Planet Caravan par Moon Duo. L’original ne durait que quatre minutes, le groupe de Sanae Yamada et Ripley Johnson l’étire au delà de neuf et c’est neuf minutes de trop, bourrées de bablocheries psychédéliques qui feraient presque regretter Marissa Nadler, Hilary Woods et Zola Jesus réunies. Quant à Dean Hurley, il s’agit d’un musicien / producteur et collaborateur régulier de David Lynch. On peut se demander ce que vient faire ici sa version « Bar Band » de Warning qui en fait n’est pas une composition de Black Sabbath mais une reprise d’un titre de The Aynsley Dunbar Retaliation qu’Ozzy and C° avaient placé à la fin de leur premier album (il y a donc une erreur dans les crédits de la compil). Et inutile de dire que l’on frise le ridicule, ce Warning n’ayant strictement aucun intérêt.
Pour finir Uniform a la lourde tâche de remonter le niveau avec Symptom Of The Universe, titre-phare de l’album Sabotage (1975). Problème : cette reprise de Symptom Of The Universe n’est absolument pas inédite, figurant déjà en face B du maxi Ghosthouse, premier disque que Uniform a jamais publié chez Sacred Bones en 2016, avant même l’album Wake In Fright. La version 2020 ne me semble pas différer de celle de 2016 et ce n’est pas le mastering signé James Plotkin qui ajoutera un quelconque intérêt à quelque chose que l’on connaissait – et appréciait – déjà. Conclusion : passe ton chemin et je ne peux que t’adresser toutes mes félicitations si jamais tu viens de perdre ton temps précieux à lire cette chronique de plus de 900 mots et se terminant sur ce terrible constat d’échec. 

 

[What Is This That Stands Before Me ? est publié en double vinyle noir, vert ou violet par Sacred Bones]

mercredi 7 octobre 2020

Uniform / Shame

 

Il y a bien longtemps que je ne m’étais intéressé à un projet de Ben Greenberg. Pourtant à une époque j’avais souvent son nom à la bouche, le bonhomme figurant parmi les musiciens new-yorkais les plus intéressants que je connaisse, que ce soit au sein de Zs (en remplacement de Charlie Looker à la guitare et participant en 2010 à l’enregistrement de l’album New Slaves) ou de Pygmy Shrews (seulement deux LP au compteur…) et sauvant provisoirement The Men du naufrage après le départ du bassiste Chris Hansel. On connait également Greenberg pour son travail d’ingénieur du son et de producteur via son studio Python Patrol, mettant en boite nombre de productions du label Sacred Bones. Son alter ego au sein de UNIFORM n’est autre que Michael Berdan, auparavant chanteur de Drunkdriver, encore un groupe à l’existence beaucoup trop éphémère et responsable de deux de mes disques préférés de la première décennie de ce putain de millénaire – Born Pregnant en 2008 et un monstrueux second album sans titre en 2010. Uniform a existé sous la forme d’un duo depuis le début des années 2010 avant de recourir à l’assistance d’un batteur (Greg Fox, ex-Liturgy et actuel Zs, a joué sur l’album The Long Walk en 2018) ou de s’associer à un autre duo, les affreux The Body. Cette présentation est peut-être un peu longue et elle ne sert à expliquer qu’une seule chose : Uniform est un groupe issu du sérail… car avec Greenberg et Berdan on est en plein dans le microcosme de la scène noise / expé / indus-arty new-yorkais, ces deux là ont côtoyé beaucoup de musiciens en commun – par exemple le batteur Jeremy Villalobos a joué à la fois dans Pygmy Shrews et dans Drunkdriver – et ils se sont croisés un nombre incalculable de fois avant de jouer ensemble.

 


Shame est déjà le troisième album de Uniform. Je ne compte pas les deux enregistrements en compagnie de The Body, en particulier Everything That Die Someday Comes Back paru à l’été 2019, pourtant, et malgré toutes les réticences que je peux avoir à l’encontre du groupe formé par Chip King et Lee Buford, j’ai toujours préféré les disques de Uniform accompagné de ce duo de Portland à ceux enregistrés en solitaire. Je ne suis pas loin de penser non plus que cette rencontre / collaboration a été plus que décisive dans l’évolution de la musique de Greenberg et Berdan.
Avec Shame les deux musiciens ont décidé de placer la barre encore plus haut que tout ce qu’ils ont enregistré précédemment. Ne pouvant définitivement plus se passer de batteur, c’est un certain Mike Sharp qui désormais occupe ce poste, après les très expérimentés Greg Fox et Lee Buford. Sharp n’est pas n’importe qui non plus : il a joué avec Trap Them ou Hatred Surge, c’est-à-dire que c’est un vrai musicien de hardcore métallisé et que sa patte a vraisemblablement influencé l’écriture de Shame, un album beaucoup plus technique et complexe qu’auparavant et surtout un disque écrit à trois (hormis les paroles qui sont restées l’apanage du seul Michael Berdan). Et que l’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas parce que Delco, placé en ouverture du disque, démarre sur un rythme tribal que Uniform va nous resservir exactement la même chose que sur les autres titres du disque... avant il aurait été bien difficile d’imaginer Uniform composer et enregistrer un I Am The Cancer qui dans sa première partie défouraille façon hardcore avant de virer sludge industriel dans la seconde.

Désormais le groupe voit donc les choses en beaucoup plus grand et en plus épais, Shame bénéficiant d’un son très impressionnant de par son ampleur et sa puissance et les compositions devenant beaucoup plus évidentes, mémorisables et… catalogables. Les bidouilles malsaines et autres éléments indus/bruitistes ne sont plus qu’accessoires et tout repose sur un chant toujours blindé d’effets mais en forte progression, une batterie maitresse du jeu et une guitare aux riffs moins basiques et aux sonorités plus travaillées. Bien sûr il reste quelques passages où on retrouve une partie du Uniform d’avant comme sur le final de The Shadow of God’s Hand ou celui de Life In Remission mais il s’agit surtout pour Uniform de trouver et de replacer des portes de sortie habituelles ou des tuyaux d’évacuation à des compositions dont on sent parfois que sans ça le groupe n’aurait pas réellement trop su comment les terminer. Par contre, lorsque Uniform sait réellement où il va, cela donne le morceau titre, son ambiance lancinante et sa structure bien moulée, ou le très classique All We’ve Ever Wanted qui ne surprendra pas par son originalité tout en restant très efficace. Une efficacité qui est le nouveau maitre-mot d’un groupe et d’un album qui aurait gagné à être un peu plus bordélique, à l’image de l’excellent This Won’t End Well. Pour tout dire je trouve le résultat final de Shame un peu trop froid et un peu trop pensé bien que fort divertissant, ce qui est peut être un comble pour un disque aux ambitions aussi darkos… Shame ne sera donc pas le chef d’œuvre de Uniform, juste un bon disque d’honnête facture, ce qui n’est déjà pas si mal.

[Shame est publié en vinyle – choisis ta couleur camarade, parce qu’il y en a plusieurs – et en CD par Sacred Bones]


vendredi 17 mai 2019

Comme à la radio : The Men / Hated : 2008 – 2011


Les puristes vous diront qu’en ce qui concerne THE MEN il y a un avant et un après Christopher Hansell, co-fondateur du groupe aux côtés de Nick Chiericozzi et de Mark Perro. C’est avec ce line-up à trois que The Men a enregistré son premier album en 2009, publié en 2010 : Immaculada. A cette époque la musique du groupe était plus chaotique et plus bruyante que tout ce qu’il enregistrera après. Immaculada est guère apprécié des fans du groupe qui souvent le jugent trop brouillon et peu représentatif ; malgré une qualité d’enregistrement aléatoire on y trouve pourtant déjà tout le caractère varié voire lunatique de la musique du trio.
Avec l’aide de divers batteurs invités, The Men a sorti Leave Home en 2011, un deuxième album dont la diversité étonnante s’explique par le fait que dans le groupe il y avait alors trois compositeurs – et trois chanteurs – arrivés à maturité et se partageant les rênes. L’album est écartelé entre punk noisy, garage, pop psyché ou shoegaze mais reste finalement plus intrigant que bancal. Le triangle amoureux semble bien fonctionner, chacun tirant son épingle du jeu sans prendre toute la couverture à lui. Leave Home marque également le début de la collaboration entre The Men et le label (très) new-yorkais Sacred Bones qui a depuis publié tous les albums du groupe. 





Lorsque Leave Home parait Rich Samis a déjà intégré le line-up de The Men comme batteur officiel (il est crédité dans les notes mais ce n’est donc pas lui qui joue) et on pouvait penser que cette stabilité nouvelle allait permettre au désormais quartet de prendre définitivement son essor. Sauf que c’est à ce moment là que Christopher Hansell a décidé de quitter le groupe. Il sera remplacé par Ben Greenberg des géniaux Pygmy Shrews et de Zs.  
Greenberg a également enregistré l’album Leave Home dans son studio Python Patrol et il enregistrera ensuite Open Your Heart, troisième album du groupe publié en 2012 et le dernier sur lequel on peut entendre Christopher Hansell. Open Your Heart est un disque encore plus mélangé et composite que Leave Home. La suite verra The Men perdre peu à peu de son intérêt et ce dès l’album New Moon (2013) dont le côté psyché-bouseux en a décontenancé plus d’un. De là à dire que Christopher Hansell était le pivot d’un groupe constamment à la recherche d’un équilibre précaire il n’y a qu’un pas. 







Avec Hated : 2008 – 2011 Sacred Bones nous propose un sacré retour en arrière aux tout débuts de The Men, avant même l’album Immaculada et alors que le groupe était encore un trio dont chacun des membres était chômeur, consacrait tout son temps à la musique et se partageait le poste de batteur. Hated : 2008 – 2011 compile donc des titres issus des premiers 7’ et des premières cassettes du groupe. Le son est rude – mais pas mauvais, juste avec énormément de grain – mais surtout la musique est rugueuse, punk, presque hardcore par moment. Ce qui n’empêche par le groupe de déjà commencer à s’aventurer vers des horizons plus mélodiques (Saucy et Wasted). Celles et ceux qui trouvaient Immaculada indigne de The Men seront encore plus désarçonné.e.s par un double LP rageux et sale, bien loin des réussites plus formelles et plus léchées que sont Leave Home et Open Your Heart.

On entendra sûrement ici ou là que Hated : 2008 – 2011 ne s’adresse qu’aux fanatiques les plus acharné.e.s de The Men mais je ne suis pas de cet avis. Le côté historique et documentaire de ces bandes est bien sûr évident pourtant elles possèdent leur propre justification, au-delà de celle de documenter la musique d’un groupe qui avait déjà commencé à découvrir quelque chose (Love Revolution dont malheureusement la fin de l’enregistrement est lacunaire). Et puis, en ces temps où beaucoup se fatiguent à enregistrer des disques électriques parfaits mais lisses – y compris dans la recherche d’un son prétendument bruyant, un comble – pouvoir écouter un truc aussi bordélique et juvénile se révèle presque indispensable.

lundi 19 novembre 2018

Thou / Magus



En me précipitant tel un affamé ou presque sur les trois EP/mini albums publiés par Thou entre les mois de mai et juillet 2018 en guise de préambules au nouvel album du groupe – pour mémoire : The House Primordial puis Inconsolable et enfin Rhea Sylvia – j’ai bien failli griller toutes mes cartouches. Je m’explique : je crois que je n’ai jamais apprécié un enregistrement de Thou immédiatement après ses premières écoutes, de manière instinctive et irréfléchie, ce qui peut sembler complètement contradictoire pour quelqu’un qui se vante en permanence (oui, je suis un gros vantard) de privilégier le cœur à la tête, l’instinct à la pensée et la chair à l’esprit.
Je me rappelle encore de ma découverte du groupe de Baton Rouge / Louisiane, c’était avec l’album Summit, en 2010, un troisième album qui à l’époque m’avait laissé de marbre voire avait fait naître en moi une profonde incompréhension. Aujourd’hui ce même Summit est l’un de mes disques préférés de Thou, un disque dont je ne voudrais pas me passer. Dois-je préciser que quelques années plus tard la même « aventure » m’est arrivée avec Heathen (2014), un disque considéré par beaucoup comme le chef d’œuvre absolu du groupe ? Et bien voilà : après bien des mois, Heathen avait également réussi à entrer dans mon petit cœur de pierre de binoclard fossilisé où il sest mis à trôner aux côtés de Summit pour me tenir chaud avec autant d’efficacité que d’humanité.
 




J’ai donc eu peur d’avoir épuisé tout mon potentiel émotionnel et affectif avec ces trois disques lancés en éclaireurs et que j’avais déjà beaucoup trop disséqués lorsque THOU a finalement publié Magus (le cinquième album du groupe) au mois de septembre. Bon… fort heureusement et malgré tout, il me semble depuis qu’il y a plus que jamais et indubitablement un mystère Thou. Et plus je cherche – et trouve – des éléments de réponses pour le solutionner et plus ce mystère m’échappe. Mais cela me va bien. C’est même plutôt réconfortant et galvanisant d’être presque obligé de faire une confiance aveugle (mais exigeante malgré tout) à un groupe. La confiance c’est tellement facile avec un groupe lambda qui joue une musique totalement codifiée parce qu’en fait on trichera toujours a priori et finalement on tournera toujours en rond autour d’une autosatisfaction-miroir confortable. Mais avec un groupe en plein mouvement et hors sentiers battus ce n’est pas du tout la même histoire.  
C’est même l’histoire d’un danger bénéfique : si le danger n’existe plus, la confiance disparait également et aujourd’hui je crois que la publication antérieure de The House Primordial et surtout de Inconsolable et de Rhea Sylvia aura servi à cela. Ces trois disques sont des plus explicites quant à la démarche musicale et personnelle de Thou mais en même temps ils foutent un gros bordel en démontrant que Thou est un groupe à l’esprit libre. Un groupe romantique et anarchiste qui n’a pas d’égal pour décloisonner, démonter, détruire et reconstruire derrière avec les éléments déchiquetés (mais aimés) par son appétit de destruction quelque chose qui n’appartient qu’à lui, un système qui possède la perfection de ses défauts, Thou étant l’un des rares groupes qui a compris qu’un système – je raisonne en assimilant une création musicale et donc artistique à un système – est en même temps un chaos irréversible. Toute fenêtre est autant une fermeture qu’une ouverture, une loi est autant une barrière ou une règle qu’une incitation à désobéir ou partir et Magus est la cristallisation d’un tout, aussi universel qu’incomplet et, conséquemment, un tout en mouvement épiphanique. 
Dans Magus la noirceur et la violence de Thou ne sont donc pas feintes et ne constituent pas plus un décorum – en cela Thou est l’exact opposé d’un Cult Of Occult –, c’est une noirceur et une violence qui ont du sens, une noirceur et une violence qui possèdent leur propre signification, leur propre vérité et leur propre lumière. Magus est autant un enregistrement transcendant qu’un chef-d’œuvre musical (je n’ai pas du tout envie de parler de ces riffs incroyables, de ce chant/logorrhée quasiment infini, de cette lourdeur atmosphérique, d’autres le font bien mieux que moi) et je préfère insister une dernière fois sur le caractère émotionnel, physique et métaphysique de Magus. Une dernière fois mais comme une première.

[Magus est publié en double vinyle et en CD par  Sacred Bones et que ce soit particulièrement ce label qui s’y soit collé me semble être le seul défaut insurmontable de ce beau et inestimable disque]